Il existe de nombreuses interprétations du saint Coran. Cela suffit à montrer la grande importance de cette éminente Écriture révélée au saint Prophète de l’islam.

Il existe de nombreuses interprétations du saint Coran. Cela suffit à montrer la grande importance de cette éminente Écriture révélée au saint Prophète de l’islam. Le Coran a inspiré des millions de gens à travers la planète et continue à le faire et continuera à le faire aussi longtemps que les êtres humains existeront sur cette planète. De nombreux ennemis de l’islam agressent cette Écriture éminente et tentent de ” prouver “, à leur propre manière, que le Coran vomit la haine contre les non-croyants et impose même qu’ils soient tués, qu’il fournit un système de croyances rigide et même fanatique, et que c’est à cause du Coran que les musulmans ont été des fanatiques et ont répandu tant de sang sur la terre. Malheureusement de nombreux rationalistes, bien que non inspirés par la haine du Coran mais par leur aversion pour la religion, ont souvent produit ces arguments. Dans une conférence de rationalis-tes, plusieurs délégués égyptiens qui se trouvaient être musulmans ont également soulevé de telles objections contre le Coran et ils ont soutenu que ses enseignements sont hostiles aux droits des femmes. On prétend aussi que le Coran impose à tous les croyants de mener le jihad contre les incroyants et de le poursuivre jusqu’à ce qu’ils embrassent l’islam. Beaucoup croient aussi que la révélation s’oppose à la raison et que les déclarations du Coran sont irrationnel-les.

C’est au vu de ces objections et de ces contresens sur le Coran qu’il est nécessaire de développer une méthodo-logie appropriée d’interprétation d’une Écriture d’une importance aussi immense. Une première question importante à cet égard est de savoir s’il peut y avoir une seule sorte d’interprétation. En deuxième lieu, une interprétation particulière du Coran peut-elle être imposée aux générations ultérieures, ou même aux gens de la même génération, quelque éminent que soit l’interprète ? Troisièmement, les compagnons du saint Prophète étaient-ils d’accord sur une interprétation particulière ou une signification de tel verset du Coran ? Dans le cas contraire, pourquoi étaient-ils en désaccord ? Quatrièmement, quel est le rôle des hadîth-s pour interpréter le Coran ? Peut-on comprendre le Coran sans l’aide des hadîth-s ? Et cinquièmement, les interprètes et les commentateurs sont-ils d’accord sur les hadîth-s qui sont employés pour expliquer la signification du Coran ?

Ce sont des questions très cruciales pour développer une méthodologie appropriée d’interprétation du Coran. À ces questions il faut apporter des questions satisfaisantes afin de pouvoir développer une bonne méthodologie. C’est un fait qu’il n’y a jamais eu unanimité entre les différents commentateurs et interprètes du saint Livre. Puisqu’il y a eu des différences, et en plus des différences vitales, entre les différents interprètes et commentateurs, il ne peut être question qu’une interprétation particulière soit imposée à tous les gens d’une époque, et encore moins aux géné-rations ultérieures. Pourtant, il y a des gens qui pensent ainsi. Mais une telle approche, outre qu’elle interfère avec l’interprétation complète du saint Coran, la limite aussi à l’interprétation de quelques individus. Aucune interpréta-tion, aussi importante et marquante puisse-elle être, ne peut être l’interprétation unique. Cela est très fondamental dans l’interprétation des différents aspects des affirmations coraniques.

Tel commentateur peut avoir un point de vue essentiellement théologique, tel autre un point de vue sociologique, un troisième peut le considérer dans une perspective scientifique, etc. Chacun aura une contribution à apporter à partir de sa propre perspective. Il est important de remarquer à cet égard que le Coran utilise des mots qui sont lourds de plusieurs sens, voire le langage symbolique, et non seulement ces symboles et ces mots peuvent être compris de différents points de vue, mais ces mots et symboles dévoilent leur signification nouvelle au cours du temps et des nouvelles expériences. Par conséquent, limiter l’interprétation du Coran à quelques interprètes et commentateurs reviendrait à limiter sérieusement l’envergure de l’Écriture et cela la rendrait pertinente uniquement pour une période du passé, et cette interprétation pourrait ne pas être satisfaisante pour la perspective où se placeraient les générations futures. Nous, musulmans, croyons que le Coran est éternel dans sa pertinence, et pour qu’il le soit les générations futures auront le droit d’interpréter le Coran avec leur propre éclairage, à la lumière de leurs propres expériences et à la lumière des problèmes qu’ils affrontent. Les problèmes et les défis auxquels les musulmans ont eu à faire face dans le passé peuvent ne pas être les mêmes que ceux auxquels sont confrontées les générations présentes. Et donc, pour pouvoir tirer une guidance et une inspiration du Coran, les gens appartenant aux nouvelles générations auront à l’interpréter dans leur propre perspective.

Il est absolument vrai que les hadîth-s jouent un rôle important dans l’interprétation du Coran mais il y a, concernant la littérature des hadîth-s, différents problèmes à régler pour pouvoir jauger son rôle dans l’interprétation du Coran. Le premier problème, et le plus grand, concerne bien entendu l’authenticité des hadîth-s. Il existe des controverses sérieuses au sujet de divers hadîth-s qui sont utilisés dans l’interprétation de différents versets corani-ques. Et ces hadîth-s entraînent des différences cruciales dans l’interprétation des versets du Coran. Ici aussi il y a deux choses qui méritent d’être notées : d’abord, si les versets concernent ce que nous appelons les croyances méta-physiques (al-`aqâ’id) et les `ibâdât (La pratique d’adoration ), de telles controverses n’auront aucun impact social. Mais si ces affaires concer-nent des questions socio-économiques, les lois individuelles et ce que nous appelons les mu`âmalât (Les comportements ), alors l’interprétation de ces versets aura un gros impact social et affectera la vie des gens ici sur terre.

Il existe aussi différents hadîth-s qui sont souvent en conflit avec les affirmations du Coran. En en dérivant les lois de la sharî`a, de nombreux juristes islamiques ont employé de tels hadîth-s. Employer de tels hadîth-s affecte sans aucun doute l’interprétation du Coran. C’est aussi un domaine hautement discutable. Certains savants ont proposé que ces hadîth-s qui sont directement en conflit avec les affirmations du saint Coran ne puissent pas du tout être employés dans l’interprétation du Coran. De tels hadîth-s pourraient ne pas être acceptés du tout, à plus forte raison employés pour interpréter les versets coraniques ou pour formuler les lois de la sharî`a. Cela serait extrêmement utile pour comprendre la signification essentielle des versets du Coran. Ces hadîth-s, au lieu d’être utiles à l’interprétation des versets du Coran, ont provoqué d’intenses controverses.

En second lieu, si l’on étudie les divers commentaires classiques du Coran, on finit par connaître l’ensemble des interprétations différentes de ces versets par les compagnons du saint Prophète. Tabari, le grand commentateurs du Coran, cite diverses interprétations différentes de ces versets par les sahaba al-kirâm (les compagnons du Pro-phète). Il montre l’ampleur des différences parmi les compagnons du Prophète sur divers versets coraniques. Dans certains cas, Tabari a fourni plus de cinquante significations différentes d’un verset, selon la façon dont les compa-gnons du Prophète, ou leurs successeurs, le comprenaient. Le fait est que les compagnons du Prophète venaient de milieux différents et qu’ils avaient aussi des origines sociales différentes. Chacun avait également ses propres capacités intellectuelles et ses propres préjugés sociaux. On faisait aussi référence aux prophètes du passé et aux histoires qui leur étaient associées. Ils interprétaient les versets selon leur milieu social personnel, leurs capacités intellectuelles et leur profil psychologique. Comme nous le savons, ces facteurs jouent un rôle très crucial dans l’interprétation du texte de tous les livres, et encore plus dans le cas des Écritures révélées telles que le saint Coran. Il faut donc considérer l’interprétation des versets par les compagnons du Prophète dans leur propre milieu et nous devons nous abstenir de considérer cette interprétation comme absolue. En fait, beaucoup de gens qui étaient incapables de comprendre les références bibliques dans le Coran, absorbaient tout ce qui leur était dit par les juifs et les chrétiens et utilisaient cette information pour interpréter les versets coraniques correspondants.

Et quand la connaissance des Grecs fut transportée en langue arabe durant la période abbasside et devint disponible pour les gens parlant arabe, elle fut utilisée par de nombreux commentateurs pour interpréter les versets coranique, de la même façon que beaucoup de gens à notre époque essaient d’interpréter les versets coraniques à la lumière des développements contemporains dans le domaine de la science. La croyance que le soleil tourne autour de la terre ou que la terre est plate et non sphérique fut tirée des penseurs et des savants grecs et de l’astronomie de Ptolémée, puis elle devint une ” croyance islamique “. Beaucoup de nos ulémas s’opposèrent vigoureusement à l’idée que la terre était ronde, la considérant comme non islamique et la condamnant comme pure hérésie. La connaissance grecque devint donc sacro-sainte pour ces théologiens et tout ce qui était en contradiction avec elle fut considéré comme hérésie. Aujourd’hui, ces mêmes versets sont interprétées très différemment à la lumière des découvertes scientifiques contemporaines. En fait, beaucoup de scientifiques musulmans citent ces mêmes versets pour prouver que le Coran soutenait que la terre tournait sur elle-même et n’était pas statique. Notre propre système de connaissance et notre contexte intellectuel sont donc très cruciaux pour l’interprétation des versets du Coran. Aucune interprétation particulière des versets du Coran ne peut être privilégiée et tenue pour absolue.

De nouvelles significations de ces versets voient le jour pour nous avec de nouveaux développements. Comme on l’a fait remarquer plus haut, la terminologie coranique est riche et multidimensionnelle et peut produire différentes significations avec plus de développements et d’expériences plus neuves. Ceux qui veulent limiter l’interprétation du Coran aux seuls hadîth-s, même authentiques et incontestables, passent à côté de la richesse du texte coranique et de ses divers niveaux d’interprétation. Le texte religieux est toujours complexe, avec de multiples facettes et de multiples dimensions. Aucune interprétation d’un tel texte ne peut être considérée comme absolue. Si l’on étudie soigneusement les commentaires du Coran écrits durant cette période, il devient évident qu’ils étaient écrits sous l’influence de systèmes de connaissance médiévaux. Pourtant, ces commentaires ne furent pas seulement absolutisés mais il leur fut donné un statut quasi divin par les successeurs de ces commentateurs. Il ne s’agit pourtant pas ici de suggérer que ces commentaires étaient sans importance ou qu’ils ne sont plus pertinents aujourd’hui. Ils le sont à maints égards. Mais quelle que soit leur importance dans l’étude du Coran, il ne peut leur être donné un statut quasi divin.

Une autre chose qu’il faut faire remarquer est que les versets coraniques peuvent se répartir en cinq catégories :

1. Les versets qui concernent les `ibâdat : salât (prière), sawm (jeûne), hajj (pèlerinage), zakat (aumône) et autres pratiques correspondant à cette catégorie,

2. Les versets concernant les mu`âmalât, qui comprennent, entre autres choses, le mariage, le divorce, héritage, la preuve, les affaires, le contrat, les propriétés, l’agriculture, etc.,

3. Les versets relatifs aux croyances métaphysiques telles que l’unicité de Dieu, le Jour du jugement, l’enfer et le paradis, les anges, etc.,

4. Les versets concernant la guidance générale,

5. Les versets qui transmettent les valeurs comme la justice, l’égalité, la véridicité, etc.

Les versets qui concernent les `ibâdat, comme on l’a noté précédemment, peuvent être compris à la lumière des hadîth-s authentiques. Le Prophète lui-même, que les bénédictions et la paix de Dieu soient sur lui, a expliqué com-ment prier, comment accomplir le hajj, les questions relatives au jeûne, etc. Il n’est pas question de ré-interpréter ou de re-penser ces versets. Ils doivent être compris tels qu’ils ont été expliqués par le Prophète. C’est le concept d’adoration et les rituels qui lui sont associés qui font l’unicité d’une religion. Chaque religion a développé son propre système spirituel et ses systèmes de prière, d’adoration, de méditation, etc. Re-penser ces questions, c’est altérer cette unicité et détruire son esthétique spirituelle, si je peux la nommer ainsi.

L’interprétation des versets relatifs aux `ibâ-dat ne peut donc changer. Mais, bien sûr, les différences à cet égard entre les écoles subsisteront. Il existe de nom-breuses différences, parfois même importantes, sur la prière, etc., entre les diverses écoles de jurisprudence au sein de l’islam sunnite (hanafites, shafi`ites, malékites, hanbalites et zahirites) et de l’islam chiite (duodécimains, zaidites, ismaïliens). Ces différences sont restées et resteront aussi dans l’avenir. D’une certaine façon, ces différences dans les pratiques entre les écoles donnent aussi à chaque école son caractère unique et deviennent même des signes de son identité. Ces différences sont également fondées sur des hadîth-s acceptables pour chaque école de pensée. Certaines madhahib (écoles de pensée) acceptent comme authentiques certains hadîth-s alors que d’autres madhahib en acceptent d’autres et doutent de l’authenticité des premiers.

Nous en venons maintenant aux versets concernant les mu`âmalât, qui comprennent, comme on l’a indiqué plus haut, des questions comme le mariage, le divorce, héritage, les affaires, etc. Ici l’idée de repenser est plaidée par les modernistes et leur argument est que repenser est nécessaire au vu des problèmes et des défis émergeants. Par exemple, l’autorisation coranique d’épouser quatre femmes a besoin d’être repensée. Les versets coraniques relatifs à la pluralité des épouses furent compris dans le contexte de l’ethos médiéval et des pratiques arabes dominantes de l’époque. Il est par conséquent nécessaire, selon les modernistes, de repenser ces versets. Les femmes, qui sont devenues beaucoup plus conscientes de leurs droits islamiques, sont également au premier rang de cette demande. On peut en dire de même des versets concernant le divorce. Certains hadîth-s qui sont contraires à l’esprit des versets coraniques concernant le divorce ont été utilisés pour interpréter ces versets et il est donc nécessaire de restaurer l’esprit du Coran quand on réinterprète ces versets ou quand on les applique.

En ce qui concerne la troisième catégorie de versets, ceux concernant les croyances métaphysiques telles que l’unicité de Dieu, le Jour du jugement, le paradis et l’enfer, les anges, etc., ils font partie de ce que nous pouvons appeler `aqâ’id (c’est-à-dire foi et imân). Ces versets aussi, comme ceux appartenant à la première catégorie, sont au-delà de tout changement et se rapportent aux fondements mêmes de la religion. La croyance en l’unicité de Dieu (tawhîd) est le plus fondamental des enseignements islamiques. De même, les croyances en le Jour du jugement, la prophétie et les anges appartiennent aussi aux enseignements fondamentaux de l’islam. La croyance que le Prophète Muhammad, que les bénédictions et la paix de Dieu soient sur lui, est le dernier prophète est aussi très fondamentale pour la croyance islamique et fait partie intégrante des enseignements coraniques. Ces croyances sont au-delà de toute ré-interprétation et doivent être acceptées sans question. Ces croyances font aussi partie de ce qui fait le carac-tère unique de l’islam et le distingue des autres religions. Pourtant, il existe par exemple des différences au sujet de la signification exacte du tawhîd. Le concept mu`tazilite de tawhîd se distingue de celui des autres écoles islamiques. Les acharites diffèrent significativement des mu`tazilites sur l’interprétation du tawhîd. Les mu`tazilites pensent qu’Allâh n’a pas d’attributs (sifât), alors que les acharites soutiennent qu’Allah a des attributs et croient aussi qu’Il a une existence physique avec tous les organes tels que les yeux, les oreilles, les mains, etc. et que les croyants Le verront au Jour du jugement. Ces différences sont fondées sur divers hadîth-s courants à leur époque.

Les ismaïliens qui croient en le ta’wîl (la signification cachée des versets du Coran) ont également une interpré-tation très différente de la nature de la divinité et du tawhîd. Eux aussi croient qu’Allâh n’a pas d’attributs et qu’Il est au-delà de toute compréhension et de tout discours intellectuel et que Son existence peut seulement être affirmée en s’adressant à Lui comme Huwa (c’est-à-dire Lui) et rien de plus. Lui assigner un attribut, c’est s’écarter du concept du vrai tawhîd et cela équivaut au shirk (Lui associer des partenaires). Les ismaïliens soutiennent qu’Il ne peut être décrit comme ” Un ” car Il est au-delà de tout concept de nombre, et Lui attribuer un nombre, c’est Le limiter. Nous ne faisons ici qu’une brève allusion aux croyances ismaïliennes pour montrer combien les différences sont essentielles dans l’interprétation de concepts aussi fondamentaux que le tawhîd. Ces discussions sont, bien sûr, de nature philoso-phique et n’affectent pas la compréhension d’un croyant ordinaire. Mais il n’en reste pas moins que ces différentes interprétations des enseignements fondamentaux de l’islam existent réellement dans le monde islamique. Et il est important de remarquer que ces différences dans l’interprétation des concepts de base de l’islam ne sont pas d’origine récente mais se rapportent à la période classique de l’islam. Ces différences sont apparues particulièrement au début de la période abbasside.

Au début, les gouvernants abbassides soutinrent la théologie mu`tazilite qui s’écartait de façon significative des positions orthodoxes. Il se produisit également une controverse féroce sur la nature du Coran, à savoir s’il était créé ou co-éternel à Dieu. Bien sûr, les mu`tazilites maintenaient que le Coran est créé (ce qui implique que son texte peut-être détruit comme tout autre créature à un certain moment) et les orthodoxes soutenaient qu’il est co-éternel à Dieu (ce qui implique que son texte ne peut jamais être détruit et qu’il existera dans la compagnie de Dieu). Les mu`tazilites, qui sont aussi considérés comme les rationalistes en islam, faisaient partie de l’establishment abbasside et ils persécutèrent les éminents juristes comme l’imam Abu Hanifa qui refusa d’adopter la position mu`tazilite sur la nature créée du Coran. L’imam fut emprisonné et fouetté chaque vendredi après la prière de midi. Dans l’histoire islamique, ce sont donc les rationalistes qui ont persécuté les orthodoxes.

La quatrième catégorie de versets coraniques se rapporte à la guidance générale et à ce qui concerne le fait de répandre le bien (le terme coranique est ma`rûf) et le fait de limiter le mal (le terme coranique est munkar), et elle ne nécessite aucun changement. Ce sont des vérités universelles et ces vérités universelles sont aussi partagées par les autres religions. Bien entendu, l’interprétation de ce qui est ma`rûf et de ce qui est munkar peut varier dans le temps et dans l’espace, et dans cette mesure il peut y avoir des différences d’opinion. Mais il peut y avoir une approche universelle au sujet du ma`rûf et du munkar, c’est-à-dire que ce qui pousse à l’amélioration de la créature de Dieu peut être universellement bien et ce qui le réduit à néant peut être décrit comme universellement mal. Mais à nouveau il peut y avoir des différences entre ce qui encourage et ce qui réduit à néant. Ma`rûf et munkar continueront à être relativisés. Il peut aussi y avoir des différences sectaires entre les musulmans. Par exemple, le mariage mut`a est considéré comme ma`rûf par les chiites duodécimains et comme munkar par les sunnites et les chiites ismaïliens. Mais il existe certaines pratiques munkar, comme manger du porc, boire de l’alcool ou pratiquer les jeux de hasard, sur lesquelles l’unanimité entre toutes les sectes de l’islam est totale. Il n’y a ici pas de problème d’interprétations divergentes.

Les versets coraniques de la cinquième catégorie, ceux qui concernent les valeurs comme la justice, l’égalité, la compassion, la création d’un ordre social juste, etc., sont bien entendus éternels par nature. Le Coran met fortement l’accent sur ces valeurs. On peut dire que ces valeurs sont les plus fondamentales dans l’islam. Ici non plus il n’est pas question de repenser ces valeurs, car ces valeurs sont universelles et éternelles. Il y a eu un accord complet parmi les théologiens et les juristes musulmans sur ces valeurs, et ces valeurs se reflètent dans toutes les formulations théologi-ques et juridiques dans l’islam. Pourtant il peut y avoir, et il y a, des différences sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas , et sur ce qui constitue l’égalité et dans quel sens. Et sur ce que veut dire être compatissant. Par exemple, suffit-il de traiter un esclave de façon juste, ou est-il nécessaire d’émanciper un esclave pour satisfaire l’exigence de justice ? Les penseurs islamiques médiévaux pensaient que traiter un esclave de façon juste répondait à l’exigence de justice, et ils ne trouvaient pas nécessaire d’abolir l’esclavage pour établir la justice. De même, l’interprétation du verset 4 : 129 concernant la façon de traiter les épouses était telle qu’un entretien matériel égal des quatre épouses était considéré comme suffisant pour atteindre l’objectif de justice. Mais les mu`tazilites, qui étaient appelés le parti du tawhîd wa al-`adl (parti de l’unicité divine et de la justice) ne partageaient pas ce point de vue. Leur lecture du verset 4 : 129 dispose qu’un amour égal, outre l’entretien matériel égal, est également nécessaire pour satisfaire l’exigence de justice. Les modernistes ont tendance à être d’accord avec le point de vue mu`tazilite sur cette question et vont même jusqu’à plaider pour l’abolition de la polygamie pour atteindre l’objectif de justice coranique. De la même façon, dans le monde contem-porain, le seul traitement juste des esclaves ne satisfera personne. Seule l’abolition de l’esclavage le peut.

On voit donc que les valeurs pourtant immuables et inabrogeables sont interprétées différemment à différentes périodes de l’histoire. Ce qui apparaît juste aujourd’hui peut ne plus être considéré comme tel demain. Mais ce qui est le plus important, c’est la justice, et non l’interprétation qu’on en fait dans des circonstances données. Par conséquent, l’interprétation que les juristes islamiques font des versets coraniques relatifs à la justice, ou d’autres valeurs similaires, devra changer en fonction de l’ethos de l’époque. C’est un élément important de la méthodologie à utiliser pour comprendre les versets coraniques. En d’autres termes, il doit y avoir un élément de dynamisme dans l’interprétation des versets coraniques. La littérature de hadîth-s réclame également une approche similaire. Même si l’unanimité est complète sur le ha-dîth le plus authentique, cela ne doit pas nous empêcher de découvrir de nouvelles significations ou de nouvelles potentialités d’un verset coranique particulier. Le saint Prophète ne pouvait ignorer les contraintes de sa propre épo-que au regard de certaines pratiques, même si c’était à contrecoeur. Même si personnellement il montra l’exemple en émancipant des esclaves, il ne pouvait pas abolir l’esclavage. L’islam fut probablement la première religion à prêcher l’égalité de tous les êtres humains, à travers la proclamation coranique que tous les enfants d’Adam sont honorés, mais pourtant l’institution de l’esclavage était si profondément ancrée dans la structure sociale de l’époque qu’elle ne pouvait pas être complètement abolie. Mais cela ne signifie pas qu’elle pouvait être perpétuée en citant tel verset coranique ou tel hadîth. Nous devons ici prendre en compte un autre élément important de la méthodologie coranique, qui consiste à placer les versets normatifs au-dessus des versets contextuels. Certains versets coraniques proclament des normes et des valeurs, alors que d’autres autorisent certaines pratiques ou certaines institutions dans un contexte donné. En d’autres termes, les versets normatifs sont plus fondamentaux que les versets contextuels. Les versets normatifs sont éternels dans leur application.

Dans le développement d’une méthodologie d’interprétation correcte du Coran, nous devons toujours avoir à l’esprit que l’islam était plus qu’un ensemble de croyances et de rituels ; c’était la proclamation d’une révolution so-ciale, créant une nouvelle société humaine fondée sur l’égalité, la justice et la dignité humaine. Il croyait qu’il fallait éliminer tout statu quo fondé sur la hiérarchie, la discrimination sur la base de la tribu, de la caste, de la croyance, de la race ou de la nationalité. Il y a une dimension transcendante dans les enseignements islamiques qu’on ne peut jamais ignorer. Mais l’interprétation du Coran dont nous avons héritée est profondément imprégnée de valeurs médiévales. Nous avons donc à faire des efforts pour la délivrer du ” médiévalisme ” tout en reconnaissant bien sûr son impor-tance historique. Nous devons retourner au Coran et aux versets normatifs pour créer un nouvel ordre juste et hu-main dans ce XXIe siècle où nous sommes sur le point d’entrer. La nouvelle méthodologie d’interprétation du Coran devrait nous permettre de secouer l’actuelle structure inéquitable de notre société, devrait nous permettre de transcender notre situation sociale, nous procurer un nouvel espoir et construire un nouveau futur pour l’humanité. Actuellement, nous avons été attrapés dans la toile d’araignée des intérêts liés au statu quo qui ne permettent pas une nouvelle interprétation du texte du Coran. Toute déviance par rapport à l’interprétation initiale ou médiévale du Coran est considérée comme une déviance par rapport aux injonctions divines. Aujourd’hui, pour nous, ces anciens commentaires du Coran ont une inviolabilité plus grande que le Coran lui-même. Puissions-nous comprendre cette vérité le plus tôt possible.