Les publicités proposant des soins esthétiques du visage et du corps inondent les réseaux sociaux. Elles promettent de venir à bout des poils, des taches, d’éclaircir et de rajeunir la peau, de redessiner le visage, etc. En affichant ces promesses, certains centres se présentent comme étant médicaux, et exercent de manière illégale la médecine esthétique, met en garde l’Association Laser des Dermatologues Tunisiens (ALDT) lors d’un congrès réunissant des spécialistes en laser et dermatologie esthétique organisé le 27 avril.
L’exercice de la médecine esthétique par les non-professionnels provoque pour les patients des dégâts irréversibles, pouvant entrainer la mort, alertent-ils. Ces spécialistes parlent d’un fléau qui gangrène la société tunisienne.
Des pratiques dangereuses
Certains soins esthétiques non chirurgicaux à l’instar du microneedling (technique de micro-aiguilles perforant la peau pour sa régénération) ou encore du BB Glow (ajout de pigments pour colorer la peau en profondeur) sont en vogue. Ces actes esthétiques nécessitent l’usage de produits chimiques (solvants, détergents, désinfectants…), d’injections, de machines, qui sont à manier avec précautions. Présentés comme étant des procédés ne nécessitant pas de chirurgie lourde, ils ne sont pourtant pas sans danger.
D’autres actes sont nettement plus sophistiqués comme le botox, l’épilation au laser. Ils ne doivent être réalisés que par un médecin. Or, des centres esthétiques les proposent. Et les conséquences peuvent être désastreuses.
Ines en a fait l’amère expérience. Elle s’était rendue dans un centre esthétique pour éliminer les poils au niveau du maillot à travers la technique de la lumière pulsée. Au bout de la troisième séance du traitement, la jeune femme a constaté une inflammation au niveau de cette zone de son corps. Pour y remédier, elle a dû se diriger vers un dermatologue. « Il s’agissait d’une infection. Il m’a fallu trois mois pour m’en remettre », raconte-t-elle à Nawaat. Attirée par la promotion proposée par le centre, la jeune femme n’a pas été remboursée après leur avoir signalé cet incident.
Comme elle, beaucoup de femmes relatent sur Facebook leurs mésaventures. Et ce sont les médecins qui sont amenés à gérer les complications, déclare Nabil Jellazi, le président de la Société tunisienne de médecine esthétique (TAMAS), à Nawaat.
Utilisé dans la médecine esthétique, l’acide hyaluronique sert à combler les rides, traiter les cernes et à augmenter le volume des lèvres et des pommettes. Une erreur dans l’injection de cette substance peut conduire à des infections nécrosantes de la peau, la cécité ou à boucher une artère, explique le médecin.
A cet égard, il cite l’exemple d’une de ses patientes ayant perdu l’usage de sa lèvre supérieure après une injection. Des brûlures jusqu’au deuxième degré suite à la pratique du laser par des non-professionnels ont été également constatées, rapporte le docteur Khalil Boukhris, membre du bureau du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), à Nawaat.
Le personnel des centres non-spécialisés n’est pas formé pour gérer les complications, d’où le principal danger, alerte le président de TAMAS. Et de poursuivre : « La médecine esthétique est d’abord de la médecine. L’aspect esthétique vient en second lieu ».
Des pratiques controversées
Comme Ines, la clientèle de ces centres est appâtée par leurs promotions. « Entre l’offre de huit séances d’épilation maillot à la lumière pulsée à 700 dinars du centre et les 320 dinars pour la seule séance d’épilation au laser chez le médecin, la différence est nette », rappelle Ines. « Ces offres ne couvrent même pas les prix des substances utilisées. La provenance de celles-ci est par conséquent douteuse », souligne Dr Jellazi.
Le CNOM indique que ces produits ne sont pas disponibles en libre accès sur le marché. « Seule la pharmacie centrale peut en importer et seuls les médecins en bénéficient », explique Dr Boukhris. D’après lui, les produits de ces centres proviennent de la contrebande. Par conséquent, il n’y a aucune garantie quant à l’efficacité et la validité des substances utilisées, dénonce le représentant de TAMAS. Ce dernier pointe du doigt en premier lieu la responsabilité des patients qui prennent le risque de se diriger vers ces établissements.
La responsabilité des autorités est également engagée. Ces centres exercent en effet au vu et au su de tout le monde. C’est seulement en ayant des éléments tangibles susceptibles de les incriminer que certains médecins comme Dr Jellazi interviennent pour saisir le CNOM et le ministère de la Santé.
En cas de plainte, le CNOM interpelle également les services des inspections et du contrôle relevant du ministère de la Santé. Lors de l’année 2022, il y a eu environ une dizaine de plaintes, fait savoir le représentant du CNOM.
De son côté, le directeur général de l’inspection médicale, Sami Rekik assure à Nawaat qu’ils sont en train d’agir pour fermer les centres accusés d’exercice illégal de la médecine. D’après le responsable ministériel, les plaintes qu’ils reçoivent proviennent de citoyens, de médecins et du CNOM. « Concentrés dans les grandes villes, ces centres font travailler un personnel soi-disant formé à l’international pour prodiguer des soins médico-esthétiques », révèle-t-il. Les centres démasqués sont fermés par les autorités régionales. En cas de faute médicale de leur part, c’est la justice qui est saisie, précise-t-il.
Toutefois, le contrôle effectué par les services de santé demeure lacunaire, d’après le président de la TAMAS. « L’Etat ne dispose pas de moyens humains suffisants pour contrôler l’ensemble des centres », estime-t-il. Selon lui, ces établissements se multiplient en profitant de la demande exponentielle en actes esthétiques « désormais banalisés ». Et c’est une population de plus en plus jeune et des hommes qui en réclament. A titre indicatif, les jeunes femmes entre 20 et 25 ans représentent actuellement environ 30% des demandes de consultations contre 3 à 5% des demandes il y a quelques années, fait savoir le représentant de TAMAS. « De plus en plus de personnes sont soucieuses de leur apparence. Et les réseaux sociaux ont eu beaucoup d’influence dans l’expansion de ce phénomène », constate-t-il.
Sur Instagram et sur les plateaux tv, beaucoup de célébrités jeunes et moins jeunes se font remarquer par leurs lèvres pulpeuses ou encore leur visages remodelés et liftés. Et elles en parlent de manière décomplexée, à l’instar de l’instagrammeuse Lina Kouili sur le plateau d’Attessia Tv ou encore de la chroniqueuse Baya Zardi sur El Hiwar Ettounssi. Participant à la démocratisation des actes esthétiques, ces célébrités ont un impact sur les plus jeunes.
« On reçoit des filles de moins de 20 ans parfois, qui demandent qu’on leur redessine les lèvres, alors qu’elles n’ont besoin d’aucune intervention esthétique. Il faut savoir dire non à cette demande. L’acte esthétique doit être réaliste et réalisable », plaide-t-il. Pas sûr que les centres esthétiques soient disposés à rejeter de telles sollicitations dans un marché gouverné par l’appât du gain.
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