Télécharger le Rapport d’Amnesty International : Au nom de la sécurité : atteintes aux droits humains en Tunisie,

Le gouvernement tunisien cherche à tromper le reste du monde en présentant une image positive de la situation des droits humains dans le pays tandis que ses forces de sécurité persistent à commettre des exactions qui restent impunies, a révélé Amnesty International dans un nouveau rapport publié ce lundi 23 juin.

« Le gouvernement tunisien a assuré à plusieurs reprises qu’il se conformait à ses obligations internationales en matière de droits humains. Mais cela est loin d’être vrai. Il est grand temps que les autorités cessent de rendre un hommage de pure forme aux droits humains et qu’elles prennent des mesures concrètes pour mettre fin aux atteintes commises, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Dans un premier temps, les autorités tunisiennes doivent reconnaître la véracité des allégations troublantes recueillies dans ce rapport, s’engager à enquêter sur les cas relatés et traduire en justice les responsables présumés. »

Le rapport, intitulé Au nom de la sécurité : atteintes aux droits humains en Tunisie, expose dans le détail les préoccupations d’Amnesty International quant aux graves violations des droits humains commises actuellement en rapport avec la politique du gouvernement en matière de sécurité et de lutte antiterroriste. Résolues à empêcher la formation de ce qu’elles dénomment « cellules terroristes » sur le territoire tunisien, les autorités se sont rendues responsables d’arrestations et de placements en détention arbitraires qui enfreignent la loi tunisienne ; elles ont provoqué la disparition forcée de détenus, elles ont utilisé la torture et d’autres mauvais traitements, elles ont jugé, déclaré coupables et condamné des personnes à l’issue de procès inéquitables. De surcroît, elles ont déféré des civils devant des tribunaux militaires et n’ont produit que peu d’éléments susceptibles d’étayer les accusations portées contre eux.

Une loi antiterroriste contenant une définition vague du terrorisme est utilisée par les autorités tunisiennes pour ériger en infraction pénale des activités d’opposition légitimes et pacifiques. Bien que quelques réformes législatives aient permis, ces dernières années, d’accorder une meilleure protection aux détenus, les lois sont régulièrement bafouées par les forces de sécurité tunisiennes, et n’ont pas constitué une garantie efficace contre la torture, les procès iniques et d’autres graves atteintes aux droits humains.

Citons le cas de Ramzi el Aifi, Ousama Abbadi et Mahdi Ben Elhaj Ali, trois des accusés dans l’affaire Soliman. Leurs avocats ont indiqué que des gardiens avaient attaché ces trois hommes et les avaient roués de coups de poing et de pied à la prison de Mornaguia le 16 octobre 2007 pour les punir, semble-t-il, d’avoir entamé une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. Lorsque l’avocat d’Ousama Abbadi lui a rendu visite le 20 octobre 2007, il a constaté que son client était grièvement blessé à l’œil et présentait une blessure ouverte profonde à la jambe ; il était dans un fauteuil roulant, incapable de se tenir debout. Ramzi el Aifi a déclaré quant à lui à son avocat qu’il avait été ficelé et frappé et qu’on lui avait enfoncé un bâton dans l’anus. Aucune enquête sur ces violences ne semble avoir été ouverte par les autorités tunisiennes, et les personnes soupçonnées d’être responsables de ces agissements n’ont pas été déférées à la justice. Ramzi el Aifi et Ousama Abbadi ont été condamnés à la réclusion à perpétuité puis la peine d’Ousama Abbadi a été réduite en appel à trente ans d’emprisonnement. Mahdi Ben Elhaj Ali a été condamné à une peine d’emprisonnement de douze ans, réduite à huit ans en appel.

La plupart des atteintes aux droits humains sont commises par les agents de la Direction de la sûreté de l’État, qui ont recours à la torture en bénéficiant d’une impunité quasi totale.

En ne procédant à aucune enquête sur les allégations de torture, le procureur et ses services ainsi que les juges, qui manquent souvent d’indépendance, contribuent à l’étouffement de certaines affaires de maintien de détenus au secret pendant des périodes prolongées, au mépris de la législation tunisienne elle-même, et d’actes de torture sur la personne de détenus en violation de la loi tunisienne et du droit international. Par leur silence et leur inaction, ils deviennent complices de ces violations.

« Les autorités tunisiennes sont dans l’obligation de protéger la population et de combattre le terrorisme, mais ce faisant elles doivent se conformer à leurs obligations en vertu du droit international relatif aux droits humains, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui. Elles doivent veiller à ce que les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme ne facilitent pas les atteintes aux droits humains et à ce que, dans la pratique, la Direction de la sûreté de l’État et les autres forces de sécurité respectent à tout moment et dans leur intégralité les normes et les textes internationaux relatifs aux droits humains. »

Malgré ce bilan marqué par les violations, un certain nombre de gouvernements de pays arabes et européens ainsi que le gouvernement des États-Unis ont renvoyé des personnes soupçonnées de participation à des actes terroristes en Tunisie, où ces personnes ont été arrêtées, placées en détention de façon arbitraire, soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements, et jugées de manière inéquitable.

Houssine Tarkhani a été renvoyé de France en Tunisie contre son gré le 3 juin 2007 et arrêté à son arrivée à Tunis. Il a été maintenu en détention secrète à Tunis, dans les locaux de la Direction de la sûreté de l’État, pendant neuf jours, en violation du droit international relatif aux droits humains ; de plus, cette période excédait de trois jours la durée maximale de la garde à vue autorisée par la législation tunisienne. Au cours de cette période, a indiqué son avocat, Houssine Tarkhani a reçu des coups de bâton sur tout le corps ainsi que des décharges électriques ; il a été insulté et menacé de mort. Il a été de nouveau frappé lorsqu’il a demandé à prendre connaissance du rapport de police, qu’il n’a pas eu le droit de lire. Pendant sa garde à vue, aucun de ses proches parents n’a été informé de son placement en détention, alors que la loi tunisienne le prévoit. Sa famille n’a été mise au courant de l’endroit où il se trouvait que lors de sa comparution devant un juge d’instruction, le 12 juin 2007. Lors de cette première comparution, il n’a pas bénéficié de l’assistance de ses avocats, qui ne sont entrés en rapport avec lui que le 19 juin 2007, date à laquelle ils ont pu le voir à la prison de Mornaguia. Un de ses avocats a demandé qu’il bénéficie d’un examen médical permettant de constater d’éventuelles traces de torture, mais cette requête est pour l’instant restée vaine.

« Au lieu de renvoyer de force dans leur pays des Tunisiens qui risquent d’y être torturés et sont exposés à des procès inéquitables, les gouvernements étrangers devraient faire pression sur le gouvernement tunisien en l’incitant à prendre des mesures concrètes en faveur d’une réforme des droits humains », a conclu Hassiba Hadj Sahraoui.