Un objet singulier peu fréquenté depuis Montesquieu, qui faisait reposer le despotisme sur la crainte : la politique de la peur. En Tunisie depuis une quinzaine d’années on a fait régner une terreur d’Etat visant à dissoudre ou à isoler les institutions civiles capables de protéger les citoyens contre le pouvoir de l’Etat.Par une étrange inversion, l’Etat qui tend à assurer le maintien de l’ordre, la sécurité des personnes, devient le principe d’une sorte d’insécurité radicale.

Ces dictatures qui promettent d’en finir avec la peur engendrent en fait de nouvelles peurs parce qu’elle brise profondément les routines et les habitudes sociales, rendant la vie quotidienne imprévisible. : l’obsession de la survie empêche les gens de survivre. Le terrorisme et la terreur d’Etat installent l’incertitude au cœur du système social ;surtout l’Etat devient comme le dit Nobert Elias, une mafia organisant le racket et le meurtre. Les actes d’intimidations publiques instituent l’insécurité la plus extraordinaire au cœur de l’existence la plus ordinaire.
Mais l’effet le plus terrible du terrorisme et la terreur du régime tunisien est l’atomisation des groupes la destruction de solidarité entre les individus isolés et effrayés. Et aussi le repli vers les solidarités primaires et cette sorte de « fatalisme amoral » comme dit Juan Coradi, que vient renforcer la tendance à se désolidariser de ceux qui résistent et dont on craint qu’ils n’attirent la répression. L’inaction cherche sa justification dans un transfert mutuel de responsabilités qui apparaît comme un échange social d’excuses.

L’un dit qu’il est entrain de finir ces études, l’autre qui ne veut pas créer des problèmes à sa famille, ou qu’il a peur que son passeport ne soit pas renouvelé ; Les jeunes disent qu’ils sont trop jeunes et les vieux trop vieux. Pire il n’est pas rare d’observer une véritable haine à l’egard de ceux qui donnent l’exemple de courage.la peur que chacun a de tous les autres isole progressivement les individus et les groupes les plus actifs dans la résistance aux pouvoirs. Le désespoir conduit à une sorte d’autisme social. La logique de l’inaction collective qui trouve les conditions de son plein accomplissement dans les occasions extraordinaires créées par la politique de terreur, c’est que la rencontre chaque jour dans toutes les institutions totales, prisons, hôpitaux ou internats et aussi dans les routines de l’existence bureautique ou de la vie intellectuelle, ou la crainte diffuse de sanctions incertaines suffit bien souvent à déclencher les innombrables lâchages qui rendent possible les grands et les petits abus de pouvoir.

Est –il possible de briser le cercle de la peur ? L’analyse comparative des différentes situations historiques montre que la condition majeure d’une telle issue est l’existence d’organisations capables de briser le monopole des communications contrôlées par l’Etat, de fournir une assistance matérielle et juridique, de soutenir les efforts de résistance et d’imposer peu à peu la conviction que l’horizon n’est pas fermé à jamais.

Cela, en permettent à la grande majorité des gens de se convaincre que l’exceptionnellement héroïque n’est pas la seule possibilité d’agir et de prendre de l’assurance en découvrant que beaucoup d’autres pensent et agissent comme eux et aussi que des personnes importantes dans le pays soutiennent leur action et renforcent les barrières protectrices.

Autrement dit les stratégies les plus efficaces sont celles qui conduisent la majorité terrorisée à découvrir et à montrer sa force collective à travers des actions relativement ordinaire et peu risqué mais qui, accomplies au même moment par très grand nombre de personnes concertées produisent un immense effet symbolique d’abord sur ceux qui les accomplissent, et aussi sur ceux contre qui dirigées.

Mahmoud Albaroudi
Doctorant à l’EHESS Paris