Elle avait dix-neuf ans, travaillait, venait de se marier et était enceinte. Le 7 novembre 2006, Sameh Harakati a été arrêtée et écrouée à la prison des femmes de Mannouba dans l’attente de son procès. Ce dernier, déjà reporté à maintes reprises, devrait se tenir dans quelques jours, le 9 juillet prochain. Sameh a vécu un garde à vue éprouvante, au terme de laquelle elle a fait une fausse couche, et une détention préventive particulièrement longue, si l’on ne s’en tient qu’à son jeune âge, son absence d’antécédent, et enfin, le caractère controversé des charges qui pèsent contre elle. Son mari, de nationalité française, revient sur ces huit mois de combat qu’il a menés pour sauver sa femme, son couple et leur dignité.
1) Monsieur Ben Taieb, vous menez une lutte inlassable pour arracher la liberté de votre femme, et au-delà, la preuve de son innocence, dont vous êtes intimement persuadé. Pouvez-vous revenir sur les sentiments qui vous ont habité lors de son arrestation, soit quelques semaines après votre mariage ?
Farid Ben Taieb : Sur le coup j’ai été choqué, je me suis dit que cela ne pouvait être qu’une erreur et que ma femme serait vite libérée. J’étais tout juste fier d’avoir épousé ma perle rare, ma Sameh Harakati. Il était impossible à mes yeux que la femme que j’avais épousée et surtout que je connaissais bien ait pu nuire à une tierce personne. Mon épouse a un trop grand cœur pour faire du mal à qui que se soit ; je ne pouvais pas concevoir que l’on puisse la sanctionner pour rien. J’en ai voulu progressivement à cet individu qui avait entraîné ma femme dans cette prison par son faux témoignage. Puis j’ai dû me rendre à l’évidence, j’ai été submergé de colère et de dégoût face à cette injustice. Aujourd’hui, je peux avouer que j’ai une toute autre image de la Tunisie. Seulement au fond de moi persiste l’espoir que la justice ne peut condamner une innocente. Nous n’avons même pas eu le temps de partir en lune de miel mais ma Sameh a eu le temps de faire une fausse couche en détention suite au choc de son interpellation.
2) Vous vivez et travaillez en France, avez-vous eu l’occasion de lui rendre visite en prison ? Combien de temps a duré la visite ? Avez-vous pu obtenir une prolongation dérogatoire du fait que vous ne pouvez lui rendre visite chaque semaine ?
FBT : Je me suis précipité en Tunisie après son interpellation afin de connaître les conditions de sa détention mais surtout la rassurer de mon total soutien et de ma solidarité à sa cause.
Il y a deux types de visite, la visite normale, avec une vitrine qui nous sépare qui dure environ quinze minutes ; on communique par téléphone. Puis la seconde visite communément appelée « visite exceptionnelle » est autorisée par le tribunal qui vous donne un document de passage que vous remettez à l’entrée de la prison. Cette visite dite « exceptionnelle » vous donne le droit de pouvoir être assis auprès de votre conjointe, de l’embrasser à son arrivée et de pouvoir lui tenir la main. Cette visite est beaucoup plus appréciable et agréable que la précédente, elle dure environ trente minutes en général.
Il est vrai que pour les prolongations dérogatoires, l’administration du tribunal tunisien est un exemple, je n’ai rencontré aucune difficulté pour rendre visite à mon épouse, toutes mes demandes ont toujours été acceptées.
3) Sameh vous a-t-elle fait part de ses conditions d’emprisonnement ? De ses relations avec les co-détenues, avec l’administration pénitentiaire ? Que souhaite-t-elle ?
FBT : En effet ma femme Sameh m’a expliqué qu’elles étaient toutes détenues dans une grande chambrée, que sa chambrée se compose de vingt trois filles et que la chaleur est insupportable, la télévision allumée toute la journée avec un son trop fort.
J’avais demandé à l’administration pénitentiaire de ne pas mettre ma femme avec des graves délinquantes ou des récidivistes. Ils avaient anticipé ma demande car ils partent du principe qu’ils doivent protéger des autres délinquantes les filles qui rentrent en prison pour la première fois.
Ses relations avec les détenues sont moyennes, Sameh est une femme qui par nature fuit les problèmes et les filles à histoires. Ma femme passe son temps dans son coin.
De par son caractère gentil et son tempérament ne cherchant à nuire à personne, elle est appréciée par l’administration de la prison. Elle n’est pas privilégiée même si elle avait voulu que cela soit le cas.
Ma femme souhaite passer son temps en détention sans avoir aucun problème.
4) De quoi votre femme est-elle accusée ?
FBT : Ma femme est accusée de complicité de vol avec violence grave et de trafic de véhicule volé en réunion et d’affiliation à une bande dans l’intention de commettre des attentats.
Les accusations sont abusives et non fondées, la principale victime du vol avec violence reconnaît la présence de mon épouse sur les lieux mais certifie de sa totale passivité. Concernant l’autre accusation, seul le témoignage mensonger de Monsieur Slim Arfaoui, un criminel multi-récidiviste reste à la charge de ma femme.
Monsieur Slim Arfaoui est toujours en détention pour au moins une dizaine de crimes, il se trouve être juste un voisin de quartier d’enfance de mon épouse. Il a dénoncé mon épouse, le jour de son interpellation pour se venger, en croyant que ma femme avait témoigné contre lui. Sa vengeance s’est transformée par la suite en jalousie et méchanceté gratuite.
5) Vous êtes convaincu de son innocence, de sa naïveté, de son incapacité à commettre le moindre délit ….
FBT : Je suis plus que convaincu de son innocence. Lors de son interpellation, je suis rentré immédiatement en Tunisie. La première des choses que j’ai faite est d’avoir contacté la brigade criminelle qui s’est occupé de l’interpellation de ma femme puis de l’enquête. Les policiers m’ont tous certifié et confirmé que mon épouse était innocente par les faits mais coupable juridiquement.
Ils m’ont en effet expliqué que Monsieur Ben-Jafer Mondher, le juge qui s’est occupé de cette affaire, l’avait mise en examen avant même son interpellation, et que donc la procédure voulait que la brigade criminelle la mette en détention pour qu’elle soit jugée.
Comment peut-on clôturer un dossier sans avoir interrogé chaque partie ?
Des aberrations se sont manifestées dans le dossier de ma femme, effectivement, la victime du vol a confirmé avoir fait connaissance de la part de ma propre épouse de son vrai nom, de son numéro de portable et du lieu de son emploi. Si ma femme avait été complice de ce vol, aurait elle donné ses réelles coordonnées ?
Les policiers tous réunis avaient ajouté de leurs propres bouches que mon épouse n’était pas à sa place en prison et qu’elle n’avait rien à y faire et que cela leur faisait de la peine d’aller à l’encontre de leurs certitudes.
De plus, le jour de la confrontation devant ce même juge, le principal accusateur, Monsieur Slim Arfaoui a assuré vouloir maintenir sa version par jalousie et qu’il ne souhaitait pas la changer en sachant qu’elle pourrait être libre et heureuse et lui en prison. Plusieurs témoins de la scène m’ont rapporté les faits, il est scandaleux et étonnant que le juge n’en est pas tenu compte pour immédiatement abandonner les charges contre ma femme.
Comment peut-on accepter les propos d’un criminel et ignorer l’évidence sans prendre en compte la version de la victime et les paroles de ma femme qui n’a aucun casier judiciaire ?
Il faut en effet connaître Sameh pour être convaincu de son innocence, sa naïveté est son plugrand danger, elle ne voit pas le mal.
6) Vous avez tenté diverses démarches, d’abord vous avez tenu à ce que sa défense soit assurée par le biais de plusieurs avocats. Qu’ont-ils obtenu ?
FBT : J’ai voulu que ma femme soit défendue au mieux, j’ai commencé par lui prendre sept avocats mais ils se sont révélés gourmands financièrement sans aucun résultat. J’ai conservé donc les deux meilleurs d’entre eux puis j’ai également fait appel à un cabinet d’avocats en France pour aider ceux en Tunisie. Mes avocats n’ont rien obtenu pour l’instant, toutes les demandes de liberté conditionnelle ont étés refusés. Je n’y comprends rien, ma femme n’est pas une criminelle.
7)Puis, en tant que ressortissant français, vous vous êtes adressé aux institutions de votre pays. Vous êtes-vous senti soutenu dans vos démarches ?
FBT : J’ai reçu des courriers de soutien de notre gouvernement français. Seul le consul de France à Tunis refuse de m’aider sincèrement à libérer ma femme bien qu’il ait reçu des demandes officielles du ministère français des Affaires Etrangères et du ministère européen des Affaires Etrangères.
Le ministère des Affaires Etrangères Français m’a contacté au téléphone pour me poser de nombreuses questions en me garantissant d’intervenir. Le Premier Ministre français, monsieur François Fillon, m’a répondu par courrier en me disant qu’il faisait suivre l’affaire auprès de madame le Ministre de la Justice, madame Rachida Dati.
8) Vous avez mis à profit la campagne électorale pour vous adresser aux candidats…
FBT : J’ai mis à profit la campagne électorale, j’ai contacté à plusieurs reprises par courriers, fax et e-mails monsieur Nicolas Sarkozy, afin de le mettre en face de ses engagements, de ses promesses et de ses convictions mais j’attends toujours qu’il se décide à me contacter ou à me rencontrer. Il serait temps qu’il arrête d’urgence la souffrance gratuite de mon épouse en intervenant pour sa cause, je pense qu’il devrait respecter ses paroles.
9)Sameh est tunisienne. Avez-vous reçu des réponses encourageantes du côté de l’Etat tunisien ?
FBT : L’Etat tunisien reste silencieux face à mes relances. Le Palais Présidentiel tunisien que j’ai contacté à plusieurs reprises par courriers, fax et téléphones m’a assuré avoir fait suivre le dossier de ma femme au ministère des Affaires Etrangères tunisien. Le ministère des Affaires Etrangères tunisien m’a expédié une simple lettre pour m’informer que ma demande de libération de mon épouse avait bien été enregistrée. Monsieur Zine El Abidine Ben Ali ne peut ignorer également mes nombreux courriers de demande de liberté pour ma femme. Je souhaiterais de la part de la présidence une intervention favorable dans le dossier de mon épouse afin qu’une justice soit rétablie.
10) Enfin, vous avez médiatisé son calvaire, et votre combat ? La solidarité est-elle au rendez-vous ?
FBT : Je médiatise avec des amies l’affaire de ma femme. La machine est dure à mettre en route, ce n’est pas évident de capter l’attention des gens mais progressivement on y arrive, nous avons de plus en plus de soutien. L’espoir c’est la vie et je veux continuer à en avoir. Je profite de cette interview pour lancer un nouvel appel auprès de toutes les personnes qui voudront bien nous aider à sortir ma femme de prison. Le moindre soutien sera le bienvenu, la toute petite aide très appréciée.
Je relance tout spécialement un appel aux gouvernements tunisien et français pour que la situation ne perdure pas inutilement. J’insiste auprès des dirigeants de ces deux nations pour ne pas qu’ils ne cautionnent pas avec leurs silences les mensonges d’un grand criminel.
Propos recueillis par Luiza Toscane le 2 juillet 2007….
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