Vérité-Action

58ème anniversaire de la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme

Etat des droits de l’homme et des libertés en Tunisie : Prise de position

Décembre 2006

INTRODUCTION

Le 10 décembre de chaque année est célébré la journée internationale pour la Déclaration des droits de l’homme. Une occasion pour chaque pays de faire ses comptes et pour la société mondiale de faire son bilan général dans la sauvegarde de ces droits et leur adaptation à la richesse démographique, historique et culturelle de la planète.
Pourtant il y’a des pays, comme la Tunisie, où cette commémoration ne signifie rien d’autre que la recherche à perfectionner le système de la mise sous tutelle de la société.

Signataire denombreux instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Tunisie viole de manière délibérée et systématique les devoirs qui lui incombent en vertu de ces instruments.

Dans le cadre de sa commémoration annuelle de cet événement, et sous le thème « Agir pour la sauvegarde des libertés en Tunisie »,Vérité-Action présente à l’opinion publique nationale et internationale le présent bilan sur la situation générale des droits de l’homme et des libertés en Tunisie.

Le présent bilan suivra le cheminement suivant :

1.L’impasse politique et institutionnelle.
2.La violation systématique des droits de l’homme
2.1La torture.
2.2La situation dans les prisons.
2.3La lutte contre le terrorisme comme meilleur alibi à la dictature.
3.Les attaques aux libertés individuelles.
4.Les entraves aux libertés publiques.
5.Le Bilan économique et social.
6.Perspectives.
7.Recommandations.

I.L’impasse politique et institutionnelle.

Un demi siècle après la promulgation de la Constitution tunisienne, les tunisiens vivent toujours dans l’espoir de voir émerger un jour une réelle démocratie et la société civile tunisienne, pourtant riche de sa longue expérience, lutte toujours pour son « seuil minimal d’existence » sous une dictature qui ne semble pas s’infléchir.

Cette raison nous impose de traiter l’impasse politique et institutionnelle comme l’aspect le plus prédominant du paysage tunisien vu que c’est cette impasse qui conditionne, depuis des décennies, les autres aspects du bilan du système politique tunisien en matière des droits de l’homme et des libertés à la fois individuelles et publiques.

Sur le plan institutionnel et juridique, les amendements à répétition de la Constitution depuis l’avènement de Ben Ali en 1987 n’ont rien changé aux piliers de l’Etat : le parti unique et la prédominance institutionnelle du tout sécuritaire avec l’impunité et de la corruption comme parties intégrantes.

Un petit rappel historique n’est pas sans utilité.
Poussé à mettre en œuvre ses promesses non tenues concernant l’annulation de la présidence à vie et la promotion d’un vrai système d’alternance, le président tunisien a longtemps promis de procéder à une « révolution » constitutionnelle.

C’est ainsi que le peuple, interdit de tout débat contradictoire, a été invité à voter une réforme constitutionnelle de grande envergure en mai 2002.
Loin du discours flatteur, cette pseudo-réforme constitutionnelle de mai 2002 n’a fait qu’instaurer une présidence à vie camouflée, et qu’aggraver les déséquilibres entre les institutions en défaveur du parlement qui s’est vu doubler par une chambre dite de Conseillers (dont la composition est largement contrôlée par le président et son parti), perdant ainsi largement son mot à dire en matière internationale et en matière financière.

Lors de ce référendum du 26 mai 2002, et ne pouvant rompre avec ses méthodes habituelles, le régime tunisien n’a pu faire baisser le taux des votants pour le « oui » en dessous des 99,53%. Un résultat qui a semé énormément de doutes et de soupçons puisque selon les déclarations officielles uniquement 0,48% des électeurs ont voté pour le non, soit sur les 3.644.845 votants, 3.462.177 ont voté favorablement sur une réforme ambiguë et précipitée.

Comment peut-on croire que le peuple tunisien a voté avec « une écrasante majorité » pour la présidence à vie et l’impunité à vie et que seulement 0.48%, soit 16642 citoyens seulement, ont trouvé cette réforme inadmissible !
Cela malgré un boycott et un absentéisme largement relaté par les médias et les observateurs.

Le référendum du 26 mai qui a constitutionnalisé l’impunité au plus haut niveau (l’article 41) dans la hiérarchie du pouvoir laisse cette question la plus urgente et la plus grave.

Avec une présidence à vie, une concentration inédite des pouvoirs dans les mains du président et une impunité relevée au rang constitutionnel (du jamais vu), les événements qui ont suivi cette votation ont confirmé qu’elle n’était qu’un pas vers l’instauration d’une nouvelle présidence à vie prenant la forme d’une monarchie déguisée.

Pire encore. Depuis un certain temps, les préparatifs pour une nouvelle candidature de Ben Ali pour les présidentielles de 2009 battent leur plein.Après les parlementaires, la puissante organisation patronale tunisienne a exhorté le président Zine El Abidine Ben Ali à se représenter aux élections de 2009 pour un cinquième mandat de cinq ans [1].

Le président tunisien lui-même ne semble pas cacher ses ambitions d’autant qu’il ne cesse de se référer à l’échéance de 2009 dans ses discours à répétition.

Ce qui est amusant dans cette pré-campagne électorale, c’est qu’elle coïncide avec la recrudescence des rumeurs concernant l’état de santé du président et ses absences répétées de la scène médiatique, chose inhabituelle en Tunisie.

Dans une vraie démocratie, l’information sur la santé d’un président est un droit des citoyens. En Tunisie, l’état de santé du président est un tabou car celui-ci incarne « la perfection ». Et malgré les nombreux appels de différentes personnalités opposantes pour plus de transparence à ce sujet, ni l’Etat ni son chef ne réagissent à ses appels qui restent sans réponse. Aucune information n’est donnée sur la réalité de sa maladie ni sa progression. Le peuple ignore tout sur les perspectives politiques du pays et vit dans l’attente et l’angoisse.

Dans l’intervalle, on ne peut parler d’une vraie dynamique politique en Tunisie car le paysage est toujours statique : un seul parti au pouvoir qui monopolise tout notamment le pouvoir et les médias. De l’autre côté de l’échiquier, des partis d’oppositions « décor » ou marginalisés et quelques autres forces politiques non reconnus et toujours persécutées.

II.Bilan des droits de l’homme :

2.1 La torture

On ne peut commenter le bilan des droits de l’homme en Tunisie sans commencer par le phénomène de la torture.

Bien que le gouvernement tunisien était parmi les premiers signataires de la Convention des Nations Unies contre la Torture et les traitements inhumains et dégradants(le 26 août 1987 avec entrée en vigueur le 23 septembre 1988), la torture était, et l’est toujours, une réalité présente et institutionnalisée en Tunisie.

De sources concordantes, la torture reste une pratique systématique dans les différents corps de la sécurité intérieure notamment. Elle touche les citoyens de manière large de la simple arrestation pour contrôle d’identité aux interrogatoires musclés des opposants.

Après la vague de répression sanglante, au début des années 90, contre lesmembres et les sympathisants du mouvement « ENNAHDHA »non reconnu causant des dizaines de cas de décès pendant la garde à vue ou en prison et quelques disparitions toujours non élucidées, la torture est restée monnaie courante dans le comportement quotidien des différents corps de sécurité.

Les pratiques très diversifiées (arrestations illégales, détentions prolongées, torture physique systématique, pressions sans limites sur les familles et les proches atteignant l’atteinte à l’honneur et à l’intégrité sexuelle, l’isolement, etc.) convergent toutes vers le même but, à savoir de dissuader les citoyens de tout engagement politique ou associatif qui sert à déjouer la démagogie du « paradis » tunisien en matière des libertés et des droits de l’homme.

Le prétexte de la lutte contre le terrorisme, marqué notamment par l’adoption en décembre 2003 d’une loi extrêmement répressive dite de lutte contre le terrorisme, a relancé les pratiques les plus abominables et a renforcé l’impunité des agents de l’Etat désormais chargés de protéger la souveraineté du pays contre un danger qu’on a tout intérêt à lui donner une ampleur extrême pour pérenniser « l’état de siège » informel qui règne dans le pays.
Cette pratique systématique de la torture, clairement définie comme un moyen d’action privilégiée de l’Etat, est renforcée par l’ampleur que prend l’impunité dans la stratégie de l’Etat.

L’impunité, qui peut être définie comme une exemption de poursuite, de punition ou de pénalité pour les fonctionnaires de l’Etat, a atteint, dès 1987, des sommets inédits.

Les autorités ne lésinent pas sur les moyens pour protéger les auteurs des atrocités même à l’étranger (Abdallah KALLAL, ancien ministre de l’intérieur des années 90 ou Khaled BEN SAID, ancien diplomate tunisien à Strasbourg).

C’est d’ailleurs pour servir cette impunité que les autorités tunisiennes refusent toujours de signer le protocole additionnel à la Convention contre la torture car celui-ci instaure des mécanismes de contrôle et de poursuite qui permettront de mettre à nu le vrai bilan du régime dans ce domaine.

Ce constat n’a rien d’étonnant si onse rappelle que l’impunité est consacrée dans la Charte fondamentale de l’Etat. C’est ainsi que l’article 41 paragraphe 2 nouveau de la constitution tunisienne nous dit que ; «  Le président de la république jouit d’une immunité de juridiction durant l’exercice de ses fonctions. Il en bénéficie de cette immunité à la fin de son mandat pour les faits accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ».

La torture et l’impunité se répandent également en raison de l’absence de voies judiciaires effectives pour protester contre ce phénomène. Toutes les plaintes finissent par être classées, ignorées ou simplement rejetées.

Les seuls cas où l’Etat tunisien prétend avoir agi portent sur des simples accusations d’abus de pouvoir et de violences et voies de faits et ne concernent aussi que des affaires de droit commun. Jusqu’à présent, aucune information n’a été rendue publique concernant les dizaines de cas de torture provoquant la mort ou ceux plus nombreux concernant des préjudices physiques et moraux causés aux victimes.

C’est d’ailleurs, pour ces raisons, qu’en 2003la Commission contre la torture des Nations Unies, a accepté de donner suite à trois plaintes déposés par des victimes de torture dans les prisons tunisiennes et parrainées par Vérité-Action.

Dans la bataille juridique qui a mené à cette condamnation, les autorités tunisiennes se sont efforcées d’étouffer la procédure en prétendant avoir un arsenal légal et réglementaire qui empêcherait la torture et qui punit, le cas échéant, les fonctionnaires qui seront coupables. A chaque fois qu’il était question de détail et de réponse à un cas particulier, les autorités tunisiennes ont largement échoué dans l’exercice.

Vérité-Action considère que la torture et l’impunité sont des pratiques indignes qui doivent être combattues, non par la parole flatteuse et l’arsenal législatif superficiel, mais par une politique courageuse qui reconnaît la dignité du citoyen et préserve sa liberté.

2.2 La situation dans les prisons


L’année 2006 a connue, au moins à deux reprises, l’élargissement de quelques dizaines de prisonniers politiques.Toutefois, cet élargissement s’inscrit dans un contexte contradictoire de poursuite de la répression (arrestations massives en parallèle dans le cadre de l’application de la loi de décembre 2003 sur la lutte contre le terrorisme).

D’une part, en bonne majorité, les prisonniers élargis étaient détenus depuis 15 ans dans des conditions insupportables et sous un régime soit d’isolement total soit de traitement plus répressif par rapport aux autres prisonniers de droit commun. Il est également à relever que pour plusieurs d’entre eux, cet élargissement survenait quelques mois seulement avant la fin de leur peine.
Par le passé, plusieurs ex-prisonniers politiques n’ont pas longtemps survécus après leur élargissement décidé, pour un nombre d’entre eux, pour éviter à tout prix qu’ils meurent en prison (Monsieur Lotfi IDOUDI, ……).

D’autre part, et comme le souligne avec raison Amnesty International dans sa déclaration publique du 13 novembre 2006,«  au moins 100prisonniers reconnus eux aussi coupables d’appartenance à Ennahda à l’issue de procès iniques au début des années 90 n’ont pas été libérés. Ils sont toujours détenus dans différentes prisons de Tunisie. Certains d’entre eux seraient en mauvaise santé ; torturés avant leur procès puis soumis pendant des années à des conditions carcérales extrêmement pénibles entrecoupées de longues périodes à l’isolement, ils auraient besoin de soins médicaux de toute urgence. Parmi eux se trouvent Ahmed BOUAZIZI, Ridha BOUKADI et Sahbi ATIG. En outre, les autorités tunisiennes détiennent toujours, en application de la loi antiterroriste de 2003, quelque 400personnes qui seraient soupçonnées d’avoir voulu aller se battre en Irak  » [2].

De manière générale, les nouvelles des prisonniers politiques et d’opinion ne sont pas rassurantes. Les grèves de la faim se succèdent et le régime ne fait rien pour améliorer le quotidien de quelques centaines de prisonniers politiques et d’opinion dans les prisons tunisiennes. Les prisonniers sortants nous rapportent des détails horribles de leur vécu carcéral.

C’est ce vécu douloureux qui explique pourquoi les prisonniers politiques tunisiens doivent se livrer à l’exercice de la mort pour que le régime entende leurs revendications.

Les dernières grèves menées par MM Bouraoui Makhlouf et Abdelhamid Jelassi depuis le 5 novembre 2006 en sont la preuve directe. Au lieu d’entendre leurs cris de souffrance, les autorités pénitentiaires ont choisis de les punir.
Ils ont été ainsi transférés à une autre prison : M. Makhlouf transféré à la prison de Monastir et M. Jelassi à Messadine. Leur état de santé s’est nettement détérioré suite à cette grève de la faim.

Les conditions d’incarcération inhumaines amènent souvent ces prisonniers politiques à faire entendre leur voix par ce biais. Parmi les conditions dont souffrent les prisonniers nous citons : l’encombrement des cellules, le mélange des fumeurs avec les non fumeurs ce qui a engendré l’atteinte de certains prisonniers de maladies graves telles que : l’asthme, le cancer des poumons et de la gorge, la migraine. D’autres maladies sont dues aux mauvaises conditions d’hygiène, d’alimentation et de traitement, à savoir : le rhumatisme, les maladies cardiaques, rénales et oculaires, les cancers, la diabète, les fractures, etc.

Les informations qui ont circulé tout récemment sur l’état de santé critique de Monsieur Aissa AMRI prouvent que le chemin à parcourir pour atteindre le seuil minimum d’une détention légale et digne est loin d’être atteint en Tunisie.
De même, le droit des prisonniers à recevoir les visites de leurs avocats et de leurs familles sont mises à néant par divers procédés dilatoires (transferts successifs d’une prison à l’autre pour rendre difficile leur localisation, communication de fausses informations aux familles sur le refus de la visite par le prisonnier lui-même, etc.)

Sur un autre plan, la pratique de l’isolement,un traitement cruel, inhumain et dégradant, est toujours monnaie courante.

L’isolement est un crime non déclaré, une mort lente, une violation extrême des Droits de l’Homme. Le prétexte sécuritaire des autorités est inacceptable, car rien ne légitime une telle pratique. Rien ne peut expliquer que l’on interdit à un condamné de communiquer avec les autres, de lire les journaux, d’utiliser la radio ou la télévision, bref de passer de longues années dans un petit tombeau sombre, inadapté et coupé presque totalement de la vie ordinaire des gens
L’isolement dans les prisons tunisiennes prend l’allure d’une peine aggravée laissée à l’arbitraire des autorités administratives et pénitentiaires et façonnée selon des considérations d’ordre politique tout en n’étant en aucun cas protégée par l’autorité judiciaire à laquelle on a soustrait cette compétence.

L’isolement n’est pas conçu pour être en soi une peine, de même qu’il ne saurait être une souffrance inhérente à quelconque peine que pour une durée strictement limitée dans le temps et en respect de tous les droits qui le priment au sens de l’article 5 de l’« ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une quelconque détention ou emprisonnement », adopté par l’assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988 [3]

Malgré les assurances données par les autorités tunisiennes à ce propos, l’isolement est une pratique toujours actuelle.
On peut citer, à titre d’illustration, le cas de Monsieur Khaled LAYOUNI, détenu en vertu de la loi dite anti-terroriste, et qui est dans l’isolement total depuis plus de deux mois dans la prison de Gafsa.

2.3 La lutte contre le terrorisme comme meilleur alibi à la dictature.

Le terrorisme sert, en Tunisie, comme alibi pour étrangler toute opposition et toute velléité d’insoumission, quelle soit collective ou individuelle.

Tout passe au deuxième plan : la corruption, la torture et l’oppression. Bref, le régime tunisien est en train de bien profiter de l’actualité internationale pour asseoir son règne dictatorial.L’actualité nous apporte chaque jour le récit des violations systématiques des droits des citoyens, des associations et des partis d’opposition.

A chaque critique provenant de l’étranger, les autorités tunisiennes brandissent une « menace terroriste » potentielle pour justifier sa répression.
Il faut souligner que cet alibi ne sert pas seulement à violer l’arsenal légal contre la détention arbitraire et la torture, mais à assurer une mainmise totale de l’Etat sur ses citoyens.

C’est ainsi que l’Etat tunisien, dans diverses bases légales, s’est octroyé de larges prérogatives de contrôle et d’ingérence dans la vie des individus et des institutions, par la mise en place de diverses mesures de contrôle à travers :

img1|leftLoi sur la protection des données
img2|leftLa loi anti-terroriste
img3|leftEt l’incrimination de l’activité opposante à l’étranger par le biais d’un amendement trop controversé du Code de procédure pénale tunisien.

Les deux nouvelles lois adoptées respectivement, le 20 juillet 2004 pour la première, et le 10 décembre 2003 pour la deuxième, visent à surveiller et à quadriller les activités opposantes et réprimer toute voix dissidente au nom de la loi.

2.3.1 Loi sur la protection des données [4]

Derrière les préambules trompeuses, les dispositions de la loi sur la protection des données ne protègent en aucune façon le citoyen face àl’administration, qui est explicitement non concernée (art 54) par la série d’interdits qui s’étalent sur 105 articles. « Les autorités publiques, collectivités locales et entreprises publiques… » ont toute latitude de disposer selon leur gré de la vie privée du citoyen » [5]

Deux ans après la mise en application de cette loi, la protection des données ne semble pas « protéger » le citoyen mais menace sa vie privée.
Plusieurs exemples illustrent le caractère contradictoire de ces lois avec la réalité et la pratique courante.

Ainsi, aux termes de l’article 14 de la loi sur la protection des données, il est stipulé qu’il :«  est interdit le traitement des données à caractère personnel qui concernent, directement ou indirectement, l’origine raciale ou génétique, les convictions religieuses, les opinions politiques, philosophiques ou syndicales, ou la santé . »

La pratique est tout à fait autre.

Le Ministère de l’intérieur centralise tous les données concernant tout citoyen tunisien par l’intermédiaire des fameuses fiches appelées B2, tenus secrètement par les divers services et unités de la sécurité intérieure.

Ces fiches contiennent toutes les données personnelles y compris celles interdites dans la dite loi, c’est-à-dire les convictions religieuses, les opinions politiques, philosophiques ou syndicales. La couverture s’étend à la famille et aux proches dans le cadre d’une politique de punition collective des familles des opposants.

Le scandale à répétition des épreuves de la CAPES peut servir d’exemple de l’usage arbitraire des données personnelles pour des fins d’exclusion et de discrimination.

C’est ainsi que le 17 juin 2006, cinq candidats au CAPES(Concours d’aptitude à la profession d’enseignant du secondaire)ont dénoncé la manipulation des résultats de ce concours national.

Dans le communiqué qu’ils ont publié le 17 juin 2006, ces candidats déclarent :«  Nous, anciens membres et militants de l’UGET et du mouvement étudiant, nous avons réussi les épreuves écrites du CAPES 2005/2006 ; nous avons suivi le stage de formation et passé brillamment les épreuves orales selon le témoignage des commissions qui ont supervisé ces épreuves. Nous avons été surpris de voir que nous avons été délibérément exclus des listes des admis, alors que nous devions y figurer parmi les premiers. Une fois de plus, le pouvoir a procédé à des éliminations de candidats sur des critères politiques, bafouant ainsi les principes élémentaires de citoyenneté  ».

Un lien, à la fois direct et étroit, est ainsi établi entre les activités syndicales auxquelles se sont données ces personnes et leur élimination du concours. Le traitement des données à caractère personnel concernant des activités syndicales est bien apparent dans ce cas, ce qui viole l’article 14 de la loi sur la protection des données.

Les ex-prisonniers politiques et les familles souffrent toujours de ces fiches B2 qui les suivent là où ils cherchent à suivre une formation, exercer une activité ou monter un projet économique indépendant.
Cette pratique existe depuis les années 90 et reste en vigueur malgré l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

A.S, licenciée de l’université tunisienne voulant garder l’anonymat, ayant présentée une demande de travail dans l’enseignement secondaire s’est vue refusée à deux reprises la demande sans motif valable.En 1998, lors d’un interrogatoire au ministère de l’intérieur, l’enquêteur lui révèle que son dossier de candidature à l’enseignement a été bloqué par le Ministère de l’intérieur en raison de ses anciennes activités politiques.
Les opposants qui ont été interrogés et sont encore arrêtés et interrogés jusqu’à ce jour par le Ministère de l’intérieur sont soumis à ce type de vérifications se basant sur des informations et des données personnellesrelevant souvent de leurs appartenances politiques, pratiques religieuses et leurs activités syndicales.

Tous les services étatiques sont obligés de contribuer à cette violation systématique de la sphère privée. Quant aux particuliers, y compris les employeurs, ils y contribuent indirectement afin d’éviter les représailles.
Les femmes d’opposants politiques exilées qui demandent à récupérer leurs passeports nationaux subissent de longs mois d’attente et les appartenances ainsi que les activités politiques de leurs époux sont mis en avant comme des éléments de « chantage ».

*********

L’autre exemple touche cette fois à la liberté d’expression. Il s’agit du problème du transfert de données à l’étranger.
A teneur de l’article 86 de la loi sur la protection des données, «  est interdit, dans tous les cas, de communiquer ou de transférer des données à caractère personnel vers un pays étranger lorsque ceci est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique ou aux intérêts vitaux de la Tunisie. »

Quiconque viole cet article « est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de cinq mille dinars à cinquante mille dinars . » (art.50)
La notion d’atteinte à la sécurité publique et les intérêts vitaux reste toujours ambiguë comme c’est le cas dans le code de la presse.

Aucune définition n’est donnée à ces termes ce qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Qu’est-ce qui est considéré comme préjudiciable à l’intérêt du pays ? Un regard sur la pratique confirme que c’est les journalistes, les militants de droits de l’homme et les opposants en général qui sont visés par ces termes en raison de leurs activités dissidentes ou de libre expression.

Tous leurs efforts pour sensibiliser l’opinion internationale sur le bilan très négatif des droits de l’homme en Tunisie, tombent sous le champ d’application de cette loi.

2.3.2 La loi anti-terrorisme

Beaucoup de choses ont été dites à propos de cette loi controversée, adoptée en décembre 2003.

La définition ambiguë et vague du terme terrorisme dans le droit tunisien permet au pouvoir de faire usage arbitraire de cette loi. A la lecture de ses articles, l’on constate le caractère généraliste et abstrait de ces mesures. La pratique qui a suivi la mise en application de cette loi a prouvé que l’objectif visé était et demeure le quadrillage de la société et l’exercice d’une mainmise totale de l’Etat sur ses citoyens et la promotion de l’impunité en un « privilège »sous couvert de la loi.

Aujourd’hui on compte près de 400 personnes détenues en vertu des dispositions de la loi antiterroriste qui a donné lieu à une nouvelle vague de procès sommaires et inéquitables dans lesquelles prévaut le secret de l’instruction sur les droits de la défense.

Il n’y a pas une semaine qui passe sans que de nouvelles condamnations soient prononcées à l’encontre de jeunes tunisiens. Les chefs d’inculpations sont souvent dépourvus de preuves matérielles concrètes.

Des sources concordantes, il apparaît que les motifs réels des arrestations relèvent souvent de la pratique religieuse chez les jeunes, la navigation sur des sites interdits de caractère politique et l’appartenance à une organisation terroriste (qui peut être une simple association à but social ou de solidarité), etc.

L’exercice des droits de la défense, initialement restreints, se trouve davantage entravé. La pratique de la torture dont font l’objet ces détenus dits « spéciaux », semble gagner et non perdre du terrain.
Quantaaux avocats, ils éprouvent toutes les peines du monde pour pouvoirleur rendre visite en raison de leurs lieux d’incarcération lointains et la difficulté d’obtenir des autorisations de visites.

Vérité-Action a pu recenser les différents types de traitements réservés à cette catégorie de détenus et qui ont été enregistrés durant l’année en cours :

-  La détention arbitraire dépassant les délais et les garanties prévues par la loi

-  La détention dans des lieux secrets et durant des semaines et des mois sans que leurs proches aient le droit de s’informer sur leur lieu de détention.

-  Les procès inéquitables.

-  Les conditions d’incarcération inhumaines et précaires

-  La torture et les mauvais traitements laissant des séquelles graves (cas de Naoufel Sassi, Hichem Ben Said, Tarek Hammami, etc.).

-  Les lieux d’emprisonnements lointains et difficiles d’accès pour les proches

Vérité-Actionconsidère que ces deux lois viennent s’ajouter à une panoplie de mesures mises en œuvre par le gouvernement tunisien en vue de limiter la liberté d’expression des citoyens tunisiens. La manière dont elles sont appliquées prouve qu’elles ne visent pas à protéger le pays mais à l’assiéger.

III.Les attaques aux libertés individuelles

Ne pouvant énumérer toutes les violations systématiques aux libertés individuelles des citoyens par les autorités et leurs organes exécutifs, nous essayerons de présenter un échantillon des violations les plus graves qui ressortent de l’actualité récente.

3.1 La guerre sans merci contre les femmes militantes :

La réalité vécue au quotidien par un nombre important des femmes tunisiennes est cruelle et doit susciter par ses détails choquants une forte mobilisation de la part de tous ceux qui aiment la Tunisie et son peuple et qui œuvrent pour un monde meilleur pour les femmes et l’humanité toute entière.

L’émancipation de la femme et sa jouissance de sa liberté ne peuvent se concevoir que par la garantie de ses pleins droits de citoyenneté responsable, sa participation active à la vie sociale, politique et culturelle et par le respect de sa responsabilité, sa dignité et son intégrité physique et morale, bref de son choix.

Les textes de lois, les discours politiques prometteurs ne seront qu’un masque s’ils n’ont pour but que de détourner la réalité et de tromper les observateurs extérieurs.

En Tunisie, l’apparence enviable d’un pays où les femmes jouissent pleinement de leurs droits est d’une part sélective et d’autre part cache les déboires de tout un régime politique autoritaire qui s’est acharné contre les libertés à la fois publiques et individuelles.

En effet, le régime tunisien donne des gages à peu de frais : alors qu’il exhibe les mesures adoptées en 1992 en faveur des femmes, il continue à harceler un nombre important des femmes tunisiennes pour leur action militante en faveur des Droits de l’homme ou simplement pour se venger de leurs époux ou proches souvent prisonniers d’opinion ou réfugiés politiques à l’étranger.

Les organisations de défense des Droits de l’homme ont publié périodiquement depuis 1991 des rapports accablants sur les violations systématiques des Droits de l’homme à l’égard des femmes.

Ainsi selon Amnesty International », plusieurs centaines de femmes ont été victimes d’arrestations arbitraires, de torture, de sévices sexuels, de viol ou de chantage injurieux à l’agression sexuelle dans le but de les réduire, les rabaisser, les terroriser et faire pression sur leur entourage et saper le moral de toutes leurs familles.

Une manœuvre de fragilisation à but ouvertement odieux.

Les femmes actives dans la vie politique subissent cruellement la loi du tout sécuritaire. La liste des femmes poursuivis, harcelés, tabassées est longue (Mme Sihem BEN SEDRINE, Me Saida AKREMI, Me Radhia NASRAOUI, Mme Khadija CHERIF, etc.) cela sans compter les persécutions subites par les femmes, sœurs et filles des prisonniers politiques appartenant majoritairement au mouvement ENNAHDHA. [6]

Tout récemment, soit le 24 octobre 2006, quelques membres des familles de prisonniers politiques se sont réunis au domicile de Madame Samia ABBOU, épouse de l’avocat prisonnier, Me Mohamed ABBOU. Des forces de police ont encerclé la maison et empêché les visiteurs d’y accéder. A leur sortie, certaines femmes ont été violentées et tabassées par les policiers, nous citons Mme Sihem Najjar, épouse du prisonnier politique Hatem Zarrouk.

Mme Samia ABBOU, épouse de l’avocat Mohamed Abbou nous a fait état, lors d’un récent contact téléphonique, du calvaire qu’elle subit avec ses enfants depuis l’arrestation de son mari. Des policiers en civil la contrôlent jour et nuit, ses enfants sont terrorisés par les visites policières, lors de ses visites au lieu d’incarcération de son mari, les persécutions et le harcèlement ne cessent pas durant tout son voyage allant jusqu’à faire pression sur le chauffeur de taxi qui la transporte !

3.2 L’interdiction du port du voile dans les écoles et les universités :

Depuis le 15 septembre, date de la rentrée scolaire en Tunisie, les lycéennes et les étudiantes font l’objet de harcèlement et de persécutions cruels.

L’application de la circulaire 108 adoptée en 1981 sous le régime de Bourguiba, et qui interdit le port du voile dans les établissements publics, prend actuellement l’allure d’une large campagne répressive, menée par les plus hauts responsables et plus particulièrement ceux du parti au pouvoir.

La sphère privée de centaines de femmes et de jeunes filles est systématiquement et brutalement violée au nom de la l’application de la « loi », alors que la circulaire 108 a été toujours dénoncée pour son inconstitutionnalité.

En effet, la liberté des pratiques religieuses est garantie par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les innombrables conventions et autres résolutions internationales ratifiées par la Tunisie ainsi que par la constitution tunisienne.
La campagne actuelle inquiète également par son ampleur vu que la violation du droit à l’habillement ne se limite pas à de simples mesures ou des interdictions d’entrées aux établissements scolaires et universitaires,mais la dépasse pour devenir une atteinte à l’intégrité physique de ces jeunes filles. Plusieurs cas d’agressions, d’arrachement du foulard, de menaces et de convocations aux conseils de disciplines ont été enregistrés dans plusieurs universités et lycées.

Les doyens procèdent, parfois, en personne à la poursuite des jeunes filles et à leur dévoilement. Cet acharnement qui rappelle les précédentes campagnes des années 90 condamne des centaines de femmes tunisiennes à l’ignorance et menace leur liberté vestimentaire ainsi que leur droit à l’éducation.
Interpellée par les victimes de cette nouvelle campagne, Vérité-Actiona pu recenser les diverses mesures et pratiques abusives en usage pour obliger les femmes à enlever leur voile, à savoir :

a)L’usage de la violence pour interdire l’accès des étudiantes voilées aux campus universitaires et aux divers établissements scolaires. Les doyens sont souvent complices et appliquent le texte de la circulaire 108 abusivement en agressant les élèves et en les menaçant.

b)Le refus total de toute négociation ou possibilité de dialogue pour trouver des solutions mesurées afin d’éviter les confrontations entre les élèves et les responsables éducatifs. Ainsi, le bandana est, également, interdite et les filles qui le portent font l’objet de mauvais traitements.

c)Dans la rue, les femmes et les filles sont poursuivies et conduites aux postes de police où elles sont interrogées, tabassées et forcées à signer des procès verbaux dans lesquels elles s’engagent à ne plus mettre le voile.

d)Des femmes et des filles rapportent que des agents en civil les poursuivent jusqu’à leurs domiciles pour connaître leurs adresses. Le lendemain, elles reçoivent des convocations aux postes de police de leurs régions pour subir des interrogatoires et signer des engagements à ne plus porter le voile.

e)La menace des époux de femmes voilées les appelant à obliger leurs femmes d’ôter leurs voiles.

f)Des citoyens rapportent que des pressions sont exercées sur certaines entreprises pour délivrer aux autorités policières la liste de leurs employées voilées qui refusent de l’enlever, voire de les licencier.

g)Les étudiants qui prennent la défense de leurs collègues font l’objet d’arrestations et d’agressions. Le cas de M. Abdelhamid Ben Mohammed Ben Tahar SGHAÏER illustre ce fait. Le 11 octobre, cet étudiant en troisième cycle en mathématique a été agressé par la police « pour avoir pris la défense d’une trentaine d’étudiantes portant le voile auxquelles l’entrée de la faculté des sciences de Tunis avait été refusée », rapporte un communiqué de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques. M. SGHAÏER a été traduit devant le juge d’instruction pour agression d’un agent de la sûreté sans l’assistance d’un avocat.

h)Les médias officiels, totalement sous l’emprise du parti au pouvoir depuis 1956, mènent une campagne sans précédent contre ce mode vestimentaire choisis par des centaines de femmes, les accusant de sectarisme et d’intégrisme.

i)Les déclarations officielles des représentants du pouvoir en place encouragent cette campagne et insistent à instrumentaliser ce dossier pour des fins politiques. Tant le ministre des affaires étrangères que celui de l’intérieur insistaient à déclarer que ce mode vestimentaire est «  le symbole d’une appartenance politique qui se cache derrière la religion  ».

Les autorités tunisiennes se vantent, en contre partie, d’appeler les femmes tunisiennes à s’habiller selon « les traditions du pays ».

Or, le 12 octobre 2006, Maître Abdewaheb MAATAR, éminentavocat et constitutionnaliste tunisien, a dû porter plainte auprès du tribunal administratif contre le ministre de l’éducation et de la formation en raison d’un abus de pouvoir pratiqué par un directeur de lycée à Sfax. Ce dernier a empêché une jeune élève d’accéder à l’établissement scolaire portant un foulard tunisien, qui est un habit traditionnel. Et malgré qu’un huissier ait pu constater les faits et témoigner que la jeune élève était en règle vis-à-vis de la loi, le directeur du lycée lui a refusé l’accès aux cours.

Quant aux médias tunisiens, ils ont traité le sujet en diffusant des pseudo-débats à sens unique ( One-sided ) comme c’était le cas dans la soirée du 28 novembre 2006 sur la télévision tunisienne.

Vérité-Action confirme que les mesures mises en place dans les établissements scolaires, universitaires, publics et dans les lieux de travail, à l’encontre des personnes voilées constituent des violations claires de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination et du droit à l’éducation. [7]

3.3 L’exil intérieur des ex-prisonniers politiques :

Dans plusieurs de nos communiqués et rapports, nous avons soulevé le fait que les prisonniers politiques ne jouissent pas de tous leurs droits à leur sortie de la prison. Plusieurs mesures sont mises en place afin de les contrôler et les empêcher de mener une vie normale.

En 2006, nous avons pu constater la détermination des autorités à poursuivre leur politique de mise sous contrôle administratif et de surveillance continue de nombreux ex-prisonniers politiques.

C’est le cas du journaliste Hamadi Jebali, qui au mois de novembre dernier a fait l’objet d’une ingérence injustifiée dans sa vie privée. Des policiers ont fermé les accès à la salle du mariage de sa fille et ont procédé à un contrôle d’identité des invités. La salle a été, également, fermée sous prétexte d’absence d’autorisation.

Monsieur Ali LARAYEDH, ancien prisonnier politique libéré en 2005, a été interrogé à plusieurs reprises par le Ministère de l’intérieur dont la dernière en date remonte au 19 octobre. Il a été menacé et averti de ne plus avoir de contact avec des personnalités et des partis politiques et plus particulièrement les membres du Mouvement 18 octobre.

Monsieur Zied DOULATLI, diplômé en pharmacie interdit d’exercer son métier depuis sa libération en novembre 2004, est constamment persécuté et sous contrôle administratif. Il souffre également d’une grave maladie causée par les longues années d’incarcération.

L’ex-prisonnier M. Tahar HARRATHI a été jugé de nouveau le 19 octobre 2006 à deux mois de prison pour violation des mesures du contrôle administratif. Le même sort a été réservé à M. Idriss NOUIOUI arrêté le 12 janvier 2006 pour les mêmes motifs.

M. Moncef Ben Abdallah OUERGHI, libéré le 25 février 2006 après 15 ans de prison, a été condamné au chômage malgré qu’il ait pu être engagé par des salles de sport dans la capitale. Des pressions ont été exercées sur ses employeurs et il s’est retrouvé sans emploi malgré sa réputation dans un domaine sportif rare.
M. Hsouna Ben Abdallah NEILI, libéré après 15 ans de prison, a été tabassé le 10 juillet 2006 dans l’enceinte du siège de la garde nationale à Sousse. Le directeur lui-même l’a agressé ce qui a engendré la perte de l’ouïe à son oreille gauche suivie d’un écoulement sanguin.

Ces exemples abondants nous amènent à constater que la sortie de prison ne signifie pas la fin du calvaire pour ces personnes. Un grand travail reste à faire pour que ces ex-prisonniers soient reconnus dans leur dignité et leur droit à la vie.

IV. Les entraves aux libertés publiques

La densité avec laquelle le régime tunisien utilise le vocabulaire et la diplomatie des droits de l’homme pour promouvoir son image sur le plan international, n’est qu’un outil pour masquer la violation systématique de ces droits. De même les petits gestes d’ouverture entrepris d’un temps à l’autre ne peuvent dissimuler le choix substantiel du régime d’imposer à toutes les composantes de la société une politique d’intimidation et de répression.

4.1 Harcèlement des représentants de la société civile

La condamnation unanime de la situation des droits de l’homme et des libertés en Tunisie n’a pas empêché, les autorités tunisiennes de poursuivre leur politique de large oppression contre toutes les composantes de l’opposition et de la société civile tunisiennes.

En 2006, cette politique semble prendre une allure encore plus grave à travers les agressions physiques contre les acteurs de la société civile à l’étranger (Monsieur Kamel JENDOUBI et Monsieur Tahar LABIDI en France) et les compagnes de diffamation contre d’autres (Me Samir DILOU, Me Saida AKERMI, Monsieur Khemais CHAMMARI, Me Ahmed Néjib CHEBBI, Dr. Moncef MARZOUKI et Monsieur Hamadi JEBALI, etc.).

Dans le même cadre, MM. Ali LARAYADH et Hammadi JEBALI, ex-prisonniers politiques et leaders du Mouvement Ennahdha (non reconnu), ont reçu des « appels à l’ordre » leur interdisant de nouer n’importe quel contact avec les représentants de la société civile ou de l’opposition ou de s’exprimer sur des sujets publics, sous peine d’être réincarcérés.

A plusieurs moments forts de l’année 2006, la pratique des menaces anonymes a repris à l’étranger avec une ampleur qui n’a jamais été atteinte en Tunisie tant sur le plan des cibles que sur le plan des moyens utilisés pour mener ce plan de terreur prémédité visant à contraindre les opposants au silence après qu’ils aient réussi par leur union et leur détermination à démasquer la propagande malsaine du régime sur le respect des droits de l’homme et des libertés.

Des lettres anonymes ont atteint l’ex-prisonnier politique et figure bien connue du milieu associatif tunisien, Monsieur Lassaad JOUHRI, qui se déplace avec des béquilles en raison des séquelles de la torture qu’il a subie pendant les années nonante. Cible de choix de cette politique de terreur, Monsieur JOUHRI, a été, le 19 octobre 2006, sujet d’agression en plein jour et en plein public par des policiers civils.

Une « attention » répressive particulière s’abat sur les composantes du Collectif du 18 octobre qui a réussi à rassembler diverses sensibilités politiques et associatives autour d’un seul mot d’ordre commençant par la libération de tous les prisonniers politiques et la promulgation d’une loi d’amnistie générale pour les condamnés et poursuivis pour leur engagement politique et associatif et aboutissant à l’instauration d’une vraie démocratie de transparence, d’alternance et de dignité.

Des rumeurs ont été lancées par des « inconnus » sur la mort du porte-parole du Parti des ouvriers communistes tunisiens (PCOT, non reconnu) et membre du Collectif du 18 Octobre, Monsieur Hamma HAMMAMI. Sa famille a été contactée pour annoncer cela. Ce n’est pas la première fois que des rumeurs courent sur la mort de Monsieur HAMMAMI.

Me Samir DILOU, membre de l’Association internationale de solidarité avec les prisonniers politiques (AISPP, non reconnue), et membre de Vérité-Action, a reçu des menaces consistant dans le fait qu’il doit faire attention lors de ses déplacements en voiture.

D’autres membres du Mouvement du 18 Octobre ont aussi subis les agissements de la police tunisienne.

Vérité-Action, qui met en garde que les menaces adressées à ces figures éminentes de la société civile tunisienne, sont sérieuses, considère que le régime est entièrement responsable de toute atteinte à l’intégrité physique ou à la vie de ces militants.

4.2 Les entraves légales, institutionnelles à l’exercice du droit à l’association.

Pour que les associations puissent participer convenablement à l’édification et à la protection de la société civile, il leur faut d’une part jouir d’un cadre légal et institutionnel souple qui permet une vraie dynamique associative dans l’intérêt de la société et d’autre part, d’avoir les moyens financiers nécessaires à l’accomplissement de leurs buts [8].

Or, en Tunisie, les associations souffrent à la fois du caractère répressif du cadre légal et institutionnel régissant leur action et du manque sensible de moyens en raison des entraves qui les empêchent de se faire connaître au grand public.

En Tunisie, «  l’administration dispose d’un arsenal juridique particulièrement développé qui leur permet de s’assurer de la maîtrise du phénomène associatif. Rien n’échappe à son contrôle qu’elle exerce en amont et en aval, c’est-à-dire au moment de la constitution d’une association, durant son fonctionnement et lors de sa dissolution. C’est d’ailleurs, en raison de ces pratiques excessivement contraignantes que le mouvement associatif n’arrive pas à affirmer son aptitude à gérer en tant que régulateur, des rapports de la société civile et de la société politique, malgré une nette aspiration dans ce sens  » [9].

Sans vouloir trop entrer dans les détails des entraves légales à l’exercice du droit de l’association, on peut citer notamment [10] :

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Un régime de sanctions très sévère pouvant atteindre l’emprisonnement jusqu’à 5 ans.

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L’utilisation arbitraire du générique « associations non reconnues » dont le maintien ou l’effort tendant à leur reconstitution est sanctionnée par une forte amende ou l’emprisonnement.

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Le recours au système de classification des associations en utilisant une typologie très vague et trop contraignante qui cherche à cloisonner chaque association dans un domaine donné et multiplier les entraves devant une coordination entre elles dans la réalisation d’objectifs de portée nationale.

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Le recours aux notions imprécises ou peu claires de type « trouble à l’ordre public » ou « violation grave des dispositions légales ».

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Le libre arbitre laissé au Ministère de l’intérieur dans l’application du système de l’octroi du visa « autorisation » de constitution d’une association. Le système dit de « dépôt légal » au lieu de servir à élargir le droit associatif, est utilisé comme un moyen de contrôle administratif : l’association à naître ne peut passer outre le récépissé qui doit leur être délivré sous peine d’être taxée d’« association non reconnue » et si elle se déclare spontanément, elle risque d’attendre de longues années avant d’être reconnue.

Outre ces procédés légaux, le pouvoir politique multiplie les dissensions au sein des associations actives (Ligue des droits de l’homme-LTDH, Association des jeunes avocats, association de la magistrature, etc.) en montant des procès dilatoires qui plongent ces associations dans une crise interne interminable qui réduit largement son apport à la défense des libertés et des droits de l’home.

Le feuilleton de la LTDH est l’illustration parfaite de cette politique.

Ainsi, il suffit d’énumérer les associations privées de la fameuse reconnaissance (CNLT, AISPP,Raid-ATTAC,ALTT etc.) pour conclure facilement au double langage des autorités tunisiennes qui se vantent d’avoir plus de 8’500 associations qui, toutefois, ne se mêlent pas du tout à la question publique et politique.

C’est également, pour ces raisons, que le Collectif du 18 octobre, avec ses diverses composantes, a choisi cette année de célébrer l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme par un rassemblement symboliquedevant le siège du Gouvernerat de Tunis pour réclamer la reconnaissance de ces associations et bien d’autres.

4.3 La campagne« préférentielle » contre les avocats :

Les organisations internationales de défense des droits de l’homme sont unanimes à dénoncer l’absence de dépendance totale de la justice et son instrumentalisation par le pouvoir en place. La situation est tellement stagnante qu’il n’y a pas lieu de s’attarder davantage sur ce point [11].

Quant aux avocats, ils ont réussi, dans la souffrance et la douleur, à former l’une des composantes les plus efficaces dans la lutte contre la terreur et l’impunité. N’arrivant pas à briser leur solidarité et leur détermination, le régime ne tarde pas à les attaquer, individuellement, par divers moyens et procédés.

Me Mohamed ABBOU, symbole de l’avocat engagé, est emprisonné depuis plus d’une année pour avoir publié des articles sur Internet critiquant plus particulièrement la situation dans les prisons tunisiennes. Il n’a cessé de mener des grèves de la faim pour protester contre les conditions de son emprisonnement injustifié.

De son côté, Me Abderraouf AYADI, vice président du parti du Congrès pour la république (CPR non reconnu), membre du Collectif du 18 Octobre et défenseur des droits de l’homme a reçu une lettre de menace de mort de la part du régime. Sa voiture a été « manipulée » pour lui prouver qu’il n’est pas à l’abri d’une « sanction » le moment venu.

Pour mener cette politique odieuse contre les avocats, le régime ne semble pas en manque d’idées :

a) C ambriolage et saccagedes cabinets des avocats dont celui de l’ancien Bâtonnier, Me Béchir ESSID, lui-même incarcéré au début des années 90. A l’issue des ces descentes, les avocats perdent des dossiers, des avoirs.

b) L’instrumentalisation de quelques procédures fiscales Ad hoc, comme celle dite de redressement fiscal, contre quelques avocats (Me Mohamed NOURI, Me Noureddine BHIRI et Me Saida AKREMI, etc.).C’est ainsi que les autorités tunisiennes ont impliqué le fisc dans leur bataille contre l’opposition et cela en imposant à ces trois avocats un plan de redressement fiscal préparant l’arrêt de leur activité professionnelle. Leurs comptes bancaires sont, de cas en cas, bloqués et leurs clients intimidés.

c) La multiplication des obstacles administratifs devant l’exercice libre de leur métier surtout quand il s’agit de défendre des prisonniers politiques. Ainsi,nombreux d’entre eux, relève l’AISPP [12], sont empêchés de rendre visite à leurs clients les vendredis et samedis alors qu’il est usuel, dans le corps, de réserver les après-midi de ces deux journées aux visites. A cela s’ajoute les tracasseries interminables pour avoir la carte de visite.

C’est d’ailleurs dans le but d’empêcher l’Association Internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP) de relayer ces informations que ces dirigeants font depuis un certain temps l’objet d’une politique de mise à néant, cette fois de caractère un peu particulier.

4.4 Les étudiants de nouveau cibles des autorités :

Après quelques années de « passage à vide », les étudiants semblent de plus en plus se joindre aux aspirations de la société à se débarrasser de la dictature et de la corruption.

L’année 2006 a connue une recrudescence des attaques contre les étudiants.
C’est ainsi que trois étudiants de l’Université de Sfax ont été renvoyés au motif de leurparticipation à une manifestation au sein de l’Université. Il se trouve que les trois renvoyés sont des représentants d’étudiants au sein du Conseil scientifique, et qu’ils sont de ce fait démocratiquement élus par leurs collègues.

Le 19 octobre 2006, un jugement à 15 jours d’emprisonnement a été prononcé contre les étudiants Hossine BEN AMOR et Hafnaoui BEN OTHMAN pour troubles sur la voie publique. Ces derniers se sont attachés à un poteau électrique pour protester contre leur échec à l’épreuve orale du CAPES et afin d’attirer l’attention des passants à la discrimination dont ils ont fait l’objet en raison de leurs activités syndicales.

Menant à deux reprises des grèves de la faim, l’étudiant Abdelhamid SGHAIER a voulu contester son agression par la police universitaire et sa traduction en justice pour agression d’un agent de police, une affaire montée de toute pièce. M. SGHAIER a subi ces persécutions pour avoir défendu des étudiantes portant le foulard.

Les étudiants, Bassem NASRI, Ali OMAR et Oussama BEN SALEM, fils du Dr. Moncef BEN SALEM, éminent savant tunisien, ex prisonnier politique, persécuté depuis plus de quinze ans par le régime tunisien, ont aussi entamé une grève de la faim.

Dr Moncef BEN SALEM, lassé par les années de harcèlement, de persécution et de privation de ses droits les plus élémentaires à travailler et à se déplacer, a entamé une grève de la faim pour soutenir son fils. Sa famille l’a rejoint en date du 31 mars 2006. Il est anormal qu’au moment où dans d’autres pays Dr BEN SALEM serait aidé pour continuer ses recherches, il soit persécuté de la sorte dans son propre pays.

4.5 Pas de liberté de presse :

Tant les journaux officiels qu’indépendants continuent à diffuser le même discours élogieux vis-à-vis du président et du gouvernement. Les productions journalistiques- qu’elles soient écrites ou audiovisuelles – touchant en profondeur les citoyens et soulevant leurs préoccupations sont censurées ou même saisies à l’imprimerie.

Les journalistes, par crainte de licenciement, essaient le plus possible de soigner leurs articles de façon à ne pas heurter la volonté du régime et de ses alliés qui peuvent être des ministres, des membres du parti au pouvoir (RCD) ou même des chefs d’entreprises ou responsables haut placés.
Ainsi, toutes les affaires de corruption et d’abus de pouvoir observées dans le pays ne sont pas évoquées par les médias locaux alors qu’elles prennent une dimension inédite qui fait qu’elle est largement présente dans le quotidien des tunisiens.

Aucune critique touchant la politique de l’Etat n’est tolérée. Un système qui a pu finalement aboutir «  puisqu’un nombre non négligeable de journalistes sont en train de pratiquer l’autocensure sachant que des sujets tabous devraient être évités pour pouvoir survivre  », témoigne une ancienne journaliste qui veut garder l’anonymat.

D’autres ont préféré l’exil pour exercer librement leur métier.
De manière générale, lesjournaux de l’opposition sont confrontés à des problèmes financiers à cause de la rareté des annonces publicitaires s’ils s’aventurent sur la scène politique. Cette arme utilisée par l’Agence tunisienne de la communication extérieure (ATCE) semble d’une efficacité incontestable puisqu’elle représente une forme de pression exercée sur les directeurs de journaux afin qu’ils ne sortent pas du cadre qui leur est prescrit.

Tant les journaux officiels qu’indépendants continuent à diffuser le même discours élogieux vis-à-vis du président et du gouvernement. Aucune critique touchant la politique de l’Etat ne doit être tolérée.

Tout récemment, leFTDL (Forum démocratique pour le travail et les libertés) a rencontré le refus des autorités du Ministère de l’intérieur de lui délivrer l’accusé de réception pour son journal. Dans un communiqué publié le 29 novembre, le forum a considéré ce refus comme «  un refus d’un droit constitutionnel et légal  ».

Il a, également, fait état de l’exclusion dont il fait l’objet de l’espace médiatique tunisien. Bien qu’il soit reconnu, le FTDL n’a jamais bénéficié de ses droits d’expression dans les médias audio visuels ou en public. Il fait partie de ces partis politiques reconnus mais « marginalisés » en raison de leur volonté d’exercer la vraie opposition.

L’IFEX a fait, également, état des mesures actuelles violant la liberté d’expression dans un communiqué publié le 1ermars 2006.

Selon cecommuniqué commun des membres de l’IFEX-TMG :«  le contrôle sur des téléphones, des fax et d’Internet sont toujours en vigueur trois mois après la tenue du sommet sur la société de l’information (SMSI) en novembre 2005. Les services de sécurité ont interpellé plusieurs défenseurs de droits de l’homme en février, y compris des membres du bureau de rédaction du journal interdit Kalima, et ont confisqué des copies du journal en leur possession. Les autorités tunisiennes ont interdit la diffusion d’hebdomadaires tels que Al Maoukif, organe du Parti d’opposition PDP ainsi que Akhbar Joumhouria. Les journaux étrangers ont fait face à des interdictions de diffusion, notamment le quotidien français Le Monde et le magazine Al Maraa Al Youm édité à Dubai  » [13]. 4.6L’Internetlargement censurée en Tunisie :

Il suffit de se rappeler l’histoire du jeune journaliste internaute Zouhair YAHYAOUI, décédé le 13 mars 2005 des suites de son emprisonnement pendant plus d’un an et demipour avoir crée et animé un site interner qui critiquait le régime du Président Ben Ali. Ce jeune tunisien a payé de sa liberté pour avoir démasqué la propagande qui faisait de Ben Ali le prometteur modèle de l’Internet dans un pays du tiers monde.

Il a ainsi ouvert la voie à bien d’autres comme les jeunes de Zarzis, de Bizerte, des groupes qui se succèdent et dont les procès orchestrésrésument une volonté politique de culpabiliser l’usage de l’Internet dans une finalité politique et citoyenne.

Il faut voir dans cette répression une volonté de limiter les effets de ces nouveaux outils qui ont détrôné la propagande des médias traditionnels, totalement acquis au pouvoir.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la procédure toujours pendante contre le journaliste Mohamed FOURATI pour «  appartenance à une association interdite  » pour le simple fait d’avoir fourni à d’autres personnes des copies d’un journal électronique ( AQLAMONLINE) consacré essentiellement aux débats intellectuel et aux questions stratégiques. [14]

Ce procès, qui dure depuis 2003 avec des retours, à trois reprises, de l’instance de la cassation à l’instance de l’appel, prouve à quel point les autorités craignent toute expression et cherchent à étouffer toute velléité d’opposition.

La surveillance des clients des Publinets est inquiétante et ne semble pas s’infléchir. Un internaute qui navigue sur un site Internet interdit se voit interpellé par le gérant de la Publinet, voire prié de quitter le poste dès qu’il commence à consulter des sites à caractère politique.

Vérité-Action a toujours fait les frais de cette politique (coupure des contacts avec la Tunisie, attaques ciblées sur les adresses électroniques et volonté affichée de faire échouer chaque année toute activité qu’elle organise à cette occasion).

Les diverses listes de diffusion de l’information sur la Tunisie font, périodiquement, l’objet des attaques et de piratage électronique en plus du fait qu’elles sont difficilement accessibles en Tunisie.

V. Le Bilan économique et social.

Elève modèle de l’Etat aligné sur les recommandations des instances monétaires et financières mondiales, la Tunisie est plus que jamais livrée à sa dictature.
Appliquant une politique économique et financière suivant à la lettre les recettes impopulaires et inhumaines de la mondialisation néo-libérale sauvage, la Tunisie de Ben Ali semble peu soucieuse des condamnations répétées des grandes ONGs internationales du fait qu’elle s’appuie sur le soutien des chancelleries occidentales et de divers lobbies économiques puissants qui exercent en Tunisie la délocalisation et le dumping salarial.

Les aides financières de tous genres qui continuent à affluer vers le pays, ne sont que la preuve d’une complicité reconnaissante à un régime servant seulement leurs intérêts.

C’est à travers ce qu’on peut appeler la «  propagande comparative  » que le système politique officiel cherche à convaincre tant les citoyens que les observateurs extérieurs que l’économie tunisienne se tienne bien.

Les quelques indices positifs, dans le secteur du tourisme notamment (une hausse de 32,4% au chapitre des départs effectués cet automne), ne profitent pas aux citoyens mais aux nouveaux pilleurs de la Tunisie.

Le fléau de la corruption continue, quant à lui, à gagner de l’ampleur. Situation d’autant plus critique en l’absence de volonté politique d’endiguer un phénomène qui menace la cohésion sociale et entretient des liens avérés avec toutes sortes de trafics illégaux et d’activités criminelles.

Dans les faits, derrière les indices macro-économiques utilisés par le pouvoir pour vanter son « miracle économique » se cachent des réalités inquiétantes (appauvrissement de la population, inflation, baisse du niveau de vie, endettement provoquant des drames sociaux et un chômage atteignant des pourcentages qui parlent d’eux-mêmes, montée de la criminalité observée ces dernières années devant l’absence de toute perspective d’un avenir meilleur).
En outre, face à des perspectives de plus en plus floues, les jeunes tunisiens se livrent à l’immigration clandestine à la recherche d’un avenir meilleur. Cette situation inquiétante s’explique par le système économique et social actuel qui ne réalise pas l’égalité des chances, ne favorise pas la participation de tous à la prospérité du pays, désavantage les populations à bas revenu et la classe moyenne, profite à la classe aisée, prolifère et encourage la corruption ce qui ne met pas les investisseurs privés en sécurité et ouvre peu de chances devant la jeunesse tunisienne.

A titre d’exemple, les débouchés très limités des diplômés des universités font des concours nationaux des opportunités rares pour décrocher un emploi. Le fait que des mesures discriminatoires soient prises ou qu’un système de sélection arbitraire soit appliqué augmente la révolte de ces diplômés.
C’est ainsi qu’on peut, sans exagérer, conclure que le chômage des diplômés est devenu actuellement un vrai phénomène de société.

VI. Les perspectives futures :

6.1 L’amnistie générale :

Vérité-Action a eu l’occasion de souligner, dans son rapport de 2001 sur l’amnistie générale, que la libération ordonnée par décret d’amnistie présidentielle (exemple de 1987) ne permettait pas à son bénéficiaire de reprendre un train de vie normal étant donné que toutes les restrictions découlant du régime du contrôle administratif, totalement inconstitutionnel, toucheront ces personnes comme c’était le cas avec leurs prédécesseurs pour ne citer que le cas de Monsieur Abdallah ZOUARI, exilé dans son propre pays.

Pour rappel, l’amnistie présidentielle de 1987 comprenait des articles ayant une portée allant dans ce sens comme l’article 4 qui stipulait que ” Icette amnistie n’entraîne pas obligatoirement la réintégration dans la fonction, l’emploi ou la profession rémunérée quelles que soient les causes de l’interruption de l’exercice, y compris la détention préventive. En aucun cas, cette amnistie n’entraîne, la reconstitution de carrière/I” !!! Et l’article 5 selon lequel ” Iles bénéficiaires de la présente loi ne peuvent pas demander réparation d’un quelconque préjudice causé par les poursuites ou les condamnations couvertes par cette amnistie/I” !!!
Dit rapport mentionnait également les conditions aux termes desquelles une telle décision peut être positive.En résumé,l’amnistie doit avoir pour effet d’effacer l’infraction. L’action publique sera donc éteinte ; la condamnation est effacée et la peine en cours d’exécution cesse d’être purgée. La condamnation amnistiée cesse de figurer au casier judiciaire.

Vérité-Action tient à rappeler que l’amnistie générale est une décision politique qui sert des buts d’apaisement social et de réconciliation nationale. Elle a pour champ d’application les peines ou mesures encourues en raison de l’exercice de toute activité opposante.
Ainsi conçue, elle devra être suivie par une abrogation des lois qui étouffent les libertés publiques et individuelles, d’un véritable pluralisme politique effectif, et une véritable séparation entre les organes del’Etat et celles du parti au pouvoir (Rassemblement constitutionnel démocratique) afin de garantir la neutralité de l’Etat.

6.2 Pour une action commune et efficace de la société civile tunisienne :

La société civile tunisienne, trahie par une actualité internationale qui fait l’affaire des régimes dictatoriaux, cherche à promouvoir son rôle dans l’instauration d’une vraie démocratie en Tunisie.
Ce grand objectif pourrait se concrétiserpar l’entente des composantes de la société civile tunisienne sur des priorités communes et sur un agenda coordonné qui leur donnera le poids capable de faire plier la machine politico—sécuritaire du régime de Ben Ali.

Tout en préservant leur diversité, ces associations veillent à nourrir un discours de rassemblement et une pratique militante plus ouverte. Cette initiative est porteuse d’espoir pour l’avenir de la société civile.
Le combat incontournable pour vider les prisons tunisiennes des opposants et promulguer une loi d’amnistie générale en faveur des victimes de la répression pourrait être l’élément fédérateur et le mot d’ordre pour une meilleure collaboration qui, par un débat sincère et continuel, dessinera les contours d’une plateforme de changement réel en Tunisie.

Vérité-Action continuera à œuvrer dans cette voie et n’épargnera aucun effort pour parvenir à cette fin.

VII. Recommandations :

Vérité-Action apporte son soutien à la société civile tunisienne dans sa lutte pour les libertés, etappelle les autorités tunisiennes à :

Respecter les dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme liant la Tunisie.

La libération de toute personne emprisonnée pour des motifs politiques ou pour l’exercice de son droit à la liberté d’expression et à l’association.
La promulgation d’une loi d’amnistie générale.
Respecter les droits fondamentaux des citoyens dans leurs choix politiques, syndicaux, religieux et individuels.

La reconnaissance du droit à l’activité légale des associations indépendantes de la société civile, et du libre exercice de leurs activités en Tunisie.
La levée de toute forme de restriction au libre exercice du droit de réunion et de disposer des ressources et des espaces publics pour les ONG indépendantes légales, incluant le droit de recevoir des fonds.
La levée de toute forme de censure sur l’Internet.

La reconnaissance, pour tous les citoyens, de la liberté d’expression, incluant la liberté de créer, publier et diffuser des journaux sur tous supports et d’émettre librement sur des radios et des TV.

Garantir le respect des traités internationaux et des conventions auxquels la Tunisie est partie, notamment ceux relatifs à l’interdiction de la torture.

Fribourg, le 10 décembre 2006

Vérité-Action
Case postale 1569CH – 1701
Fribourg
Tél : + 41 79 703 26 11
Fax : + 41 21 625 77 20
e-mail :[info@verite-action.org-mailto:info@verite-action.org]
Site : http://www.verite-action.org

[1] Associated Press, le 21 novembre 2006 à 19h12

[2] Amnesty International, Déclaration publique du 13 novembre 2006

[3] Extrait du rapport de Décembre 2000 de Vérité-Action intitulé : Les coulisses de la mort lente.

[4] Loiorganique n°2004-63 du 27 juillet 2004, JORT n°61 du 30 juillet 2004, p.1988-1997

[5] Communiqué du 9 août 2004 du Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT)

[6] Voir Rapport du 8 mars 2001 de Vérité-Action, intitulé : Journée mondiale des femmes : Aperçu sur les violations des droits des femmes en Tunisie

[7] Voir communiqué de Vérité-Action du 20 octobre 2006

[8] In « Le phénomène associatif en Tunisie et au Maroc », Haykal BEN MAHMOUD, Thèse DEA à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 1995, p. 110.

[9] Ibid, p. 111

[10] Pour plus de détails, renvoi est fait à la contribution scientifique intitulée « Cadre juridique et institutionnel régissant l’engagement associatif en Tunisie », Me Samir DILOU. Conférence présentée lors de la journée du 8 décembre 2005 de Vérité-Action à Genève.

[11] On peut ainsi lire dans le rapport du « Centre for the independence of judges and lawyers » intitulé « Attacks on justice », édité en 2002, ce qui suit sur la Tunisie « Despite the existence of constitutional and legal provisions guaranteeing the independence of the judiciary, the executive continues to exercice improper interference in the judicial domain.A number of political trials have reportedly been conducted without regard to the legal rights of defence and due legal process. Human right defenders, including lawyers, have been subjected to harassment and intimidation »

[12] Communiqué de l’AISPP du 22 novembre 2006.

[13] Communiqué commun des membres de l’IFEX-TMG daté du 1er mars 2006

[14] Dépêche du 24 novembre 2006 de l’Observatoire national pour les libertés de la presse et de l’édition