Docteur en science politiques, Sadri Khiari est membre du Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT) et de RAID-ATTAC Tunisie. Bien que laïc et athée, il dénonce avec intelligence et clarté les pré-supposés idéologiques du livre « Tirs croisés »

Qu’est-ce qui fait qu’un livre mérite qu’on en parle ? Si c’est le sérieux et la rigueur conceptuel alors Tirs croisés. La laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, co-écrit par Caroline Fourest et Fiammetta Venner[1], les fondatrices de la revue Prochoix, ne justifie pas qu’on s’y arrête. Si c’est l’originalité de la thèse, l’étrangeté du propos, la pertinence de l’argumentation, ou tout bonnement sa capacité à stimuler la réflexion, dans ce cas on fait bien de se taire. Si un livre suscite les commentaires par la richesse des informations fournies, l’authenticité du témoignage, la puissance éthique ou même le talent littéraire, alors Tirs croisés impose le silence. Je me dois donc d’avouer que la seule raison qui m’a incité à écrire le texte qui va suivre est l’exaspération qui s’est emparé de moi à la lecture de ce livre. Dans un réflexe sado-masochiste et voyeur, comme lorsqu’on relit 10 fois la description d’un horrible meurtre, je n’ai pu retrouver mon calme qu’en le lisant jusqu’au bout – jusqu’à la lie, devrais-je dire – et qu’en rédigeant ce commentaire très partiel – ce que je regrette – et sûrement très partial !

Tirs croisés est le prototype même du livre qui promet la rigueur et n’offre que le plus mauvais style journalistique. Superficiel, caricatural et manichéen, cultivant le sensationnel et l’anecdote, élevés au rang de preuves et d’arguments massus, Tirs croisés remplace l’analyse des courants politiques qui se réclament du religieux par le récit d’événements odieux censés illustrer leur politique : lapidations, enfermements, assassinats, etc..Ne manquent que quelques images que la photothèque de Paris-Match aurait pu leur fournir. Ce faisant, les deux auteures ont une intention louable. Elles se proposent de nous ouvrir les yeux : le clivage majeur qui traverserait aujourd’hui l’humanité oppose, nous expliquent-elles, Intégrisme et Laïcité. Le monde n’est pas menacé par un « choc des civilisations », comme il a pu être dit, mais par l’offensive menée par l’ensemble des intégrismes – chrétiens, juifs et musulmans, alliés subjectivement et objectivement – contre la laïcité ; et ce depuis la fin des années 70. Au camp des intégristes, il serait urgent d’opposer le bloc des laïcs. Ce résumé est toutefois incomplet car une thèse complémentaire structure tout le livre au point souvent d’en constituer, semble-t-il, l’argument principal : la « dangerosité », la « nuisance » ou la « nocivité » supérieure de l’intégrisme islamique par rapport aux autres intégrismes. Chaque chapitre du livre est ainsi conçu pour nous prouver que tous les intégrismes sont puissants et détestables mais que l’intégrisme islamique l’est encore plus ! L’Islam serait-il en cause ? Non, assurent Fourest et Venner, l’Islam n’est pas pire que les autres religions monothéïstes ! Mais, l’intégrisme islamique, lui, est plus dangereux parce qu’il n’est pas confronté à des « contre-pouvoirs » comme c’est le cas dans les Etats démocratiques et laïques où se développent les autres intégrismes. Je ne pense pas avoir déformé leur propos et, pour tout dire, cette brève présentation pourrait suffire à montrer le caractère particulièrement contestable et fallacieux de leur argumentation.

Je ne vais évidemment pas discuter point par point les questions soulevées par ce texte ; je me contenterais d’en souligner la charpente logique. L’enchaînement argumentaire me semble, en effet, encore plus problématique que les multiples généralisations gratuites, informations tronquées, assertions et autres déductions non fondées (parfois contradictoires, du reste) qu’utilisent les auteures pour nous conduire aux conclusions qu’elles souhaitent.

Une première remarque concerne l’Intégrisme. Fourest et Venner n’utilisent pas de majuscule. Mais elles devraient. Car c’est bien d’un intégrisme substancialisé qu’elles parlent. « A nos yeux, écrivent-elles, l’”intégrisme” désigne la manifestation d’un projet politique visant à contraindre une société, depuis l’individu jusqu’à l’Etat, à adopter des valeurs découlant non pas du consensus démocratique mais d’une vision rigoriste et moraliste de la religion. »(12) Alors qu’il est déjà bien difficile de spécifier les dynamiques à l’ouvre à travers les courants qui se réclament d’une politique de l’Islam, les deux auteurs les englobent tous dans une vaste catégorie incluant les intégrismes chrétien et juif. « Le lecteur sera peut-être surpris de trouver également mentionné le Vatican ou des mouvements catholiques non lefebvristes. Bien qu’institutionnalisées, cette vision du catholicisme n’est pas exempt d’effets secondaires intégristes sur le droit à l’avortement, la prévention du sida ou les droits des homosexuels – contre lesquels le Vatican mène une croisade active à la fois comme Etat et comme groupe d’intérêt, notamment dans les instances internationales. Dans ce cas, nous nous intéressons moins aux intégrismes en tant que groupes définis qu’aux manifestations de l’intégrisme. »(14, CMQS) Le Vatican ne serait pas intégriste en lui-même, comme peuvent l’être les réseaux lefebvristes, mais il produit de l’intégrisme et peut, à ce titre, figurer dans l’analyse. Le concept d’Intégrisme recouvre ainsi l’ensemble des phénomènes et des pratiques qui ont au moins des « effets secondaires » dits intégristes sans nécessairement s’incarner dans un groupe ou une institution dont la vocation affirmée serait « intégriste ».

L’Intégrisme de Caroline Fourest et Fiammetta Venner est une notion non-historique. Incarnation du mal absolu, immuable, il serait une substance homogène, imperméable à l’histoire, au politique, au particulier, à l’événement. L’intégrisme musulman, pour y revenir, serait la forme pure de l’Intégrisme, son incarnation non-altérée par les « aggiornamento » qu’aurait subi les autres religions, non-affaiblies par la sécularisation et les « contre-pouvoirs » établis par les sociétés démocratiques. Cet intégrisme musulman absolutisé serait Un de « la crise de succession de 656 » à nos jours, de Ben Laden ou Omar Bakri, leader londonien d’Al Muhajiroun, à Tariq Ramadan. Ou, plus exactement, ce dernier ne serait qu’une des formes dont se revêtirait l’Intégrisme éternel dont l’idéal-type semble être Omar Bakri, constamment cité, comme modèle, tout au long de l’ouvrage, alors qu’il représente une des tendances extrêmes de l’islam politique. Dans l’esprit des auteures, cet Intégrisme est naturellement « terroriste », puisque le Jihad, avoué ou masqué, constitue le cadre de son action. Il est d’autant plus dangereux d’ailleurs lorsqu’il se présente sous la forme de la modération et de l’adaptation aux régimes politiques en place. « Olivier Roy note, écrivent les deux auteures, que de nombreux islamistes feignent de délaisser leurs ambitions de Jihad international au profit de centres d’intérêts plus pragmatiques et plus nationaux »(344, CMQS). J’ai souligné le verbe feindre car je serais bien surpris qu’il exprime la pensée d’Olivier Roy. Selon Fourest et Venner, en tous les cas, le renoncement au « Jihad international » ne serait qu’un « stratagème » pour se « démarginaliser » et renforcer leur « emprise juridique ». La stratégie hypocrite des prétendus islamistes modérés serait particulièrement payante : « Résultat, ils n’ont jamais eu autant d’impact juridique. (…) Résultat, loin de s’effondrer, les partis islamistes se font une cure de jouvence depuis le 11 septembre »(344) [2].

A cet Intégrisme métaphysique, très large et très extensible, s’oppose une Laïcité, valeur suprême, à la fois très étroite et très extensible. Très étroite, parce que la seule laïcité réelle, effective, quoique non sans limites, serait la laïcité française élevée au rang de modèle. Extensible car elle est censée inclure une multitude de valeurs positives (la démocratie, la libertés de choix, l’égalité des sexes, la justice, etc.) et très extensible car, finalement, elle existe même si aucune de ces valeurs n’est respectée, pourvu que la religion soit juridiquement écartée de l’Etat. Elle pourrait inclure ainsi tous les Etats qui s’en réclament dans leur Constitution, quelle qu’en soit la réalité pratique. Laïques la France, les Etats-Unis, les autres pays européens, la Turquie, l’Iran du Shah. Israël est également caractérisé comme un Etat laïc. Ce qui n’empêchent pas Fourest et Venner d’écrire : « L’emprise religieuse a saisi l’Etat d’Israël dès sa naissance. »(299) « La pression mise, dès le départ par les orthodoxes explique en tout cas pourquoi Israël n’a jamais pu se doter d’une Constitution civile ; ce qui aurait nuit à leur emprise. »(300) Ou encore : « En 1953, sur leur insistance (aux religieux), une loi fut même votée pour élargir la juridiction des tribunaux rabbiniques en matière de mariage et de divorce. Ce qui est le signe flagrant d’une faille dans la laïcité affichée d’Israël est aussi le lieu où les Juifs religieux ont imposé leur pouvoir sur leurs concitoyens. En l’absence d’une Constitution garantissant à chaque citoyen une égalité de traitement, Israël fonctionne comme le Liban où n’importe quel pays non modernisé de l’ex-Empire ottoman. Chaque citoyen dépend de son culte pour tout ce qui est relatif à sa vie civile. »(300)

Cette conception étroite et large à la fois de la laïcité peut sembler confuse et discutable ; son avantage réside cependant dans la conclusion à laquelle elle va permettre d’aboutir en terme de perspectives stratégiques.

L’islam n’est pas en cause mais les musulmans, si !

Fourest et Venner le disent et le redisent : ce n’est pas l’islam en tant que religion qui est en cause. Les trois religions monothéistes dérivent les unes des autres ; elles n’aiment pas les femmes et les homosexuel(le)s, condamnent l’avortement et détestent la démocratie. Elles ne sont pas Pro-choix. Les textes autorisent cependant des interprétations diverses qui permettent d’accéder à la modernité laïque. Ainsi l’islam littéral, abstrait, n’est pas responsable de l’absence de démocratie dans les pays musulmans, nous rassurent les deux auteures de Tirs croisés. Il existe, en effet, une sourate qui souligne la nécessité de la « délibération » pour les affaires de la cité. « Un jour sans doute[3], les musulmans redécouvriront massivement la sourate de la délibération et en feront le point de départ d’un islam laïc. Malheureusement, pour l’instant, le sens de l’Histoire n’a guère joué en faveur des partisans de cet aggiornamento. »(318) Les « musulmans libéraux » restent pour l’instant très minoritaires[4] et l’Islam n’a pas encore fait son « aggiornamento » comme la chrétienté. La conception réactionnaire de l’Islam reste donc dominante dans le monde arabo-musulman (également absolutisé). Même si les partis intégristes ne sont pas (encore ?) partout au pouvoir, là où il y a Islam, l’Intégrisme – actif ou dormant – est dominant. Cette thèse traverse tout le livre et quoique puissent prétendre les deux auteures, cela signifie bien que l’islam – qui comme toute autre croyance n’existe que par son interprétation -, l’islam hégémonique, non pas l’Islam minoritaire des musulmans libéraux mais l’islam tel qu’il est majoritairement interprété, vécu et pratiqué est bien responsable de l’intégrisme musulman ou à tout le moins d’ « effets secondaires » intégristes. Et cet islam réellement existant, ce sont également les populations musulmanes « fanatisées »[5].

Les populations des pays arabes (et musulmans en général) sont, en effet, présentées comme particulièrement prédisposées à accueillir des interprétations intégristes de l’Islam. Cette affinité remonterait très loin dans l’histoire. Elle s’expliquerait par la faillite de la civilisation musulmane face aux progrès de la civilisation occidentale (judéo-chrétienne). Les musulmans ne parviendraient toujours pas à surmonter la « première vraie crise de succession ayant déchiré l’islam »(319) en 656. « Cet épisode, nous précisent Fourest et Venner, marquera à jamais la pratique politique au nom de l’islam. Elle génère notamment la théorie d’un califat sunnite nécessairement autoritaire, comme si la coercition était le seul moyen d’éviter un nouveau risque de division. »(319) Voilà donc l’origine de l’autoritarisme politique et de l’intégrisme dans les sociétés musulmanes jusqu’à nos jours. « C’est à la lisière de ce traumatisme qu’il faut lire la révolte des sociétés arabo-musulmanes vis-à-vis de l’Occident et le retard que cette opposition, bien compréhensible, leur a coûté. »(323) Le rejet de l’Occident sert de « prétexte » pour masquer ses propres échecs (mais pourquoi alors ce paternaliste « bien compréhensible » ?).

Pour surmonter le traumatisme historique de 656, les musulmans auraient ainsi privilégié une stratégie de l’évitement : ils se sont réfugiés, d’une part, dans le mythe d’un retour à l’âge d’Or de l’islam en expliquant leur décadence et leurs divisions par la trahison des préceptes originels et sacrés de leur religion ; d’autre part, ils ont fait porter la responsabilité de leurs faiblesses à un Occident triomphant et à ses valeurs. Ces convictions, toujours profondément enracinées dans l’esprit des peuples musulmans, détermineraient ainsi une sorte d’affinité élective avec l’intégrisme. La colonisation serait à interpréter avec la même grille. Ce que semblent lui reprocher Fourest et Venner, c’est d’avoir été un prétexte supplémentaire à l’extension de l’islamisme. La colonisation « peut se vanter d’avoir fait grossir les franges des réformistes fondamentalistes au détriment des réformistes sécularistes parmi les couches musulmanes les plus populaires du monde entier ( ??? SK). L’unité des croyants n’étaient plus qu’une illusion depuis longtemps, mais la colonisation a révélé ce processus et a endossé le rôle du diviseur. En conséquence de quoi, elle a permis aux fondamentalistes d’apparaître comme des rassembleurs. »(CMQS, 325) « Un autre de ses cadeaux empoisonnés pourrait être d’avoir rendu le monde arabo-musulman allergique au rationalisme. Le fait que ce rationalisme soit à la base des innovations techniques et commerciales ayant permis à l’Occident d’asseoir sa domination sur l’Empire ottoman en a fait des valeurs « maudites » – que l’on peut facilement présenter comme le symptôme de la civilisation ennemie. »(CMQS, 325)

L’absence de démocratie serait de même inhérente à la civilisation arabe et musulmane : « la colonisation n’est pas directement responsable du manque de démocratisation qui existait avant elle et qui lui survivra dans les pays musulmans. » Il n’existe donc pas de solution de continuité entre les régimes politiques antérieures à la colonisation et ceux qui lui ont succédé. Loin de moi l’idée d’expliquer les dictatures post-coloniales par les seuls facteurs extérieurs mais la déstructuration socio-politique, la subordination et le réaménagement des systèmes économiques, les transferts de richesses en faveur des pays coloniaux, l’oppression culturelle, les massacres de populations, la répression des mouvements de libération, les guerres terribles et meurtrières qu’ont connus de nombreux pays colonisés pour retrouver leur indépendance, tout cela serait sans liens avec l’autoritarisme qui a caractérisé les Etats post-coloniaux !

La colonisation n’aurait été, nous suggèrent encore Fourest et Venner, qu’une parenthèse sans incidences négatives sur les colonies sinon involontaires, des sortes d’effets pervers nés de malentendus et de « cadeaux » mal reçus. Le principal tord de la colonisation aurait été d’avoir donné de nouveaux prétextes à l’intégrisme. La recherche d’alibis et de prétextes est, de manière assez symptomatique, une des explications privilégiée que nous donne Tirs croisés à propos des luttes anti-coloniales, anti-impérialistes ou anti-sionistes. « Par delà la seule question palestinienne, le mythe d’un califat restauré (…) permet à l’islamisme de rallier tous ceux qui, du Proche-Orient jusqu’en France, veulent croire que leurs frustrations quotidiennes ne dépendent pas d’eux mais des autres. Quels autres ? L’Occident, l’Amérique, les Juifs.. Tous ceux qui, en menant une politique colonialiste ou impérialiste, peuvent ressusciter, par opposition, l’unité des croyants. »(382) On pourrait multiplier les citations. La colonisation, l’impérialisme, Israël n’ont de responsabilités qu’en tant que révélateurs et ne sont finalement que des « boucs émissaires »[6]. Ils mettent les musulmans face à leurs propres déficiences. « La colonisation a révélé ce processus et a endossé le rôle du diviseur ». En ce qui concerne la « rationalité », la colonisation a voulu en faire « cadeaux » aux musulmans mais le cadeaux était sans doute empoisonné. Il « pourrait » avoir « rendu le monde arabo-musulman allergique au rationalisme ». Mais il se pourrait aussi que cela ne soit pas de son fait. La cause principale de l’absence de démocratie et du sous-développement économique serait dans le rejet intégriste du « rationalisme » qui est « à la base des innovations techniques et commerciales ayant permis à l’Occident d’asseoir sa domination. » « Le manque de développement de certains pays arabes et/ou musulmans est à mettre en relation avec leur incapacité au sécularisme. Ces deux phénomènes s’auto-entretiennent. »(336) « Par refus de l’hégémonie occidentale, les seuls mouvements sociaux réellement populaires ne sont pas guidés par l’esprit des Lumières mais puisent leur radicalité dans le fondamentalisme musulman, quitte à entretenir l’archaïsme et le sous-développement ayant permis à l’Occident d’asseoir son hégémonie sur l’Orient. »(339).

Peu nous importe, ici, le caractère tout à fait fantaisiste de toutes ces affirmations qui dénotent d’un mépris certains pour la réalité historique comme pour le présent politique[7], le plus grave est ailleurs. Fourest et Venner peuvent répéter à l’envie qu’elles ne partagent pas la thèse du choc des civilisations, ce rejet reste néanmoins tout à fait formel. C’est bien « le monde arabo-musulman » qui est « allergique au rationalisme » et est incapable de résister aux sirènes de l’intégrisme.

Le formidable ascendant de l’intégrisme sur les population musulmane serait dû également à la politique des Etats qui refusent de proclamer la laïcité dans leur Droit et continuent de s’appuyer sur la Charia. Les auteures ne prennent pas la peine de nuancer ce jugement en fonction des pays ni de montrer dans quelle mesure ce droit est réellement inspiré de la loi islamique. Ce qui leur importe, c’est que, selon elles, à partir du moment où c’est peu ou prou le cas, aux yeux des populations, cela conférerait automatiquement une légitimité supérieure à la Charia et donc aux courants politiques qui en réclament l’application la plus rigoureuse. Premier postulat : « Le seul fait d’agir au nom de la religion dans un pays où le pouvoir temporel est indistinct du pouvoir spirituel rend en effet les intégristes supérieurs aux laïques. En se revendiquant du fondamentalisme, les intégristes apparaissent aux yeux de la population comme légitime dès lors qu’un pays applique des lois vaguement inspirées de la Charia. »(339). Face à la menace intégriste, les Etats, indistinctement, chercheraient à leur couper l’herbe sous les pieds en appliquant plus encore la Charia. Ainsi, même lorsque l’intégrisme organisé est écrasé par la répression, l’intégrisme-substance reste triomphant[8]. « Ces différents régimes ont beau les persécuter par peur d’être renversés, ils ne feront que les renforcer tant qu’ils ne couperont pas définitivement le cordon ombilical reliant le politique au religieux. »(339) Deuxième postulat : les Etats arabes ne sont pas démocratiques ; ils sont corrompus. Par conséquent, la population a tendance à se jeter dans les bras des islamistes, nécessairement légitimes puisqu’ils se réclament de la Charia : « Face au constat sans appel d’un manque cruel de démocratisation et de libertés individuelles dans les pays musulmans, il est tentant de continuer à regarder vers le passé plutôt que vers l’avenir. »(339) On se demande bien pourquoi ? On se pose la même question à propos du troisième postulat : « Face à un pouvoir parfois étouffant (Algérie, Turquie, Tunisie)[9], un mouvement politique souhaitant incarner une alternative peut difficilement faire l’économie de la référence à l’islam. Comment être plus légitime que l’armée si ce n’est en marchant dans les pas du prophète ? »(332)

Toutes ces affirmations, présentées comme autant de truismes, n’ont pas d’autres objets que de souligner l’affinité profonde des peuples musulmans avec l’Intégrisme. L’islam, comme texte, n’est pas plus coupable que les autres religions monothéïstes, soit ! Mais la responsabilité incomberait aux peuples musulmans qui – à de rares exceptions près – s’accrochent contre toute logique à une interprétation intégriste du Coran. Depuis plusieurs siècles, les musulmans seraient les prisonniers consentants de quelques cercles particulièrement vicieux : leur interprétation rigoriste de l’islam fonde l’autoritarisme des régimes politiques sous lesquels ils vivent et pour protester contre ces autoritarismes, ils ne trouvent rien de mieux à faire que d’exiger l’application des préceptes intégristes de l’islam ! Les musulmans souffrent de leurs archaïsmes et d’un « manque de développement » qui ont permis leur domination par l’Occident, mais, au prétexte de protester contre cette domination, ils rejettent les valeurs de cet Occident qui permettraient pourtant de rattraper leur retard ! Bien sûr, Caroline Fourest et Fiammetta Venner ne sont pas Oriana Fallaci ; elles envisagent la possibilité d’un « aggiornamento de l’islam » portée « un jour, sans doute » par les élites musulmanes libérales. Mais leur diagnostic réel affleure à la surface transparente de leur ouvrage commun : les musulmans souffriraient d’une sorte d’atavisme historique qui les condamneraient à générer toujours plus d’intégrisme.

De la « nocivité » supérieure de l’islamisme

« Il serait faux d’affirmer, écrivent les fondatrices de Pro-choix, que l’intégrisme musulman ne présente pas un risque accru. L’islamisme occupe effectivement la pole position chez les intégristes. Il est actuellement le mieux placé pour exercer ses diktats et terroriser ceux qui lui résistent. Mais cette force n’est pas liée à une différence de fond avec ses homologues juif et chrétien. (…) Ce surcroît de nocivité n’a rien à voir avec la religion mais avec l’instrumentalisation de la religion. »(404)

Quelles sont donc les raisons de cette dangerosité accrue de l’islamisme ?

« Le pouvoir de nuisance des intégristes, nous expliquent Fourest et Venner, dépend avant tout des résistances qu’il rencontre. Or, l’intégrisme musulman rencontre moins d’opposition que l’intégrisme juif ou chrétien du seul fait qu’il évolue dans un nombre important de pays où la religion inspire toujours la loi commune, ce qui a pour effet de rendre les islamistes supérieurs aux laïcs, même lorsqu’ils sont persécutés par le régime politique en place. »(404)

Ainsi, « les Israéliennes victimes de persécutions de la part de Juifs orthodoxes savent qu’elles peuvent demander à l’Etat de les protéger. Les femmes victimes du sexisme des intégristes musulmans, elles, n’ont aucun recours. En Arabie Saoudite, l’Etat est leur plus grand ennemi. A la différence de Mea Shéarim ou de Saint Nicolas-du-Chardonnet, qui ne sont que des communautés, l’intégrisme musulman et ses préceptes misogynes exercent une pression directe, sans contre-pouvoirs et par le biais d’un Etat, sur le quotidien des femmes du monde arabe et/ou musulman. Voilà bien l’une des clefs expliquant le surcroît de dangerosité de l’islamisme : il débouche sur une contrainte juridique publique, là où les intégrismes chrétien et juif agissent par le biais d’une contrainte privée. »(80) J’y reviendrais plus loin. D’autres raisons inciteraient également à penser que l’intégrisme musulman est plus dangereux que ses homologues juif et chrétien. Si l’intégrisme musulman n’a pas le monopole de la violence, nous disent les deux auteures, « il est le seul à bénéficier d’un stock de bombes humaines. »(370) Le secret de la constitution de ce stock relève, semble-t-il de la psychanalyse. Le prototype du kamikaze intégriste serait ainsi Zacarias Mouassaoui, impliqué dans l’attentat du 11 septembre et actuellement emprisonné aux Etats-unis. Ce jeune homme -comme les peuples musulmans, nous l’avons vu – « s’imaginant » être en « panne sociale »(378), va trouver dans l’intégrisme une double compensation à son impuissance : « Le seul fait de pouvoir reprendre du pouvoir grâce aux bienfaits de la domination masculine garantie par l’intégrisme musulman est une première forme de rétribution. »(378) Le passage au terrorisme suicidaire nécessite cependant une motivation supplémentaire qu’il va trouver dans la propagande islamiste : « pour pouvoir se constituer un stock de bombes humaines corvéables à merci, les islamistes ont imaginé bien d’autres motivations. Ils ont notamment détourné un Hadith de façon à promettre bien des plaisirs aux kamikazes après leur mort. Non contents de rejoindre Dieu [le Père tout puissant. SK], ils seraient attendus au Paradis par soixante-dix vierges [la Mère, évidemment ! SK] . »(378)

L’intégrisme musulman est d’autant plus dangereux, ajoutent Fourest et Venner, que « son financement, lui aussi, bénéficie d’une absence de garde-fous »(391). Il est donc « susceptible d’être mise au service d’une entreprise terroriste. » Il est vrai, reconnaissent-elles, que les intégristes chrétiens ont beaucoup d’argent mais ils l’investissent honnêtement ; « ils prospèrent grâce aux bienfaits du capitalisme à l’américaine mais même ce capitalisme-là impose que l’on suive certaines règles sous peine de faire peur au marché. » Ce qui n’est pas le cas, nous disent les auteures, de l’islamisme dont les capitaux « ne sont pas dépendants d’une économie nationale mais transnationale, toujours moins régulée. » L’argent « chrétien » est « national » ; il respecte des « règles ». L’argent musulman évolue dans l’opacité de l’économie « transnationale » ; il n’est pas contrôlé ; il est « sale »(392), fruit de « toutes sortes de trafics »(392), drogue et prostitution.

Autre argument : l’intégrisme musulman bénéficie de la complicité d’associations humanitaires, des tiers-mondistes et de l’extrême gauche[10]. « A force de se confondre avec la lutte légitime contre le racisme antiarabes, la lutte contre l’« islamophobie » agit comme un cheval de Troie qui affaiblit la laïcité. »(218) L’extrême gauche a aussi le tord déraper aussi sur un autre terrain, celui d’un anti-sionisme dont la frontière avec l’anti-sémitisme serait particulièrement poreuse. A l’appui de cette thèse, les deux auteures n’ont pas grand chose dans leur besace sinon le « militant d’extrême gauche », Thierry Meyssan auteur de L’effroyable imposture ? , l’avocate Lynne Stewart qui a plaidé en faveur de Cheikh Abdelrahman[11] et des propos anti-sémites tenus à la Conférence de Durban, sans qu’on sache trop d’ailleurs par qui. Faute d’arguments plus convaincants, elles ont recours à l’adjectif indéfini « certain » qui permet de généraliser sans le dire : « Une certaine gauche anti-impérialiste lui trouve des circonstances atténuantes. »(à l’antisémitisme. 387) « Organisée en principe sur le thème du racisme, la Conférence mondiale de Durban d’août 2001 restera gravée comme un moment où certains militants d’extrême gauche se sont rapprochés des islamistes au nom de la lutte contre l’américano-sionisme. Lors du discours de Fidel Castro, au forum des ONG, certains activistes ont clairement entendu fuser quelques « kill Jews » à la suite de « Free Palestine. ». »(388) « L’absence de mobilisation contre l’intégrisme musulman se rapproche d’une certaine complicité chez certains militants en lutte contre l’impérialisme et le sionisme. »(389). Le même procédé est utilisé avec les palestiniens : les Protocoles de Sion devenant « la référence d’une certaine contre-culture palestinienne »(385, CMQS).

Mais la principale raison de la dangerosité particulière de l’islamisme serait dans la dépendance des Etats-Unis par rapport au pétrole. « L’islamisme, nous explique Tirs croisés, est assis sur un tas d’or, de « l’or noir », bien sûr »(395) ; ses ressources « proviennent en grande partie des pays du Golfe. »[12] Comment donc les USA qui sont unis à l’Arabie saoudite par un rapport de « dépendance mutuelle » pourraient-ils s’opposer au terrorisme islamique ?[13] En soutenant l’Arabie saoudite, l’Amérique soutient en fait l’islamisme. « Ainsi, concluent les auteures, non seulement la politique américaine, soutenue par la droite religieuse chrétienne, a pour effet d’étendre l’emprise religieuse de l’islam [de l’islam ! SK] mais elle contribue à diffuser un intégrisme sur lequel poussent les terroristes de demain, tel un cercle infernal promettant d’autres 11 septembre. »(399)

Il est vrai que les Etats Unis ont longtemps soutenu les courants islamiques les plus réactionnaires (Taliban, par exemple) et que cette politique, pour être plus sélective, n’appartient pas vraiment au passé. Mais, à l’inverse des auteures de Tirs croisés, il faudrait en déduire la dangerosité ou la nocivité accrue de la politique américaine plutôt que celle de l’intégrisme musulman ! Elles reprochent à Thierry Meyssan d’avoir écrit un livre duquel on « sort avec le sentiment que le gouvernement américain est extrêmement manipulateur et finalement presque plus dangereux que l’islamisme. »(388) Je n’ai pas lu le livre en question et cette conclusion ne me semble guère scandaleuse, mais, surtout, si l’on suit les développements de Tirs croisés, c’est cette même conclusion qui devrait logiquement couronner l’exposé de Fourest et Venner. Malgré ses bombes humaines, son argent sale, ses foules arabo-musulmanes fanatisées et impuissantes, l’islamisme semble bien inoffensif par rapport à la puissance des intégrismes chrétien et juifs, du moins tels qu’elles nous les présentent, influençant la politique des Etats les plus puissants du monde. Or, c’est à l’idée inverse qu’elles aboutissent : « à côté de l’intégrisme musulman, les intégrismes juifs et chrétien donnent l’impression de phénomènes marginaux plutôt flokloriques, en tous cas sans conséquences. »(404) Les fondatrices de Prochoix nous décrivent pourtant un intégrisme chrétien mené par le Vatican et composé de multiples associations de par le monde, plus particulièrement aux Etats Unis. Si le critère décisif de dangerosité est l’existence de « contre-pouvoirs » juridiques ou sociaux susceptibles de s’opposer à l’emprise intégriste, il est difficile, en lisant leurs propres commentaires, d’admettre que les intégrismes chrétien et juif sont moins « nocifs » que l’intégrisme musulman. Tout leur livre, probablement d’ailleurs avec exagération, nous donne, en effet, à voir la puissance de ces « lobbies » chrétien et juif intégristes, non seulement leur ascendant sur les sociétés occidentales et américaines mais surtout leur influence et leur implication directe au niveau des institutions à l’échelle nationale (gouvernement Bush) et internationale (ONU). « Si la droite religieuse américaine devait un jour concrétiser ses projets pour l’Amérique, ce sera sous le règne de George W. Bush. »(275) Celui-ci « bénéficie d’une contexte politique exceptionnel, où la nation américaine n’a jamais été aussi prompte à suivre aveuglément ses dirigeants. Depuis les attentats du 11 septembre, ce gouvernement jouit d’un prétexte inespéré – la guerre préventive au terrorisme » pour prôner l’union nationale et restreindre les libertés publiques. La gauche américaine n’a jamais été aussi soudée derrière un gouvernement républicain. Quant aux associations progressistes, elles sont totalement muselées par une opinion publique et une presse qui ne veulent aucun remous. Le gouvernement Bush peut mener, en toute tranquillité, une politique de régression sociale particulièrement agressive et intégriste à l’intérieur des Etats-Unis, tout en se présentant comme le champion de la lutte contre l’intégrisme au nom d’une vision messianique à l’extérieur. »(281) « Depuis que George W. Bush a été élu président, les Etats-Unis participent activement au front d’opposition moraliste mené par le Vatican mais aussi par l’Arabie Saoudite, le Pakistan, le Nigéria et tous les pays islamiques au nom de la lutte contre l’ « impérialisme occidental » ! Encore aujourd’hui, après le 11 septembre, on retrouve main dans la main les délégués du Saint-Siège, ceux des pays islamiques et les républicains de la droite religieuse américaine. (…) Cette nouvelle ligne dure, désormais majoritaire (à l’ONU), est en passe de faire basculer des années de droits conquis conférence après conférence en matière de lutte contre le sida, les discriminations, de droits des femmes et même de droits des enfants – que les Etats religieux ne jugement pas comme des êtres à part entière mais comme des éléments du droit de la famille. Pour résister à cette conception unanimement moraliste des droits humains, l’Union européenne est bien isolée. »(153) En France même, nous mettent-elles en garde, l’intégrisme chrétien ne doit pas être réduit aux groupes lebvéristes car il est également porté par le Front national, « cette extrême droite qui ne cesse de gagner du terrain »(233)[14]. Ce ne sont là que quelques phrases parmi tant d’autres similaires !

Quant aux intégristes juifs, en Israël, on voit mal également à quels « contre-pouvoirs » ils se heurtent. Leur influence, selon les deux auteures – et je ne les contredirais pas -, est ascendante de même que leur implication directe à tous les niveaux où se prennent et s’appliquent les décisions. « L’avis des extrémistes est devenu incontournable. »(298) « Les extrémistes religieux sont devenus les principaux obstacles à la fin de l’occupation des Territoires. »(310) « Quand bien même les partis religieux ne dépasseraient jamais les 20% de suffrages, leur ombre plane désormais sur tous les pans de la société israélienne. »(299) « Le seul fait qu’ils (les orthodoxes et les ultra-orthodoxes) incarnent le judaïsme dans un pays établi à l’emplacement même de la Terre promise confère aux juifs religieux une force symbolique que n’ont pas les laïcs. A terme, on ne voit pas comment leur emprise pourrait ne pas faire basculer le destin d’Israël. »(294) Là encore, on pourrait citer d’autres phrases tout aussi significatives qui incitent à penser le contraire exactement de ce qu’affirment pourtant Fourest et Venner. Pourquoi donc s’obstinent-elles à dénoncer le surcroît de dangerosité de l’islamisme ? N’est-ce pas là céder à cette même propagande – qu’elles dénoncent pourtant – qui vise à démoniser les populations arabes et musulmanes ?

Un parti-pris pro-israélien

Dans leur « Avant-propos », les deux auteures affirment leur parti-pris laïc ; elles ne prennent pas le risque cependant de reconnaître leur parti-pris en faveur d’Israël, « le seul pays démocratique du Moyen-Orient »(224). Bien évidemment, elles aspirent à la paix et se démarquent de la politique de Sharon. Elles partagent cependant, sans le dire explicitement, de nombreux postulats de la propagande anti-palestinienne. Tout d’abord, comme on l’a noté plus haut, l’idée que la question palestinienne n’est qu’un prétexte, un alibi pour camoufler d’autres enjeux : « le conflit est une aubaine pour théâtraliser une forme d’affrontement entre le Bien et le Mal propre à exporter la colère. »(376) « Pour la majorité des peuples du Machrek et du Maghreb, le fait qu’Israël occupe des territoires en Palestine sert aussi souvent de prétexte pour reporter l’aggiornamento de l’islam à plus tard. C’est en tout cas, l’argument avancé par certains gouvernements dictatoriaux pour refuser la démocratisation de leur pays. »(329)

Les intégristes sont stigmatisés pour leur opposition au processus de paix mais la responsabilité principale de l’échec du processus incomberait aux palestiniens et à la seconde Intifada qui n’aurait pas de légitimité : « Avant que la seconde Intifada ne s’en charge, les intégristes juifs avaient déjà creusé la tombe du processus de paix en appelant à se révolter contre la politique d’Ytzhak Rabin prévoyant le retrait de certaines colonies. »(311, CMQS) Un peu plus loin, elles écrivent que l’assassinat de Rabin « a dramatiquement contrarié le processus de paix, ce qui a servi de prétexte à une seconde Intifada. »(369, CMQS)

De même, l’Autorité palestinienne et Arafat sont rendue directement responsables des actions kamikazes. « Bien que Yasser Arafat dise s’opposer aux opérations suicides, plusieurs religieux officiels de l’Autorité palestinienne approuvent le recours aux bombes humaines » comme le vice-ministre des Cultes de l’Autorité palestinienne, le cheik Youssef Juma Salamah. Dans le droit fil du discours officiel israélien, Fourest et Venner accusent l’Autorité palestinienne de faire la promotion des attentats-suicides dans les écoles : « A force d’élever des générations entières dans le culte du martyr – que ce soit à l’école, en famille ou lors des enterrements – tout en promettant sans cesse une vie de rêve après la mort, l’Autorité palestinienne se trouve de plus en plus confrontée à des phénomènes suicidaires chez les enfants, les premiers à prendre au pied de la lettre cette propagande. »(381). Mais elles vont plus loin encore dans l’amalgame en impliquant également « les Etats arabes » : alors que « le gouvernement israélien peut se vanter de désamorcer les bombes (des intégristes juifs) avant qu’elles n’explosent (…) les Etats arabes et l’Autorité palestinienne ne font pas preuve de la même détermination pour dissuader leurs concitoyens de se transformer en bombes humaines. »(393)[15]

Fourest et Venner prétendent, cependant, à l’impartialité : « Leaders palestiniens et leaders israéliens manipulent leur peuple au gré de leurs besoins politiques », écrivent-elles, semblant ainsi les renvoyer dos-à-dos. Mais c’est pour préciser immédiatement : « les uns comme boucliers humains, les autres comme bombes humaines »(339). Les israéliens manipulent donc pour se défendre, les palestiniens pour commettre des actes terroristes. « Les intégristes juifs, écrivent-elles encore, ne rencontrent aucun encouragement lorsqu’ils se décident à pratiquer le terrorisme »(393) car « l’intérêt d’Israël réside bien dans la colonisation de territoire et non dans l’attaque frontale. » Cette phrase alors que depuis des années Israël combine colonisation et attaque frontale – du terrorisme d’Etat, bien plus efficace que l’éventuel terrorisme juif – laisse perplexe !

On pourrait résumer ainsi le propos de Tirs croisés sur la question : Israël est doublement victime ; victime des palestiniens (peu ou prou intégristes ou manipulés par ceux-ci) et victime de ses propres intégristes juifs lesquels l’obligent à commettre des actes qui nourrissent l’intégrisme le plus nocif, l’intégrisme musulman.[16] C’est un peu alambiqué, certes, mais les auteures retombent toujours sur leurs pieds : le surcroît de dangerosité de l’islamisme.

De quelques régimes « parfois étouffants »

Il est intéressant de se pencher un instant sur la manière dont Caline Fourest et Fiammetta Venner traitent les Etats qui sont connus pour avoir tenter de résoudre par la violence le problème islamiste. Les auteures de Tirs croisés, on l’a vu plus haut, semblent dénoncer cette méthode pour son inefficacité : même quand ils sont persécutés, les intégristes sont les plus forts, nous préviennent-elles. La laïcité imposée par en haut risque, de même, nous disent-elles, d’alimenter un regain d’intégrisme en retour. C’est la leçon qu’elles tirent de l’expérience du Shah d’Iran et de Kamel Attatürk. Ceux-ci semblent, cependant traités de manière plutôt complaisante par les deux auteures, sans hostilité en tous les cas. Mais peut-être suis-je moi-même victime de mon impartialité. Au demeurant, j’ai également perçu une certaine complaisance à l’égard du pouvoir Benaliste en Tunisie et de l’armée algérienne. La Tunisie, avec l’Egypte et la Turquie, seraient des « démocraties officielles tenues d’une main de fer par l’armée »(330). Précisons pour commencer qu’en Tunisie, l’armée n’a qu’un rôle secondaire. Mais passons. Pourquoi donc employer cette formule ambiguë alors que, pour d’autres pays, Fourest et Venner n’hésitent pas à parler de dictature ? Serait-ce parce qu’elles considèrent qu’en Tunisie « les mouvements islamistes menacent toujours un processus timide de modernisation »(329) ? De l’Algérie, on ne saura pas grand chose non plus sinon que, comme la Turquie et la Tunisie : « ces pays sont loin de vivre sous un régime totalitaire, mais ils ont en commun de subir l’autoritarisme de l’armée. »(332). La volonté de relativiser l’autoritarisme du pouvoir en place me paraît confirmée par l’adhésion des auteures de Tirs croisés aux thèses de l’état-major algérien : en Algérie « le FIS et le GIA terrorisent la population »(329). « C’est aussi cet appel à la rupture radicale qui guide des mouvements comme le FIS puis le GIA (…) au point de faire basculer l’Algérie dans la guerre civile. »(332) Quant à leur référence démocratique et laïque, elle n’est autre que Khalida Messaoudi, ministre d’un gouvernement contrôlé par l’armée et actuellement conseillère de Bouteflika !

Parmi les complicités dont bénéficierait l’islamisme, Fourest et Venner évoquent celui de l’association Reporters sans frontières : « Reconnu pour son action au service de la presse, Reporters sans frontières n’hésite pas à soutenir officiellement des journalistes « de tendance islamiste » au nom d’une liberté de la presse qui ne devrait connaître aucune frontière, pas même celle de l’incitation à la haine. Depuis septembre 2001, l’organisation a choisi de parrainer une émission sur la chaîne de télévision Al Mustakillah, tenue par un fondamentaliste musulman, Mohamed El Hachmi, un disciple du Soudanais al-Tourabi. Son émission phare – « Le Grand Maghreb » – fustige régulièrement la démocratie et répète à qui veut l’entendre que l’antisémitisme n’existe que dans les pays européens. El Hachmi est peut-être un journaliste tunisien persécuté pour ses opinions mais ce qu’il reproche essentiellement à l’Etat tunisien, c’est de ne pas appliquer la Charia ! »(213)

Il n’y a pas grand chose de vrai dans ce paragraphe qui reprend les termes de la propagande benaliste. Mohamed el Hachmi el Hamdi a été effectivement membre du parti islamiste tunisien Ennahdha dont il s’est séparé il y a bien longtemps pour soutenir Ben Ali avant de se brouiller avec celui-ci pour des raisons tout à fait obscures qui n’ont rien à voir avec l’application de la Charia, puis de s’en rapprocher à nouveau pour des raisons encore plus obscures. Durant sa brève période dissidente, sa chaîne de télévision Al Mustakillah n’a aucunement fait office de porte-parole de l’islamisme tunisien, mais a donné au contraire aux démocrates tunisiens, toute tendance confondue, l’occasion de s’exprimer longuement. El Hamdi n’est certainement pas un ange bourré de scrupules ni un personnage auquel il faut accorder sa confiance mais, durant un temps, sa chaîne de télévision a permis à la population tunisienne d’entendre la voix de l’opposition démocratique[17]. Je me doute bien que ces précisions ne feront pas changer d’avis les auteures de Tirs croisés qui y verront la preuve de la collusion de « certains » démocrates avec l’islamisme. Je vais donc m’empresser d’apporter de l’eau à leur moulin : RSF défend effectivement, et à juste titre, des journalistes tunisiens islamistes[18]. Ces derniers sont défendus également par d’autres associations comme la FIDH et Amnesty internationale qui les considèrent comme des prisonniers d’opinion. J’ignore où Fourest et Venner ont déniché l’information selon lesquels ils seraient coupables « d’incitation à la haine » ; ce qui est certain, par contre, c’est que ces journalistes sont emprisonnés depuis de nombreuses années après avoir subi les pires tortures. Ils ont été jugés, dans des conditions inéquitables, par une justice directement instrumentalisée par le ministère de l’Intérieur et sur la base de lois tout à fait liberticides. Depuis 1990, des milliers de personnes ont été victimes des mêmes pratiques. Plus de 600 personnes, islamistes ou présumés tels, sont encore détenus dans d’effroyables conditions, certains depuis plus de 13 ans. La quasi-totalité des démocrates tunisiens revendique aujourd’hui la libération de tous les prisonniers politiques, indépendamment de leurs opinions. La défense de la laïcité supposerait-t-elle qu’on garde le silence à leur propos ? Faudrait-il les considérer comme autant de terroristes potentiels à mettre hors d’état de nuire par tous les moyens ? En dehors du commentaire qu’elles font sur l’action de RSF, Caroline Fourest et Fiammetta Venner nous expriment encore plus clairement leur position à travers le récit des mésaventures de la mère des frères Moussaoui : « Il faut noter le cynisme de cette histoire – celle d’une jeune marocaine qui rêvait d’élever ses enfants dans un climat laïc non sexiste et qui se retrouve piégée par une autre jeune Marocaine, tout aussi révoltée mais islamiste celle-là. En l’accueillant à bras ouvert, malgré ses moyens modestes, en la soustrayant à la répression d’Hassan II, Aïcha el-Wafi voit toute son éducation mises à sac et ses deux fils lui échapper. S’il existe une victime dans ce gâchis, c’est bien la mère de Zacarias et non son fils. »(375). La parabole est claire : les laïcs doivent laisser les islamistes se dépêtrer avec leurs bourreaux sous peine d’en être les victimes ![19]

L’Occident laïc assiégé

Déceler de la complaisance vis-à-vis de l’armée algérienne ou de Ben Ali alors que Caroline Fourest et Fiammetta Venner soulignent explicitement l’autoritarisme de ces régimes n’est-ce pas leur faire un mauvais procès, couper les cheveux en quatre, s’arrêter sur des nuances qui en réalité n’existent pas ? Je ne le crois pas. Car, indépendamment d’autres questions qu’elles n’évoquent pas comme cette ligne de front pourtant centrale entre ceux qui profitent du néo-libéralisme et ceux qui en subissent les effets désastreux, la perspective stratégique énoncée paraît d’autant plus inquiétante qu’elle reste floue sur bien des questions. « La véritable ligne de fracture, écrivent les deux auteures, se situe entre démocrates et théocrates de tous les pays, entre les partisans d’un monde rationaliste et les partisans d’un monde fanatique »(407) « Il est urgent, ajoutent-elles, de construire un mouvement laïque transculturel qui puisse faire reculer l’intégrisme où qu’il se trouve. »(409) Quelles sont donc les forces censées se positionner de part et d’autre de cette fracture ? « Avoir le même ennemi, c’est déjà faire partie du même camp »(401), nous disent-elles, dans une phrase qui rappelle cette autre tout aussi contestable : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Qui sont donc les ennemis des ennemis des laïcs ? L’armée algérienne est-elle l’ennemi des ennemis des laïcs ? L’Etat d’Israël est-il l’ennemi des ennemis des laïcs ? Le gouvernement Bush est-il l’ennemi des ennemis des laïcs ? Tous les intégrismes sont haïssables mais l’intégrisme musulman est bien plus dangereux, écrivent-elles en substance. N’y a-t-il pas, ici, comme une opposition implicite entre « contradiction principale » et « contradiction secondaire » ou encore, dans le vieux langage des maoïstes, « contradiction antagonique » et « contradiction non antagonique » ?

Je ne crois pas trop extrapoler en présentant ainsi la configuration des deux « camps » rationaliste et fanatique : la seule véritable laïcité est la laïcité française qui souffre d’être unique : « A l’échelle du monde, elle reste pourtant une exception cernée de toutes parts par l’adversité. »(411) Dans cette situation apocalyptique, ce serait à la France de retrouver le sens de sa mission et de se battre pour le redressement du monde et pour la laïcité. En premier lieu, en résistant à son principal adversaire intérieur, l’intégrisme islamique et, en second lieu, en s’opposant au principal adversaire de la laïcité au niveau mondial, l’intégrisme islamique, bien sûr. Autour de la France, l’Europe. Sa laïcité est douteuse : « la fermeté laïque n’est pas du tout le modèle majoritaire au sein de l’Union européenne élargie. »(224) Mais elle reste « la seule voix susceptible d’introduire un peu de rationalisme dans le jeu international ». Troisième cercle, les Etats à la laïcité « molle », sans autre contenu que la liberté de conscience, mais dont le mode démocratique de gouvernement constitue un contre-feu à une influence intégriste néanmoins croissante. Dans ce troisième cercle, figurent sans doute les USA[20] et Israël. Quatrième cercle, les Etats qui s’affirment juridiquement comme laïcs (la Turquie par exemple) ou qui chemineraient dans le sens de la modernisation sans être des démocraties ni vraiment des dictatures (l’Algérie ? la Tunisie ?). Face à cette alliance des laïcs : le camp des intégristes. Les uns, dont on peut contenir l’influence néfaste grâce aux mécanismes de la laïcité, ce sont les intégrismes chrétien et juif, l’autre, l’islamique, que rien ne retient et qui représente une tendance profonde et active de la population des pays arabo-musulmans.

Dans cette perspective, l’opposition du rationalisme et du fanatisme, dans la version Fourest/Venner, ne serait qu’une autre manière de dire l’opposition de l’Occident et du monde arabo-musulman. Ça y ressemblerait fort à tout le moins.

Notes :

[1] Paris, Calman-lévy, octobre 2003.

[2] Parmi les exemples cités à l’appui de cette thèse, le Parti de la justice et du développement, au pouvoir en Turquie. Curieusement, ailleurs dans leur livre, elles semblent pourtant nuancer leur jugement le concernant :

-  « Le fait que le parti islamiste au pouvoir en Turquie doive se justifier et se positionne dans le sillage des démocrates chrétiens n’est pas anodin, cela confirme combien une Constitution laïque sert à contenir l’intégrisme, même si elle ne peut être totalement efficace tant qu’elle n’est pas accompagnée d’une réelle démocratisation. »(235)

-  « Pour être entendus, ces islamistes ont dû toutefois considérablement policer leur discours et promettre de respecter la laïcité avant d’accéder au pouvoir en 2003 sous la bannière du Parti de la Justice et du Développement. Un parti que l’on présente souvent comme « islamiste modéré ». De fait, les islamistes turcs sont bien différents des intégristes saoudiens ou syriens : ils sont atlantistes, prônent l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne et se présentent même comme l’équivalent des démocrates chrétiens. »(334)

Deux explications à cette relative complaisance me semblent probables. La première renvoie au positionnement atlantiste du PJD et au fait qu’il préserve les traditionnelles bonnes relations de la Turquie avec l’Etat d’Israël. On comprendra mieux cette explication plus loin. La seconde renvoie à l’argument leitmotiv du livre, en l’occurrence que l’inscription constitutionnelle de la laïcité est en soi décisive même si elle demeure fragile en l’absence de démocratie.

[3] Noter la formule « un jour sans doute. » ! En filigranes : dans bien longtemps.

[4] « L’incapacité à évoluer vers la modernité n’est pas le fait de l’islam puisqu’il existe des musulmans suffisamment éclairés pour souhaiter cette évolution. Malheureusement, pour l’instant, ces élites sont encore minoritaires. »(339)

[5] « La première guerre du Golfe, menée suite à une agression irakienne, avait déjà fanatisé le monde arabo-musulman. »(290)

[6] « Tant que la colonisation pouvait encore jouer son rôle de bouc émissaire. »(332). « Non seulement la confrontation avec Israël soude une communauté imaginaire qui a toujours peur de se dissoudre, mais elle fournit l’occasion de fédérer grâce à la technique éprouvée du « bouc émissaire. ». »(383)

[7] Ainsi, le nationalisme arabe n’est évoqué qu’en passant : « En Egypte comme en Algérie, l’islamisme radical n’aurait jamais rencontré un tel écho s’il ne fédérait pas les déçus du nationalisme arabe, dans lequel se sont investis les réformistes sécularistes. »(332) La faillite des nationalismes arabes a incontestablement un rapport avec les progrès de l’islamisme politique mais ce qui est surprenant c’est que l’influence gigantesque du nationalisme arabe, encore aujourd’hui, n’interpelle pas plus les deux auteurs. Il est vrai que cela contredit leur thèse d’un intégrisme séculaire, profondément enraciné dans les populations musulmanes. De ce point de vue, le nationalisme ne serait qu’un accident de l’histoire, une parenthèse vite refermée.

[8] « Or l’emprise juridique de l’islam ne cesse de s’accentuer depuis que les dirigeants de pays musulmans soumis à la pression américaine de l’après-11 septembre croient pouvoir négocier la fin du terrorisme en cédant aux intégristes sur la Charia. » (339) Depuis quelques années, certains dirigeants de pays secoués par l’islamisme sont tentés de négocier une forme de trêve en échange d’un poids accru de la Charia. « Plus ils doivent faire le grand écart entre l’aspiration antiaméricaine de leur population et la demande internationale, plus ils font des concessions sociales aux islamistes. »(340)

[9] Je reviendrais plus bas sur la relative complaisance dont bénéficient ces trois régimes « parfois étouffant ».

[10] « Ce qui renforce encore le sentiment d’un terrorisme bénéficiant de moins de contre-feux et donc d’un potentiel de dangerosité accru ».(390)

[11] L’avocate est d’autant plus coupable qu’elle « fond en larmes » lorsque la condamnation est prononcée et « depuis, elle n’a cessé de lui rendre visite en prison »(390

[12] Ce qui explique que « l’Amérique – le pays qui est sans doute le plus dépendant à l’égard de cette source d’énergie – n’a pas toujours cherché à freiner cet approvisionnement. »(395)

[13] « Cette dépendance mutuelle éclaire toute la complexité d’une guerre déclarée au terrorisme islamiste qui n’a pas la volonté ou la capacité de s’attaquer aux bailleurs de fonds de ce terrorisme. »(396). « L’un des facteurs expliquant le surcroît de dangerosité de l’islamisme tient à cette question : les Etats-Unis ont-ils l’intention ou les moyens de mettre un terme au carburant du terrorisme. Autrement dit, un gouvernement de néo-conservateur américains élu grâce au soutien du lobby pétrolier – mais aussi grâce à celui du lobby intégriste – est-il bien placé pour mener une politique réellement efficace contre ce terrorisme ? »(398)

[14] Significativement, les scores élevés du Front national sont « davantage dû à un vote protestataire qu’à une réelle adhésion à des valeurs intégristes »(234). Qu’un même phénomène puisse expliquer l’influence des islamistes dans certains pays ne les effleurent pas.

[15] Et cette phrase digne d’un café du commerce particulièrement arabophobe : « Pour justifier les attentats suicides, le Hamas explique volontiers qu’il a recours » à ce moyen faute de moyens militaires performants. « Mais pourquoi, plutôt que d’investir leurs pétrodollars en Palestine, les dictateurs arabes et les princes saoudiens préfèrent-ils encourager les Palestiniens à se faire exploser ? »(394)

[16]Je signale aussicette note en basde page particulièrement pernicieuse : « Même s’ils figurent tous les deux parmi les militants antisionistes les plus clairement opposés à l’antisémitisme, Gresh n’intervient pas lorsque Ramadan explique (dans leur livre commun) que, puisque prôner la destruction d’Israël n’est pas tenable, il s’est rallié à la solution d’un Etat gouverné par des juifs, des chrétiens et des musulmans – ce qui revient à peu près au même, ce nouvel Etat devenant juste un pays musulman où Juifs et Chrétiens seraient tolérés. »(201, note 1).

Le premier membre de phrase signifie que la solution proposée par Ramadan (du moins telle qu’elle est rapportée ici) est au fond contradictoire avec le rejet de l’anti-sémitisme. Nul doute que les auteures de Tirs croisés ont dû voir la confirmation de leurs appréhensions dans la récente polémique autour de Ramadan. Alain Gresh qui « n’intervient pas » est donc également suspect. Le reste de la phrase constitue une extrapolation arbitraire. Par ailleurs, transparaît dans cette note le rejet de toute perspective de dé-judaïsation de l’actuel Etat d’Israël, pas seulement sous la forme de sa multiconfessionnalisation mais également, semble-t-il, sous la forme d’une laïcisation véritable, « ce qui revient à peu près au même » que sa « destruction ».

[17] Sur les spécificités de l’islam politique en Tunisie et les caractères propres de la dictature de Ben Ali, je me permets de renvoyer les lecteurs intéressés à mon livre paru en juin dernier : Sadri Khiari, Tunisie. Le délitement de la cité. Coercition, consentement, résistance, Paris, éditions Karthala.

[18] De même que cette association déploie un immense travail pour défendre tous les journalistes indépendants, démocrates ou de gauche persécutés par le régime de Ben Ali.

[19] Rien de plus agaçant que l’instrumentalisation des démocrates arabes ou iranien à laquelle se livrent Fourest et Venner : « Ce sont pourtant des intellectuels arabes et musulmans qui implorent la France de ne pas céder au chantage du voile à l’école. »(218). « Les démocrates arabes et/ou musulmans sont bien placés pour ne pas oublier que la religion peut à tout moment devenir une source inexcusable d’oppression, face à laquelle la laïcité est la seule source d’espoir. Le relativisme culturel paraissant justifier une pratique aussi fondamentaliste que le port du voile ne peut être vu comme une véritable trahison de la part de ces intellectuels espérant le soutien de militants vivant en Occident pour défendre la notion de laïcité. »(219) « Museler la critique de l’Islam, même au nom de l’anti-racisme, apparaît d’autant plus indécent que l’on doit mesurer ce qu’elle coûte aux intellectuels arabes et musulmans vivant sous le joug de l’obscurantisme. Eux qui résistent au fanatisme qui défigure leurs pays, étouffe leurs libertés et enserre leurs droits, doivent-ils en plus se battre pour que les intellectuels occidentaux bénéficiant des conforts de la laïcité n’aillent pas les poignarder dans le dos en adoptant les termes, pensés contre eux, par les intégristes ? Pour sauver leur vie et continuer à dénoncer les abus commis au nom de la Charia, certains sont obligés de s’exiler en Occident : doivent-ils craindre qu’on ne leur fasse des procès pour « islamophobie » ? Ce relativisme culturel irresponsable fait incontestablement partie des facteurs affaiblissant les contre-pouvoirs face à l’intégrisme musulman. »(221)

[20] « Aux Etats Unis, où la laïcité n’a jamais été autre chose qu’une neutralité permettant à toutes les religions de coexister. »(224)