La nouvelle loi électorale décrétée par le président de la République, Kais Saied, jeudi 15 septembre, provoque des remous auprès des militantes féministes. Ladite loi vise à organiser la participation politique en vue des prochaines élections prévues en décembre 2022.
La dynamique féministe, regroupant neuf associations (l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, Aswat Nissa, Beity, Amal pour la famille et l’enfant, le Groupe Tawhida Ben cheikh, Joussour du Kef, Calam, l’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche et le Développement, Femme et Citoyenneté), a protesté, vendredi 7 octobre, devant l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE), contre l’exclusion des femmes de la scène politique à travers ladite loi. Les slogans portés par les militantes étaient : « Nous sommes des citoyennes à part entière, nous refusons d’être de simples faire-valoir », «Nous n’accepterons pas une législation qui nous exclut et des procédures qui nous écartent », « Nous ne sommes pas des compléments et nous ne serons pas un décor de cette mascarade ».
« Catastrophique à tous les niveaux »
La dynamique a appelé à une mobilisation de tous les Tunisiens contre la loi électorale. «Malheureusement, les citoyens ne semblent pas assez conscients de la dangerosité de la situation. Si on s’élève contre les agissements du président de la République, on est étiqueté pro-Ennahdha», se désole Sonia Ben Miled, chargée de communication à Aswat Nissa lors d’un débat, tenue le 7 octobre. Organisé par l’ambassade de Suède et l’organisation Kvinna till Kvinna, cette rencontre a porté sur les recommandations des associations féministes concernant l’intégration d’une perspective genrée dans la 4ème édition de l’Examen Périodique Universel (EPU), à la délégation de l’Union européenne.
Avec cette loi électorale, les Tunisiens devront désormais élire leurs députés individuellement. Le système de vote sur des listes électorales présentées par les partis politiques a été abrogé. Ce changement contribuera à affaiblir le rôle des partis politiques et à réduire la présence féminine dans les assemblées élues, déclare Naila Zoghlami, la présidente de l’Association tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD), à Nawaat. « C’est une loi est catastrophique à tous les niveaux », assène-t-elle.
La Constitution, promulguée le 17 août 2022, consacre pourtant l’égalité entre les citoyens et les citoyennes. L’article 51 dispose que l’Etat s’engage à préserver les acquis des femmes et à les renforcer. L’Etat doit également garantir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. Un alinéa de cet article revient spécifiquement sur la participation politique des femmes en énonçant que « l’Etat œuvrera à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les assemblées élues ».
Autant de garanties balayées par la nouvelle loi électorale, fustige les féministes.
Cette loi vient anéantir toutes les promesses de la Constitution en matière d’égalité des genres. Elle exclut les femmes du champ politique,
dénonce la présidente de l’ATFD.
Un avis partagé par la présidente de l’Association Tunisienne de Droit Constitutionnel, Salwa Hamrouni (voir son interview vidéo en arabe).
De nombreux obstacles
La loi électorale met en place le mécanisme du parrainage. En vertu de ce principe, le candidat doit récolter le parrainage de 400 électeurs dont 50% de femmes et 25% de jeunes âgés de moins de 35 ans. L’égalité entre les hommes et les femmes est ainsi assurée à travers cet instrument. Mais c’est quand elles devront présenter leur candidature que les femmes pâtiront de l’inégalité.
« Les femmes auront plus de difficultés à obtenir des parrainages », explique Salwa Hamrouni à Nawaat. Ce système consacre également « la vulnérabilité des femmes puisque celles-ci auront tendance à parrainer les hommes qui ont plus de chances à accéder au pouvoir et non les femmes », estime Naila Zoghlami.
Plus généralement, le mode de scrutin uninominal ne favorise pas la participation politique féminine. L’ATFD plaide pour un mécanisme de jumelage dans les candidatures. L’organisation féministe préconise un système binominal paritaire : des candidatures conjointes d’un homme et une femme. La présidente de l’ATFD comme la spécialiste de droit constitutionnel soulève la problématique de l’accès des femmes au financement des campagnes électorales. La nouvelle loi abolit le financement public de ces campagnes. Les candidats devront désormais recourir à l’autofinancement ou au financement privé. « Les femmes ne sont pas aussi bien loties que les hommes s’agissant des moyens financiers », souligne Zoghlami.
Le découpage des circonscriptions électorales mis en place par cette loi soulève également la question de l’absence des moyens financiers et logistiques. « Ce découpage regroupe plusieurs délégations assez lointaines les unes des autres. Or, beaucoup de femmes seront dans l’incapacité de faire autant de déplacements exigeant un financement important et une logistique conséquente », précise la représentante de l’ATFD. Et de poursuivre :
On est dans un pays marqué par le tribalisme, le clanisme, le régionalisme et une mentalité patriarcale marginalisant les femmes dans la sphère publique au bénéfice des hommes. Sans des mécanismes encourageant la participation politique des femmes par la force de la loi, celles-ci resteront à la marge.
D’après elle, le président de la République est parti du postulat qu’on ne devrait plus exercer aucune forme de tutelle sur les femmes et que leur mérite suffit pour qu’elles accèdent au pouvoir. « Cette logique fait fi de la réalité tunisienne rongée par la corruption politique et le népotisme. On a bien vu que les hommes élus dans les précédentes assemblées étaient dépourvues de compétences. Ce sont seulement leurs manigances et leur pouvoir économique qui leur ont permis d’obtenir des sièges », constate-t-elle. En outre, elle note que dans plusieurs pays, les femmes politiques se sont souvent révélées moins impliquées que les hommes dans la corruption.
Dans ce contexte, et en attendant un changement des mentalités consacrant une réelle méritocratie, la loi électorale devra prévoir le principe de discrimination positive en faveur des femmes et des jeunes, plaide-t-elle.
Cependant la parité doit s’inscrire dans le cadre d’un Etat démocratique, a relevé Ramy Khouili, de l’association Beity, lors de la rencontre avec les représentants de l’UE.
La parité ne devrait pas non plus servir à camoufler une politique publique sapant les droits des femmes,
alerte-t-il.
Une inquiétude partagée par Sara Medini, d’Aswat Nissa, qui cite l’exemple de la cheffe du gouvernement Najla Bouden. « Elle est dépourvue de réels pouvoirs. Elle n’est qu’une jolie vitrine pour l’Etat », dénonce-t-elle.
Les militantes féministes comptent renforcer leur pression en vue d’un changement de la loi électorale. Un sit-in au sein même de l’ISIE est prévu. « On ne tolèrera pas un recul en matière d’égalité. Alors qu’auparavant, on luttait avant pour la mise en place de budgets publics sensibles à l’approche genre et pour la consécration d’une parité horizontale dans le parlement, voici qu’on recule», regrette Naila Zoghlami. Et de mettre en garde contre une assemblée élue dominée par les hommes. « Il faut composer aussi avec un président de la République animée par une approche arriérée en matière d’égalité, il faut s’attendre donc à des législations bridant les droits des femmes », conclut-elle.
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