II – LE BONUS D’AUTORITĖ
-6- Le pouvoir été le fondement du premier partage des sociétés humaines entre deux classes de base : les gouvernants et les gouvernés. Les gouvernés sont la majorité de la société et la base de toute pyramide de pouvoir au sein d’une communauté. Leur statut détermine la nature du pouvoir auquel ils sont soumis et le degré d’évolution « civilisation » de toute la société. La nature de leur rapport avec le pouvoir en place dépend aussi de l’existence et du développement de leurs structures autonomes d’intégration. Dépourvues de toute organisation, ils ne sont que poussière d’individus sans impact réel dans la gestion de la communauté tels des sujets dont tout détenteur du pouvoir peut disposer.
-7- Par gouvernants nous n’entendons pas l’infime minorité qui détient l’exercice effectif du pouvoir mais la partie de la société satisfaite du pouvoir exercé par cette minorité. Tout pouvoir forme par sa simple détention une communauté d’intérêts autour de lui. Ce « bonus d’autorité » qui avantage le pouvoir en place joue la fonction de stabilisateur au sein de la société et donne au pouvoir par les formations éparses qui gravitent autour de lui cette illusion majoritaire de consensus de fait sur sa légitimité. Administration, armée, sécurité, religieux, autant de secteurs consistants humainement indépendamment des autres formes d’allégeances partisanes, idéologiques, ethniques et régionales dont un pouvoir peut se prévaloir contribuent à lui procurer un important filet d’alliances clientélistes valorisés par les attributs d’autorité qu’il leur distribuait pour former le cordon de sécurité dont il a besoin. Ce capital social du pouvoir comme tout détenteur de pouvoir le sait est insuffisant à lui seul pour le maintenir au pouvoir. Il peut toujours basculer de l’autre coté comme il lui a profité. Il nécessite en plus des énormes fonds dont toute action politique à besoin pour son financement d’un discours cohérant et convaincant et sur tout d’un projet attrayant qui repend aux aspirations des gens.
-8- Dans les pays démocratique l’exercice du pouvoir est soumis au débat et à l’observation continue. Au parlement le débat permet d’étudier et de discuter tout acte de pouvoir sous ses différents aspects avant d’être autorisé comme il peut amener le pouvoir à s’expliquer sur son exercice pour les projets auparavant votés et finir par le sanctionner à la moindre irrégularité. Ce débat n’est pas l’exclusivité d’une minorité d’élu retranchée dans son parlement, les médiats permettent de transporter le débat en dehors de son enceinte et contribuent à former une opinion publique au sein de la société qui constitue un puissant moyens de pression sur le pouvoir aussi bien gouvernemental que parlementaire. Ce débat public contradictoire permet aux gens de construire librement leur opinion sur chaque question en leur apportant les informations nécessaires et en les alertant sur les véritable enjeux dont il peuvent cacher. En plus de ces moyens de pressions sur l’exercice du pouvoir la société dispose aussi du droit de contester le pouvoir directement et en toute légalité pour l’orienter vers un sens déterminé ou l’empêcher de continuer. Par les manifestations publiques les grèves sectorielles ou générales les organisations de la société civile disposent de moyens directs de mobilisation pour empêcher le pouvoir de disposer librement de son autorité. Ces différentes formes de contrôle de l’exercice du pouvoir permettent d’assurer constamment la mesure du consensus dont le pouvoir dispose au sein de la société pour garantir le maintien du pouvoir aux mains de la majorité. Ils permettent aussi d’empêcher la tendance à la concentration du pouvoir effectif entre les mains de quelques individus au sein même du gouvernement comme ils permettent de défendre les prérogatives des différentes institutions et d’empêcher leur satellisation sous l’hégémonie du pouvoir exécutif. Leur rôle le plus important et d’obliger le pouvoir de rendre des coptes à la société et de le coincer dans les obligations qu’il à pris envers la société quand il été investi. C’est un pouvoir restreint limité dans son mandat dans le temps et dans le contenu même de son action.
Ces différent mécanismes de contrôle et de pression constituent la contre partie du « Bonus » dont le pouvoir disposait par le simple détention de l’autorité
-9- Le parti des profiteurs du pouvoir peut devenir un fardeau pour tout pouvoir en place par sa corruption caractérisée, par son ambivalence et son insatiabilité. Cette nature n’est pas particulière aux pouvoirs autoritaires. En réalité le secret de maintien de tout pouvoir relève essentiellement du projet qui lui a permis de se hisser à ce statut. Sa longévité en dépend aussi comme elle dépend de son succès dans l’avortement de toute esquisse de projet concurrent à ses dépends.
-10- Ibn khaldoun parlait de asabiah qui à sa praxis fond les états qui disparaissent par son effritement. En réalité le pouvoir ne disparaît jamais seul ses détenteurs ont été obligé de le céder par un praxis plus fort d’eux. La fin de toute nation est la civilisation « el omrane » affirmait-il et c’est à la force qui repend le mieux à cette fin dans la société que revient le pouvoir pour la réaliser. Aujourd’hui nous distinguons entre l’Etat qui est permanent et les gouvernements qui exercent le pouvoir effectif en son nom et qui peuvent être changés à tout moment. Dans les régimes classiques l’état est personnifié par le monarque ou le prince la continuité de l’état et liée à la continuité de son pouvoir dans sa lignée. Les régimes plébiscitaires procèdent du même mécanisme de légitimation autour du charisme du leader et du culte de sa personne dont en cherche à le doter pour le hisser à un statut supérieur de celui d’un citoyen ordinaire et rendre son pouvoir indiscutable et absolu. C’est le despotisme et un despote peut être juste mais ne peut jamais être autre chose qu’un despote.
-11- Le modèle de pouvoir instauré en Tunisie depuis l’indépendance du pays est l’exemple typique d’un régime plébiscitaire construit autour d’un leader politique « Bourguiba » doté d’un pouvoir charismatique faisant appel à des mots d’ordre mobilisateurs sur le patriotisme et l’unité nationale et fixant des objectif commun de développement économique et de progrès social. Aujourd’hui le même discours plébiscitaire continu à être scrupuleusement suivi en contradiction avec le système de privilèges qui est entrain de s’instaurer dans la société donnant l’exemple type d’un pouvoir d’usurpation auquel a abouti l’autorité.
-12- Beaucoup se posent aujourd’hui des questions sur les scénarios d’un possible changement au pouvoir suprême dans le pays, rappelant étrangement la situation qui a précédé la destitution de bourguiba. Entre ceux qui misent sur l’insurrection, ceux qui ont fini par s’aliéner sous le rôle déterminant du soutien étranger et ceux qui ont pris une posture de bas profil en espérant recueillir les miettes il n’y a aucun véritable projet de pouvoir substantiellement différent de notre présente situation.
-13- En réalité cet esprit de succession par lequel la politique s’est imprégnée depuis le début et qui à conduit à consacrer Bourguiba président à vie marque l’évolution dans la même ligne de raisonnement qui ne sort pas du modèle de pouvoir instauré. Quand Ben Ali à pris le pouvoir en 1987 il à fondé sa légitimité sur une promesse d’ouverture tout en se présentant avec la revendication d’un successeur. Le changement intervenu en 1987 n’avait pas pour but de restaurer le pouvoir d’un régime républicain mais d’assurer la continuité d’un système fondé sur la domination du pays et qui ne reconnaît aucune souveraineté de fait à ses habitant. « Le Bonus d’autorité » est ici le pays tout entier et c’est ainsi que le pouvoir est exercé depuis. Au lieu d’agir dans le respect de notre statut de citoyen et dans la défense de ses attributs, qui ne peuvent être que souverains et égaux pour tous, nous nous somme embourbé dans la contestation d’un pouvoir qui été en réalité fidèle à sa véritable nature de dictature. Le véritable tort est de notre coté par notre incapacité à saisir la véritable nature du système de pouvoir qui n’a pour fondement que notre exclusion.
-14- Je me rappelle quand j’été magistrat avoir reçu un plaignant qui paraissait très préoccuper de la radiation du procès qu’il vient d’introduire récemment contre quelques familles de paysans qui vivaient sans aucun titre sur le domaine qu’il vient d’acheter. Je lui avais demandé par curiosité la raison de ce retrait ? Vous savez monsieur le président ce que m’a dit l’ancien propriétaire, m’a-t-il répondu, il m’a dit que ces familles ne son pas un problème mais un bonus non facturé car comme il me l’a justement expliqué qu’est ce que je vais faire d’un domaine de plus de mille hectare sans paysans pour les travaux de labeurs, sans bergers pour le pâturage des troupeaux sans domestiques et femmes à tout faire et en plus il m’assureront la garde du domaine gratuitement car ils seront accusés de tout ce qui peut manquer. Aujourd’hui je crois que nous ne valons pas plus dans l’esprit des actuels détenteurs du pouvoir dans notre pays que ces pauvres paysans aux yeux du nouvel acquéreur du domaine ou ils ont toujours vécu.
Yahyaoui Mokhtar – 20 Mai 2006
…à suivre :
Voir le Blog du Juge Mokhtar Yahyaoui
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