Lorsque tout va bien, généralement les gens n’ont pas vraiment besoin de soutien. C’est lorsque la situation se complique que les soutiens et les encouragements deviennent nécessaires, surtout vis-à-vis de ceux qui ont accompli un travail colossal. Je pense que si les mots ont un sens, les animateurs de Tunisnews ont parlé de 2772 jours de travail bénévole effectués d’affilée. Et, pour m’être impliqué avec d’autres amis dans la gestion de quelques sites, je ne peux qu’éprouver un profond respect pour ce travail accompli.
Il est possible d’évoquer l’argument de l’obligation morale, dans les circonstances tunisiennes actuelles, pour dire que les animateurs de Tunisnews n’ont pas le droit d’interrompre, même provisoirement, leur travail. Et l’argument peut être effectivement valable pour un temps. Mais arrive un moment où cette obligation morale est consommée jusqu’à la lie. Et en l’occurrence, si Tunisinews a persévéré pendant tout ce temps, c’est, sans doute, pour ne pas faillir à cette obligation. Mais à un moment donné, la charge de travail devient tellement lourde, qu’elle ne peut plus être assumée par ses auteurs. Il existe une limite, et j’ai presque envie de dire matérielle, au-delà de laquelle on ne peut pas aller. Quand on arrive, à mains nues, devant un mur, la course doit s’arrêter. Cela peut sembler cruel, mais il en est ainsi. Et, dans ce cas là, au lieu de se faire mal contre le mur, il est plus sage de s’arrêter un instant, faire un bilan et regarder autour de soi pour réfléchir au meilleur moyen de contourner l’obstacle.
Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Tunisnews à suspendre la publication, je retiens simplement qu’ils parlent de ظروفا … قاهرة . Parmi ces contingences, il n’est pas impossible que la contrainte financière, conjuguée aux obligations des uns et des autres à l’égard de leurs vies quotidiennes et familiales, soit à l’origine de cette suspension.
Encore une fois, je ne sais pas si effectivement la question des ressources financières fut, dans le cas de Tunisnews, la cause principale de l’arrêt -espérons provisoire – de sa lettre de diffusion. Toutefois, je présume qu’à moins d’être les héritiers de la fortune d’un proche parent, les animateurs de Tunisnews n’ont pas les moyens de mener bénévolement une activité aussi conséquente indéfiniment. Autrement dit, pour pouvoir faire ce qu’ils font et être en mesure, eux aussi, d’avoir une vie de famille normale en voyant leurs enfants grandir comme tout le monde, il n’y a d’autres alternatives que de se consacrer à plein temps à ce travail d’information. Or, pour se consacrer à plein temps, cela nécessite des moyens financiers en mesure de les libérer du cumul de leurs obligations professionnelles.
Certes, par définition, le travail bénévole ne suppose pas la rémunération. Et l’équipe de Tunisnews n’a jamais, comme elle l’a toujours affirmé, été rémunérée ( et je suis disposé à les croire). Cependant, il est loin le temps où Tunisnews ne représentait qu’une petite charge de travail par l’assemblage de quelques dépêches. J’imagine aujourd’hui, rien que pour la gestion quotidienne de la boîte email, le temps qu’il faut pour une tâche comme celle-là, doit être considérable. Et, si, en plus, on rajoute la relecture, même en diagonale, de ce qu’ils publient, les mises en page multilingues, l’entretien de la liste du mailing, un minimum de correction, le reformatage de certains textes qui arrivent avec des caractères illisibles, etc., et tout ceci de surcroît d’une manière quotidienne durant plus de 7 ans et demi, l’on est à même de réaliser que ce bénévolat a peut-être excédé les capacités du groupe de Tunisnews. Et face à cette réalité, tôt ou tard allait se poser la limite qui fait que nul ne peut donner plus qu’il n’en a.
A vrai dire, et si tant est qu’effectivement les membres de Tunisnews se soient heurtés à cette limite, ils ne sont pas les seuls. Hélas, de nombreuses associations (parfois de fait à l’instar de Tunisnews (1)) ont, après avoir accompli un remarquable travail, dû interrompre leur activité faute de financement adéquat.
De ce point de vue, je ne suis pas loin de penser que sur le plan des ressources financières, la société civile tunisienne ne semble pas encore avoir les moyens de ses ambitions. Je ne fais nul reproche à personne. Je formule un simple constat qui découle des observations suivantes :
“Grossièrement” les ressources financières des activités associatives de la société civile proviennent soit des subventions d’organismes étrangers, soit de l’Etat tunisien, soit des contributions souvent modestes des adhérents au tissu associatif. Ces sources pouvant parfois se cumuler.
1 – Pour les contributions publiques de l’Etat tunisien, inutile de disserter longuement sur les qualités (ou les non qualités) qu’il faut avoir pour pouvoir en bénéficier ;
2 – S’agissant des contributions étrangères, la question est presque tabou. En outre, le climat dans lequel baigne la société civile tunisienne et si délétère, que toute association qui en bénéficie se trouve automatiquement suspectée. Il suffit que des animosités personnelles s’en mêlent, pour que des “professionnels du dénigrement” sautent comme des vautours sur les sources de financement pour discréditer le travail qui est fait. Imaginons un seul instant que Tunisnews ait reçu (et annoncé) des subventions de l’UE entrant dans le cadre de l’aide à la promotion du pluralisme de la presse en Tunisie ; de même, imaginons que demain Canal du Dialogue Tunisien ou ReveilTunisien reçoivent une telle subvention … inutile, là encore, de disserter longuement sur les attaques personnelles qui en résulteront. Et le climat est si délétère, que même lorsqu’il n’existe aucun financement, certains s’ingénient à en fabriquer pour porter atteinte à l’honneur des personnes. Je ne suis pas en train de dire qu’il n’est pas utile d’être vigilant quant aux sources de financement du tissu associatif, ni qu’il est maladroit de demander des comptes à ceux qui reçoivent des financements publics, y compris étrangers. Je dis simplement qu’entre, d’une part, la vigilance et, d’autre part, le fait de sombrer dans une paranoïa collective amplifiée par les diffamations de personnes méprisables, nous devrions pouvoir faire davantage la part des choses. C’est parfois compliqué, je l’avoue (et là je songe à l’excellent article de Radical sur l’adéquation des dépenses de la LTDH avec les objectifs poursuivis).
3 – Quant aux sources de financement propres, c-a-d provenant des membres de l’association, sans doute que, dans beaucoup de cas, elles suffisent, malgré leur modestie, à maintenir l’activité. Néanmoins, dans d’autres cas, lorsque cette activité répond à un besoin crucial qui ne cesse de s’étendre, arrivera tôt ou tard le seuil où les ressources dites internes deviennent insuffisantes pour maintenir l’activité. Dans ce cas alors, de deux choses l’une : soit on se réorganise en prenant en compte un besoin de financement à la hauteur des ambitions de l’activité associative, soit on se met à ruminer jusqu’à la cessation totale de l’activité faute de ressources (les membres de l’association en question ayant tout donné). Par quête d’une indépendance totale, cela peut être un choix. C’est-à-dire pouvoir donner tant que c’est possible, sans jamais demander rien à personne. Parfois, ce choix peut être motivé par des raisons d’ego, mais parfois aussi imposé par l’atmosphère délétère dans laquelle nous baignons.
Nul doute que ces dernières années, la société civile tunisienne s’est enrichie de nombreuses associations de fait ou de droit qui font un travail remarquable. Ces associations qui se distinguent par leur label de “véritablement indépendante” affichent des ambitions de plus en plus honorables par rapport aux attentes de la société tunisienne. Mais hélas, les questions de financement de ces activités risquent fort de handicaper cette évolution. La culture du mécénat vers les activités associatives étant encore ce qu’elle est en Tunisie, les évolutions risquent d’être encore lentes.
Que l’on ne souhaite pas de financement d’institutions étrangères pour des raisons d’orgueil et d’indépendance pourquoi pas ! Que l’on ne souhaite pas, non plus, des financements compromettants de la part des autorités tunisiennes, cela, à ce jour, va tellement de soi également. Mais au moins, que la société civile tunisienne soit plus cohérente, en envisageant plus sérieusement le financement des activités associatives qu’elle appelle de ses voeux. D’ici là, de nombreuses autres associations cesseront leurs activités faute de moyens à la hauteur du travail qu’elles font. Tout comme arrivera aussi le jour où l’équipe de Nawaat ne pouvant plus suivre du fait des obligations de ses membre ailleurs, devra cesser ses activités faute de volontaires pouvant reprendre les sites. Quand cela arrivera-t-il ? Dieu seul le sait si c’est dans une semaine ou dans 5 ans.
Cela dit, et quelles que soient les raisons qui aient poussé Tunisnews à suspendre ses activités, souhaitons leur bon courage. Ils en ont besoin en ce moment pour aplanir les difficultés actuelles afin de revenir en meilleure forme. Et , surtout, après plus de 7 ans et demi de bons et loyaux services, ne leur disons pas qu’ils n’ont pas le droit de faire ce qu’ils font. Car, peut-être,n’étaient-ils plus à même de se demander s’ils avaient ou pas le droit, mais s’ils ont ou n’ont plus d’autres choix.
Pour ma part, je n’ai qu’une phrase à leur dire : Chapeau bas, les gars pour ces 7 ans et demi, vous avez tout mon soutien et, au cas où, vous pouvez compter sur moi.
(1) – L’équipe de Tunisnew, pour peu qu’elle soit composée de plus d’une personne est, au regard de la loi de nombreux pays, considérée comme une association, quand bien même n’est pas déclarée auprès de l’administration. C’est le principe de la liberté d’association. Les déclarations auprès des autorités compétentes ne deviennent obligatoires que si l’on aspire à un statut qui permette, par exemple, d’obtenir des subventions publiques ou d’ester en justice, entre autres.
PS : Il est possible que l’interruption de Tunisnew n’ait strictement aucun rapport avec un quelconque manque de moyen. Pour autant, cela ne remet pas en cause les appréciations portées sur la nécessité de trouver des moyens financiers à la hauteur des tâches prises en charge par le travail associatif.
Astrubal, le 3 décembre 2007
http://astrubal.nawaat.org
iThere are no comments
Add yours