Son Excellence le Président du Parlement Européen, monsieur Josep Borrel

Le Parlement Européen
Strasbourg- France.

Mercredi le, 30 mars 2005

Excellence, cher monsieur le Président,

En tant que citoyen de ce pays, la Tunisie, que vous venez de visiter en votre qualité de Président du Parlement Européen, je dois vous dire de prime abord qu’aucune condition morale, démocratiquement parlant au moins, ne justifie votre rencontre avec des autorités qui n’ont jamais été élues. Tout au contraire elles se sont imposées au peuple par la force et un peu plus. Vous avez cher monsieur le Président, visité un pays dont le peuple se trouve enchaîné depuis plus cinq décennies par une féroce dictature.

Je ne pense pas que vous ayez adopté une position de refus différente à la mienne et à celle de la majorité écrasante de notre peuple, si par exemple vers les années soixante, avant ou après, une personnalité européenne de votre envergure aurait rendu visite au régime du « Generalissimo » Franco et par la suite au cours d’une conférence de presse aurait tenu – comme vous venez de le faire – des propos presque d’éloge total à l’égard de la dictature.

Si je lis bien la dépêche de presse que j’ai sous les yeux vous auriez employé le terme « entre amis », ou « très ouvert et très encourageant », ou encore le bijou « il s’agit d’un ensemble de mesure « qui vont sans doute établir des rapports encore plus positifs », ou encore mieux « c’est le pays qui a mieux tiré profit du partenariat euro-méditerranéenn » et j’en passe. Je n’ai pas de raison pour douter de la véracité de ces propos, un autre personnage européen de premier plan, en l’occurrence le chef d’état français, monsieur Jacques Chirac qui passait par les mêmes lieux et ayant rencontré son « homologue tunisien » n’avait pas lui non plus ménagé ses efforts pour couvrir d’éloges les mêmes autorités et est allé jusqu’à dire que le ciel pourrait encore attendre et que « la première des choses en démocratie c’est donner à manger ». Personne ne sait si monsieur Chirac se rendait bien compte de ce qu’il venait de dire et peut être avait-il confondu les siècles. Mais le peuple en Tunisie, si, qu’il s’était bien rendu compte de ce grandiose mépris à son égard. Dites-vous bien monsieur le Président, que justement en ces mêmes jours où vous étiez dans notre pays, plusieurs de nos compatriotes venaient de rejoindre leurs frères et sœurs dans les lugubres prisons du régime et à leur tête maître Mohammed Abbou. Tous ont été arrêtés pour avoir tenter de s’exprimer librement. Beaucoup d’entre eux ont été en même temps tabassés par la horde des policiers de la dictature. A propos savez vous que notre peuple est « surveillé » constamment par plus de 130.000 uniformes et presque autant de milices du RCD, le parti, dit-on politique, très semblable à celui qui vous aviez eu en Espagne « les Phalanges ». Toutes les dictatures ont des similitudes et si les F.E.T (Phalanges Espagnoles Traditionalistes) de Primo de Rivera chez vous, ont fusionné avec les J.O.N.S (Les Juntes de l’Offensive Nationale- Syndicaliste) eh bien, le PSD (Parti Socialiste Destourien) s’est transformé lui aussi en RCD (Rassemblement Constitutionnel Démocratique). En poussant un peu plus dans les similitudes on pourrait aisément dire que finalement pendant les cinq dernières décennies de l’histoire de notre peuple on a eu un Primo de Rivera qui a été suivi d’un Généralissimo Franco. Franchement monsieur le Président, il m’est très difficile d’admettre que précisément une personnalité comme vous, qui a connu plus que quiconque la nature de la dictature se soit senti si à l’aise en face de tels personnages. D’ailleurs le simple fait d’avoir envisagé votre déplacement pour rencontrer un dictateur reste en lui-même un mystère. Si le Président du Parlement Européen était autre que vous, il y aurait eu peut être beaucoup moins à dire. Par exemple s’il c’était agit d’un monsieur José Maria Aznar (Le président et fondateur de la FAES, Fondation pour les Analyses et les Etudes Sociales) ou de l’un de ses dauphins, tel qu’un monsieur Jaime Mayor Oreja, ou Angel Acebes, ou un Zaplana, toutes ses figures ont les caractéristiques prédestinées et aussi le talent nécessaire à ce genre de mission. Et soit dit en passant tous ces personnages sont pris dans excès de rage depuis qu’ils ont perdu les dernières élections du 14 mars 2004. Et depuis, ils sont entrés dans une campagne de diffamations contre l’actuel gouvernement de votre pays sans précédent dans l’histoire. On aurait pensé qu’ils préparaient les prochaines élections de 2008, si ce n’est la virulence extrême employée quotidiennement qui relève beaucoup plus de préparatifs de guerre que de l’exercice de droits dans une démocratie. Enfin là c’est une autre histoire.
Même si l’euro député, monsieur Daniel Cohn Bendit, bien que ses caractéristiques à lui, et, au-delà de son appartenance au parti politique allemand des Verts, aurait fait un tel voyage on n’aurait rien trouvé d’anormal à une telle rencontre. Et enfin si d’ici le mois de novembre prochain, rien ne change dans le pays on verra le général Sharon couvrir des mêmes éloges ou même plus que les vôtres et ceux de monsieur Jacques Chirac au même salon et à l’égard des mêmes autorités.

Monsieur le Président, le pouvoir politique en Tunisie est entre les mains d’une dictature. Y a-t-il de doute sur cette question ? – Je ne le pense pas. Alors quelle est la nature de cette coopération dont vous semblez vous réjouir avec tant d’enthousiasme tout en pensant à la développer ? – Vous ne pouvez pas ignorer ce dont est capable une dictature. Toute dictature, de par son essence, a des choix diamétralement opposés à ceux du peuple et ses aspirations. Il n’est point besoin de visiter un pays sous la dictature pour se rendre compte des souffrances multiples de son peuple. Un peuple sous la dictature n’a aucune chance de progresser, car la première condition de tout progrès réel n’est autre que la liberté. Il n’est point besoin de vous énumérer toutes les calamités qui dérivent de la dictature, vous les connaissez mieux quiconque d’autres, non seulement sur le plan théorique, mais bien sur le terrain de la vie bien réelle. Quels sont les progrès réalisés sous la dictature en Espagne ? Vous parlez de dialogue entre l’Europe et la Tunisie. Quel était le genre de dialogue entre la dictature en Espagne et l’Europe durant quarante ans ? – Aucun. Alors pourquoi voulez-vous parler de dialogue avec la dictature en Tunisie et l’Europe ? Quand vous dites la Tunisie a fait « le choix de l’Europe d’une façon très claire… ». Vous voulez dire la dictature a fait le choix de l’Europe. Dans ce cas là des deux choses l’une, ou le choix de cette dictature n’est pas celui du peuple, ou le choix du peuple a été confisqué par cette dictature et delà mis à son profit. Dans un cas comme dans l’autre la dictature ne fera aucun bien pour le peuple de ce choix. D’ailleurs comme elle n’a jamais fait rien de bien avec les propres richesses du peuple, avec ses efforts, avec son histoire, avec sa culture et enfin avec toutes ses valeurs morales et tout son patrimoine.

Enfin en parlant de ce choix et de tous les autres de la dictature, on peut bien imaginer à qui ça bien profiter. Entre 3 et 5 % de la population seraient bien ravis de ces choix. Et si l’Europe comme vos propos, monsieur le Président, semblent bien le suggérer est aussi ravie de ce choix et de ses rapports avec la dictature et non pas avec le peuple, car vous savez parfaitement que la dictature ne représente en aucun cas le peuple, tout citoyen dans notre pays peut à juste raison douter de la nature de cette coopération. Que les intérêts de cette minorité avide d’accumuler des biens mal acquis au détriment de la majorité écrasante du peuple, et, les intérêts de l’Europe coïncident c’est dans la logique des choses et c’est bien ce qui se passe. Les intérêts de l’Europe sont, et, personne n’en doute, bien réels parce qu’il s’agit d’intérêts qui font croître les richesses, des richesses qui seront redistribuées sur tous les citoyens européens, mais les intérêts de cette minorité, dans les meilleurs des cas, ils maintiennent la majorité des nos citoyens flottant entre la misère absolue et la survivance, sans aucun futur défini. Les vagues de nos compatriotes qui quittent le pays sont continues. Sur dix millions d’habitants, le pays compte plus de deux millions de ses forces actives parsemées aux quatre coins de la planète. Il est plus que probable qu’une grande partie des devises dans les comptes de la banque centrale arrivent à travers à travers l’argent que nos immigrés envoient à leurs familles et proches restés dans le pays. Que fait-on avec ces devises et autres ? – D’abord on satisfait la consommation vorace de cette minorité en toutes sortes de produits même ceux de grand luxe qui arrivent du Nord de la méditerranée et une partie est investie dans les projets non moins lucratifs toujours au profit des mêmes. Et quels sont ces projets économiques ? – Les projets qui répondent justement aux nécessités de la bonne marche de cette coopération dont vous parlez monsieur le Président. Les infrastructures nécessaires qui facilitent l’atterrissage des avions qui amènent les hommes d’affaires européens, les hôtels confortables et plus que confortables pour les mêmes, les ports pour l’ancrage des bateaux des mêmes origines qui transportent les produits à consommer, les routes et les autoroutes pour les mêmes besoins et un sans fin de projets totalement parasitaires qui remplissent bien les poches de cette minorité et qui font ajouter plus de misère à la majorité du peuple. La dictature n’est pas faite pour autre chose. Enfin de compte la Tunisie prolonge les vols des avions européens, les traversées de leurs bateaux et étend le marché. En quelque sorte la Tunisie donne à l’Europe une extension supplémentaire à son territoire sans le moindre frais et sans le moindre problème social puisque les citoyens restent confinés entre les mains de la dictature. Et ainsi l’Europe tire le maximum de profit avec le minimum de frais. De quelle coopération parlez-vous monsieur le Président ? – Vous coopérez avec la dictature et non pas avec la Tunisie. A ce propos, il est malhonnête de parler de coopération et d’amitié, alors que pour nos citoyens tout voyage de l’autre côté de la méditerranée devient une succession de calvaires interminables avec des queues partout en commençant par les lugubres bureaux de la dictature, jusque devant les ambassades et consulats européens en quête d’un visa, comme si d’un visa vers le paradis il s’agit. Mais dans l’autre sens, un français, un espagnol ou même un chypriote (un grec chypriote pour ne pas confondre les choses, car les turcs chypriotes ne sont pas encore émancipés à ce point !) ou un maltais, peut à tout moment et sans le moindre souci prendre place dans un avion ou sur un bateau et atterrir dans mon pays rien qu’en s’identifiant par leur simple carte d’identité. Aucun gouvernement aucune autorité représentative de son pays n’accepterait jamais une aussi double humiliation. Mais la dictature n’en a que cure et n’est là que, pour justement, humilier les citoyens. Nos citoyens comme tous les citoyens du monde ne naissent pas nécessairement avec le désir de quitter leur terre. On éprouve ce désir sous les effets multiples dont les facteurs conjoncturels que traverse une société. Il se trouve que dans le cas de notre pays ces facteurs sont aggravés par l’énorme poids de la dictature, L’amertume conjuguée aux illusions et aux difficultés de pouvoir voyager librement aujourd’hui, il ne reste plus devant un nombre de plus en plus grandissant de jeunes que le système de l’émigration clandestine qui se termine souvent avec les tragédies qu’on connaît. Le premier responsable c’est bien la dictature qui dure depuis plusieurs générations. Et comme telle, la dictature n’est jamais synonyme de réussite dans aucun domaine. Ni le social, ni l’économique, ni celui éducationnel. Evidemment cette question est bien complexe, mais les frustrations devant ce jeu de deux poids et deux mesures sont là. Ça ne facilite pas justement cette entente et cette cordialité souhaitées. Tout au contraire.

Ce sont là déjà plusieurs raisons qui ne justifient ni votre voyage à titre de Président du Parlement Européen, ni encore moins vos encensements des « réalisations » du régime. Mais il y en a encore plusieurs autres, car les dossiers des dictateurs sont bien nombreux, lourds et surtout ensanglantés et pleins de terreurs.
Pourquoi monsieur le Président notre peuple doit-il supporter cette dictature d’après vous et attendre des jours meilleurs ? – sommes – nous par hasard des êtres humains différents des autres qu’on peut emprisonner, affamer, torturer, terroriser et enfin de compte maintenir indéfiniment dans le sous-développement et la misère alors que les relations entre, d’un côté l’Europe des libertés et de la prospérité et de l’autre la dictature ne font que se raffermir ?
Il n’y aurait eu rien à dire sur des hommes d’affaires européens ou autres qui débarquent dans les aéroports ou dans les ports du pays à la recherche de débouchés pour leurs produits, c’est bien leur droit absolu et indiscutable, mais quand il s’agit d’un chef d’état ou du Président du Parlement Européen la question prend d’autres dimensions et les retombées sont d’une totale autre nature. Une telle visite cautionne l’injustice, donne plus de latitude à la dictature, la renforce, l’entérine, lui donne des ailes et enfin, elle lui donne ce qu’elle ne peut jamais avoir : Une légitimité. Ou bien est-ce que certaines valeurs – dit-on – universelles ne sont pas aussi universelles que ça ? – Ou est-ce que la différence entre un homme politique et homme d’affaires est nulle ? – Je ne voudrais pas le croire.

Je lis encore dans la déclaration qui vous est attribuée encore ceci : « …les rapports tuniso-européens ne se limitent pas au volet économique, en indiquant avoir discuté à Tunis « entre amis » d’autres questions telles que la gouvernance politique, le fonctionnement des systèmes judiciaires et médiatique. »

  1. Un grand point d’interrogation s’impose à propos de cette amitié. Laquelle ? – Celle entre les peuples ou celle qui vous lie à la dictature ? – Si elle est celle des peuples, elle devrait nécessairement imposer une bien différente attitude et interdire ce genre de visite à la dictature. Si toute démocratie interdit un tel rapprochement avec la dictature la vie de celle-ci serait bien courte. Monsieur le Président le peuple existe, voit, écoute, réfléchit, mémorise et tôt ou tard il réagira. Plus haut je vous parlais de la dictature que vous avez eue dans votre propre pays et pour comparer encore plus la situation, j’aimerais aussi vous poser la question suivante : Auriez-vous visité Pinochet au Chili, ou allez-vous rendre visite à tous les dictateurs de ce même côté de la méditerranée ? Par ailleurs si la liberté et la prospérité sont un terrain de chasse réservé uniquement aux « super hommes », on comprendrait beaucoup mieux votre position et j’espère que vous aussi, vous comprendriez la colère des peuples.
  2. La gouvernance politique. Dans la mesure où le Parlement Européen, que vous avez l’honneur de présider, pense à la façon dont sont mal, très mal gouvernés tel ou tel peuple, je crois qu’il dispose de plus d’un moyen pour dire aux dictateurs ce qu’il pense d’eux sans avoir à recourir aux visites et au tête à tête. D’ailleurs ni dans un sens ni dans l’autre. De toute manière les peuples en Tunisie ou ailleurs ne demandent à aucune instance européenne ou autre de lui venir en aide. Il demande tout simplement qu’on ne prête pas main forte aux dictateurs. Sans le concours de toutes ces institutions qu’elles soient européennes ou autres, aucune dictature ne peut avoir un souffle aussi long. La dictature du général Pinochet au Chili a duré dix sept ans (1973-1990). Durant tout ce temps, rien d’autre ne le maintenait au pouvoir que le soutien de l’Administration Américaine de Nixon à Bush en passant par Carter, Reagan. A présent on découvre non seulement l’immense tragédie qu’a dû endurer le peuple dans ce pays, mais par-dessus le marché les innombrables comptes bancaires du général. Pas moins de 125 comptes dans plusieurs pays dont certains paradis fiscaux. Idem pour toutes les autres dictatures dans ce continent. Et dès que la Maison Blanche se désintéresse de l’une d’elle, elle tombe comme une feuille d’automne. Tous les peuples d’Afrique ont connu et connaissent encore la même espèce de dictateurs. Tous les dictateurs sont soutenus de la même manière par les mêmes puissances. Et tous et leurs acolytes ont ruiné leurs peuples et leurs pays. La dictature en Tunisie n’est point différente.
  3. Le fonctionnement du système judiciaire : Parler d’un système judiciaire sous une dictature, c’est comme parler d’une station de ski dans le désert d’Afrique. La corruption et l’arbitraire qui broient littéralement les citoyens tout en détruisant des familles entières sont le pain quotidien du peuple. Les prisons les plus insalubres regorgent de victimes de toute sorte. Les rapports sur les séances de tortures exercées par de féroces bêtes humaines sur les détenus politiques gèlent le sang dans les veines de tous ceux qui en prennent connaissance et terrorise tout le peuple jusqu’à la paralysie presque totale. Des pauvres citoyens sont détenus pendant des longues années sans la moindre compassion d’aucune institution officielle si ce n’est de temps à autre l’attention de l’une ou de l’autre de ces organisations dites non gouvernementales qui arrive à percer le mur d’acier de la dictature et celui du silence de tombe autour de ces victimes et leurs familles. Dans le sillage de ces longues années de détentions et souvent de la mort qui en suit, toutes ces familles souffrent les mêmes calvaires ou pire encore. Elles sont mises en quarantaine par le régime comme s’il s’agit de lépreux. La Communauté Européenne dispose de plus d’une vingtaine d’ambassades. Toutes ne sont au courant de rien, ni sur la terreur diluée dans l’atmosphère de tout le pays, ni de la corruption qui a détruit totalement le tissu social, ni non plus de ces massacres impitoyables auxquels s’exposent tous les citoyens qui osent manifester leur révolte malgré tous les obstacles. La dernière en date, quelques semaines avant votre arrivée monsieur le Président, une manifestation qui a été dispersée dans le sang, avec des femmes le visage tuméfié ou défoncé et le sang couvrant tout leur corps et des jeunes les bras ou les côtes brisées. Dans la même semaine et pour la unième fois des avocats se sont trouvés encerclés par des bataillons de ce qu’on appelle les forces de l’ordre, l’ordre de la dictature bien sûr, dans le bâtiment même du palais de la justice de la capitale en signe de protestation contre l’incarcération de leur collègue Maître Mohammed Abbou qui s’est justement élevé contre l’injustice qui a depuis très longtemps dépassé toutes les limites de l’intolérable. Et pourtant il n’a fait qu’écrire un article qui a été posté sur un site d’Internet en Europe, car cette voie de communication est systématiquement censurée à l’ombre de la dictature. Il est vrai que dans son article il a fait qu’évoquer des tortures que le monde entier à présent connaît de la prison d’Abou Ghraib à Bagdad en faisant le parallèle avec les horreurs qui se passent dans les prisons de la dictature. Des horreurs de la même intensité, la même répugnance et la même barbarie au point de ne plus savoir les assassins de Abou Ghraib sont les maîtres des tortionnaires de la dictature ou c’est l’inverse.

    Pour ce qui est de la justice courante à laquelle ont recourt les citoyens dans n’importe quelle société pour démêler certains conflits mineurs, tellement le système judiciaire est corrompu, les plus sages se résignent à aller au tribunaux, quitte à perdre leurs droits et les plus tenaces souvent finissent par se faire ruiner. Le système judiciaire sous une dictature ne pourrait jamais faire honneur à son éthique. Tout le monde sait que les sentences importantes et qui intéresse le régime sont dictées d’avance au niveau de ce qu’on appelle le ministère de l’intérieur.

  4. Le système médiatique est le frère jumeau du système judiciaire. Aussi corrompu et aussi dévoué à la dictature. Tout journaliste qui saute la moindre instruction se fait brûler les doigts avec la chance de ne plus jamais tenir de nouveau la plume pour écrire un seul mot. Et quand on parle de journaliste les mêmes consignes s’appliquent à tous les médias, écrits, parlés ou télévisés. Tous les médias dont la plupart sont contrôlés directement par le régime dédient la plus grande partie de leur espace aux « activités » quotidienne du dictateur, aux faits divers et aux stupidités les plus abêtissantes. L’adulation du dictateur a dépassé toutes les limites du ridicule. Le chiffre 7 (en référence au 7 novembre 1987 la date du coup de sénilité qui a renversé le premier dictateur) a perdu son innocence entre les chiffres. Il est entré dans les annales des superstitions les plus risibles, les plus ridicules, les plus burlesques et enfin les plus obscènes. On le trouve en affiches géantes, en sculptures sur les places publiques et même sur le seul tronçon de l’autoroute du pays dont la gérance, comme toutes les autres entreprises lucratives, se trouve entre des mains plus que douteuses. On dit parmi les mains les plus proches du dictateur en personne. Mieux encore la compagnie du téléphone a dû aussi introduire ce chiffre dans le code de toutes les régions. De manière à ce que tous les numéros des abonnés commencent obligatoirement par un sept. Le pauvre citoyen qui cherche à s’informer réellement se trouve beaucoup plus informé au sujet de la planète mars que sur la situation de sa propre ville ou de sa région. Et dans ce contexte où règne l’autocensure, une institution internationale telle que l’ONU, trouve le plaisir de confier à cette dictature l’organisation de la deuxième phase du Séminaire Mondial de l’Informatique (SMI) alors que non seulement l’accès au réseau Internet se trouve à des prix prohibitifs et par conséquent hors de la portée de l’écrasante majorité de la population, mais encore filtré par les soins d’une police spéciale équipée par des moyens technologiques livrés par les mêmes constructeurs du réseau afin qu’aucune ligne, aucun mot contraires à la dictature ne navigue dans le ciel de tout le pays. Le premier cybernaute du pays fut arrêté incarcéré durant presque deux ans, et, finalement à l’âge de 36 ans mystérieusement décédé. Douze autres jeunes internautes d’un seul coup, sont actuellement incarcérés à leur tour, accusés comme le premier de diffamations envers les autorités. On se demanderait bien qui diffame qui ? – Mais les faits sont là et les pauvres douze jeunes de Zarzis, la région sud du pays, sont en train de souffrir les horreurs entre les murs de, Dieu seul sait, quelle maison d’arrêt ou prison. Dans le domaine de la torture, il n’y a pas d’imagination plus fertile que celle de la dictature. Afin de torturer les membres de famille des détenus on les traînent en long et en large sur toute l’étendu du pays afin d’épuiser tout le monde et ruiner ces familles qui sont souvent des plus pauvres du pays. Un sadisme calculé dans toutes les variantes de son énorme cruauté.
    Telles sont les choses et pourtant personne à l’ONU ne semble être ni au courant, ni concerné par ces faits terrifiants. L’unique chose qui paraît être d’importance, ce sont les capacités techniques et organisatrices d’un tel évènement par le régime. Qu’à cela ne tienne, les moyens du régime sont immenses puisque qu’il dispose de tout le pays.

    Au cours de votre séjour, monsieur le Président, vous auriez – selon la même dépêche – rencontré plusieurs responsables du gouvernement, du parlement et de nombreux représentants de la société civile.

  1. Les responsables : Tous ces responsables que vous aviez rencontrés monsieur le Président, tous ces responsables sont nommés par le dictateur et par conséquent aucun n’a été ni élu ni souhaité par le peuple. Les citoyens ont vu de ce genre de responsables défiler depuis cinq décennies sous le règne du premier dictateur et aussi sous celui de l’actuel. Tous savent qu’ils se trouvent devant l’opportunité de leur vie qui risque de ne pas durer longtemps et comme tous ceux qui les ont précédés, ils mettent les bouchées doubles pour s’enrichir autant que possible et ainsi assurer un « confort digne » pour leur propre personne mais aussi pour leurs progénitures. Tous les responsables sous le règne du premier dictateur sont des millionnaires en euros et plusieurs d’entre eux ont des demeures et des comptes bancaires – comme le général Pinochet – aussi nombreux et dans les pays les plus divers. Particulièrement les capitales européennes et si c’est possible pour tous au moins un compte dans une banque parisienne, la Mecque par excellence, pour tous ces messieurs. Aucun de ces responsables ni dans le passé lointain, ni dans le passé proche, ni certainement, si la dictature continue à avoir longue vie, dans le futur n’a jamais rendu des comptes à personne sur ses biens innombrables. Par exemple un cas comme celui qu’il vous est arrivé à vous-même de vivre quand vous étiez ministre des finances dans votre pays, n’a aucune chance d’émerger en surface ni sur les pages des journaux ni dans celui des tribunaux. Dans la dictature, il n’y a, comme vous le savez bien, ni de fraudes, ni de détournements des fonds publics, ni de corruption, ni rien de tout cela à discuter en public. C’est une de ces images des plus sinistres que le régime ne peut jamais se la permettre. Et pour cause.
  2. Les responsables du parlement. Il est supposé s’agir ici des députés. Des députés aussi « démocratiquement » élus comme l’est le « Chef d’état » lui-même c’est-à-dire le général Ben Ali. C’est curieux souvent les dictateurs sont des généraux. Ça n’attire pas l’attention ce phénomène !? – Et là je reviens encore à votre pays l’Espagne. Le généralissime Franco, au moins c’est un monsieur qui était réellement militaire et pour le malheur du pays il était aux commandes d’une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts. Que lui-même ne soit pas mort au cours de cette guerre c’est un fait, mais beaucoup d’un côté comme de l’autre en sont morts. Donc il a au moins encouru un certain risque, celui d’être tué. Mais notre général tous ses galons, il les a gagné en massacrant les foules des citoyens pacifiques, les mains nues, soit en tant que ministre de l’intérieur sous le règne du premier dictateur, soit comme son premier ministre et toujours sans courir le moindre risque. Pour la dernière bouffonnerie présidentielle, il a gagné avec 95% des voix ! Enfin c’est franchement écoeurant, non pas le score du dictateur mais bien l’objet de votre visite, monsieur le Président du Parlement Européen.

    Ces députés que vous aviez rencontrés ont été élus avant d’être élus. Et puis en plus d’être des bouffonneries ces campagnes électorales, elles ont été toujours synonymes de gaspillages des deniers publics, un mépris pour tous les citoyens et une occasion d’enrichissement pour certains fournisseurs du matériel d’usage en de telles circonstances.Dans le passé, sous le règne du premier dictateur, 100% de ces députés étaient du parti unique. Le parti dont il était question plus haut. A présent tout en détenant toujours la majorité soit les 85% des sièges, deux ou trois autres petits partis accouchés par le même RCD, sont aussi représentés à travers les 15% qui restent de l’ensemble de l’hémicycle. Enfin une duperie quand même trop grotesque. Par contre tous les autres courants politiques authentiques qu’ils soient de gauche, de droite, nationalistes ou autres, ceux-là sont totalement exclus de toute « compétition ». Et tant que dure la dictature ils n’ont que l’embarras du choix de choisir comment laisser écorcher leurs dirigeants ou même leurs simples adhérents. Soit ils sont persona non grata pour occuper une fonction quelconque dans une administration ou même dans une entreprise privée, soit ils sont exclus de leur poste de travail, les enseignants dans ce cas sont bien nombreux, soit ils sont traînés sans le moindre motif dans la boue nauséabondes les tribunaux.
    Donc, monsieur le Président, une fois toutes ces tristes réalités passées en revue, vous pouvez être sûr que de tous ces députés, vous n’avez rencontré aucun qui représente le peuple. Et comme leurs collègues ministres, ces députés ne perdent pas non plus, ni le temps, ni l’occasion pour garantir leur confort total ainsi que celui de leurs progénitures et enfin améliorer au maximum leurs situations financières. Tout comme dans la dictature de Pinochet, nous avons des députés qui durent et durent, comme les piles « duracell » depuis l’époque du premier « empereur ».

  3. Les nombreux représentants de la société civile : Etant donné qu’aucun nom n’a été cité dans la dépêche, on doute fort que vous ayez rencontré un syndicaliste ou un de ceux qui sont arbitrairement détenus dans les prisons depuis des années. Pour ce qui est du syndicat des travailleurs tunisiens, il a disparu justement sur les mains de ce même général à la fin des années soixante dix, à l’époque où il n’était encore que le puissant ministre de l’intérieur du premier dictateur. C’était le jour de la seule grève générale qu’a connu le pays durant pratiquement cinq décennies. Depuis il n’y a plus de syndicat réellement actif sur la scène. De toute manière, même si les personnages avec lesquels vous vous êtes réuni monsieur le Président représentent effectivement la société civile, ce n’est pas une première en elle-même. Ce genre de réunion on le voit se dérouler partout à la faveur de la visite d’une éminence dans un pays étranger qu’il soit dirigé par une dictature ou par une démocratie. Les engagements généralement demeure aux limites de la courtoisie. Le journal porte parole du régime en Tunisie, La Presse, a bien résumé l’effet d’une telle rencontre puisque il a écrit, commentant votre déclaration, textuellement ceci : « Evoquant sa rencontre avec le Chef de l’Etat, il s’est félicité des entretiens très francs avec le président, tout en précisant qu’il a rencontré des membres du gouvernement et de la Chambre de députés, ainsi qu’une large frange de la société civile, estimant qu’il est fréquent que la société civile, une expression abstraite,(Deux termes ayant la signification qu’on peut bien supposer sont de la rédaction du journal) ne partage pas nécessairement les mêmes points de vue que les représentants du gouvernement. »

Enfin monsieur Josep Borrel Président du Parlement Européen, les pages de cette dictature sont encore bien nombreuses et bien longues et les sentiments quant à votre visite ne pourraient s’exprimer autrement sans évoquer toutes ces tristes réalités. Oui c’est vrai, la Tunisie a été toujours une terre accueillante, mais en aucun cas à travers la dictature.