M. Zine Al-Abidin Ben Ali
Président de la République tunisienne

Genève-Paris, le 17 juillet 2009

Objet : Lettre ouverte – Appel à la libération des détenus du bassin minier de Gafsa

Monsieur le Président,

A la veille de la célébration du 52ème anniversaire de la proclamation de la République tunisienne, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme – FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture – OMCT), le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH) et Amnesty International souhaitent attirer votre attention sur le sort des personnes qui ont été condamnées pour leur participation, leur soutien ou leur couverture médiatique du mouvement de protestation sociale qui secoue le bassin minier de Gafsa depuis le mois de janvier 2008. Au cours des derniers mois, les organisations signataires ont à de nombreuses reprises dénoncé la répression dont ont été victimes les personnes soupçonnées d’être impliquées dans ce mouvement de protestation et les violations des droits de l’Homme qui ont été constatées dans ce cadre.

La répression violente par les autorités tunisiennes de ce mouvement a conduit aux décès de trois manifestants et à près de 300 arrestations. Des dizaines de personnes ont été victimes de violences de la part des forces de sécurité et plus de 200 personnes ont été poursuivies dans le cadre de procès qui se sont affranchis du respect des droits élémentaires de la défense et des garanties d’un procès équitable.

Les procès se sont le plus souvent soldés par des condamnations à des peines de prison fermes allant jusqu’à plusieurs années d’emprisonnement. A l’occasion notamment des missions d’observation judiciaire qu’elles ont mandatées pour assister à plusieurs de ces audiences, nos organisations ont constaté qu’outre le fait que la majorité des charges et des condamnations visaient uniquement à sanctionner l’exercice pacifique du droit à la liberté d’expression et de réunion de la plupart de ces citoyens, plusieurs violations ont entaché ces procès et constitué un déni du droit à un procès équitable. Nos organisations ont particulièrement dénoncé le silence des juges par rapport aux demandes préliminaires de la défense relatives à l’audition de témoins à charge et à décharge, l’examen des pièces à conviction, et des expertises médicales suite aux allégations de torture et autres mauvais traitements formulées par les prévenus, alors même que pour certains d’entre eux les traces de mauvais traitements ont été formellement enregistrées dans le rapport d’instruction.

Près d’une année après le début de la répression de ce mouvement, les manifestations des familles de détenus protestant contre l’emprisonnement et les conditions de détention de leurs proches sont systématiquement dispersées. Certaines de ces manifestations ont été suivies de nouvelles arrestations et de condamnations à des peines de prison.

En détention, le traitement réservé aux prisonniers reste également source de vive préoccupation. Plusieurs détenus malades n’ont pas eu accès aux soins que leur état de santé requiert. Ainsi, l’état de santé de M. Béchir Labidi, qui a contracté la tuberculose lors de sa détention, est particulièrement préoccupant et nécessite un traitement intensif qui ne peut lui être administré alors qu’il est détenu. Le transfert de plusieurs de ces détenus dans des prisons éloignées, parfois de plusieurs centaines de kilomètres du lieu de résidence de leur famille, constitue une entrave au droit de visite. Les 600 kilomètres qui séparent par exemple M. Béchir Labidi, détenu à Tunis, et son fils, Modhaffar, détenu à Rjim Maatoug (Sahara tunisien), empêchent leur famille de leur rendre visite à tous les deux régulièrement.

Enfin, nos organisations s’inquiètent des mesures qui s’apparentent à des représailles à l’encontre de la population de la région de Gafsa où le contrôle policier reste omniprésent, particulièrement dans les villes. Ce contrôle se traduit à la fois par des entraves à la liberté de circulation que ce soit pour les familles, ponctuellement empêchées de quitter la ville pour participer à des actions de soutien en faveur de leurs proches ou pour des avocats et défenseurs des droits de l’Homme interdits d’accès à Gafsa et à Redeyef.

Monsieur le Président,

Le 28 mars 2008, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a adressé un certain nombre de recommandations à la Tunisie. Il a, en particulier, appelé les autorités tunisiennes à mettre fin aux actes d’intimidation et de harcèlement et à protéger les activités pacifiques des organisations et défenseurs des droits de l’Homme. Le Comité a aussi insisté sur la nécessité que toute allégation de torture ou de mauvais traitement soit l’objet d’une enquête impartiale et que les auteurs de tels actes soient poursuivis en justice.

Nos organisations vous appellent à mettre en œuvre, sans délais, ces recommandations et à assurer que les personnes visées lors de la répression du mouvement de contestation de la région de Gafsa bénéficient de tous les droits garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nos organisations réitèrent ainsi leur appel à la libération immédiate et inconditionnelle de l’ensemble des manifestants, syndicalistes, défenseurs des droits de l’Homme et journalistes condamnés arbitrairement au cours de procédures judiciaires entachées de violations du droit à un procès équitable pour avoir exercé pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion tels que garantis par le droit international et la Constitution de la Tunisie. Elles vous demandent en outre de faire en sorte que toutes les allégations de torture et autres mauvais traitements soient l’objet d’une enquête indépendante et impartiale, que les auteurs de ces crimes soient traduits en justice et que réparation soit accordée aux victimes. Enfin, nos organisations demandent que la lumière soit faite sur les circonstances qui ont conduit aux homicides de manifestants et que les résultats de l’enquête ordonnée par le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme soit rendus publics et que les responsables de recours excessif à la force rendent des comptes.

Confiants de l’attention que vous voudrez bien porter à notre appel, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, nos respectueuses salutations.

  • Souhayr Belhassen, Présidente de la FIDH
  • Eric Sottas, Secrétaire général de l’OMCT
  • Kamel Jendoubi, Président du REMDH
  • Malcolm Smart, Directeur, Programme Moyen Orient et Afrique du Nord, Amnesty International