Au nom de Dieu le tout puissant le très miséricordieux
Un intellectuel arabe contemporain, le premier spécialiste en islamologie, le Docteur Mohammed Arkoun, a posé sur le mode de l’étonnement une question stimulante dans l’introduction de son livre, l’historicité de la pensée arabo-islamique : il a exprimé son étonnement face au déferlement du phénomène islamiste en Algérie dans les universités scientifiques dans les années quatre vingt du siècle passé. Et cela s’est passé de même en Tunisie avant que le mouvement islamique ne soit liquidé. Je me vois contraint à formuler cette question, toutefois sans étonnement : comment est-il possible qu’une cervelle qu’on suppose cartésienne soit porteuse d’une idéologie religieuse ? Et comment est-il possible aussi pour des universités scientifiques modernes dont on suppose qu’elles se fondent sur la rationalité scientifique de se renier et de tomber, comme on dit, dans une pensée réactionnaire et obscurantiste ? Et que sorte de leurs entrailles un courant de l’islam politique ? Puisque vous avez de hautes compétences scientifiques et parce que vous appartenez au mouvement de l’Islam en Tunisie depuis sa fondation, vous êtes le plus à même de répondre à cette question.
C’est vrai que le docteur Mohammed Arkoun a retenu toute mon attention. Après la fermeture de la mosquée de la Zitouna, où a été fondée la première mosquée, une première mosquée a été fondée à la faculté de sciences en janvier 1972. A l’époque le courant marxiste était hégémonique et ses partisans parlaient en français. Lorsque je suis rentré à la l’université, j’avais dix-sept ans. Nous avons fondé en 1970 un comité que nous avons nommé le comité de sauvegarde de l’arabe dans les milieux estudiantins. Ses trois membres les plus importants étaient : Rayed Marrakchi, l’ingénieur Slim Sabah et moi-même. Par la suite Bouachir nous a rejoint. Celui qui rentrait dans le comité s’engageait, s’il parlait en français, à devoir payer 5 millimes. Donc quelqu’un qui disait « justement », était sanctionné de cinq millimes, et s’il disait « donc », il devait verser cinq millimes. Et c’est ainsi que tout un chacun parlant français en dehors des cours versait cinq millimes. Nous rassemblions la somme de toutes ces « 5 millimes » à la fin de chaque semaine, et les sommes en dinars nous ont permis d’acheter des fascicules sur les ablutions, la prière, et nous les offrions aux étudiants qui sympathisaient avec nous. C’est ainsi que nous avons commencé à la faculté de sciences en Tunisie en 1970. Au bout d’un an et demi, nous avions une mosquée à la faculté de sciences en section sciences naturelles et mathématiques. Il y avait une petite pièce pour les jeunes gens et une autre pour les jeunes filles. Nous appelions à la prière en dépit du fait qu’on tentait de nous en empêcher. Nos activités ont donc commencé. J’ai rencontré le doyen qui a posé des conditions : que nous ne publions pas d’affiches murales, que nous n’appelions pas à la prière et il nous autoriserait à dérouler les tapis. Il a insisté pour que nous restions discrets. Au bout d’une semaine, nous avons appelé à la prière et fait la prière du vendredi. Au début nous étions trois personnes et au bout d’une semaine, nous étions cinquante.
Chez les scientifiques, il n’y a pas de « je vois, je ne vois pas », ils ne s’appuient que sur des bases logiques, et le Coran est tout entier logique, le Coran est une science au plein sens du terme. Je vais vous en donner un exemple, mon collègue Alfred Gray, président d’un département à l’université du Maryland en Amérique, m’avait invité à venir là-bas, où j’ai été assistant en visite. Ce professeur avait étudié la langue arabe et donnait des conférences en Amérique et il disait que les sciences et la civilisation avaient régressé pendant cinq siècles à cause de la défaite des Arabes car la langue de la science n’était ni l’anglais ni le français, mais la langue du Coran. Et il en fournissait des preuves scientifiques, ensuite en ce qui concerne la logique du Coran, beaucoup de choses semblent délirantes alors qu’elles sont scientifiques à cent pour cent.
Nous apprenons en sciences que la distance entre 0 et 1 est un nombre infini, et d’après les mathématiques, elle équivaut à un chiffre équivalent à l’intervalle entre moins l’infini et plus l’infini, dont la distance entre 0 et 1. Lorsque que le mathématicien sait que c’est juste en maths (cela s’appelle la puissance de continue) et qu’il lit la parole du Prophète (PSL) : « celui qui a lu la sourate de la Pureté, c’est comme s’il a lu tout le Coran », -le Coran est tout entier dans la sourate de La Pureté lui aussi,-donc lorsque le mathématicien entend ce propos, il ne s’étonne pas, mais le philosophe, lui, a du mal à comprendre.
Un autre exemple, la théorie de la relativité générale prouve par la science que si nous prenons un corps solide et que nous le lançons loin du sol, accompagné d’un chronomètre qui, avec le flottant, à la vitesse de la lumière marque une année, et lorsqu’il revient, il enregistre une autre année. Et effectivement, il y a deux années de marquées, et au total, le compteur marque trois ans. Si un nouveau-né a laissé son frère-jumeau sur terre, lorsqu’il reviendra, le deuxième aura pris cent ans. Comment cela se fait-il ? Lorsque nous sortons du référentiel dans lequel nous vivons, le temps devient relatif, et la seconde au sol compte par exemple pour un siècle ou le siècle compte pour une seconde, ainsi le Prophète (PSL) lors de l’épisode de elisra’ wel mi’raj, il est relaté dans un hadith que lorsqu’il est sorti et qu’il a prié à Jérusalem et qu’il est monté au ciel, qu’il a vu les gens cultiver et récolter, donc il s’est passé une année entière, et que lorsqu’il est revenu, son lit était encore chaud, dans le sens qu’il n’avait pas quitté son lit plus de quelques minutes, mais pendant ces minutes, le Prophète (PSL) a vécu des années en voyage.
Autre chose, lorsqu’Il parle de son cheval « elbourak », il dit qu’il pose ses sabots là où sa vue peut porter. J’ai commenté cela aux étudiants en techniques : il pose ses sabots dans « plus l’infini », alors qu’on pensait qu’il n’y avait pas de vitesse de « plus l’infini » plus mais en 1989, on a reconnu son existence, ainsi il a été possible à Azraïl de se saisir des âmes à plusieurs endroits en même temps (plus l’infini) car il n’y a pas de temps entre la prise d’une âme et une autre.
J’étais à Paris lorsque j’ai passé un coup de téléphone au mathématicien Gelfand de la Californie. J’avais plusieurs remarques à faire sur sa recherche. Il m’a parlé et m’a dit : La paix soit sur toi, je suis ton frère Jaafar ! C’est le plus grand savant en algèbre ; il m’a dit : « Mon frère sais-tu que la logique des mathématiques est la logique du Coran, donc pourquoi n’y croirais-je pas ? »
Je retourne la question maintenant. Qu’est-ce qui fait qu’un savant de la stature du Docteur Mohammed Arkoun qui bien étudié le Coran et les Hadiths et connaît parfaitement la philosophie islamique s’étonne que les universités scientifiques aient donné le jour en Algérie au phénomène islamique ?
La chose est différente entre celui qui comprend le Coran de l’intérieur de la science et celui qui le lit de l’extérieur. Mohammed Arkoun, lui, le voit de l’extérieur de la science. Les mathématiques ont une logique cosmique irrécusable. La raison en est sans doute la distance qui sépare les sciences humaines des mathématiques en tant que science exacte. L’étudiant en sciences, sans en avoir conscience, se construit une logique scientifique. Lorsqu’il étudie l’islam et le Coran, il trouve spontanément qu’ils correspondent à la logique scientifique sur laquelle il a construit sa pensée.
J’ai eu l’honneur d’être rapporteur au centre « Zentralblatt für Mathematic » de Berlin et j’ai pris connaissance d’une recherche scientifique en théorie de la relativité générale faite par un Israélien qui avait été l’assistant d’Einstein en Allemagne avant la seconde guerre mondiale et avant qu’Einstein ne parte aux Etats-Unis d’Amérique. Lorsque j’ai lu cette recherche, je l’ai trouvée toute entière faite de versets exacts du Coran et je souhaitais correspondre avec ce savant pour lui dire qu’il avait volé cela dans le Coran Sacré. Mais par la suite, je me suis contenté de faire des remarques sur la recherche et j’ai dit que la recherche était excellente et elle l’était vraiment. Je vous cite :
Il existe une théorie qui est celle de l’univers en extension. Or si nous lisons le Coran nous trouvons les paroles d’Allah : « Et le ciel, nous l’avons construit renforcé. Et c’est encore nous l’élargisseur » (Qui éparpillent, verset 47). Tout cet univers était un point unique qui a explosé, que les scientifiques appellent Big Bang « Ceux qui mécroient n’ont-ils pas vu que les cieux et la terre étaient bel et bien cousus ? Ensuite nous les avons dégagés tous les deux, et Nous avons désigné de l’eau tout être vivant. Ne croiront-ils donc pas ? » (Les prophètes, verset 30), puis il est dit dans la recherche que l’univers était poussière et fumée « Il s’est établi ensuite vers le ciel, qui était alors une fumée, puis Il lui dit, ainsi qu’à la terre : « Venez, tous deux, de gré ou de force. Tous deux dirent : nous venons tous, obéissants » (Les détaillés, verset 11). Tous ces versets se trouvent dans la recherche et il les valide effectivement en partant de deux états : il procède à une mesure dans la matière et à une mesure dans le vide puis au moyen de Delta et Gamma, il dessine un graphique qui rend compte de ce que serait le monde dans un cercle limité puis il en commence l’extension. Lorsqu’il a atteint ses limites, il se rétracte à nouveau et à son point de départ. Dieu a dit : « Jour où Nous plierons le ciel comme on plie les lettres au rouleau ! Tout comme Nous avons commencé la première création, ainsi Nous la répéterons, _promesse sur Nous ! Oui c’est Nous qui sommes le Faiseur ! » (Les Prophètes, verset 104).
Au Pakistan, j’ai rencontré beaucoup de savants, tous musulmans, qui étaient sur une recherche importante à travers laquelle ils étudiaient le rapport entre le Coran et la théorie de la relativité générale. L’un m’a dit avoir commencé l’étude du Coran verset par verset et qu’ils s’étaient concentrés sur le premier verset « Louange à Dieu, seigneur des mondes (Prologue, verset 2). L’un d’entre eux m’a dit « Dieu tout puissant, »( louange à Dieu, seigneur des mondes), et non pas les « deux mondes » [i]. Cela signifie que Dieu a créé l’univers qui a atteint ses limites, est revenu à son point de départ et a explosé une autre fois, et ainsi de suite pour chaque univers créé. Et notre univers est l’un de ces mondes. La divergence réside dans la question de l’explosion : a-t-elle commencé en un point existant ou à partir du vide ? C’est là qu’est la divergence. Supposons qu’elle commence d’un point dont la densité est égale à un, virgule, quatre-vingt treize zéros sur la droite gramme au centimètre cube, en sachant que la terre, la mer et les montagnes pèsent un virgule vingt sept zéros seulement multiplié par un virgule quatre vingt treize zéros, c’est à dire un milliard fois un milliard fois un milliard de la taille de la terre, nous trouvons un centimètre cube, cela veut dire que si nous mettons tous ces mondes comme ils étaient la première fois avant l’explosion, ils ne seraient pas plus grands qu’un point tracé par un crayon noir très bien taillé. Et c’est ce que signifie ; « Ceux qui mécroient n’ont-ils pas vu que les cieux et la terre étaient bel et bien cousus ? Ensuite, nous les avons dégagés tous les deux, et Nous avons désigné de l’eau tout être vivant. Ne croiront-ils donc pas ? » (Les prophètes, verset 30)
L’éminent verset qui parle des couchers d’étoiles : « Mais non ! Je jure par les couchers d’étoiles ! et vraiment c’est un serment énorme, si vous saviez ! » (L’échéant, versets 75 et 76) parle des couchers et ne parle pas des étoiles elles-mêmes, pourquoi ? Parce qu’il vous est impossible de voir l’étoile à sa place. L’étoile qui nous est la plus proche est le soleil qui est distant de 150 000 kilomètres et lorsque nous le voyons se lever, il est alors au point où il s’est couché il y a huit minutes, et lorsque nous le voyons quelque part, il est distant de cet endroit de trente mille kilomètres, donc nous le voyons se coucher mais nous ne voyons pas le soleil lui-même. Même chose pour les étoiles, lorsque nous les voyons, nous voyons leur coucher alors qu’elles sont déjà mortes.
Revenons à votre situation actuelle. Vous faites une grève de la faim qui en est à son début. Comment évaluez-vous les soutiens et les témoignages de solidarité envers votre affaire ? Et en les considérant limités, quel est l’appel que vous lancez aux organisations et aux partis nationaux, et aux Etats, et aux personnalités scientifiques et politiques mondiales pour être à vos côtés ?
La réponse a été normale jusqu’à maintenant. Je souhaite que les organisations soient à la hauteur de nos attentes. Je m’attendais à ce que la première visite à mon domicile soit celle de la Ligue Nationale des droits de l’Homme et je souhaite qu’elle me soutienne et qu’elle intervienne et qu’elle médiatise l’affaire.
Cela nous l’avons remarqué jusque chez les agents de la Sûreté ; l’un d’entre eux tenait à me rendre un service personnel, car ils sont convaincus que je suis soumis à une grande injustice, mais ils doivent exécuter des ordres. A plus d’une occasion, ils m’ont témoigné de la sympathie, et m’ont même conseillé de camper sur mes positions et de ne pas fléchir. Ils se comportent avec moi de façon civilisée, mais le problème vient de celui qui prend les décisions. Cela montre que le bien est toujours en germe chez le peuple tunisien. Si je devais exprimer ma véritable revendication, j’exigerais du pouvoir qu’il s’excuse pour toutes les injustices qui m’ont été imposées et qui ont été imposées au peuple tunisien. S’il ne présente pas d’excuses maintenant, il devra le faire par la force. Regardez l’Afrique du Sud, où les plus grands criminels viennent présenter des excuses à la commission de concorde et de réconciliation pour ce qu’ils ont perpétré. Regardez où est Saddam Hussein qui a tyrannisé son peuple, regardez où sont les tyrans du monde.
Anis Chabbi, le directeur des services de surveillance au ministère de l’Intérieur, a écrit un article sur moi alors que j’étais en prison, dans lequel il a dit que le président m’avait accordé tous mes droits, que je les avais rejetés et que j’avais des demandes irréalisables. Il faisait allusion à une promesse de la présidence de s’acquitter de son devoir de résoudre la question de tout le groupe de mes camarades du comité de salut national. J’aurais refusé de régler mon problème et de laisser tomber le reste du groupe. Il a reconnu qu’il avait été injuste avec nous.
Pouvez-vous nous parler du comité de salut national ? Ainsi que de la déclaration aux médias qui vous a valu d’être emprisonné ?
Alors que Bourguiba choisissait un gouvernement pour le renvoyer le lendemain, lorsque les choses en sont arrivées au point où Bourguiba Junior disait lors d’une conférence de presse à l’hôtel Africa que les Tunisiens n’étaient pas des hommes, et d’autres mots insultants à l’endroit du peuple tunisien qui était satisfait de voir son père aux commandes, et acceptait comme président un homme incontinent. C’est son fils qui disait de tels mots. Et alors que Bourguiba avait perdu toute raison, un groupe de fils de la Tunisie s’est levé pour mettre un terme à ce déclin et pour rendre une dignité à tous les Tunisiens, qu’ils soient à l’intérieur comme à l’étranger.
En ce qui concerne la déclaration à la presse, lorsque j’ai rencontré le ministre de la Défense, il m’a dit : « Nous allons, nous, vous juger comme nous l’entendons ». Il m’a dit : « vous êtes maintenant comme une mouche dans une bouteille que nous avons rebouchée, et la mouche continuera de voler dans la bouteille jusqu’à ce qu’elle tombe au fond ». Je lui ai dit : « C’est vous qui avez touché le fonds, qui ressemble le plus à une mouche sinon vous ? » Je lui ai dit : « Les investigations qui vous sont parvenues : dans l’affaire du comité de salut national, il y a 600 pages que nous avons rédigées en 21 jours du 15 octobre au 7 novembre, date à laquelle le comité a procédé au changement, et vous n’en possédez pas une page. Nous les avons envoyées à l’étranger et nous sommes prêts à montrer les documents et à vous juger à l’étranger, car la logique veut que nous ayons fait cela contre Bourguiba et il y a quelqu’un d’autre qui a œuvré contre Bourguiba. Nous nous sommes arrêtés et lui a continué. Il doit être jugé en premier ». Alors les négociations ont commencé avec le président et nous nous sommes mis d’accord sur un règlement de la question, la libération des prisonniers en trois groupes. Le premier groupe sortirait en novembre, le second en janvier et le troisième en mars. Les négociations se sont déroulées avec un proche de Ben Ali. Son conseiller m’a dit de définir les groupes. J’ai défini les trois groupes et j’ai craint d’être libéré tandis que les autres resteraient en prison aussi j’ai posé comme condition que mon groupe soit le dernier à sortir de prison. Le premier groupe est sorti, puis le second, puis mon groupe, ils sont venus pour me faire sortir, je leur ai dit : J’ai juré que le dernier que vous entendriez, ce serait moi, Ils m’ont répondu : « Ayez confiance, nous avons libéré tout le monde, il ne reste plus que vous ». Il avait été convenu que ceux qui étaient libérés se verraient payer leurs émoluments en retard et qu’ils seraient réintégrés dans leurs fonctions. Il y avait eu la promesse de la constitution d’une commission au ministère de l’Intérieur composée pour partie de nous-mêmes, et pour partie de gens du ministère et pour partie encore de la présidence. Nous avons procédé à une consultation concernant les demandes de règlement du problème, et il y a bien eu versement des émoluments de ceux d’entre nous qui portaient l’uniforme, à l’exception de six civils dont les droits n’ont pas été reconnus. Mais à partir de là, la situation a commencé à se détériorer, ainsi que me l’annonçaient certains signes. Et dans l’intervalle un journaliste algérien m’a rendu visite auquel j’ai fait une déclaration qu’il a intitulée : « La tendance islamique entre la laïcité de la Tunisie et le terrorisme de Ben Ali ». Alors que le journal était encore au stade de l’impression, un des travailleurs de l’imprimerie a contacté l’ambassade tunisienne et j’ai été arrêté à mon domicile. Le journal n’a jamais paru et sur le procès verbal d’investigation, il a été noté : Il a été arrêté à l’aéroport en train de distribuer le journal El Maoukif qui comporte des déclarations nuisibles.
Concrètement, quelle est la limite que vous mettez pour arrêter votre grève ? Si le pouvoir répondait à vos revendications ?
Et bien bravo si le pouvoir arrête de me persécuter. Moi je considère que la balle est dans son camp et je veux par cette grève que ma voix parvienne à l’opinion publique. Mon affaire est toujours pendante devant le tribunal administratif qui tergiverse depuis 19 ans. C’est une affaire relative à mes émoluments et à ma réintégration dans mon travail et à mon passeport… l’état de siège qui m’est imposé ainsi qu’à mon domicile et les filatures de mes enfants par la Sûreté… L’affaire du renvoi de mon fils Oussama de l’université n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Le jour où j’ai rencontré Mohammed Charfi pour qu’il intervienne dans mon problème, et je l’ai fait à trois reprises, je lui ai dit que lui demandais à trois titres :
Premièrement en tant qu’homme de loi et mon affaire est devant la justice. Mes salaires ont été bloqués sans arrêté, hors de tout texte de loi, et la loi à ce sujet est claire. La loi dit par l’article 305 du code primaire que s’il n’y a pas eu versement des salaires d’un employé de la fonction publique sans que celui-ci n’ait été traduit devant le conseil de discipline, on doit lui verser ses salaires dans les trois mois, mais moi, il y a des années que j’attends.
Deuxièmement en tant que secrétaire général de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme.
Troisièmement parce qu’il est marxiste et qu’il a des principes et que moi aussi j’ai des principes et il doit me défendre.
Mais Mohammed Charfi était contre moi et n’a fait que contribuer à augmenter le problème. Il a constitué un faux conseil de discipline qui a décidé de me muter de Sfax à Tunis. J’ai dû changer et j’ai protesté contre cette mesure illégale qui est survenue un an et demi après l’arrêt du versement de mes salaires et je lui ai envoyé des avocats qui lui en ont fait part. Il m’a alors envoyé une décision du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique qui dit : Nous avons décidé de renvoyé Moncef Ben Salem de l’Université. Je lui ai expédié un télégramme : Vous n’avez pas le droit de me renvoyer car ma nomination a été faite par décision présidentielle et vous ne pouvez me renvoyer qu’en vertu d’une décision qui vient de plus haut que vous. A l’époque, j’étais incarcéré, et le 20 mai, Charfi s’est rendu chez Ben Ali, soit un mois et deux jours après mon arrestation, pour en obtenir un décret présidentiel rayant mon nom de l’Université tunisienne. Bien que les décisions présidentielles soient publiées au Journal Officiel, monsieur Mohammed Charfi a veillé soigneusement, de manière infantile, pendant mon incarcération, à envoyer à mon épouse, un courrier contenant une photocopie de la décision du journal officiel, et lorsque je suis sorti de prison, j’ai porté l’affaire devant le tribunal administratif qui l’a rejetée car l’administration avait envoyé un document faisant état du versement de mes salaires…. J’ai porté l’affaire devant l’UNESCO, et à Paris le 4 mai 1990. Le représentant de la Tunisie à l’UNESCO Béchir Mahjoubi, malheureusement mon collègue qui avait la même spécialité que moi, siègeait à l’UNESCO et a présenté un document attestant du versement de mes émoluments. Voici un aperçu de mes problèmes sans parler des passeports et des brimades incessantes à mon endroit et des membres de ma famille depuis dix-sept ans… et qui sont devenues pour moi des anecdotes.
Un jour, alors que j’étais en voiture près de chez moi et de la route voisine, une autre voiture s’est approchée. Je l’ai laissé passer devant moi et lui ai accordé la priorité en toute courtoisie. L’homme a levé la main pour me saluer parce que je lui avais laissé la priorité. La police l’a rattrapé, à pris les papiers de sa voiture, et a commencé à lui demander ce qui me liait à lui !!!
Une autre fois, alors que j’étais chez le mécanicien pour faire réparer ma voiture, l’un d’eux a amené sa voiture. Il avait une valise diplomatique et des lunettes noires et il a appelé le mécanicien pour qu’il répare sa voiture d’urgence sans égard pour le fait que j’étais là avant lui. Je lui ai dit qu’il devait respecter l’ordre d’arrivée. Il m’a rétorqué qu’il était un fonctionnaire et ce sont les intérêts des gens qui vont attendre. Je lui ai demandé où il travaillait. Il m’a dit qu’il était contrôleur des travaux publics. Alors je lui ai dit : « Mais tu vas causer du retard pour deux voitures, cette voiture et la deuxième, celle de la Sûreté de l’Etat, qui m’attend ». L’homme s’est affolé et a quitté les lieux en en oubliant son cartable….
J’ai entendu parler d’une histoire au sujet de votre goût pour l’action avec les étudiant. Je voudrais que vous nous en parliez.
Un jour, un étudiant m’a dit : « par Dieu, Docteur, si on me demandait de choisir entre tuer mon père ou Moncef Ben Salem, je dirai tuez mon père et laissez Moncef Ben Salem ». L’un de mes collègues à l’Université, un communiste, en est arrivé au point de répandre au sein des étudiants que j’aide les étudiants islamistes à réussir et que je fais échouer les étudiants communistes. Cela s’est passé lors de la première année à l’Université. Je n’ai pas répondu aux rumeurs. Lorsque les étudiants ont passé les épreuves écrites, j’ai accroché une affiche les informant que ceux qui passeraient l’oral auraient le choix entre Moncef Ben Salem et le collègue. L’écrit comme l’oral avaient le coefficient 5. Le jour de l’examen, devant ma porte il y avait une file d’étudiants qui attendaient d’entrer pour passer l’examen, mais devant la porte du collègue, il n’y avait aucun étudiant. Il a continué d’attendre jusqu’à perdre espoir, il a pris ses affaires et il est parti.
J’ai demandé à l’un des étudiants communistes, après qu’il eût passé l’oral avec moi, pourquoi il ne l’avait pas passé avec mon collègue, puisqu’ils étaient de la même école de pensée et d’idéologie. Il m’a répondu : « Docteur, j’ai bien entendu une position sur la religion et l’islam, mais je sais que vous ne serez jamais injuste avec moi. » Ce même personnage, jusqu’à aujourd’hui, dresse les étudiants contre mon fils en l’accusant d’être un terroriste fils de terroriste, Il a été jusqu’à la section de Sfax de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’homme, dont il est membre et s’est opposé à la publication d’un communiqué de soutien à ma grève de la faim.
Professeur, comment envisagez-vous l’avenir politique en Tunisie après Ben Ali ?
Le régime de Ben Ali est devenu discrédité en occident, aussi je considère qu’il vit ses derniers jours et je ne pense pas qu’il puisse se prolonger longtemps, je parle là de mois et non d’années. Il y aura passation du pouvoir à une autre personne sans grands changements, le régime restera en place. Mais cela ouvrira la porte à quelques libertés. L’occident surveillera les évolutions, le poids des islamistes afin de déterminer les limites de ses relations avec eux. Quant aux droits des personnes, il n’y aura pas de réparation pour les préjudices et les droits ne seront pas rendus à tous les opprimés. Le régime va faire des gaffes meurtrières qui vont pousser les gens à sortir, et je suis sur que le régime peut tomber à l’occasion d’un simple manifestation. Nous avons constaté quelle est la mobilisation sécuritaire pour un simple rassemblement de quelques dizaines de militants. Les cœurs des Tunisiens sont saturés. Il ne suffit que de s’y mettre. Si le régime changeait par des mouvements populaires ce serait mieux pour les Tunisiens qu’un 7 novembre bis. Dans le deuxième cas, il y aurait des vengeances et des réactions aux injustices qui ont frappé une grande frange du peuple. Cette situation peut durer deux ans car actuellement les Tunisiens sont pacifiques par nature ; et parce que le niveau culturel du peuple tunisien est relativement élevé, et grâce à l’homogénéité culturelle et religieuse qui unit les Tunisiens, la situation ne se transforme pas en anarchie permanente. Les choses vont reprendre leur cours normal et les Tunisiens réussiront à instaurer un climat de liberté pour tous et la Tunisie sera pionnière dans le monde arabe, si Dieu le veut.
Une dernière question, si vous le permettez, relative aux prisonniers politiques. Comment percevez-vous leurs souffrances et que dites-vous leur situation pour laquelle nous ne voyons pas de solution à court terme ?
Ils sont des otages et il est impossible que Ben Ali ne les libère tous : il a eu beau en libérer soixante-dix, il en reste plus de cent cinquante au moyen desquels il peut menacer le mouvement islamique pour qu’il ne relève plus la tête. Comment pouvons-nous comprendre la séquestration d’un étudiant comme Abdelkarim Harouni depuis seize ans ? On dit que d’habitude personne ne passe plus de dix ans en prison, même s’il a tué quelqu’un. S’il est condamné à l’emprisonnement à perpétuité, sa peine sera allégée et on sera clément à son égard lors de toute fête nationale au point que lorsqu’il atteint dix ans en prison, il est libéré. C’est la première fois dans l’histoire de la Tunisie que des prisonniers dépassent les seize ans. J’ai dit une fois que l’Etat tunisien était étranger à son époque et son contexte : Les nations ont évolué et traitent leurs peuples avec des moyens civilisés dignes de ce siècle, ce qui n’existe pas en Tunisie. Quant aux voisins de la Tunisie, ils règlent leurs problèmes et la Tunisie est en rupture avec son peuple. Regardez l’Algérie, ils ont escaladé les montagnes, se sont entretués et ne sont pas restés en prison plus de cinq ans. Au Maroc, ils se sont déchaînés à Casablanca et ont été condamnés à mort. Puis ils ont été amnistiés et libérés. En Libye, ce sont 1600 prisonniers politiques qui ont été libérés et le fils de Kadhafi a reconnu que les procès n’avaient pas été justes et n’avaient pas respecté la loi et qu’il y aurait des réparations pour les prisonniers libérés. Et la Tunisie dans tout cela ? Même les prisonniers de Guantanamo…. Dhaïf, l’ambassadeur des Talibans en Afghanistan a été libéré, est-ce que les prisonniers en Tunisie ont commis des crimes pires que ça ? Mais si nous voulons comprendre l’avenir de l’Islam en Tunisie, il faut revenir sur les trente dernières années, alors qui parlait de l’islam politique ? Qui parlait d’islam révolutionnaire ? C’est une légende, le campus universitaire a vu le jour en 1970, et la première mosquée que nous avons fondée à la cité universitaire d’El Menzah, c’était en novembre de l’année 70. Ceux qui en sont à l’origine sont le frère Salah Karker et le frère Salah Ben Abdallah, moi-même et un frère venait pour faire l’appel à la prière. Lorsqu’il faisait l’appel à la prière, ils lui lançaient des bouteilles de bière, et nous le protégions pour préserver sa tête des canettes.
Notre islam, celui auquel nous appelons et que nous avons voulu diffuser, nous n’avions pas de cheikhs pour nous l’apprendre, nous l’enseigner à l’université. Les étudiants y parlaient en français, y compris lors de leurs assemblées générales. Lorsqu’un étudiant a dit lors d’une assemblée générale : « aujourd’hui notre cher camarade Eli Cohen a été arrêté à l’aéroport » [ii], je suis monté à la tribune pour la première fois pour demander la parole dans une assemblée générale. Les étudiants voulaient m’empêcher de monter et me traînaient par mon pantalon, qui s’est déchiré, j’ai failli être nu… et d’autres criaient : « il va parler en arabe ». Je me suis acharné, je tenais mon pantalon déchiré et j’ai parlé en arabe en commençant par « Au nom de Dieu le tout puissant le très miséricordieux ». J’ai été le premier à parler en arabe lors d’une assemblée générale à la faculté de sciences de Tunis. Aved le Cheikh Abdelfattah Mourou, nous allions dans les cafés pour appeler les gens à la prière… C’était cela l’islam en Tunisie.
Aujourd’hui, regardez la Turquie, le tribunal a ouvert un dossier pour dissoudre le parti de la justice et du développement, cinq jours avant, il obtient les deux tiers des voix, regardez l’Iran et sa révolution islamique, regardez le Maroc et le parti de la justice et du développement islamique, l’Algérie et la victoire électorale du Front islamique du Salut et les affrontements armés… Et dernièrement le Hamas en Palestine…L’avenir est bien à l’islam et au mouvement de l’islam, si Dieu le veut….
Traduction : Luiza Toscane
[i] La présente traduction ne peut rendre compte du jeu de mots qui identifie à l’écrit les mots alamin et alamaïn, lesquels ne sont différents qu’à l’oral.
[ii] En français dans le texte (LT)
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