Lors du quatrième trimestre de l’année 2022, le taux de chômage des femmes a été estimé à 20.1% contre 12.9% pour les hommes. Ce gap entre les deux sexes est encore plus important quand il s’agit particulièrement des diplômés du supérieur. Pour cette catégorie de la population, le taux de chômage grimpe à 30.8% chez les femmes, contre 15.7% chez les hommes au cours de la même période, selon les indicateurs de l’Institut national des statistiques (INS), publiés en février 2023.
Les discriminations en chiffres
Les femmes sont peu représentées dans les postes de direction. En effet, seules 23,6% d’entreprises sont dirigées par des femmes. Les postes de cadres sont occupés à 66% par des hommes contre à peine 34% de femmes, a fait savoir la directrice générale de la Caisse des Dépôts et des Consignations, Nejia Gharbi, lors d’une conférence organisée par le Conseil international des femmes entrepreneures en juin 2022.
Pour lancer leurs propres projets, il faut un accès au financement. Là aussi, 17% seulement de femmes ont bénéficié des crédits accordés par la banque de financement des petites et moyennes entreprises contre 83% pour les hommes.
L’insertion des femmes dans le marché de l’emploi dépend de leur niveau d’instruction. Durant cette décennie, celles ayant fait des études universitaires arrivent plus facilement à trouver un travail. Leur lieu de résidence conditionne la possibilité de décrocher un emploi. Les femmes résidant dans les régions intérieures sont davantage pénalisées, constate un rapport de la Banque mondial (BM) de 2021, intitulé « Paysage de l’emploi en Tunisie ». Le rapport de la BM prend l’exemple de la ville de Kasserine où le taux d’emploi des femmes est estimé à 15,7 % contre 35,4 % à Tunis. Des disparités existent également entre les zones urbaines et les zones rurales. Le taux des femmes travailleuses est de 30.3% dans les zones urbaines contre 18,3 % dans les zones rurales.
En outre, dans le secteur privé, même celles qui décrochent un travail occupent des postes peu ou moyennement qualifiés, note la BM.
La précarité des femmes est criante dans des secteurs comme l’agriculture ou encore le textile. Dans ces deux domaines, les femmes sont fortement présentes mais leurs rémunérations sont dérisoires, en dépit des pénibles conditions de travail.
Plus de 80% des femmes travailleuses vivent de métiers élémentaires et moyennement qualifiés, note la BM, en relevant toutefois des prémisses d’évolution positive dans le secteur privé où de plus en plus de femmes atteignent des postes hautement qualifiés. Et la tendance est même plus significative dans la fonction publique.
L’insertion professionnelle des femmes est entravée par plusieurs facteurs, notamment socio-culturels. Lors des recrutements, les candidatures masculines sont favorisées. La BM cite une étude faite auprès des acteurs des secteurs de l’hôtellerie et de la technologie de la communication. 60% des hôtels et 40% des entreprises de technologies de l’information et de la communication (TIC) interrogés dans le cadre de cette enquête admettent que le sexe des candidats est l’un des critères d’embauche. De nombreuses entreprises ont exprimé une préférence envers les femmes célibataires plutôt que pour les femmes mariées. Ces dernières sont considérées comme étant plus coûteuses et moins productives, notamment pendant la maternité.
Ces formes de discriminations restent impunies, déplore la BM. « La discrimination peut être renforcée par l’insuffisance du recours juridique des victimes. Le code juridique tunisien ne prévoit pas de dispositions imposant un travail égal pour une valeur égale ou interdisant la discrimination fondée sur le genre en matière d’accès au crédit », lit-on dans le rapport.
Tout un background culturel
Les discriminations sont enracinées dans un terreau culturel favorisant l’emploi des hommes. Les femmes, quant à elles, demeurent cantonnées dans des rôles traditionnels, en l’occurrence, la prise en charge des enfants et les tâches ménagères non rémunérées. L’épuisement physique et mental qui en découle pousse certaines à quitter leur travail ou à ne pas chercher un emploi comme l’atteste une étude d’Oxfam en partenariat avec l’Association Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD) sur le travail domestique des femmes tunisiennes et ses répercussions.
En revanche, l’homme est perçu comme prioritaire sur le marché du travail. Dans une enquête de World Values Survey de 2019, citée dans le rapport de la BM, 58% des femmes et 73% des hommes sont d’accord avec l’affirmation suivante : « Lorsque les emplois sont rares, les hommes devraient avoir la priorité de l’emploi sur les femmes ». 69 % des femmes et 74 % des hommes sont également d’accord avec l’affirmation : « Un enfant d’âge préscolaire souffre du fait que sa mère travaille ».
Outre les mentalités, d’autres éléments pénalisent l’insertion professionnelle des femmes. Le facteur sécuritaire n’est pas des moindres. « L’activité économique des femmes peut être restreinte par le risque de harcèlement et de violence ou dans l’espace public, qui est souvent exacerbé par le manque de transports publics sûrs », lit-on dans le rapport de la BM. Environ 27% des femmes et 30% des hommes confient que le harcèlement sexuel est fréquent dans leur communauté, selon l’enquête précitée de Word Values Survey.
Pour décrocher un emploi, le réseautage est aussi important. Là aussi, les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes. Les femmes ont plus de mal à accéder aux réseaux et aux informations présentant des opportunités d’emploi. C’est notamment le cas pour les femmes des milieux ruraux, observe la BM. Ces dernières sont également pénalisées dans leurs régions par le manque d’infrastructures et d’emplois, ainsi que par leurs difficultés à se déplacer.
Pour remédier à ces inégalités, des politiques publiques doivent être mises en œuvre. La sécurisation des emplois des femmes passe par la création de services de garde d’enfants à des tarifs abordables. « Les données internationales suggèrent fortement qu’un meilleur accès aux services de garde d’enfants (par le biais de crèches et d’écoles maternelles, de journées d’école élémentaire plus longues, etc.) permet d’augmenter de manière significative l’emploi et la participation des femmes au marché du travail », souligne la BM. Ces services permettent aux femmes de concilier plus aisément leur vie professionnelle à leur vie familiale.
Le cas échéant, les femmes auront toujours tendance à préférer des emplois dans le secteur public, indique la BM. « Les femmes sont fortement surreprésentées dans la masse salariale du secteur public. L’emploi dans le secteur public propose généralement des conditions de travail plus favorables, notamment des horaires plus courts, une plus grande sécurité de l’emploi, une couverture sociale, des congés annuels et de maladie payés, et un meilleur accès aux services de garde d’enfants », souligne le rapport.
En somme, si les Tunisiennes se distinguent par leur réussite scolaire et universitaire, fautes de conditions favorables, elles sont encore loin de pouvoir bénéficier pleinement de leur potentiel.
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