Préface

En Tunisie, plus de mille prisonniers politiques purgent des peines pour appartenance à une organisation non autorisée ou pour des délits non violents, distribution de tracts ou participation à des réunions. Ainsi des opposants réels ou présumés, appartenant à toutes les tendances de l’échiquier politique ont été placés en détention, pour avoir exercée leur droit à la liberté d’_expression. Ils n’ont pas, généralement, droit à un procès équitable. Depuis de nombreuses années, les prisonniers politiques tunisiens sont victimes de traitements inhumains et dégradants, beaucoup d’entre eux depuis plus de dix ans. Les conditions de détention sont déplorables : enfermés dans des cellules surpeuplées, sans relation, où le manque d’installations sanitaires suffisantes favorisent la propagation de la gale et autres maladies de peau, certains forcés de dormir à même le sol en béton, couvertures médicales insuffisantes, voire inexistantes, sous alimentés, autorisés à une douche tous les dix jours, frappés et maltraités par les gardes, placés à l’isolement pour punition, parfois même enchaînés, privés de voir leur famille et leur avocat. Pour protester contre leurs conditions lamentables de détention et dénoncer les mauvais traitements, les détenus observent des grèves de la faim tournantes, mettant ainsi en péril leur santé déjà précaire et se heurtent alors à une recrudescence de la répression. Ils n’ont pas le droit de lire, ni de poursuivre leurs études. Le droit de visite est sévèrement restreint et quand ils voient leur famille ce n’est qu’à travers de deux grillages entre lesquels les surveillants font des rondes. Tout est mis en oeuvre pour leur retirer toute dignité. Les conditions de détention dans les prisons tunisiennes sont en totale contradiction avec les droits de l’homme les plus élémentaires. Bien qu’ayant promulgué une loi régissant l’organisation des prisons, le 14 mai 2001, loi conforme au standard international prévu par les Nations unies, il n’est pas tenu compte, dans l’ensemble, de cette nouvelle loi. Pourtant les articles 17, 18 et 19 de cette loi prévoit un certain nombre de droits pour les détenus, tels que l’accès aux soins gratuits, l’hospitalisation si nécessaire, la visite des familles, la réception de provisions, la fourniture de livres et d’outils d’écriture. De nombreux cas de torture sont recensés ; la police utilise la torture pour arracher des aveux, les gardiens de prison y ont également recours pour punir les prisonniers, enfreignent la convention internationale contre la torture de 1984, ratifiée le 20 octobre 1988 par la Tunisie. Après ces séances de torture les prisonniers sont privés de soins médicaux, y compris après plusieurs années de détention, aussi restent-ils souvent handicapés. Il faut signaler que lorsqu’un détenu est enfin soigné, les proches ne sont pas avertis de son hospitalisation et ne peuvent donc leur rendre visite. Lorsqu’elles décident de porter plainte, les victimes de tortures subissent des pressions de la part des fonctionnaires de l’Etat pour les en dissuader. Beaucoup d’affaires concernant les plaintes pour tortures sont classées sans qu’aucune enquête ne soit menée. Ce rejet des plaintes pour tortures par les autorités tunisiennes revient à accorder une immunité totale aux tortionnaires. D’autre part, les avocats spécialisés dans la défense des droits de l’homme sont victimes de harcèlement, ce qui constitue une atteinte majeur au droit de l’accusé à un procès équitable. Certains détenus politiques subissent un régime d’isolation totale dans les prisons tunisiennes, loin pour la plupart des cas du lieu de résidence de leurs familles, en général depuis leur incarcération, c’est à dire depuis plus de dix ans. Cette situation constitue un acte de torture continue – un traitement inhumain contraire à toute les conventions internationales. Différentes mesures sont utilisées pour exercer une pression sur les proches des prisonniers politiques. Certains sont privés de soins médicaux ou bien rencontrent des difficultés pour trouver un emploie ou le garder, leurs domiciles sont sous surveillance et leurs lignes téléphoniques coupées, les épouses incitées à divorcer. Une fois libérés, des mesures sont prises pour les empêcher de reprendre une vie normale. Plusieurs anciens prisonniers ont été arrêtés de nouveau sans qu’on leur notifie les charges retenues à leur encontre et condamnés à des peines d’emprisonnement – souvent parce qu’ils n’ont pas respecté les mesures de contrôles administratifs qui les obligent à se présenter quotidiennement et même plusieurs fois par jour, pour certains, pendant les heures d’ouverture du poste de police. Plusieurs centaines d’entre eux ont été privés du droit de s’inscrire à l’université et ont perdu leur emploi -surveillés par la police- d’autres sont soumis à un contrôle administratif qui les oblige à obtenir une autorisation avant tout déplacement à l’intérieur du pays. L’ACAT-France, association oecuménique, s’engage aux côtés de tous ceux qui luttent pour l’abolition de la torture – membre de la Fédération Internationale de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ayant statut consultatif auprès des Nations unies, du Conseil de l’Europe et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples), soixante dix groupes ACAT parrainent des prisonniers tunisiens. Ils écrivent au prisonnier à sa prison et soutiennent les familles dans leurs épreuves douloureuses.

Nicole PIGNON-PEGUY,

chargé de pays d’Afrique du Nord, ACAT-France

* * * * *

Avant propos

Un livre contre la violence du déni

Depuis le début des années quatre-vingt-dix et jusqu’à nos jours, la Tunisie a vécu, et vit toujours, sous l’emprise d’une dictature féroce. L’un des signifiants sur lequel se sont conjugués l’horreur, la terreur et les traumatismes a été “le prisonnier”. Mais “les prisonniers” sont d’abord des personnes de chair, de penser et d’histoire. Nous leurs rendons hommage en essayant de transformer, sans doute avec beaucoup d’effort, une expérience négative, qui dure malheureusement encore, en pensée et nous espérons ainsi contribuer à interrompre un silence mortifère et morbide. Nous savons néanmoins qu’il restera toujours une zone impensable et ineffaçable, un trou, un vide mais qui auront eux aussi une place dans nos mémoires et consciences collectives. Mettre au travail cette conscience est l’objet de ce livre afin que la tragédie se termine et afin d’aider peut être à ce que l’Histoire ne se répète pas. Les questions maintes fois posées : que se passe-t-il làbas ? ou même celles auxquelles il était apporté une réponse, ne suffisaient pour transmettre l’horreur ni les caractéristiques précises de ce nouveau-ancien modèle de violence politique. Il fallait que le monde sache ce que les prisonnier ont souffert et ce qu’ils continuent à souffrir, par-delà des caractéristiques singulières, était de l’universel et donc condamnable et inacceptable de tous. Lorsque la violence d’état s’exerce contre une partie de la société civile et quitte a pour objectif l’élimination d’une catégorie de ses citoyens, et quand la machine de répression (violence légitime) gérée par l’institution de la terreur de l’Etat a pour but l’extermination politique, voir physique, préméditée et systématique de tout un mouvement social, la violence de l’action meurtrière s’accroît de la violence du déni, de l’effacement du meurtre, car le meurtre politique vise l’exclusion de la cible du champ de la mémoire collective. L’effacement du meurtre collectif et de la violence d’Etat sape et atteint pour le détruire le socle de la mémoire et de la transmission. Ce qui est effacé comme n’ayant pas eu lieu, n’a pas de lieu où s’inscrire pour être pensé, et pour articuler le cours des histoires individuelles avec le cours de l’Histoire collective. Et c’est ainsi qu’une partie de la mémoire est effacée, mais cet effacement de la partie n’est que le prélude à l’émiettement du tout. On peut dire aujourd’hui que le prisonnier est le signifiant de la violence d’Etat en Tunisie. Mais il faut préciser qu’il s’agit aussi d’un signifiant maintenu contre le déni et l’effacement du symbolique. En refusant d’être interdit de conscience et de mémoire, en maintenant ouverte la question des prisonniers, on se fait symboliquement et réellement porteurs du refus de rejeter les prisonniers hors du symbolique de la patrie, de les encrypter dans une autre généalogie de la violence et de se faire complice du meurtre de la pensée.

Nous parlerons, ou plus exactement les prisonniers parleront, de la terreur, de la torture, des martyres, de l’autoritarisme de l’aliénation… Ce livre rassemble le témoignage et la réflexion de ceux qui ont souffert dans leur existence. Signalons avant de leur céder la parole après plus d’une décennie de silence imposé, que ce livre contient en annexe quelques lettres qui ont pu traverser les murs des prisons, une liste des prisonnières pour ne pas oublier le sort que leur a réservé elles aussi le régime tunisien et un résumé du rapport du CNLT sur les procès de 1992, procès à l’origine de toute cette tragédie, les auteurs y démontent la stratégie du pouvoir pour anéantir un mouvement social et au delà toute tentative de véritable vie politique. La totalité de ce rapport traitant de l’évènement/source de la situation actuelle étant encore de traduction. Solidarité Tunisienne et CDPPT.

Sommaire

Préface 3

Avant propos 7

Introduction 11

L’accueil 23

Les conditions de détention 31

La santé et l’alimentation 45

Les pressions et les sanctions 63

Lire c’est impossible, s’instruire c’est interdit 89

Les mouvements 95

La peine des familles 109

Héros et cependant criminels 121

Annexes 125

Introduction

Au Nom de Dieu Clément et Miséricordieux “Serait-il exagéré d’affirmer que ce qu’ont subi les islamistes en Tunisie n’est rien d’autre qu’une opération d’épuration… idéologique ?” Les prisonniers Ceci est un témoignage de reconnaissance à l’égard de ceux qui ont passé leur vie brandissant le drapeau du combat sincère afin que triomphent leurs principes et leurs idées.

C’est un témoignage de confirmation et de renouvellement de promesses émanant de ceux qui n’abdiqueront pas ni derrière les barreaux des prisons de l’injustice ni sous le contrôle vigilant de la police avec ses contraintes sauvages dans une prison d’une superficie de 165 000 km2… la Tunisie ! ! !

C’est un témoignage de reconnaissance à l’égard de ceux qui ont pris part à l’exécution du plan terrifiant mis en place par le parti au pouvoir : le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD) et dont la mise en oeuvre a été confiée à la police, à la justice et aux responsables pénitentiaires : le plan d’éradication d’Ennahda* ! !

L’éradication : tel est le mot clé qui justifie ce qui l’avait précédé et explique la suite.

Ce qu’a vécu le pays depuis “le coup d’Etat électoral” en 1989 ne fut pas une simple aliénation de l’appareil judiciaire en vue d’éliminer un adversaire et de freiner son expansion et son élargissement, mais une opération bien étudiée et bien planifiée pour laquelle les moyens nécessaires ont été mis afin que ses buts aussi bien proclamés que cachés soient atteints. D’ailleurs, tous les abus commis et toutes les violences dont ont été victimes les prisonniers politiques d’Ennahda témoignent de cela, ainsi que toutes les campagnes de liquidation et d’éradication qui nous rappellent les procès d’inquisition. N’est-il pas exagéré d’affirmer que ce qu’ont subi ces prisonniers en Tunisie n’était rien d’autre qu’une opération d’assainissement idéologique ?

L’espace ne nous permet malheureusement pas de décrire dans les moindres détails, afin d’y jeter la lumière, cette politique radicale depuis le 7 novembre et plus particulièrement depuis la falsification des élections législatives du 2 avril 1989.

Ainsi, tous ce que contiendront les témoignages qui suivent constitue la récolte de la dernière décennie noire : des compagnes d’interpellations nocturnes, terrorisation des familles et séquestration de certains d’entre eux pour faire pression sur les réfugiés, tortures sauvages, atteintes à l’honneur des femmes et des âmes humaines innocentes, des procès expéditifs et des jugements fixés préalablement dépassant au total les centaines de siècles. Les longues souffrances subies dans les prisons tunisiennes se rapprochent le plus souvent de ce qu’on exerce dans les casernes et les bagnes que dans des établissements pénitentiaires à vocation correctionnelle. C’est sur cela précisément que se concentrera notre témoignage, dans lequel les auteurs assument l’entière responsabilité de leurs propos, de tout ce qui a trait à mettre en lumière les dépassements et les pratiques excessives de certains responsables pénitentiaires et les crimes de certains d’entre eux.

Ces témoignages émanant de 44 prisonniers d’Ennahda sont représentatifs de la réalité carcérale malgré le fait que le nombre d’islamistes qui ont séjourné dans les prisons tunisiennes au cours de la dernière décennie a atteint largement les 20 000. Il s’agit de description de faits réels et d’évènements authentiques dont certains sont prouvés.

Espérons que les témoignages de ces victimes parviennent à affranchir l’opinion publique des effets de la propagande officielle de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme, d’autant plus que l’amère réalité quotidienne se fait plus convaincante que toutes les pages futiles et fabriquées parlant de réalité fictive.

Qu’est-ce qui pèserait, en effet, le plus dans la balance ? La liste des victimes de la torture et de la barbarie, les martyrs du terrorisme d’Etat organisé et planifié ou bien les chapitres des lois et les principes d’accords et de traités ?

Les observateurs s’étonneront peut-être de ce rapport, le pouvoir n’économise pas un seul jour dans sa guerre contre les membres d’Ennahda…

Cependant, tenant à en apporter les preuves – si tant est qu’elles sont encore nécessaires – nous disons que les lois, malgré leurs lacunes et leurs points d’ombre, ne sont même pas appliquées dès lors qu’il s’agit des membres d’Ennahda. Quant à ce que stipulent les Accords internationaux, ils sont tout simplement bafoués.

Dans ce sens, il faut rappeler que tous les droits des prisonniers auxquels appellent les organisations internationales concernées par la chose ne constituent qu’un rêve dans l’imaginaire du détenu islamiste tunisien. Celui-ci, épuisé par des années de torture, est aujourd’hui complètement démuni et ne dispose plus que de sa volonté, de sa patience et sa foi en la justice de sa cause pour s’opposer au plan de son éradication.

D’ailleurs, ces témoignages démontrent bien que ce qu’ont subi ces détenus n’était pas de simples dépassements aussi cruels soient-ils mais bel et bien l’exécution minutieuse et consciente de ce plan diabolique d’éradication dont ont été chargé les présupposés aux administrations pénitentiaires, et à leur tête l’ancien directeur Ahmed Hajji, qui ont parachevé la basse oeuvre des tortionnaires commencée dans les locaux de la Sûreté.

Ainsi, le traitement qui a été réservé au détenu ne correspondait-il à aucune loi ni coutume pénitentiaire mais à ce qu’ont appelé ses exécutants : des aménagements intérieures qui ne sont en fait qu’une série de pratiques sauvages, non prévues par la loi, visant à anéantir physiquement le détenu et lui ôter toute dignité.

D’ailleurs, il y a certaines formulations concernant son statut qui sont à ce sujet significatives. Le pouvoir lui dénie, à titre d’exemple, la qualité de prisonnier politique afin de le priver de tous les droits auxquels a accès le prisonnier d’opinion, alors que dans le même temps, il n’est pas traité comme un prisonnier ordinaire ou de droit commun. C’est en quelque sorte un prisonnier auquel s’appliquent une série de mesures spéciales d’où sa dénomination de prisonnier “à caractère spécial” dans la mesure où il a subi tous les traitements exceptionnels : de sa traduction devant la cour de Sûreté de l’Etat jusqu’à sa comparution devant le tribunal militaire et l’application à son encontre des nombreuses lois d’exécution.

Ainsi, au commencement du traitement exceptionnel du prisonnier d’Ennahda, il a le privilège d’un accueil particulier au cours duquel il est confronté à diverses formes d’humiliation dont la seule description donne des frissons. Cet accueil lui donne un aperçu sur ce qui l’attend durant son séjour en détention, livré entre les mains de ses gardiens, et dont la vocation est de l’anéantir moralement et physiquement. Ainsi, avant même d’avoir fini de purger sa peine, le prisonnier d’Ennahda devient gangrené par la maladie, anéanti par la douleur si bien qu’aucune activité ni mouvement ne lui seront possibles…

Les terribles conditions de sa détention limitent ainsi ses préoccupations à celle de sa survie quotidienne au sein de cet enfer carcéral où il ne connaît ni la stabilité matérielle ni la paix psychologique. On lui impose de ne pas jouir d’un lit individuel d’où la perturbation permanente de son sommeil et la réduction de ses mouvements. Ajoutées à cela, l’absence totale d’hygiène et les maladies infectieuses qui en découlent. Il subit aussi la fumée de cigarettes de ses co-détenus et le bruit incessant de nuit comme de jour. Aussi, rien dans son alimentation n’est à même de lui rendre plus supportables ses pénibles conditions de détention. Même lorsque son corps lâche et ses maladies se multiplient, il se trouve confronté à une série de négligences, ce qui est de nature à laisser se répandre et s’aggraver ses maux qui ont, par ailleurs, conduit à la mort de nombreux prisonniers (Sahnoun Jouhri, Ezzedine Ben Aïcha, Mabrouk Zren, etc…). A ce sujet, un responsable d’administration pénitentiaire a affirmé : “le but de cela est d’éloigner les membres d’Ennahda de toute activité politique à travers leur destruction physique puisque les peines ne les font pas plier”. Ces paroles trouvent leur concrétisation à travers le refus d’accès aux traitements pour les prisonniers d’Ennahda. A titre d’exemple, la direction de la prison de Mahdia n’accorde au détenu politique d’Ennahda qu’un tiers du traitement indispensable qui lui est prescrit par son médecin.

Après avoir été atteint dans tous ses moyens de résistance visant son corps et son moral, différentes pressions ont été exercées sur le prisonnier d’Ennahda pour l’atteindre psychiquement et psychologiquement. Les pratiques mises en oeuvre pour ce faire dépassent l’imagination.

Ainsi, le prisonnier a été victime d’une politique de vengeance qui a envahit tout son quotidien pénitencier, le transformant en enfer carcéral, lui reprochant d’avoir peut être dépassé l’étape du ministère de l’intérieur et son lot de torture, ce qui n’a malheureusement pas été le cas de plusieurs qui ont succombé sous la torture dans les sous sols du ministère de l’intérieur, nous citons entre autres :

Abdelaziz Mahouachi, 26 avril 1991

Abderraouf El-Aribi, 9 mai 1991

Fathi Elkhiyari, août 1991

Fayçal Barakat, 9 octobre 1991

De plus, le prisonnier d’Ennahda est soumis à un siège intellectuel et informationnel ayant pour but de le couper du monde extérieur et de le faire vivre hors du temps, étranger à la réalité, incapable de comprendre et d’analyser, empêché d’agir, privé d’être en contact avec toutes les manifestations quotidiennes de la vie et de la modernité. Ses yeux ne voient, en effet, que les murs et les barreaux et ses oreilles n’entendent que les hurlements de ses ravisseurs et leurs insultes.

Son esprit dépourvu de connaissances et assoiffé d’informations ne connaît pas un meilleur sort que son estomac vide. Lorsque toutes les issues lui paraissent fermées et qu’il sombre dans le pessimisme, il ne peut s’extérioriser qu’en menant des mouvements de protestation et de grèves de la faim pour revendiquer l’amélioration de ses conditions de détention et la fin de l’injustice qui le frappe. C’est alors que son corps en paye le prix du fait de sa propre ténacité et de celui de la férocité de ses tortionnaires.

Mais ses revendications ne s’en trouvent pas satisfaites du fait de sa grève de la faim pendant de nombreux jours voire de nombreuses semaines mettant ainsi sa vie en danger (le prisonnier Ridha Khemiri est décédé après une grève de la faim de plus de 50 jours). Au contraire, la réaction à son acte de protestation n’en sera que des plus violentes, afin de l’acculer à mettre fin à son mouvement ou à sa grève de la faim, usant de la force et du recours à des mesures vindicatives à travers de lourdes et pénibles sanctions comme son éloignement dans des prisons ou des bagnes dans le désert (Rejim Maatoug) dans le sud tunisien.

Citons comme exemple ce qu’ont encouru les prisonniers à Bizerte, Gafsa, Gabès, Sidi Bouzid et Mednine après une grève qui a été suivie dans la majorité des prisons tunisiennes au début du mois de novembre 1996. Les prisonniers traduits devant les juges pour “Regroupement ayant perturbé le bien être général et enfreint l’application de la loi”, ont écopé de peines allant de six mois à deux ans de prison ferme.

Le pouvoir tunisien se distingue pour ne pas se limiter à mener la vie dure à ses prisonniers mais aussi à leurs familles. Ainsi prend-t-il en otages certains membres de la famille des personnes recherchées afin de les obliger à se rendre. On citera à titre d’exemples :

Le cas de l’enfant “Khalid Nouri” ne dépassant pas les neuf ans qui a été arrêté pour obliger sa mère enceinte à révéler la cache de son mari.

Le cas de l’épouse de Salah Dridi qui a été arrêtée et torturée pour pousser son mari à se rendre. La torture lui a causé une hernie discale.

Et même derrière les barreaux, soumis aux pires violences et humiliations, le prisonnier voit sa famille vivre à l’extérieur un état de souffrance similaire.

Ces familles vivent un véritable embargo économique et toute manifestation de solidarité de par leur entourage est sévèrement sanctionnée. Leurs pièces d’identité leurs sont retirés, les passeports sont confisqués et les prestations sociales suspendues : l’épouse de monsieur Mouldi El Aïech, a été privé des soins gratuits. Elle est atteinte de troubles nerveux, son fils souffre de la tuberculose et sa fille d’une cécité unilatérale.

Mais le grand fardeau, ce sont les femmes des prisonniers qui l’ont porté : elles ont souffert des pratiques de l’éloignement de leurs proches dans des prisons distantes de centaines de Kilomètres de leur domicile. Humiliées et réprimandées à chaque visite. Souffrantes dans leurs chaires et honneurs (le directeur de la prison de Bizerte, Chokri Bousrhis, ose même les accuser devant leur mari, de prostitution pour subvenir aux besoins de la famille), elles ont été forcées à divorcer comme le cas de l’épouse du prisonnier Fraj Eljami.

Le calvaire du prisonnier ne s’arrête pas après la purge de la peine, car une autre “manche” l’attend et qui n’est pas moins dure que la première. Il est sous contrôle administratif et sécuritaire permanent, il est empêché par tous les moyens de travailler, il est isolé et coupé de tout lien que se soit, il ne peut voyager, ni même se déplacer à l’intérieur du pays.

Le pouvoir tunisien, suite à plusieurs plaintes et surtout les publications des rapports de plusieurs O.N.G., a fait quelques concessions formelles et temporaires mais rien n’a changé quant à sa politique de fond. Les rares commissions d’enquêtes de même leurs visites aux prisons ont montré la malveillance du pouvoir quant à l’amélioration des conditions de vie des prisonniers :

Des prisonniers ont été entassés dans un camion et ont circulé dans la ville pendant la visite d’une commission d’enquête.

Des prisonniers de droit commun, bien portant, ont été substitué à des prisonniers politiques lors d’une autre visite.

Les numérotations des cellules ont été changées lors d’une visite de représentants de la ligue tunisienne des droits de l’Homme, durant le mois de mai 1992, pourtant la délégation comprenait un avocat qui était un ancien prisonnier et qui connaissait bien l’emplacement et la numérotation des cellules.

Quant à la visite de M. Idriss président d’une nième commission à la prison de Bourj Erroumi, elle a été scandaleuse, car son départ, ce monsieur a donné au directeur de la prison les motions et les plaintes écrites des prisonniers, ce dernier avait les preuves, les sanctions n’ont pas tardés durant la nuit.

Ce témoignage, est une sorte de délivrance pour nous, et en même temps une mise des opinions nationales et internationales devant leur responsabilité. Nous défions quiconque qui mettrait en cause la véracité de ces témoignages y compris les infimes détails.

La loyauté envers ceux qui sont mort dans ce combat pour le droit, la liberté et qui ont payé de leur vie et leur santé, la loyauté envers eux exige et nécessite que ceux qui ont commis ces crimes ne restent pas impunis et au dessus des lois surtout que précisément c’est à eux que revient la tâche d’appliquer la loi. Ils ont trahi leur mission, ils ont commis des crimes contre l’Humanité.

* Un parti politique islamiste modéré interdit par le régime tunisien.

L’Accueil

“… Les prisonniers avaient droit à tout : coups de poings, coups de pieds, coups de matraques et étaient obligés de ramper jusqu’à l’aile D de la prison c’est à dire sur environ deux cent mètres”.

En accueillant un nouveau prisonnier on procède à sa fouille dans le respect de sa dignité et on enregistre ses affaires de même que son inscription au registre d’acceuil, mais depuis 1991, le franchissement de la porte de la prison, vers l’intérieur bien sûr est devenu synonyme d’un pas vers un enfer : portion obligatoire d’un “rite de passage”, fait de violence, d’injures et d’humiliations.

Ce rite n’a pour but que de casser, dès le départ, le prisonnier, et de “ramollir” sa volonté. Après, pense-t-on, tout devient acceptable de sa part.

Ces réceptions d’acceuil sont devenues une tradition dans toutes les prisons tunisiennes. Il y’avait même de la concurrence entre les directeurs de prison.

Et c’est le dénommé Ridha Belhaj Directeur de la prison d’Ennadhour qui a inauguré ces pratiques ignobles en organisant une “réception” au prisonnier Abderrazek Mizgarichou le 10 mars 1991 “le directeur et son adjoint dirigeant les forces d’élite de la prison m’ont entouré et m’ont tabassé. Ils m’ont roué de coup me causant une fracture de la mâchoire inférieure droite qui n’a jamais été traitée jusqu’à nos jours”.

Après ça été le tour de la caravane du 27 mai 1991 à direction de la prison d’Ennadhour venant de la capitale Tunis. Il y avait quatorze prisonniers dont Taha Bagga, Mohamed Bourimla, Abdelghaney Bennour, Hichem Bennour, Chedhli Nakkadi, Mounir Hannechi, Wahid Srayri, Jalel Slouma, Fethi Mechrgui, Ridha Ayonni, Kamel Azizi… Accompagnés de Monsieur Mohamed Atiri inspecteur général des prisons et le colonel Ali Ben Aïssa. A leur arrivée, soixante gardiens étaient à leur réception dirigés par le lieutenant colonel Ridha Belhaj. Il y’avait aussi des chiens avec leur maître.

Le premier acte des gardiens était de couper les ongles des prisonniers mains attachées derrière le dos ce qui a entraîné blessures et enflement des doigts.

Par la suite commence un véritable massacre, les prisonniers avaient droit à tout : coups de poings, coups de pieds, coups de matraques et étaient obligés de ramper jusqu’à l’aile D de la prison c’est à dire sur environ deux cent mètres, une aile qui a été fermée depuis 1988 après une visite de la LTDH.

Les prisonniers ont été dénudés et leurs vêtements brûlés puis rassemblés dans une seule cellule. Vers minuit, le directeur accompagné de quelques gardiens armés, ont fait sortir un des prisonniers et l’ont attaché, dehors, à la fenêtre simulant une exécution du prisonnier.

Le scénario s’est répété durant les deux jours suivant, le directeur et ses gardiens investissent la cellule à partir de six heurs du matin jusqu’à neuf heurs… Puis le directeur dresse son bureau au milieu de l’aire protégée par un parasol et reprend l’enquête avec chacun des prisonniers en buvant son café.

Témoignage du prisonnier Lotfi Snoussi

Date : 13/10/1991

Lieu : Prison de Bourj Erroumi

Le 13/10/1991, j’ai été transféré dans un convoie avec plusieurs prisonniers à la prison de Bourj Erroumi ; A notre arrivée vers midi on a trouvé un homme en tenue civile (on a su après que c’était le directeur Mohamed Zoghlami) avec une force de sécurité des prisons. Les agents étaient armés de matraques et accompagnés de chiens. Dès notre sortie des véhicules de prisons nous fûmes obligés à se mettre à genou sans qu’on nous enlève les menottes et tabassés à coups de matraques et de poings avec des propos orduriers d’humiliations.

Le prisonnier Mohamed Saleh Hadri qui souffrait encore des suites de torture et par impotence ne s’étant pas agenouillé, le directeur l’avait interpellé “tu souffres de quelques choses ?” “Oui, j’ai été torturé” avait répondu le prisonnier, le directeur répondit en criant “Est-ce qu’on torture en Tunisie ? c’est quoi ton crime ?” Le prisonnier n’avait pas fini de prononcer le mot “politique” qu’il avait reçu le coup de poing du directeur sur la figure. Ensuite le directeur s’adressa vers les prisonniers en criant toujours “vous êtes là parce que vous avez volé des poules. Quel est le cri de la poule ?… Allez criez tous Kou, Kou, Kou”.

Nous fûmes encadrés par la suite par les agents de sécurité des deux côtés et nous devions passer entre les deux lignes en criant Kou, Kou, kou… comme les poules. Quelques uns parmi nous s’écroulèrent parfois sous les coups des matraques des agents. Ensuite c’était la parade, dans cette état, dans toute la prison, ça a duré quatre heures… une éternité.

Témoignage du prisonnier Mohamed Kaloui

Date : Le 14 octobre 1991

Lieu : Prison Bourj Erroumi

Le 14 octobre, les gardiens ont fait sortir les prisonniers transférés la veille de la prison civile de Tunis. Les prisonniers avaient été obligés à ramper et imiter la marche et le cri des poules puis ramper sous les coups de matraques et les propos orduriers des gardiens. Le directeur a demandé à connaître les récidivistes, (c’est à dire ceux qui avaient été emprisonnés avant 1987). Il avait ensuite tabassé le prisonnier Ajmi Lourimi. Puis il s’est “rabattu” sur les prisonniers portant des lunettes. Le prisonnier Lamin Zidi avait été violemment giflé que ces oreilles ont éclaté de sang.

Témoignage du prisonnier Sami Ennouri

Au cours de l’année 1992, le gardien Lassaâd Habib, qui est en même temps le gardien de l’équipe de foot des prisons, a agressé un détenu d’Ennahda à la prison du 9 avril à Tunis, à l’aide d’une matraque et avec une telle violence que la victime a perdu conscience. La victime a été atteinte à la colonne vertébrale ce qui l’a rendit paraplégique.

Témoignage du prisonnier Adel Essoufi

Le 7 décembre 1992, j’ai été transféré avec un groupe de détenus d’Ennahda à la prison de Borj Erroumi. A nôtre arrivée, le lieutenant Moez Berrachid commença à nous interroger un à un en nous posant cette même question :quelle est ton affaire ? Et chacun de nous de répondre “affaire politique”. “Dis plutôt un voleur de poules” rétorque le lieutenant. Chaque fois qu’un détenu s’entête à refuser cette version “officielle” des motifs de son incarcération, il reçoit une gifle de la part du lieutenant avant que les gardes ne le prennent en charge pour lui faire subir une panoplie de mauvais traitements. Leur première victime, ce jour là, fut Jamel Ayari.

Témoignage du prisonnier Hichem Jaraya

Date : 14 Février 1993

Lieu : Prison de Bourj Erroumi

Le 14 février, j’ai été transféré, dans un convoie de plusieurs prisonniers, à la prison de Bourj Erroumi. A notre arrivée nous dûmes attendre la fouille longtemps debout, nos affaires éparpillées sur un sol humide parsemé de flaques d’eau. Le prisonnier Jalel Mabrouk ne pouvant plus tenir debout s’était assis sur une grosse pierre près de ses affaires. Le vice directeur lui ordonna tout de suite de se lever. Le prisonnier s’était exécuté en se faisant aider par deux prisonniers (il souffrait d’une incapacité motrice des membres inférieurs des suites de la torture dans les locaux de la sûreté d’Etat). Mais le lieutenant Moez Berrachid s’était adressé à lui en le traitant des pires propos et lui criant d’arrêter de faire le théâtre puisque le procès est fini. Quand le prisonnier avait répondu qu’il était vraiment souffrant et que ce n’était pas du théâtre, le lieutenant l’a carrément tabassé à coups de poings et de pieds. Les gardiens nous encadraient de près, quand des bulles de salives commençaient à couvrir les lèvres du prisonnier (on croyait qu’il allait mourir) le lieutenant ordonna qu’on le transporte vers la cellule n°6 où il continua à le “travailler”.

Témoignage du prisonnier Mohieddine Ferjani

Le 26 septembre 1993, j’ai été transféré à la prison de Sfax. J’étais seul. A peine arrivé, le sous-directeur, un dénommé Ameur Hassine, se mit à me battre et à me piétiner. Ala fouille réglementaire, il confisqua mon livre du Coran, mes lettres, les photos de mes enfants et mon tapis de prière.

Témoignage du Prisonnier Mounir Labidi

Date : Mars 1994

Lieu : Prison de Bourj Erroumi

En mars 1994, j’ai été transféré, dans un convoie de prisonniers, à la prison de Bourj Erroumi. A notre arrivée nous fûmes reçus par un grand nombre de gardiens armés de matraques, et malgré qu’il pleuvait abondamment, nous fûmes rassemblés dans la cour, nos vêtements éparpillés, puis obligés à ramper et à crier comme des poules. Ceux d’entre nous qui essayaient de résister étaient tabassés à coup de pieds et de matraques.

Témoignage du prisonnier M’nawar Nasri

Date : Fin mai 1994

Lieu : Prison de Messadine

L’administration de la prison de Messadine avait un rituel très sophistiqué dans l’accueil des détenus islamistes. C’est conformément à ce rituel que mes compagnons et moi-même fûmes accueillis : le sol du couloir a été inondé d’un mélange d’eau et de produits détergents. Les agents armés de matraques se sont dressés des deux côtés du couloir. Nous avons été mis à nu et contraints de galoper le long du couloir, subissant coups de bâtons, gifles et coups de pied et recevant toutes sortes d’injures et d’humiliations. Cela durera tant que Nabil Aidani était directeur.

Témoignage du prisonnier Abdallah Messaoudi

J’ai été transféré le 5 décembre 1995 à la prison de Messadine où je fus accueilli par son directeur, Sélim Ghania en compagnie d’un certain nombre de ses agents. L’accueil consista en coups de bâtons et de pied avec une pluie d’injures et d’humiliations. Mes habits furent éparpillés et certains mis en lambeaux. Je fus placé dans une geôle exiguë où la vie était pratiquement impossible. Par la suite je fus l’objet d’un chantage ignoble dont les termes consistaient à améliorer mes conditions de détention en échange de la signature d’un document attestant ma démission de mon parti politique. A chaque refus, je subissais violences et humiliations. Le harcèlement durera deux mois, à raison d’une visite quotidienne de la part d’un adjudant et tous les deux jours de la part du directeur. Par la suite, les visites se sont espacées et prirent fin au bout de quatre mois avec le départ du directeur.

Témoignage du prisonnier Smaïl Saïdi

En 1996, à mon arrivée à la prison de Mahdia, on m’a contraint à me déshabiller entièrement, à me mettre à genoux et à ramper. Je fus giflé, bastonné, injurié, mal traité et humilié.

Témoignage du Prisonnier Ridha Boukadi

Date : 14 mars 2000

Lieu : Prison civile de Sfax

le 14 mars 2000, je fus transféré à la prison civile de Sfax pour complément d’enquête de la part de l’administration sécuritaire de la région de Sfax. Dès ma réception, le lieutenant Sahbi Kifaji me demanda d’enlever la chachia (chapeau traditionnel tunisien). En répondant que c’était un habit traditionnel toléré par le règlement de la prison et de plus que je le mettais pour un besoin sanitaire, il l’arracha, le jeta par terre et me gifla plusieurs fois. J’ai réagi en rappelant que le règlement de la prison lui interdisait de me violenter, il ordonna alors aux gardiens de m’enchaîner des poignets et des pieds, et me frappa à coup de matraque sur tout mon corps, un coup de pieds sur mon tympan gauche me fit perdre connaissance. Puis je fus transporté à la cellule de punitions où je fus complètement déshabillé, obligé à mettre une tenue mouillée très sale, je fus aussi enchaîné et jeté par terre sans lit ni couverture ; on me refusa l’accès au toilette et me priva de médicaments.

Les conditions de détention

“Le chef du pavillon, le dénommé Abdel Majid Tissaoui, en était arrivé à boucher le minuscule trou en bas de la porte de la cellule, à l’aide d’un bout de chiffon imbibé d’excréments”.

Tout simplement inhumaines : objectivement, on ne peut qualifier autrement, les conditions de détention dans les prisons tunisiennes : Une grande surpopulation et toute la promiscuité qui s’en suit ; une absence totale du strict minimum d’hygiène ; des conditions sanitaires lamentables ; une absence d’aération et un faible éclairage, avec tout ce que cette situation entraîne comme conséquences sur la santé et l’équilibre psychique des détenus.

La surpopulation entraîne un vacarme permanent qui détruit les nerfs et maintient les détenus dans un climat de tension permanente. La promiscuité est responsable, en grande partie, des déviances et violences sexuelles pratiquées parfois publiquement.

L’insalubrité, quant à elle, engendre des nombreuses affections, notamment cutanées telles que la gale. Les chambrées manquent toutes d’aération et de lumière. Quand quelques unes en disposaient, il se trouve toujours quelqu’un pour imaginer à les réduire. C’est ainsi que le directeur de la prison de Borj Erroumi, le dénommé Bel Hassen Kilani a entrepris en 1993, de réduire les dimensions des fenêtres. Nombre d’occupants de ces chambrées ont connu les années suivantes, une baisse de la vue. Hassen Naïli a vu son acuité visuelle baisser de -2 à -7, Samir Dilou de -1,5 à – 4,5. D’autres ont hérité de maladies respiratoires et de sensibilité (Brahim Zoghlami, Dhafer Zribi, Toumi Mansouri…).

Le règlement des prisons stipule textuellement, dans son article 10, que la direction pénitentiaire se doit d’assurer un lit avec couvertures pour chaque détenu. La réalité est bien différente. Ce que la loi envisage est tout simplement un privilège accordé à ceux qui sont chargés par l’administration des missions d’espionnage des islamistes ou encore de leur rendre la vie impossible. Il est rare qu’il y ait plus de deux toilettes dans une chambrée, quelque soit le nombre de détenus qui l’occupent. C’est le cas par exemple de la chambrée G1 à la prison civile de Tunis qui accueille plus de trois cents détenus, ou bien la chambrée 2 de la prison de Sousse qui en accueille trois cent vingt. Les murs des toilettes sont le plus souvent très bas et sans porte. A la prison de Sousse, c’est un rideau sale et infecte qui fait office de porte. La toilette consiste souvent en un simple trou dont émanent, en permanence, des odeurs nauséabondes. Les rats y pullulent et en sortent dès que les bruits baissent la nuit ou au cours de la sieste.

Certains rats poussent l’audace jusqu’à s’attaquer aux détenus quand ils font leurs besoins. Cela est souvent arrivé à la chambrée 2 de la prison de Sousse. Des rats attaquent aussi les détenus en plein sommeil Cela est arrivé à la chambrée 2, à la prison de Sousse, à Mohamed Sayari à la chambrée A5 à Borj Erroumi en 1994, et même à la cour (le cas du détenu Thabet M’Rabet à la prison de Jendouba en 1999).

Les détenus sont rassemblés dans les chambrées sans distinction d’âge ou de charges criminelles, sans distinction aucune entre politiques et droits communs, entre inculpés et condamnés. Ainsi on rencontre dans la même chambrée des vieillards et des jeunes, bien que le règlement des prisons stipule clairement dans son article 7 “que les détenus sont classés selon le sexe, l’âge, la nature du crime, la situation légale, condamné ou inculpé, primo- condamné ou récidiviste”.

La surpopulation et la promiscuité sont des traits permanents à toutes les prisons tunisiennes. Les chambrées accueillent deux fois plus de détenus qu’elles ne sont en mesure d’accueillir normalement. Ainsi, avoir un paillasson n’est accessible qu’aux privilégiés ou parfois après une attente interminable qui dure de longues semaines. Tout au long de cette période, le détenu n’a pas de place fixe et couche sur des couvertures à même le sol. Il est parfois très difficile de trouver une place où l’on peut mettre sa couverture. Quant aux couvertures, elles sont pliées après usage, tous les matins, sans même avoir été secouées. Elles gardent ainsi toutes leurs saletés, leur poussière et leurs poux. On peut imaginer l’odeur pestilentielle qui se dégage de telles couvertures après un usage continu et sans lavage.

Quand vient le moment de se coucher, les détenus sont mis en rang. Dès que le gardien de la chambrée intime l’ordre de se coucher, les détenus s’exécutent en se mettant sur les couvertures, formant ce qu’on appelle le tas. L’espace ne suffisant pas à ce qu’ils se mettent sur le dos, c’est donc sur le côté qu’ils le font, sans pouvoir bouger. C’est la position “couteau”. Au cas où un détenu se lève au milieu de la nuit pour un besoin naturel, il perd sa place. Certains n’arrivent pas à trouver de place pour dormir que sous les paillassons, emplacement réservé d’habitude pour les couffins et les chaussures. Dans le jargon des prisons cela s’appelle la position camion, c’est à dire celle du mécanicien se couchant sur le dos pour les réparations d’un camion. D’autres détenus ne trouvent de place que sur les étagères réservées, d’habitude aux vêtements et autres effets personnels.

Témoignage du prisonnier Samir Dilou

Les conditions de détention à la prison de Sousse sont terriblement difficiles. La chambrée 2 a en principe une capacité d’accueil de soixante dix détenus, mais dans les faits ce sont plus de trois cents détenus qui s’y agglutinent. Elle dispose d’un seul coin toilette sans lumière. Etant donné le peu de lumière dans la chambrée, c’est donc l’obscurité totale qui règne dans les toilettes.

Quand on rentre dans la chambrée, il faut écarquiller les yeux pendant un moment pour s’y retrouver. Au début, on observe de simples silhouettes d’hommes et d’objets. L’aération n’est pas meilleure que la luminosité. Il y a tout juste trois petites fenêtres ou plutôt des trous d’aération. La chaleur y est étouffante et la moiteur comparable à celle que l’on rencontre dans un Hammam. Les détenus ne s’y trompent pas et l’ont surnommée la pièce chaude du Hammam. Il arrive souvent que les détenus perdent conscience.

Lors d’une des rares fois où nous avons sorti les paillassons pour nettoyer la chambrée, tout le monde s’est rendu compte que cette dernière ne pouvait accueillir tous les détenus en position debout.

Au cours de l’été 1991, le nombre de détenus occupant cette chambrée, sans ventilateur ni extracteur, est passé à trois cents vingt. Un certain jour, trois détenus d’Ennahda ont perdu connaissance en même temps. Aussitôt les clameurs et les cris Allah Akbar fusèrent. Les gardiens n’osèrent pas ouvrir la porte, croyant à une révolte. Ils entrèrent au bout d’une demi heure, à l’arrivée du directeur. Les trois victimes furent aussitôt transportées à l’hôpital et on a dû sortir les autres détenus dans la courette. Nous y passâmes une heure. Le lendemain l’administration réduisit le nombre d’occupants et installa des ventilateurs dans la chambrée. On nous fit d’autres promesses pour améliorer les conditions de détention qui ne furent jamais tenues.

Témoignage du prisonnier Lotfi Senoussi

Au cours de l’été 1991, j’ai été transféré avec un certain nombre de détenus à la chambrée 17, au pavillon d’isolement de la prison de Tunis. Elle était sans aération ni même équipée d’extracteur. Nous étions onze détenus. Davantage encore, le chef du pavillon, le dénommé Abdel Majid Tissaoui, en est arrivé à boucher le minuscule trou situé en bas de la porte de la cellule, à l’aide d’un bout de chiffon imbibé d’excréments. Le préposé à la surveillance de nuit, Néji Habibi qui en fût témoin, a refusé quant à lui de l’enlever prétextant que cela relevait de la compétence de l’équipe du jour.

Tant que j’étais à la prison de Borj Erroumi, d’octobre 1991 à mai 1992, dirigée à l’époque par Mohamed Zoghlami, mes compagnons et moi étions privés de couvertures et de matelas. Nous dormions à même le paillasson en fer qu’on essayait d’adoucir à l’aide de divers vêtements et d’effets personnels.

Au cours de l’été 1992, nous avons été transférés à la chambrée D3 à la prison civile de Tunis. Normalement la chambrée peut accueillir au plus une trentaine de détenus, mais l’administration nous y plaça à soixante dix, pour moitié de droit commun et pour l’autre des politiques. Durant les mois de juillet et d’août, personne n’arrivait à dormir. Quand on sortait à la promenade, nous étions tellement fatigués qu’on dormait debout, adossés au mur. Au mois de septembre 1992, nous avons été transférés à la chambrée B1. Celle-ci avait une capacité d’accueil de soixante personnes, mais il y en avait plus de trois cents, tous nus ou presque, tant il faisait chaud. C’était pourtant l’automne. Presque tout le monde couchait à même le sol dans l’espoir qu’une place se libère sur le paillasson. Chaque paillasson accueillait trois détenus à son niveau supérieur, quatre plus bas et davantage encore au niveau inférieur où l’on met d’habitude, les couffins et les chaussures. C’est ce niveau qui est surnommé “camion” par les détenus de droit commun.

Le premier janvier 1995, j’ai été transféré à la chambrée D4, avec d’autres compagnons. La chambrée ne pouvait accueillir normalement plus de huit détenus, mais nous étions vingt deux à nous y installer. L’atmosphère était suffocante, ce qui nous a obligé à nous mettre en maillot de corps, malgré le froid hivernal.

Témoignage du prisonnier Mohamed Guéloui

Au mois de mai 1991, nous avons été concentrés dans la chambrée 18, au pavillon d’isolement. C’est une chambrée exiguë de 4/3,5 m comportant un seul coin toilette et aussi une seule fenêtre. Nous étions seize à nous y retrouver.

En 1995, quand je fus transféré à la prison de Borj Erroumi, j’ai été placé dans la chambrée C3 qui avait une superficie de cinquante m2 (10/5 m), non équipée d’extracteur, avec deux fenêtres sur le même côté, ce qui ne permettait aucun brassage d’air. Pourtant, nous étions cinquante quatre détenus à l’occuper.

Témoignage du prisonnier Ahmed Lâamari

En date du 4 novembre 1991, on m’avait mis à la chambrée H3 de la prison civile de Tunis. La chambrée pouvait accueillir tout au plus trente six détenus, mais nous étions plus de soixante dix. Durant les mois de janvier et février, j’ai dû dormir à même le sol sans le moindre matelas. C’est dans ces conditions que j’ai contracté un rhumatisme articulaire qui me ronge l’épaule gauche depuis plus de neuf ans.

Témoignage du prisonnier Adel Essoufi

A la prison de Borj Erroumi, on m’a obligé à coucher à même le sol durant les deux mois de décembre 1992 et janvier 1993, avant d’obtenir enfin un paillasson.

Témoignage de Mounir Labidi

A la prison du Kef, on m’a mis en 1995, dans une chambrée faite normalement pour cinquante détenus, mais qui accueillait cent cinquante trois. La densité était telle qu’il était impossible de se déplacer normalement sans piétiner les personnes assises ou étendues. Pour aller jusqu’aux toilettes, il fallait marcher sur les bords des lits.

Témoignage de Abderrazak Mezguérichou

En date du 16 janvier 1996, j’ai été transféré à la prison de Gabès où je fus placé dans la chambrée 10, qui ne disposait ni de fenêtres ni d’aération. J’ai refusé d’y rester et j’ai été sanctionné par un placement en pavillon d’isolement dont les cellules ne disposaient d’aucune commodité. Nous étions trois détenus dans une cellule de 2/1,5 m. On ne pouvait s’asseoir ou dormir qu’à tour de rôle. Le 18 décembre 1998, j’ai été transféré à la prison de Tunis où je fus mis dans la cellule E7. Cette dernière avait une superficie de 7,5 m2 (3/2,5), sans aucune aération, hormis une petite fenêtre qui ouvre sur un espace clos. Trois autres détenus partageaient cette cellule avec moi. L’humidité était très grande car le soleil ne pénétrait pas dans la cellule.

Quand nous avions protesté et réclamé des améliorations de nos conditions, le responsable du pavillon, le dénommé Omar Habibi, nous avait répondu que notre transfert dans une prison proche de nos familles avait un prix : c’était le silence et la résignation.

Témoignage du prisonnier Ridha Boukadi

Le 3 août 1996, j’ai été mis à l’isolement dans la chambrée 7 du pavillon d’isolement. La chambrée était dans état de saleté indescriptible, obscure à ne pouvoir distinguer les objets qu’avec peine et au bout d’un long moment. La lampe électrique était dans un coin, à cinq mètres de hauteur, au milieu d’un grillage qui la cachait entièrement. Ce n’est pas la lampe qu’on voyait, mais les rayons de lumière qui en échappaient. Et encore, c’était très vague.

Il n’y avait rien dans la chambrée, en dehors d’un matelas et de deux couvertures, plus crasseux les uns que les autres et dégageant une odeur nauséabonde. C’était un abri idéal pour les poux, puces et punaises. L’humidité était écrasante étant donné l’absence d’aération. La seule fenêtre qui ouvrait sur la cour extérieure avait été fermée avec d’immenses soins à l’aide d’une plaque de fer, comportant un certain nombre de trous.

Et comme si la surpopulation, l’absence d’aération et de lumière ne suffisaient pas, nombre de prisons connaissent périodiquement et surtout en été, de graves pénuries d’eau. Evidemment cela pose de nombreux problèmes au plan de l’hygiène. La douche, déjà irrégulière, devient impossible dans de telles conditions. On ne peut, non plus, nettoyer les toilettes qui dégagent en permanence des odeurs pestilentielles et, encore moins, laver nos vêtements.

Témoignage du prisonnier Lotfi Senoussi

En 1991, à la prison de Borj Erroumi, j’ai été placé dans la chambrée 11 qui ne disposait que d’un seul coin toilette. Nous étions quatre vingt détenus. La chambrée ne disposait pas d’eau ce qui nous obligeait à la chercher dans la cour intérieure de la prison où il y avait un robinet.

Curieusement, l’eau n’était pas tout à fait gratuite et nous devions la payer de nos poches. Dans certains cas et pour subvenir à nos besoins d’eau, pour les ablutions ou autre chose, nous étions obligés de recueillir l’eau des flaques de pluie qui se forment dans la cour.

Témoignage du prisonnier Brahim Zoghlami

En 1993, les chambrées B et C de la prison de Tunis, ne recevaient de l’eau qu’entre 23 heures et 5 heures du matin. Au cours de l’été de cette année, il y a eu une coupure électrique qui entraîna l’arrêt du ventilateur et de l’extracteur. Il n’y avait pas d’eau non plus. La chaleur avait atteint des sommets inégalés et la chambrée s’était transformée en un enfer. De nombreux détenus perdaient souvent conscience. Les gardiens furent obligés de sortir tous les occupants dans la cour et de les arroser d’eau à l’aide des lances d’incendie.

Témoignage du prisonnier Mounir Labidi

Au mois de mars 1994, j’ai été transféré à la prison de Borj Erroumi. La quantité d’eau qui y été allouée à chaque détenu au cours de l’été était de cinq litres. C’était pour boire, se laver, laver ses effets et faire les ablutions !

Témoignage du prisonnier Samir Dilou

En 1994, la chambrée 4, aile B à la prison de Borj Erroumi, souffrait d’une grave pénurie d’eau. Le filet d’eau qui coulait du robinet, était utilisé pour remplir les ustensiles des occupants de notre chambrée et de bien d’autres chambrées qui n’ont pas de robinet. Pour obtenir ses cinq litres d’eau, il faut donc attendre longtemps et parfois graisser la patte au gardien.

Au mois de juin, il nous est arrivé de ne pas avoir même d’eau de boisson. En période de pénurie, l’eau, déjà précieuse en temps normal, le devient davantage. Chacun de nous dépensait des trésors d’ingéniosité pour la cacher de peur du vol. Le vol se faisait surtout lors de notre sortie en promenade, parfois avec l’encouragement du caporal, le dénommé Abou Bekr Dridi (prisonnier de droit commun).

L’article 14 du règlement des prisons stipule que “le détenu a droit à la promenade quotidienne d’une heure au moins”. C’est la durée minimum. Mais les directeurs des prisons la considèrent comme un maximum. En fait ceux qui peuvent en disposer, sont de véritables privilégiés. Dans la plupart des prisons, les détenus font la promenade pendant vingt minutes, deux fois par jour. Dans certaines prisons, la promenade est réduite juste à sept minutes.

Témoignage du prisonnier Brahim Zoghlami

En 1993, j’étais à la prison de Mahdia où j’occupais la chambrée 16 en compagnie de trente détenus. La surface de la courette de promenade était de trente mètres carrés (5/6 m). Nous nous y tenions debout tout au long de la promenade.

Témoignage de prisonnier Abdel Krim Bâalouch

Le directeur de la prison de Houareb, Nabil Aïdani, avait décrété en 1995, que la promenade consistait simplement en deux tours en rangs serrés. Nous passions le reste du temps assis.

Témoignage de prisonnier Lotfi M’hiri

La prison de Sfax connaît une très grande surpopulation qui impose au détenu de demeurer tout le temps sur place, dans la chambre, sans bouger. La promenade est donc la seule occasion pour nous de bouger et de marcher un peu. Mais tel n’était pas l’avis du directeur, Adel Abdel Hamid, qui avait décrété que les détenus devraient se mettre assis dès leur sortie de la chambre.

Pour justifier sa décision, il avait inventé un prétexte fallacieux selon lequel, certains façades, des immeubles avoisinants, surplombaient la cour de promenade et qu’il y avait des risques que les détenus n’embêtent les dames qui sortent aux balcons.

Témoignage du prisonnier Mohamed Guéloui

En 1996, je me trouvais au pavillon d’isolement à la prison de Houareb. La cour de promenade était très étroite, à peine quinze mètres carrés pour huit détenus. Elle ne reçoit le soleil que pendant les mois d’été.

Témoignage du prisonnier Ridha Boukadi

En 1996, j’étais à la prison de Tunis au pavillon de l’isolement qui se trouvait au-dessus de l’infirmerie. La promenade ne durait pas plus de sept minutes. La mise en isolement total des détenus, était une des nombreuses mesures arbitraires en pratique. Une fois dans sa cellule, le détenu est totalement coupé de son environnement ; il n’a d’autre lien qu’avec le gardien chargé de le surveiller. Même les autres gardiens n’avaient pas le droit d’entretenir des relations avec lui. Les rapports avec les détenus sont régis par les seules considérations sécuritaires.

En 1996, deux détenus ont été placés en isolement sous les numéros un et deux. Personne ne connaissait rien d’autre d’eux que leurs numéros respectifs. C’est ce que m’a rapporté un détenu qui connût l’isolement dans la même période.

Témoignage du prisonnier Néjib Ellaouati

J’ai été mis à l’isolement dans une cellule située audessus de l’infirmerie de la prison. Elle était dépourvue de tout. Il n’y avait ni toilette, ni aération, ni eau. La fenêtre était fermée avec des clous et donc condamnée. J’avais un sceau d’eau pour ma toilette et autres besoins et un autre pour les eaux usées. Je devais frapper à la porte et attendre qu’on vienne m’ouvrir pour faire mes besoins naturels. Les heures de promenade n’étaient pas régulières et il arrivait souvent qu’on m’oublie. Parfois je ne quitte pas mon isolement de la journée et il n’est pas rare qu’on oublie de me servir à manger.

Témoignage du prisonnier Abdallah Zouari

En 1995, j’ai été transféré à la prison de Réjim Mâatoug en plein désert. Elle avait pour directeur, à l’époque, le dénommé Mourad Hannachi. J’ai tété mis en isolement durant cinq mois pendant lesquels je n’avais vu personne d’autre que mon geôlier. Ce dernier ne me laissait quitter ma geôle que pendant cinq minutes le matin et autant le soir. C’était tout juste ce qu’il me fallait pour faire mes besoins, laver mes vêtements et ma vaisselle et me fournir en eau.

Pour me conduire à la douche, on me bandait les yeux. L’adjoint au directeur, le dénommé Kilani Hani, prenait soin de me couvrir encore la tête d’une couverture pour m’empêcher de voir quoique ce soit. C’est en aveugle qu’on m’y amenait.

En 1998, à la prison de Houareb, dirigée à l’époque par le dénommé Riadh Amari, je fus mis en isolement dans une cellule se trouvant juste sous le dortoir des gardiens. L’eau usée coulait abondamment du plafond. J’y suis resté pendant trois mois, sans jamais sortir en promenade ne serait-ce qu’un instant. D’autre part, le directeur m’avait privé de nourriture pendant trois jours.

La nourriture et les conditions sanitaires

“La ration alimentaire est juste suffisante pour vous permettre de vous tenir debout pendant l’appel, matin et soir”.

L’article 14 du règlement des prisons stipule que le détenu a droit à :

  1. L’alimentation.
  2. Aux soins.
  3. Aux médicaments, en prison ou bien à l’hôpital, surindication du médecin de la prison et s’il s’avère impossible de le soigner à l’infirmerie de la prison.
  4. Disposer des moyens d’hygiène.

L’article 27 stipule pour sa part que :

“Le détenu a droit à deux repas par jour d’une valeur nutritive correcte. Le premier repas à midi et le second le soir. Le détenu qui travaille dans les ateliers ou les chantiers de la prison, doit disposer d’un repas supplémentaire le matin de chaque journée de travail. Le détenu malade doit avoir aussi l’alimentation prescrite par le médecin de la prison”.

L’article 31 :

“les centres de détention doivent disposer d’ateliers de formation et des conditions nécessaires au maintien de la santé”.

L’article 41 stipule que :

“Sur ordre du médecin de la prison, le détenu malade doit être transporté à l’hôpital s’il s’avère qu’il était impossible de le soigner sur place”.

Dans la réalité, les choses se passent autrement. Le nombre vertigineux des détenus poilitiques d’Ennahda atteints de maladies chroniques et présentant des signes évidents de sous-alimentation, témoigne d’une négligence préméditée. L’absence, d’autre part, d’une alimentation correcte et équilibrée des détenus et des conditions d’hygiène de base dans les centres de détention (absence d’aération et de lumière et une très grande humidité des locaux), telles que prévues par le règlement, atteste d’une volonté de nuire.

On a constaté ces dernières années, que certaines améliorations avaient été apportées, suite aux mouvements de protestation et de revendication. Mais pour l’essentiel, les conditions sont restées les mêmes. Le détenu d’Ennahda subit toujours le voisinage de dizaines de fumeurs, connaît les pires conditions de promiscuité et partage avec tous les autres, l’humidité et l’obscurité. Il est très souvent réduit à dormir à même le sol.

Ce même détenu est, autant sinon plus que les autres, victimes des nombreuses maladies et affections en vogue en milieu carcéral : les maladies du système digestif, celles de nature cardio-vasculaire, pulmonaires et respiratoires, psycho-somatiques et autres. Personne ne peut échapper aux affections cutanées (gale, champignons…) tant les conditions d’hygiène sont lamentables. Il y aussi un accroissement vertigineux des affections pulmonaires et notamment de la tuberculose, ainsi que des maladies nerveuses.

L’administration justifie cette situation faite de mauvaise alimentation, de conditions sanitaires et d’hygiène déplorables, par l’absence de moyens budgétaires. La réalité dément ces allégations.

La promiscuité et la surpopulation des prisons peuvent être réduites par la construction de nouveaux pavillons et chambrées et pour lesquels de nombreux centres de détention disposent de l’espace nécessaire. Les travaux d’embellissement et d’amélioration des entrées des prisons ne s’arrêtent presque jamais. Ils ne sont d’aucune utilité, grèvent les budgets et participent à la dégradation des conditions de vie des détenus. C’est ce qui s’est passé justement à la prison de Borj Erroumi en 1993, quand son directeur, le dénommé Belhassen Kilani avait entrepris des travaux coûteux pour réduire les dimensions des fenêtres.

L’alimentation est partout désastreuse et elle n’est pas meilleure dans les centres de détention disposant de vergers et de fermes agricoles. Tous les détenus qui ont survécu à la prison de Borj Erroumi de 1993 à 1995, témoignent que les herbes pour bestiaux y constituent l’alimentation de base durant toute la semaine. Les négligences sanitaires sont, elles, bien préméditées ce qui témoigne d’un esprit revanchard et hostile, chose que les responsables des centres de détention, ne s’en cachent pas. Pour s’en convaincre, cette déclaration très significative du lieutenant Fouad Mustafa qui estime “que celui qui quitte la prison sans handicap, sera sans doute lourdement chargé de maladies qui l’empêcheront d’avoir la moindre activité politique”.

Parmi les mesures draconiennes prises par la direction des services pénitentiaires, notamment sous la direction de Ahmed Hajji, figure la privation des détenus d’Ennahda des soins dans les hôpitaux publics et ce quelque soit la gravité de l’affection. Il en est résulté une aggravation de la situation sanitaire de nombreux malades et certains en sont morts.

D’autres mesures discriminatoires sont venues s’ajouter à cette panoplie de décisions. Il en est ainsi de l’interdiction des soins dentaires et de l’autorisation des seuls arrachages des dents cariées. Il en est de même du refus de soigner une hernie parce que celle-ci est jugée être à son stade primaire, du refus de lunettes à celui qui les réclame, tant que son acuité visuelle ne soit pas en dessous de –2,5 ou de dentier à celui qui n’aura pas perdu… toutes ses dents. Pourtant tous ces soins se font sur le compte personnel du patient !

Il est évident que les conditions d’une bonne hygiène dans les prisons ne tiennent pas seulement à des facteurs individuels et ne sont pas uniquement de la responsabilité des détenus. Elles tiennent surtout aux conditions générales définies par une politique officielle en matière carcérale. Que peut le prisonnier face à des mesures préméditées, faites pour maintenir l’hygiène dans les prisons, dans les pires conditions ?

Durant des années, la lame de rasoir est utilisée pour raser une vingtaine de détenus, avec tous les risques que cela comporte pour la transmission des maladies vénériennes. Jamais le refus ou la protestation des détenus contre une telle mesure, n’a été admis. Bien plus, l’administration tient à ce que le rasage de la barbe se fasse trois fois par semaine, dans de telles conditions, alors que la coupe de cheveux ne se fait qu’occasionnellement, parfois au bout de quelques mois. Le prétexte invoqué par l’administration pour justifier cet espacement de la coupe de cheveux, est souvent fumeux, du genre pénurie de ciseaux ou leur envoi à l’affûtage. Les détenus ne peuvent même pas se couper les ongles autrement qu’en utilisant des fils très fins, en les rongeant avec les dents ou en les limant sur le sol.

Le détenu a droit, en principe, à la douche une fois par semaine. En réalité, il lui faut attendre de longues semaines pour pouvoir y profiter. D’autre part, il est interdit, dans certaines prisons et notamment à Borj Erroumi, de se laver dans les chambrées.

La lessive est aussi une grande épreuve pour le prisonnier. L’alimentation en eau est souvent irrégulière et les espaces destinés au séchage du linge sont quasi absents. D’autre part, les familles ne peuvent prendre en charge le linge de leurs détenus pour cause d’éloignement et aussi d’espacement des visites. La crainte des vols par les gardiens, en cours de route, y est aussi pour quelque chose. Aussi, les prisonniers sont parfois contraints de sécher leur linge à l’intérieur de la chambrée ce qui accroît l’humidité ambiante.

Nous citons à ce propos, quelques un du grand nombre de témoignages dont nous disposons :

Témoignage du prisonnier Kamel Besbès

En 1994, j’étais au pavillon A de la prison de Borj Erroumi. Un jour du mois de juin, le chef du pavillon, le dénommé Hassen Sahraoui m’a obligé à me raser la barbe, sans savon et avec une lame qui avait servi auparavant à raser une vingtaine de mes codétenus. Cela s’est terminé avec le visage en sang.

Témoignage du prisonnier Fredj El Jami

A la prison de Tunis en 1992, il était formellement interdit de se laver le corps dans la chambrée. La douche hebdomadaire, très courte, ne permettait pas non plus de se laver entièrement le corps. Les conséquences stipulent qu’on ouvrait l’eau très brièvement une première fois pour mouiller le corps et se savonner, et une deuxième fois pour se nettoyer. Le temps était si court qu’il ne suffisait pas à se débarrasser de toute la mousse.

Témoignage du prisonnier Hassouna Naïli

En 1994, je me trouvais à la chambrée 10 de la prison de Borj Erroumi. Les douches étaient très irrégulières et on attendait parfois deux mois pour en avoir une. Les plaintes et les protestations n’étaient d’aucun secours. Curieusement, c’est semble-t-il pour notre bien que le directeur, le dénommé Belhassen Kilani, nous refusait la douche : “Il fait très froid et nous avons peur que vous attrapiez des maladies” répétait-il.

La crasse ne colle pas uniquement aux locaux, aux matelas et aux couvertures (qui ne sont ni changées ni lavées pendant de nombreuses années), mais aussi aux ustensiles qui nous servent à cuire et à distribuer les aliments et l’eau. Quand le chauffe-eau de la douche tombe en panne, c’est tout simplement le drame.

D’autre part, nombre de détenus préposés à la cuisine et à la distribution des repas, sont atteints d’affections cutanées et sont très peu portés sur la propreté. Dans de nombreuses prisons, le pain est distribué dans les mêmes couvertures crasseuses qui nous servent la nuit pour le couchage.

Témoignage du prisonnier Samir Dilou

A la prison de Jendouba, en 1998 et 1999, les mêmes ustensiles qui servaient à distribuer les repas étaient utilisées aussi pour jeter les restes de nourriture. Ils sont vidés le matin pour resservir aussitôt, sans même les laver.

Les négligences sanitaires, remarquées au niveau des soins thérapeutiques, le sont aussi en amont, au niveau des causes. Nombre de maladies trouvent leurs origines dans les conditions d’humidité ambiante, le tabagisme, l’absence d’aération, le brouhaha qui règne, le non isolement des malades et les sanctions sévères qui incluent les violences corporelles (mise à nu, couchage à même le sol en hiver, l’arrosage du détenu d’eau après lui avoir ligoté les mains et les pieds). Certaines violences ont eu de graves répercussions sur la santé des victimes, genre les traces indélébiles et les handicaps permanents (voir chapitre des sanctions). C’est ce qu’on appelle communément les maladies carcérales parce qu’elles résultent des conditions de détention en prison. Celui qui est atteint de ces maladies souffre doublement : primo des conditions très dures de la détention et que rien ne vient améliorer par égard à son état, secundo de tout ce qu’il déploie comme efforts pour faire aboutir ses demandes de prise en charge pour des soins.

Le diagnostic de la maladie prend de longs délais, puisque l’infirmier et le personnel médical de la prison ne disposent pas de l’équipement nécessaire pour le faire. Les demandes de transfert à l’hôpital sont systématiquement refusées, bien que l’article 14 du règlement des prisons le prévoit. Si jamais le diagnostic est fait, commence alors une étape aussi longue et fastidieuse que la précédente pour obtenir les médicaments. Ce sont tout d’abord les tergiversations de l’administration pour procurer au malade les médicaments prescrits, souvent absents de la pharmacie de la prison. Le patient n’est même pas sûr dans ce cas d’obtenir ses médicaments sur son propre compte.. Le personnel para- médical de la prison est souvent incompétent, ayant reçu une formation accélérée sur le tas (on s’en rend compte au quotidien et à l’usage, surtout quand certains d’eux ne se dérangent pas à utiliser la même seringue pour de nombreux malades).

Témoignage du prisonnier Lotfi Senoussi

Au mois de septembre 1992, j’ai été transféré à la chambrée B1 de la prison de Tunis. Le mépris et la haine du caporal l’ont empêché de faire nettoyer la chambrée avant de nous y installer. Deux mois après, les deux cents occupants contractent la gale. Je me souviens, par exemple, qu’un de mes codétenus, le dénommé Ben Amor, passait toute la nuit éveillé à se gratter. Tout son corps étant couvert d’oedèmes qui l’empêchent de s’étendre dans une quelconque position. Les réclamations réitérées des détenus pour se faire soigner, donnent lieu aux ricanements et aux mascarades. Tous les jours, le chef du pavillon, Ahmed Arfaoui établit la liste des malades désireux de voir le médecin. Acte jamais suivi d’effet !

Témoignage du prisonnier Néjib Louati

Au début de 1998, j’ai eu une hernie inguinale gauche. J’ai eu affaire à tous les médecins des prisons où j’ai séjourné, mais je n’ai eu que de fausses promesses. Si bien que mon état empira, d’autant qu’une autre hernie apparût sur le flanc droit, en même temps que la première se développait.

A cette époque, j’étais à la prison de Houareb où passait une caravane médicale. Son médecin me promit de me présenter à un chirurgien. Mais cela ne se fit qu’après moult péripéties, ce qui me poussa à faire une grève de la faim. C’est ainsi que j’ai été présenté à un chirurgien qui fixa la date de l’opération au 17 janvier 1997. Mais c’était sans compter avec l’extrême mauvaise volonté et les ruses de l’administration pénitentiaire. Ainsi à l’approche de chaque rendez-vous avec le chirurgien, j’ai été transféré dans une nouvelle prison. Ce fut tout d’abord la prison de Monastir où j’ai pu obtenir un rendez- vous avec le chirurgien pour le 28 février 1997. A l’approche de cette date, je fus transféré de nouveau à Tunis. C’est là où le chef de l’infirmerie, le lieutenant Noureddine Soumaya me déclara textuellement “on ne peut te transférer à l’hôpital que si le développement de l’hernie atteint un niveau de gravité exigeant une intervention d’urgence”.

Il nous a fallu entreprendre de gros efforts, ma famille et moi-même, pour réussir à me faire opérer le 25 juin 1997. Le lendemain, après juste vingt quatre heures, j’ai été ramené dans ma cellule.

Témoignage du prisonnier Abderrazak Mezguérichou

En 1994, j’ai été témoin du décès de mon collègue Mongi à la prison de Nador. Il était cardiaque et avait succombé à une crise suite à l’indifférence et à la négligence du personnel. Personne ne lui était venu au secours. On m’a demandé par la suite de donner un faux témoignage, prétendant que j’avais vu des agents le secourir alors qu’il était encore en vie. Mon refus me valût des représailles.

Témoignage du prisonnier Mohamed Guéloui

Lors d’un transfert de prison, j’ai été le compagnon de fourgon du Mr. Zerrouk (de Bizerte) et j’avais remarqué qu’il avait besoin d’aide pour pouvoir monter. Il m’avait expliqué que cette incapacité résultait des violences qu’il avait subies de la part du directeur de la prison de Messadine, le dénommé Nabil Aïdani. Chaque fois qu’il le rencontrait dans un des couloirs de la prison, il lui faisait choisir entre un séjour au cachot dans l’isolement ou bien la corvée de nettoyage de la chambrée pendant dix jours consécutifs. A peine la sanction terminée c’est une nouvelle qui commence. C’est ainsi qu’il contracta la tuberculose, entre autres maladies. En l’absence de soins sérieux et d’une bonne alimentation (on lui alloua juste une ration supplémentaire de pain) son état se dégrada rapidement.

D’autre part, dès 1992, il sentit une grande douleur et un bourdonnement à l’oreille gauche, mais il n’a vu de médecin qu’en 1996. Entre-temps l’affection s’est développée et devenue chronique, sans aucune chance de pouvoir la soigner, du fait de l’atteinte du nerf auditif.

Témoignage du prisonnier Brahim Zoghlami

Un certain soir de mai 1995, j’avais senti des difficultés respiratoires. Je suffoquais, j’avais des nausées et je sentais une profonde douleur au côté gauche. J’ai alerté les gardiens de nuit. J’ai attendu de longs moments avant l’arrivée de l’agent infirmier. Je fus conduit à l’infirmerie où l’on me fît une piqûre de Théophylline. A peine une demi heure après mon retour à la chambre, je fus pris des mêmes douleurs et de nouveau l’agent infirmier m’administra une piqûre de Tédralon. Encore une demi heure plus tard, ce sont de nouveau les mêmes douleurs et de nouveau une piqûre de Brécancyl. L’infirmier me dit alors que c’était la dernière piqûre qu’il pouvait me faire et me conseilla d’attendre jusqu’au matin pour voir le médecin. J’ai passé la nuit debout, près de la fenêtre à essayer de respirer. A un certain moment, je me sentis complètement figé, incapable de bouger au point que je fis ma prière debout par de simples signes.

Le matin, j’ai vu le médecin qui m’a fait lui-même une piqûre intra-veineuse de Soludicadron, sans grande utilité puisque je n’ai eu aucune amélioration. A peine un quart d’heure plus tard, les suffocations reprirent de plus belle et je perdis connaissance. On me transporta alors à l’hôpital de Bizerte où l’on me mit sous oxygène. J’étais en hypotension (8-6). L’examen radiologique a décelé une grande poche d’eau au thorax (une des conséquences des violences que j’avais subies dans les locaux de la police). J’ai été transporté d’urgence au bloc opératoire où je fus aussitôt opéré. Le chirurgien m’exprima par la suite son étonnement que le médecin de la prison n’ait pas diagnostiqué ma maladie plus tôt, surtout que les symptômes étaient très clairs. De retour dans ma chambrée, au bout d’une semaine, je n’ai pas réussi à obtenir un paillasson au premier niveau, malgré mes demandes insistantes. Le prétexte était que le règlement l’interdisait aux détenus islamistes.

Témoignage du prisonnier Abdallah Zouari

Parmi les nombreuses négligences que j’avais constaté à la prison de Tunis, je citerai le cas du détenu Habib Fékih. Celui-ci avait une extinction de voix pour laquelle il n’a été soigné que tardivement, c’est à dire au moment où il devenait incapable de prononcer correctement la moindre parole. Il fut transporté à l’hôpital de l’Ariana. Avant son départ, le médecin a prescrit de le placer dans une chambrée où son état ne devrait pas empirer.

L’administration de la prison fit exactement le contraire et le plaça dans une chambrée dans laquelle il y avait cent quatre vingt détenus, tous fumeurs. Son état ne tarda pas à empirer et il fut de nouveau hospitalisé. Le médecin ne lui était pas d’un grand secours et lui confia que “il n’y avait rien à faire et ne pouvait l’opérer dans ces conditions. Il lui conseilla néanmoins de le contacter dès sa sortie de prison”.

Témoignage du prisonnier Abdel Majid Ghidhaoui

Vers la fin de novembre 1995, une caravane sanitaire visita la prison de Borj Erroumi. J’eus droit aux services d’un médecin qui me fit transférer à l’hôpital des services de sécurité intérieure, à la Marsa et ce pour me faire opérer d’une hernie au ventre. Deux jours après l’opération, je fus remis en prison, non pas à l’infirmerie comme c’est d’habitude en pareil cas, mais dans une chambrée surpeuplée. Je n’ai pas pu obtenir non plus de paillasson accessible sans peine, au niveau du sol, sous prétexte que cela était interdit aux détenus islamistes. Pour monter et descendre du paillasson qu’on m’alloua, j’avais besoin d’aide. En plus cela me faisait terriblement mal et avait retardé la cicatrisation de ma plaie. Davantage encore, on me transféra au cours de la semaine à la prison de Houareb, dans un fourgon plein à craquer, ce qui m’était très pénible.

Témoignage du prisonnier Hichem Jerraya

(Opéré à cinq reprises)

Au cours de l’été 1997, j’avais senti des douleurs au coude gauche, qui se sont estompées plus tard pendant quelques temps. Elles reprirent après mon transfert (le 25 juillet 1997), à la prison de Mornag. Mon état empira et mon coude gonfla démesurément, sans que les médicaments qu’on m’ait donné ne soient d’un quelconque effet (pansements et antibiotiques). J’avais alors demandé au médecin de la prison de me faire faire des radios, mais il refusa. J’ai dû entreprendre des actions de protestation, en refusant d’intégrer la chambrée après la promenade par exemple. Cela ne donna rien et le directeur de la prison, Fouad Wali, me révéla qu’il ne pouvait me transférer à l’hôpital au mois de novembre, parce que tout le monde était occupé à célébrer l’événement du 7 novembre. Je fus hospitalisé le 14 novembre. Le médecin de service de chirurgie générale s’étonna qu’on m’ait laissé plus de deux mois dans cet état et décida de m’opérer sur le champ. L’opération s’est faite vers minuit. Quatre jours plus tard, je fus ramené en prison. C’et alors que commencèrent les problèmes sérieux. La cicatrice était béante, ouverte sur 10 cm de long et 2 cm de large. L’agent infirmier protestait, il ne disposait ni de pansements ni de produits désinfectants. Le 7 février, j’ai été transféré à la prison de Tunis où j’ai refusé d’intégrer une chambrée surpeuplée, dans laquelle les détenus étaient à trois sur le même paillasson. Je fus sanctionné et on me mît au cachot où je passai la nuit enchaîné à une fenêtre. J’ai néanmoins résisté et obtenu gain de cause. J’eus un paillasson individuel dans une autre chambrée et j’ai continué mes soins pendant cinq mois. C’est alors que mon bras gauche s’enflamma de nouveau. Après de longues tergiversations, je fus hospitalisé et de nouveau opéré dans le même service, le jour de l’Aïd El Idha (La fête du mouton) 1998. Ce fut un échec. Les mauvais traitements de la prison y étaient pour quelque chose.

Je fus de nouveau hospitalisé le 30 mai (une cicatrice de 15 cm sur 3 cm) et j’ai réintégré la prison au bout de deux jours. Le traitement post-opératoire dura quatre mois. J’ai eu une inflammation des ganglions lymphatiques qui m’occasionnaient des douleurs terribles. Cela me conduit une quatrième fois à l’hôpital et au bloc opératoire où je fus opéré le 23 juin. Peine perdue. Aucun traitement n’aura d’effet. La cicatrisation ne sera effective qu’au bout de cinq mois. Mon état général continua à se détériorer. J’avais perdu entre temps vingt kilo, d’autant que la nourriture restait médiocre et que, malgré mes nombreuses réclamations, je n’avais pas eu le menu recommandé pour les malades.

Au début de 1998, je commençais à sentir des douleurs lancinantes au côté gauche. Le médecin de la prison me donna du Bisolvan pendant un certain temps, qui se révéla sans effet et sans rapport avec mon mal. Il me donna par la suite de l’oxytétracycline, puis du Clamoxyl qui n’eurent pas plus d’effet. C’est alors qu’un de mes compagnons de cellule me conseilla de demander à me faire radiographier. Il trouva en effet que les symptômes de mon mal rappelaient curieusement la tuberculose qu’il avait contractée.

Au bout de nombreuses réclamations, j’ai réussi à me faire hospitaliser. On me fit des radios et on m’enleva 2,5 litres d’eau du côté gauche. Le diagnostic était sans appel, c’était la tuberculose. Je suis resté douze jours à l’hôpital où je fus bien traité. Les résultats sur mon état général ne se firent pas attendre.

De retour en prison, j’ai beaucoup souffert des conditions générales, surtout de la nourriture. Celle-ci demeurait exécrable. Je multipliais les réclamations pour qu’on me donne une nourriture adéquate. Je rééditai mes revendications le jour de l’Aïd et le directeur de la prison, Hichem El Aouni, ne trouva pas mieux que de me mettre au cachot, pour incitation à la révolte.

En plus de la négligence sanitaire, les détenus souffrent de l’insuffisance de la nourriture qui suffit à peine à calmer leur faim. Nous sommes loin de la lettre et de l’esprit du règlement qui recommande une nourriture complète et équilibrée. Les médecins eux-mêmes reconnaissent que de nombreuses maladies sont la conséquence de la mauvaise alimentation. Des directeurs de prison admettent à leur tour, la faible valeur nutritive de l’alimentation mais estiment qu’ils ne peuvent faire mieux avec un budget de 0,45 D (à peine 0,35 euro) par détenu et par jour. Avec un tel budget, la viande et même la variation des repas, ne peuvent avoir de place dans le menu, sauf cas exceptionnel. Le menu de tous les jours est fait de pomme de terre qu’on ne prend même pas la peine d’éplucher, de lentilles et autres légumineuses qu’on verse dans la marmite sans même les nettoyer de leurs scories. Le poulet qu’on nous présente parfois est souvent insuffisamment déplumé. Ces quelques témoignages l’attestent.

Témoignage du prisonnier Abdallah Zouari

A la prison de Borj Erroumi en 1996, la nourriture était d’une rare mauvaise qualité. Aux réclamations des détenus, le directeur Fayçal Erroumani répondait invariablement que “La ration alimentaire est juste suffisante pour vous permettre de vous tenir debout pendant l’appel, matin et soir”.

Témoignage du prisonnier Abderrazak Tounekti

L’alimentation était de très mauvaise qualité A Borg Erroumi, en 1994. On avait droit, aux deux repas du jour et pendant de longues semaines, à des pâtes en petite quantité (un verre d’un quart de litre). Pendant des mois on ne connaît pas la couleur de la viande. Il y eut une exception où l’on nous a distribué, durant deux jours successifs, du poulet rôti, en grande quantité. Tout le monde s’en était étonné et, en cherchant les raisons de cette soudaine générosité, nous avions découvert que le poulet était avarié et impropre à la consommation. Au lieu de le jeter, l’administration a choisi de nous le faire servir. Entre autres plats, nous avons un qu’on appelle “sauce de légumes”. C’est tout simplement une soupe de fourrage animal..

Témoignage du prisonnier Abdallah Zouari

A la prison de Jendouba, la nourriture était si mauvaise et sa distribution donnait lieu à tant de problèmes que le sous-directeur en personne, Abbas Askri, était toujours présent et particulièrement le jour où il y avait du couscous.

Témoignage du prisonnier Brahim Saïdani

A la prison de Borj Erroumi et sous la direction de Imed Ajmi, on avait des pâtes pour dix repas sur les quatorze de la semaine. Et quelles pâtes : des nouilles ou autres formes, flottant dans de l’eau, avec des traces de tomate. Au cours du mois de Ramadhan 1998 et contrairement aux traditions dans toutes les prisons, les détenus ont été privés de lait pour le S’hour (repas du milieu de la soirée). L’adjudant Abdel Magid Tissaoui justifia cette décision en prétendant qu’il n’y avait pas lieu de le faire, puisque tous les détenus ne faisaient pas le jeune, à l’exception des détenus à “caractère spécial”. Au cours de ce mois, nous avons eu la viande à trois reprises, la dernière étant le jour de l’Aïd.

Les Sanctions

“Il a interdit aussi l’échange de regards entre deux prisonniers n’occupant pas la même cellule, quand un de nous croisait un autre prisonnier d’une autre cellule le gardien se mettaient à crier “tournes-toi au mur, tournes-toi au mur”

Par la loi n° 9/1988 datée du 11/07/1988, la Tunisie a adhéré sans réserve à la charte des Nations Unies concernant la lutte contre la torture.

De même que les principes de l’article 10 de la charte internationale des droits civiques et politiques stipulent que les “individus privés de leur liberté doivent être traités d’une manière qui respecte la personne humaine” et que “le système carcéral doit viser la réhabilitation sociale des prisonniers…”.

Le chapitre 16 énumère les punitions que peut subir un prisonnier.

  1. La privation de colis pour une durée ne dépassant pas les 15 jours.
  2. La privation de la visite des proches pour une durée ne dépassant pas les 15 jours.
  3. La privation des outils d’écritures et de revues pour une durée ne dépassant pas les 15 jours.
  4. La privation de travail.
  5. La privation de certaines récompense.
  6. La privation d’achat de certains articles du magasin de la prison.
  7. L’isolation dans une pièce équipée de structures essentielles et sanitaires pour une durée ne dépassant pas les 10 jours.

La nature de ces punitions et leurs durées sont décidées par une commission de discipline ceci quelque soit la qualification des actes pour lesquels le détenu est jugé et emprisonné, le directeur de la prison peut adresser un avertissement ou un blâme au prisonnier sans l’avis de la commission de discipline.

Le chapitre 18 stipule que : “Un prisonnier ne peut subir une punition sans être entendu et sans examens de ces arguments, de même qu’il a le droit de faire appel de cette décision auprès de l’administration pénitentiaire dans un délai de deux jours”.

La fin des interrogations et la signature du procès verbal signifient l’imminence de l’incarcération dans la prison en attente du jugement et le “transport” des locaux de la police vers la prison était vécu comme la fin des humiliations et de la torture, la possibilité, de voir les proches, de reprendre la lecture et d’avoir des moments de répits nécessaires à la réflexion et au questionnement de soi et de son vécu.

La dernière décennie sortait de ce schéma et s’inscrivait dans une autre logique complètement différente et le défi pour les prisonniers d’Ennahda étaient de sortir physiquement et mentalement saints de la prison, nombreux n’ont pu relever ce défi et garderont des séquelles définitives de cette destruction réfléchie voulue et organisée par les sphères les plus hautes du pouvoir. Il est peut être impossible de citer tous les dépassements, “bavures” et crimes à l’encontre des prisonniers d’Ennahda car c’était le vécu quotidien, résultat d’une pratique systématique et d’une politique volontaire dont les tortionnaires rivalisaient parfois “d’imagination et de créativité” pour l’exécuter.

Les pressions sont continues et sans relâches, la surveillance s’effectuait de jour comme de nuit, à l’intérieur comme à l’extérieur des cellules, les actes de “solidarité” ou de toute vie commune en groupe sont interdits :

  • Il est interdit d’échanger de la nourriture.
  • Interdit de donner des tickets de buvettes,
  • Interdit de s’entraider pour nettoyer la cellule,
  • Interdit d’échanger les quelques journaux officiels disponibles.
  • Interdit de se passer le livre du Coran.
  • Interdit de se parler entre prisonniers politiques occupant la même cellule.
  • Interdit de regarder ensemble la télévision.
  • Interdit d’avoir un lit individuel.
  • Interdit de dormir l’un à proximité de l’autre (interposition d’un prisonnier de droit commun).
  • Interdit de prier ensemble.
  • Interdit de lire le Coran ensemble.
  • Les tapis pour la prière sont interdits.
  • Interdit de prier après 21 h et avant 8 h le matin.

En quittant sa cellule, le prisonnier doit saluer les gardiens et d’une manière toujours sujette à des interprétations de la part de ces derniers, ce qui vaut gifles et humiliations à celui-ci. Dans la cour les prisonniers doivent marcher par deux et en s’éloignant des fenêtres des cellules ce qui fait que le périmètre de la marche est de plus en plus restreint, et après quelques minutes seulement c’est le retour aux chambres de nouveau.

Les visites des parents sont des moments de tristesse et de provocation. Les prisonniers sont fouillés d’une manière humiliante parfois c’est une véritable punition, un gardien est interposé entre le prisonnier et sa famille malgré le parloir, tout est noté et beaucoup de prisonniers sont sanctionnés (isolement, interdiction de visite…) à cause d’un geste ou d’une parole mal interprétée par le gardien. La nourriture fournie par les familles est objet de restriction quantitative et qualitative et ne reste généralement dans le couffin qu’une ou deux rations alimentaires, dans le but déclaré d’affaiblir physiquement les prisonniers et de briser tout élan de solidarité avec leurs familles.

Le jour de la visite n’est pas celui du “couffin” avec ce que cela constitue comme difficultés pour la famille surtout avec les mesures d’éloignement des prisonniers dans des prisons autres que celles de leur ville.

Le courrier fait l’objet de surveillance stricte et les lettres sont noircies de phrases et de paragraphes “effacés” par des marqueurs. Au de la des salutations, rien ou presque n’est autorisé dans les lettres adressées par les prisonniers à leur famille.

Les colis subissent le même sort, ils sont interdits et confisqués s’ils proviennent de personne n’appartenant pas à la famille, et rien n’est autorisé à part le dentifrice, le savon et le shampoing.

Témoignage du prisonnier Chokri Zoughlami

“Durant le mois de décembre 1991, nous étions en train de prier quand le directeur de la prison Ezzedine Nsaïbia et ses gardiens ont investi la cellule et interrompu la prière et ont traîné un groupe de prisonniers hors de la cellule qu’ils ont carrément jeté pieds nus dans la voiture de la prison et transféré à la prison de Messadine. Leurs affaires et vêtements ne leurs ont été restitués qu’après quelques jours”.

Témoignage du prisonnier Lotfi Snoussi

Après vingt quatre heures de la réception “chaleureuse”, le directeur de Bourj Erroumi nous a prévenu que la prière en groupe et la prière de nuit sont interdites. Quand on a été transféré à la prison de Tunis à la cellule B1 en septembre 1992 l’agent “Temimi” a fait un discours pour rappeler les interdits :

Il est interdit de se partager de la nourriture.

Il est interdit de se rassembler plus que deux pour manger et prier.

Il est interdit de prier en dehors des heures des “prières obligatoires”.

Il est interdit de parler aux prisonniers du droit commun.

Il est interdit de parler à un prisonnier autre que le partenaire de prière.

Après six mois j’ai été transféré à la zone 3 G dirigée par l’adjudant Omar Habib, connu comme quelqu’un de spécialiste pour extirper les démissions des prisonniers de leur mouvement et la recherche de “caches d’armes” et de tracts hostiles aux autorités… Il a empêché la prière avant 8 h et les douches (même avec l’eau froide) en dehors de la douche hebdomadaire. Il a interdit aussi l’échange de regards entre deux prisonniers n’occupant pas la même cellule, quand un de nous croisait un autre prisonnier d’une autre cellule le gardien se mettaient à crier “tournes toi au mur, tournes toi au mur”, cette mascarade n’a cessé qu’en 1998.

Il a interdit le Bournous (sorte de manteau traditionnel tunisien), la Djebba et puis les pantalons blancs cousus même selon un modèle non traditionnel.

Témoignage du prisonnier Adel Soufi

Durant l’été 1999, dans la prison de Bourj Erroumi, on a été obligé de faire la prière individuellement : les gardiens nous ont dit : “chacun prie tout seul, personne ne donne la nourriture aux autres, personne ne lit le Coran avec les autres, il est interdit de prier la nuit, il est interdit de s’asseoir sur un lit autre que le sien, il est interdit de parler aux autres pri…

Avant le ramadan de l’année 1996, le directeur de la prison Fouad Wali est venu dans notre cellule pour nous dire que “la prière ne se pratiquait qu’individuellement et qu’on pouvait manger à deux…” quand nous avons refusé d’obéir on a été punis et torturés et obligés de signer des documents où on s’engageaient à prier individuellement…

En mai 1996 et toujours à la prison Bourj Erroumi, on nous a interdit de prier avant 8 h du matin.

Témoignage du prisonnier Ahmed Lamari

En septembre 1992, j’ai été transféré à la cellule 6 d, on nous a empêché de prier en groupe, on étaient six prisonniers politiques parmi une trentaine de codétenus de droit commun, “ils se bousculaient” pour nous dénoncer aux gardiens ; chacun de nous était obligé de dormir dans le même lit à côté d’un prisonnier de droit commun qui change chaque nuit, beaucoup d’entre eux étaient atteints de galles ou avaient des poux ou même énurétiques”.

Témoignage du prisonnier Sadok Chourou

Durant l’été de l’année 1993, le capitaine IDANI Nabil nous a surpris en train de faire la prière en groupe dans la cellule 2 du secteur des cachots de la prison de Tunis, nous avons été battu sauvagement surtout avec la falaka (on met une corde au tour des pieds qu’on serre avec un bâton en le tournant et on les frappe jusqu’à parfois l’éclatement en sang des plantes des pieds).

Témoignage du prisonnier Jamel Chiirat

En 1994, le prisonnier Migri Omar a été puni par son transfert de la cellule 4B de la prison de Bourj Erroumi et la privation de lit parce qu’il s’est réveillé pour le s’hour (manger avant l’aube pour mieux supporter le jeûne de la journée).

Témoignage du prisonnier Lotfi Mhiri

Le directeur de la prison de Sfax (sud de la Tunisie), Adel Abdehamid, a non seulement interdit le livre du Coran, mais il est allé jusqu’à interdire d’écrire les versets de Coran sur le papier aluminium des paquets de cigarettes (les prisonniers l’utilisent comme moyen pour apprendre le Coran) ; et celui sur lequel on trouvait ce morceau de papier est battu et est isolé dans les cellules cachot.

Témoignage du prisonnier Mohamed Kalaoui

Lorsqu’on est arrivé à la prison d’Ennadhour le 27/5/94 un certain Abderraouf, rapportant les paroles du directeur de la prison Aouni Hichem nous a cités les interdits :

Interdit de prier en groupe,

Interdit de partager de la nourriture,

Interdit de dormir sur les lits inférieurs (car généralement plus confortables que les lits supérieurs),

Interdit de donner des tickets de buvette à un autre prisonnier politique ou de droit commun, les tickets (et de ce fait) portaient le n° de chaque prisonnier.

Témoignage du prisonnier Mounir Labidi

Dans la prison du Kef (Nord Ouest) dirigée par Sendid Adel, son adjoint Reguima Mahmoud avait une maquette de la chambrée et avec l’emplacement des lits, il m’a placé en face des toilettes avec bien sûr comme compagnon un prisonnier de droit commun…

Quand on a été transféré à la prison de Bourj Erroumi, dans la cellule 1C, on nous a privé des lits inférieurs et interposé des prisonniers de droit commun entre nous.

Les rapports sexuels entre prisonniers de droit commun étaient presque encouragés par l’administration dans le but de pressions psychologiques sur les détenus d’Ennahda et ceux qui osaient se plaindre ont été soit battus, soit isolés ou transférés dans d’autres prisons.

Témoignage du prisonnier Adel Soufi

Dans la prison de Bourj Erroumi dirigée par Kilani Belh’sen (1992-1995) dès qu’un conflit se déclenchait entre un prisonnier islamiste et un autre de droit commun, le premier est puni automatiquement sans chercher à savoir la responsabilité de chacun, ce qui nous a poussé à éviter tout conflit avec les autres, et de ce fait nous sommes souvent la cible de chantage de véritable racket pour éviter les sanctions et les isolements.

Témoignage du prisonnier Mouhiddine Ferjani

A la prison de Gabès, le directeur Ryadh Laamari nous a informé par l’intermédiaire de son second Youssef Salmi que la prière était interdite avant 8 h, c’était le 24/10/1995.

Témoignage du prisonnier Youssef Rabaoui

A la fin du mois de décembre 1993, j’étais dans la cellule 3 B à la prison de Bourj Erroumi, nous étions très surveillés à l’intérieur même des cellules. Un des prisonniers islamistes a profité de la coupure de l’électricité pour donner une cuillère d’harissa à un autre prisonnier, il a été malgré tout dénoncé et a été isolé pendant 10 jours.

Témoignage du prisonnier Abderrazek Mazgarichou

En 1989 on m’a isolé dans l’infirmerie de la prison de Tunis sous prétexte que j’étais sous surveillance médicale. Le Principal Ben Aziza n’a cessé de dénoncer mes agissements (imaginaires) contraires aux règlements de la prison jusqu’à mon transfert au cachot.

Témoignage du prisonnier Ibrahim Zoughlami

Saluer les gardiens était souvent une des opportunités pour nous punir, car il fallait non seulement saluer les gardiens mais bien les saluer. Le prisonnier Mohamed Trabelsi a eu toute sorte de sanction de la part de Omar Saouef, directeur du secteur des cachots en 1996, sous prétexte qu’il ne salue pas correctement les gardiens. Monsieur Trabelsi ne pouvait ouvrir complètement sa main à cause d’une incapacité.

Témoignage du prisonnier Chokri Zoughlami

Ala fin des années 1990 à la prison de Tunis des gardiens sont allés jusqu’à nous obliger à saluer une casquette, d’un des leurs, posée sur une chaise ou le chien de garde attaché dans la cour de la prison.

Témoignage du prisonnier Lotfi Snoussi

A la prison de Tunis et à l’occasion de la visite, l’agent chargé de la fouille obligeait les prisonniers à se mettre nus, cette mesure n’a été suspendue qu’en 1997.

Témoignage du prisonnier : Fouad Gharbi

L’administration carcérale a tout fait pour combattre les pratiques religieuses, telles que la prière collective et celle du vendredi, le Dhikr (invocations divines), l’appel à la prière. Le directeur de la prison de Messadine avait pour sa part interdit le port du Bermuda dans les chambrées et la douche.

Témoignage du prisonnier Lotfi Senoussi

Au cours de l’été 1991, l’agent Belgacem, alias M’Loukhia, nous distribuait les couffins de provisions à dix huit heures, prétendant que c’étaient nos familles qui étaient responsables du retard. Ces dernières les ramenaient pourtant le matin. Evidemment à 18 heures et surtout en été, les denrées alimentaires et les fruits, tel que le pastèque sont rapidement avariés. D’autre part, la moitié des provisions est souvent détournée par les agents (tels que Karim Ben Hajjala, Abid, Saïd) sous la houlette du chef du pavillon, le dénommé Abdel Majid Tissaoui. Le cercle des bénéficiaires de cette manne s’est parfois élargi à leurs amis et même à leurs familles. Ils en étaient venus à stocker les denrées ainsi détournées dans la chambre froide de la prison. Certains d’entre eux approvisionnent leurs familles en produits tels que le miel, l’huile d’olive, les fruits et légumes. Le pillage ne s’arrêta qu’en 1998.

Témoignage du prisonnier Kamel Besbès

Au cours de l’année 1994, des détenus islamistes ont été sanctionnés par leur mise en isolement. Pour éviter de se faire déshabiller, ils avaient solidement noué leurs culottes autour d’eux, ce qui n’a pas empêché les gardiens de les leur arrachées. Je citerai les exemples de Fethi Jabrane, Mehrez hannachi, Lotfi Slama, Salem Dilou et d’autres.

Témoignage du prisonnier Mounir Labidi

A la prison du Kef dirigée par Adel Sendid, en 1992 la liste des aliments interdits changeait d’une semaine à une autre, à tel point que les familles n’arrivaient plus à faire la part entre ce qui est interdit et ce qui ne l’est pas. Ma fille âgée de trois ans m’a demandé à l’occasion d’une visite pourquoi sa mère se fatiguait à préparer des plats dont la moitié serait jeté en poubelle.

Témoignage du prisonnier Chokri Zoughlami

A la prison de Sousse, en 1993 et sous l’administration de Mohamed El Hédi Belkadhi, les familles étaient obligées à éplucher tous les fruits pour nous obliger à les consommer le plus rapidement possibles. Prises de court les familles étaient obligées de le faire devant la porte de la prison.

Témoignage du prisonnier Noureddine Arbaoui

A la prison de Mahdia (1994/1995) dirigée par Hédi Zitouni, j’ai eu le “couffin” avec une seule orange, une seule olive, une seule datte et l’équivalent d’une assiette de petit pois. Le reste a fini dans le ventre des gardiens.

Témoignage du prisonnier Ibrahim Zoughlami

A la prison de Tunis en 1992 nous étions à la chambre 17E… Les stylos, les livres et les cahiers étaient interdits… lors de la séance de rédaction des lettres aux familles, le directeur du pavillon nous donnait cinq stylos pour une durée de deux heures et pour un nombre de 74 prisonniers islamistes, le temps de rédaction pour chacun était de 8 minutes ? !

Témoignage du prisonnier Ali Chniter

Ala prison d’Ennadhour en 1993, les lettres adressées aux familles faisaient l’objet de surveillance très stricte des semaines devraient s’écouler sans qu’aucune lettre ne

parvienne à nous ou à nos familles. Le prisonnier Hamadi Jebali, et de ce fait, se contentait d’écrire la phrase suivante “je me porte bien, j’espère que vous vous portez

bien, wa Assalam (salutation)” ce qui n’a pas empêché la saisie de sa lettre !!

Témoignage du prisonnier Ibrahim Siidani

Le gardien qui s’occupait du courrier dans la prison de Tunis, Houcine Kammassi, saisissait les lettres portant de bonnes nouvelles au prisonniers et dans le meilleur des

cas ne la donnait au prisonnier qu’après que de longues semaines s’écoulent après l’événement ; Mon fils m’a envoyé un télégramme m’informant de sa réussite en Juin 1999, amis il ne m’est parvenu qu’après deux mois, et c’est ce qui s’est passé avec le prisonnier Ahmed Lamaari, quant au prisonnier Mohamed Gueloui, la lettre l’informant de la réussite de son fils durant l’année 1994 ne lui est parvenue qu’après 3 mois.

Témoignage du prisonnier Ridha Siidi

Il est connu que dans la prison de Tunis les lettres contenant des mauvaises nouvelles parviennent rapidement aux prisonniers et de ce fait je demandais à ma famille de commencer la lettre par une nouvelle de décès et c’est ainsi que durant ces derniers années ma grand-mère était décédée une dizaine de fois, à peu près !!

Témoignage du prisonnier Mohamed Aoun

L’agent Houcine Khammassi chargé de surveiller le courrier, barrait chaque phrase à contenance religieuse ; en 1992 et lors de la visite du président de la haute commission des droits de l’Homme (proche du pouvoir) Mr. Rachid Idriss à la cellule 17 E dans la prison de Tunis, il était stupéfait de constater qu’on a barré la phrase “que dieu bénisse le prophète” dans une lettre.

Témoignage du prisonnier Samir Dilou

Mon frère m’a adressé une lettre datée du mois d’Août 1997 quand j’étais à la prison de Messadine, la lettre ne m’est parvenue que dans la prison de Jendouba (Nord- Ouest de la Tunisie) après un passage de cinq mois à la prison de Tunis.

Témoignage du prisonnier Ibrahim Zoughlami

Quand j’étais à la prison de Bourj Erroumi ma famille m’a informé qu’elle m’a envoyé un coli en novembre 1995, mais je ne l’ai reçu que le 15 décembre 1997 après mon

transfert à la prison de Tunis et après une grève de la faim.

Témoignage du prisonnier Ridha Boukadi

Le 3 août 1996, j’ai été incarcéré dans la prison de Tunis dans le pavillon des cachots avec isolement complète.

L’administration n’a pas informé ma famille du lieu de ma détention, et j’ai été privé de courrier et de la visite pendant une année.

Humilier les prisonniers islamistes était une pratique courante dans les prisons tunisiennes. La fouille était périodiquement pratiquée, le plus souvent à l’improviste ; on investissait la cellule, on demande au prisonnier de faire sortir toutes ses affaires et de se mettre complètement à nu, on lui donnait un coup sur le dos en criant : “inclines-toi, écarte tes jambes et tousse”. Les vêtements étaient souvent inutilisables après cette fouille.

Témoignage du prisonnier Kamel Chiirat

Dans la prison de Bourj Erroumi, le prisonnier Omar Migri a été sanctionné parce que le reste des prisonniers l’appelaient “oncle Omar” du fait de son âge.

Témoignage du prisonnier Badr Eddine Abdelkafi

Le prisonnier Rejeb Moujahed a été isolé 3 jours car les prisonniers l’appelaient par son nom Maoujahed (en français combattant), les gardiens croyaient que c’était un surnom.

Témoignage du prisonnier Samir Dilou

En 1995 et à la prison de Bourj Erroumi, j’ai été isolé pendant 12 jours dans les cachots après que l’agent chargé de la surveillance de la visite ait rédigé un rapport indiquant que je parlais avec mon frère de “ce qui est derrière les regards” alors qu’on parlaient de la mémoire photographique.

Témoignage du prisonnier Lotfi Snoussi

Durant le mois de ramadan en 1993 j’ai passé 10 jours à l’isolement, les pieds attachés à une chaîne, en portant la tenue de punition, très sale et avec de véritables nids de “poux pubiens”.

Le lieutenant Fouad Ben Mustapha ne cessait de me demander de démissionner du mouvement et quand il a constaté que mon refus était irrévocable, il m’a frappé avec l’aide du lieutenant Fayçal Roumani jusqu’à la perte de connaissance… Après ils m’ont mis à nu et ont versé de l’eau froide sur tout mon corps… et quand je suis sorti pour passer devant la commission de discipline le même lieutenant m’a reçu avec des coups de poing, mais le président de la commission, le capitaine Benneni l’a empêché de continuer à me frapper…

Je garde toujours en tête l’image du prisonnier Temim Smirani : Après les coups de fouets et de poing le lieutenant Foued Ben Mustapha mettait ses deux pieds sur sa poitrine et disait “tu peux implorer Dieux si tu veux”.

Témoignage du prisonnier Badr Eddine Abdelkafi

J’ai été transféré à la prison de Bourj Erroumi le 29 mai 1993 et le lendemain le principal de la cellule m’a informé que c’était mon tour pour nettoyer la cellule “corvée”, j’ai refusé.

Tout de suite c’était l’isolement pendant dix jours sans comparaître devant la commission de discipline, d’ailleurs je n’ai jamais su qu’elle existait malgré que j’avais été sanctionné plusieurs fois. Après les dis jours le directeur de pavillon a demandé au gardien qui me ramenait “tu peux lui “rajouter” deux jours de ma part” (imaginer un marchand de légumes qui vous rajoute deux tomates après la pesée). Et j’ai passé deux jours supplémentaires pour les beaux yeux du directeur du pavillon Boubaker Dridi.

Témoignage du prisonnier Mounir Labidi

En 1993, dans la prison du Kef et dans la cellule n°5 on était en train de prier quand un prisonnier de droit commun a grimpé sur les lits pour être au niveau de la fenêtre et crier “Allah Akbar” (Dieu est grand) faisant croire que ce sont les prisonniers islamistes qui appellent à la prière ce qui est interdit dans les prisons.

Et effectivement les gardiens ont vite investit la cellule accompagnés des membres de la force spéciale antiémeute et de chiens policiers.

Ils nous ont jetés dans la cour et pendant trois heures nous avons rampé. Nous avons été giflés, frappés de coups de pieds, de poing et de bâtons, puis on nous a enchaînés dans des cellules individuelles jusqu’au matin. Le lendemain on a été “dispatché” sur plusieurs prisons, ceux d’entre nous qui étaient originaires du Nord ont été transférés à la prison de Rgime Maatoug à l’extrême sud de la Tunisie.

… A mon transfert à la prison de Bourj Erroumi (1993/1995), j’étais puni parce qu’on m’accusait de réveiller les prisonniers pour la prière de l’Aube. J’étais frappé par un câble électrique, en position de poulet rôti, par un dénommé Mourad. Après on m’a enchaîné sur un lit en acier, les quatre membres écartés et attachés, j’étais complètement nu…

Comme ration alimentaire je recevais du pain dur qu’on m’obligeait à manger. Pour ce faire, ils ne détachaient qu’une seule main. Ils refusaient mes demandes d’aller aux toilettes et j’étais contraint à faire mes besoins dans cette position attaché au lit.

Et je m’estime heureux car j’étais seul dans cette cellule, car dans la cellule voisine il y avait 24 prisonniers dans une surface qui ne dépassait pas les huit m2 et je n’ai passé que dix jours alors que d’autres prisonniers passaient un mois et même deux en isolement.

je m’estime heureux parce que j’ai pu éviter ce qu’a vécu le prisonnier Arbi Oueslati, qui après avoir été attaché dans sa cellule individuelle, on a fait entrer un prisonnier de droit commun, Houcine Saïdi, surnommé “Kerch” (c’est à dire le ventre) qui a été “chargé” par l’administration de violer le prisonnier, “Kerch” en constatant que le prisonnier était une personnage âgée, n’est pas passé à l’acte et a révélé les intentions de l’administration vis à vis du prisonnier. Ils s’en suivaient des cris hystériques d’angoisses de Arbi Oueslati jusqu’à ce que les gardiens fassent sortir le “Kerch”.

Témoignage du prisonnier Ridha Boukadi

En 1996, j’étais à la prison dans le secteur des cachots. Dans ce secteur on incarcérait les prisonniers sanctionnés et on voyait défiler les prisonniers déchaussés et presque nus, ils étaient parfois 25 dans une cellule ne dépassant pas les 8 m2 y compris les toilettes, (trou dans un coin de la cellule). Avant de regagner leur cellule, ils étaient frappé, attachés dans la position de poulet rôti et à la fin de l’eau froide était versé sur leur corps…

Parfois quelques prisonniers sont attachés à la porte de la cellule (côté extérieur) pendant 24 heures, les cris qu’ils poussaient déchiraient la nuit, nos coeurs et fragmentaient nos esprits.

Les prisonniers étaient attachés aussi à des lits en acier et pouvaient rester dans cet état des nuits et des jours voire même des mois comme les cas des prisonniers

Mohammed Bennani et Hedi Kourchani… Parfois ils étaient contraints à faire leurs besoins dans cette position…

Cet “atelier” de torture était supervisé et dirigé par plusieurs officiers dont Belhassen Kilani.

Témoignage du prisonnier Chokri Zoughlami

En février 1992, à la prison de Sousse, le directeur Mohammed Hedi Belkadhi procédait à des fouilles hebdomadaires. Une fois il a trouvé le manuscrit d’un poème, et considérant -à faux- que quelques vers visaient le chef de l’état, l’administration a tiré quelque prisonniers dont moi-même (Nourredine Brinisi, Fethi Gazouani, Béchir Balti) pour les incarcérer dans une petite cellule (2 m2 sur 1,5 m2) sale et insalubre. Sur le plancher, il y avait un trou d’où sortaient des odeurs écoeurantes et des rats. On utilisait un torchon (morceau de couverture) pour boucher le trou. L’adjudant Youssef confisquait chaque fois le torchon parce que d’après ces dires les odeurs et les rats “faisaient partie de la peine”.

Témoignage du prisonnier Sami Nouri

Février 1992, prison de Tunis.

Le prisonnier Mouldi Ben Omar était dans la chambrée G1. Un prisonnier de droit commun (du nom du Gabsi) s’est assis près de lui, et dessina une maison. Quelques

moments se sont écoulés avant que les deux prisonniers ne soient conduit dans une pièce pour être interrogés. Le dessin était pour l’administration un plan de la prison et pour eux le prisonnier Mouldi Ben Omar préparait sa fuite, malgré l’insistance de l’autre prisonnier que c’était simplement une maison, Monsieur Mouldi Ben Omar

était torturé toute la journée et toute la nuit par les tortionnaires Belgacem Chikhaoui (de surnom Mloukhia) Hassan Benney et Ammar dirigés par le lieutenant Belhasan Kilani. Mouldi Ben Omar est décédé à l’aube…

Tout de suite son codétenu a été mis dans l’infirmerie de la prison, et les prisonniers islamistes qui étaient dans la même cellule que Mouldi ont été répartis dans d’autres

chambrées.

Témoignage du prisonnier Abdelkarim Baalouch

Décembre 1991, prison de Tunis On était douze prisonniers à la chambrée au secteur D malgré le véritable embargo d’information qu’on vivait, on a quand même pu savoir le résultat du 1er tour des élections législatives en Algérie.

Nous avons laissé éclater notre joie et nous n’avons pas essayé d’en dissimuler la cause quand le lieutenant et le responsable de la sécurité nous ont demandé pourquoi

nous étions si contents.

Mais la nuit venue et à dix heures le soir, on nous a demandé de quitter la cellule et à la sortie environ cinquante agents accompagnés de chiens dirigés par le lieutenant et le chef de sécurité ; Chaque prisonnier était “pris en charge” par deux agents qui en le traînant vers un tunnel le frappaient à coups de poing et de matraques.

A l’arrivée on nous a forcés à nous déshabiller, puis de nouveau frappés à coups de matraques et de pieds (chaussures militaires) jusqu’à ce que nous ne pouvions plus tenir debout… On nous a ensuite enchaîné au mur.

Nous sommes restés dans ce tunnel dix jours. Et durant ces dix jours, nous étions frappés quotidiennement. Le lieu était lugubre et le froid nous transperce la peau.

Comme nourriture nous recevions un pain par 24 h. Un seau qu’on se passait nous servait de toilette. Une seule couverture qu’on nous donnait à six heure le soir et qu’on

nous reprenait le matin à 8 h, à la fin des dix jours, nous avons été séparés en deux groupes et transférés dans deux cellules étroites 2,5m/4m chacune, sans lits pour dormir.

Durant cette période, ceux d’entre nous qui étaient malades ont été privés de médicaments. On citera comme exemples Ammar Boubaker cardiaque et Mohamed Ali

Tebbessi hémorragie grave (ses hémorroïdes ont été aggravées par la torture).

Témoignage du prisonnier Hassouna Naili

Fin décembre 1991 prison de Tunis.

Nous étions environ une quarantaine dans la cellule 3DA. Complètement isolés du monde extérieur privés de journaux et de télévision, la visite hebdomadaire ne durait que quelques minutes.

Mais à l’heure du journal télévisé nous écoutions à travers la fenêtre la télévision de la cellule voisine et c’est ainsi qu’on avait pris connaissance du résultat du premier tour des élections législatives algériennes. Cris de joie, chansons et poèmes s’ensuivirent.

Mais quelques moments plus tard les gardiens de nuits sont venus et ont emmené quatre prisonniers pour les interroger, deux sont revenus après un interrogatoire violent et sauvage, les deux autres ont passé la nuit (une nuit d’hivers 27/12/1991) nus, dans le couloir et comme d’habitude on les a arrosé d’eau froide. Le lendemain nous furent attaqués par les forces spéciales armées de matraques et dirigées par l’adjudant chef “Ammar” et les deux lieutenants Belhasen Kilani et Imed Ajmi.

Ils nous séparaient en groupes de cinq et nous faisaient sortir avec nos affaires, ils nous frappaient à coup de poing, de matraques et de pieds. Par la suite on nous a obligé à rester sur les genoux la tête tournée au mûr et les bras levés. Les agents passaient derrière nous en nous frappant à coup de matraque… Quand un des prisonniers n’en pouvait plus et commencer à crier très fort et de manière hystérique, ils lui remplissaient la bouche par un torchon au risque de l’étouffer.

Quant à moi, on m’a ordonné d’enlever le bournous et quand j’ai demandé de le garder parce que j’étais malade on m’a répondu “qu’ils avaient les médicaments qui me guérissaient” et ils ont jeté mes affaires et m’ont massacré à coups de matraques.

Après nous avoir ramené à la cellule, le tortionnaire Ammar est revenu pour faire sortir la moitié des prisonniers et les obliger à ramper jusqu’au secteur d’isolement. Là bas ils nous ont quasiment arracher les vêtements et nous ont obligé à mettre des pantalons sales, de véritables nids de poux. Dans ses cachots il n’y avait ni lits ni couvertures malgré le froid. Après quelques jours ils nous faisaient sortir et ont gardé cinq d’entre nous dans la cellule dont les prisonniers Abdelhamid Jlassi et le docteur Ahmed Labyedh. Lire c’est impossible,

s’informer c’est interdit

“la page internationale était complètement déchirée, parfois le journal correspondait aux pages sportives, on appelait les articles découpés les ‘fenêtres’.”

Article 14 du règlement intérieur des prisons :

“Le prisonnier a le droit de :…

12- Recevoir de quoi écrire et les livres de lecture après contrôle…”

Article 28 : “Dans chaque prison il y a une bibliothèque contenant livres et revues au service des prisonniers…”

Article 69 : “Il est permis au prisonnier d’exercer des activités éducatives et culturelles…”.

Article 71 : “Il est permis au prisonnier de lire les journaux quotidiens et les revues qui sont vendus à l’intérieur de la prison. Il peut les acheter ou les recevoir de sa famille après contrôle”.

Il n’y a pas que le corps et la peau qui enveloppent le prisonnier qui subissent coups et tortures dans un but d’affaiblissement et d’anéantissement (on l’a vu avec les témoignages précédents, les prisonniers sont déshabillés avant d’être frappés pour que le contact soit direct avec cette peau pour être sûr de la toucher, de la blesser et de la déchirer).

D’autre peaux et enveloppes protégeantes et stabilisatrices de la personne sont visées. La peau ou l’enveloppe affective est visée à travers une humiliation continue et permanente des prisonniers et surtout la maltraitance, l’humiliation et le calvaire des familles des prisonniers.

La peau ou l’enveloppe intellectuelle aussi est visée par une véritable déshydratation provoquée. Tout est interdit : journaux, livres, télévision, livre du Coran, discussion, échange d’information avec la famille. Tout ce qui peut entretenir cette enveloppe est prohibé et beaucoup de prisonniers ont été punis parce qu’on trouve avec eux un crayon noir ou une feuille.

Et ce n’est pas l’acte isolé de quelques directeurs de prisons zélés, c’est une politique systématique et organisée ; les paroles d’un des haut fonctionnaire de l’administration pénitentiaire le colonel Ali Ben Aïssa ne sont pas un lapsus “on va faire en sorte pour que vous deveniez analphabète”.

Et on comprend pourquoi les prisonniers islamistes sont taxés de prisonniers d’exception ; le sens de l’exception c’était la destruction et l’anéantissement par tous les moyens et c’est l’autre face de la politique d’éradication du mouvement islamiste prônée par le gouvernement tunisien.

Témoignage Anonyme

Un prisonnier à qui l’administration a refusé un livre de mathématiques a demandé à sa famille de le cacher dans un plat de couscous pour le lui faire parvenir, l’administration, vigilante, s’en est, malheureusement, rendu compte et le prisonnier a été condamné à une semaine de cachot. Il répétait souvent : “un couscous à la viande ou aux poissons est permis, mais un couscous aux équations mathématiques est un danger pour la sécurité de la prison”.

Témoignage du prisonnier Abdellah Zouari

A la prison de Tunis, la plupart de livres remontent à l’époque d’avant l’indépendance et portent le cachet : Protectorat Français – Régence de Tunisie. Et la bibliothèque était rarement fournie en nouveaux livres. Au contraire, beaucoup de livre ont été retirés, comme Tahrir et Tanwir de Mohammed Tahar Ben Achour, l’Introduction d’Ibn Khaldoun, l’histoire de la littérature arabe de Taha Hussein…

Mais des livres de certains auteurs laïques ont aussi été retirés tels que ceux de Nasr Hamed Abou Zid ou de Fraj Fouda car ils étaient source d’inspiration à des discussions entre prisonniers.

Les livres qui sont fréquemment demandés par les prisonniers sont aussi retirés tel que la civilisation islamique de Adam Metz.

Les livres relatant l’expérience des prisons ont disparu aussi tel que :

Cristal de Gilbert Naccache,

Charq Al Mutawasset de Abderrahmane Menif,

Des poèmes de Mahmoud Darwich,

7 ans de pénitence de Nicol Gérard,

7 portes de Abdelkarim Galleb,

Lamère de Maxime Gorki,

La 25ème heure de Virgil Géorghiou,

Les élèves et les étudiants étaient empêchés de poursuivre leurs études et de passer leurs examens.

Un des directeurs “Ezzedine Nsaïbia” a rompu avec cette politique et a laissé quelques étudiants prisonniers passer leurs examens à l’Ecole Normale de Sousse mais l’administration centrale est intervenue au 3ème jour pour les empêcher de passer les autres épreuves.

En juillet 1991, le prisonnier Samir Dillou a interpellé le directeur précédent de la prison de Sousse pour lui demander pourquoi les étudiants et les élèves ne pouvaient pas passer leurs examens alors que la loi ne l’interdit pas et qu’il y avait beaucoup de jurisprudences allant dans ce sens. La réponse du directeur était un peu plus claire : “On ne veut pas que vous appreniez, votre place normale est dans les cavernes”.

Parmi les décisions “normales” et “naturelles” de l’administration est qu’on cessait les prêts des livres pour cause de bilan et d’organisation et ça peut durer jusqu’à 9 mois comme c’était le cas de la prison de Sousse. Quant à Bourj Erroumi on ne pouvait avoir les livres qu’après corruption du prisonnier chargé de la bibliothèque.

Témoignage du prisonnier Abderrazek Mazgarichou

En 1987, j’étais en isolement complet et je n’ai appris la nouvelle du coup d’Etat du 7 novembre qu’au mois de décembre de la même année…

A la prison de Mahdia deux journaux était seulement vendus dans la prison ; ceux du parti au pouvoir.

Témoignage du prisonnier Najib Laouati

Septembre 1993, Prison de Bourj Erroumi.

On n’avait accès qu’aux deux quotidiens du parti au pouvoir le renouveau en français et “Al Hourrya” en Arabe (liberté en français).

A la prison de Tunis en 1996, le prisonnier pouvait choisir entre un journal en Arabe ou en Français seulement, le titre c’était l’administration qui en décidait.

Dans d’autres prisons (Lahouareb dirigée par Fayçal Rommani, Jendouba dirigée par Belgacem Khadroui) l’administration expliquait l’absence des journaux par le fait que les prisons sont loin de la ville. Et en 1994, on procédait systématiquement à une sélection des articles et des rubriques, la page internationale était complètement déchirée, parfois le journal correspondait aux pages sportives, on appelait les articles découpés les “fenêtres”.

Après quelques actions de protestation, l’administration ne procédait plus à la sélection des articles, elle retenait complètement le journal et la moyenne statistique de la restriction était 5/7 jours.

Beaucoup de prisonniers islamistes ont été privés de télévision, quelques uns parmi eux ont vécu cinq ans sans regarder la télévision à la chambrée 17 E de la prison de Tunis. Et on ne pouvait regarder que la chaîne tunisienne dans beaucoup de prisons. A Bourj Erroumi, l’administration baissait le volume (contrôlé de l’extérieur) à l’heure du journal télévisé, et dans les prisons où on pouvait voir les chaîne étrangères (RAI et F2), toutes les émissions culturelles : Envoyé spécial, D’un monde à l’autre, Mots croisés, Géopolis, Polémique, Bouillon de culture, Bas les masques, ça se discute étaient interdites. Même quelques films égyptiens ont été interdits pour le simple fait qu’on y racontait la vie dans la prison : film “Laylon wa Kodhbane (nuit et barreaux) (chasser le ridicule il revient par la fenêtre) les chaînes de télévision ont été remplacées par un réseau interne de télé vidéo avec des films de la série “Z”.