Paris-Genève-Copenhague, le 26 novembre 2009. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) déplorent l’absence totale d’égards du tribunal pour les principes les plus élémentaires du droit à un procès équitable lors de l’examen de l’affaire portée contre le journaliste M. Zouhair Makhlouf.

Le 24 novembre 2009, M. Zouhair Makhlouf, journaliste tunisien indépendant, secrétaire général de « Liberté et équité » et candidat du Parti démocrate progressiste (PDP) lors des élections législatives du 25 octobre 2009, incarcéré depuis le 21 octobre 2009 à la prison de Mornaguia près de Tunis, a comparu devant la chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Grombalia pour « avoir nui à un tiers au moyen d’un réseau public de télécommunication » (article 86 du Code des télécommunications). Il encourt une peine de un à deux ans de prison ferme. M. Said El Jazi, qui accompagnait M. Zouhair Makhlouf dans la réalisation d’un reportage sur la zone industrielle de la ville de Nabeul, se trouvait également dans le boxe des accusés, poursuivi pour les mêmes faits[1].

Face à l’intensification du harcèlement visant toutes les voix dissidentes, y compris les défenseurs des droits de l’Homme, l’Observatoire et le REMDH ont mandaté Me Martin Pradel, avocat, également mandaté par le barreau de Paris et la conférence internationale des barreaux, pour observer ce procès. Aucun autre observateur ni aucun diplomate a assisté au procès malgré les démarches entreprises par l’Observatoire, notamment auprès de l’Union européenne.

Lors de l’audience, le tribunal a manifesté ouvertement sa volonté d’entraver la défense de M. Zouhair Makhlouf et Me Pradel a relevé plusieurs violations du droit à un procès équitable. En premier lieu, le principe de publicité des débats n’a pas été respecté, tous les membres de la société civile ayant été empêchés d’accéder au Palais de justice, à l’exception des avocats. En outre, le principe du contradictoire a également été bafoué dans la mesure où l’auteur de la plainte n’a pas déposé devant le tribunal et aucun témoin ni à charge ni à décharge n’a été entendu, aucun réquisitoire du Ministère public n’a été entendu et seuls deux de la quinzaine d’avocats constitués pour représenter M. Zouhair Makhlouf ont pu plaider. En effet, alors que Me Radia Nasraoui était en train de plaider pour la relaxe de son client, le président de la chambre lui a coupé la parole et a mis l’affaire en délibéré au 1er décembre 2009. Me Pradel a relevé qu’ « il n’y avait pas de défense possible », et que « les avocats ont été sans cesse interrompus avant la suspension de l’audience sans qu’ils aient pu tous plaider ».

Cette procédure fait suite à la réalisation par M. Makhlouf et la diffusion sur « facebook » d’un reportage sur la zone industrielle de la ville de Nabeul. Le reportage visait à dénoncer la pollution et la dégradation de l’environnement dans la zone industrielle de la ville liées à l’utilisation des fours servant à faire cuire les productions de céramique et autres poteries artistiques, spécialités de la région[2]. M. Makhlouf est également l’auteur d’un reportage documentant l’affaire Faysal Barakat, étudiant de 25 ans décédé le 8 octobre 1991 à la suite d’actes de torture perpétrés par des agents de la brigade de recherches de la Garde nationale de Nabeul, cas qui avait été soumis au Comité contre la Torture (CAT) des Nations unies. Dans son reportage, il avait cité de nombreux témoignages.

L’Observatoire et le REMDH rappellent que trois personnes, journalistes ou en contact avec des journalistes internationaux envoyés spéciaux en Tunisie pour couvrir les élections du 25 octobre 2009, – MM Zouhair Makhlouf, Taoufik Ben Brik et Mohammed Soudani – se trouvent actuellement en prison après avoir dénoncé les pratiques et actes contraires aux normes internationales qui se sont multipliés dans le contexte électoral. Nos organisations craignent que les actes de répression dont ils sont l’objet fassent partie “des mesures” annoncées par le Président Ben Ali “contre quiconque émettra des accusations ou des doutes concernant l’intégrité de l’opération électorale, sans fournir de preuves concrètes”.

A cet égard, nos organisations s’inquiètent de l’intégrité physique et psychologique de M. Ben Brik en raison de l’interdiction opposée à tous ses avocats et membres de sa famille de lui rendre visite en prison.

L’Observatoire et le REMDH demandent aux autorités tunisiennes de :

· Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de MM. Zouhair Makhlouf, Said El Jazi, Mohammed Soudani et Taoufik Ben Brik, ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme tunisiens ;

· Procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de MM. Zouhair Makhlouf, Mohammed Soudani et Taoufik Ben Brik , arbitrairement détenus ;

· Veiller à ce qu’un terme soit mis à toute forme de menaces et de harcèlement – y compris judiciaire – à l’encontre de MM. Zouhair Makhlouf, Said El Jazi, Mohammed Soudani et Taoufik Ben Brik, et de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme tunisiens ;

· Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, et, plus généralement, se conformer aux dispositions des instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Tunisie.

Source : FIDH, jeudi 26 novembre 2009.