D’après le communiqué, la société du Réseau Ferroviaire Rapide (RFR) « n’a pas respecté ses engagements envers la commune ». D’abord, elle n’a pas obtenu un permis de bâtir pour entamer les travaux, puis elle n’a pas eu l’autorisation de la part de l’Agence Nationale de Protection de l’Environnement (ANPE) ni de l’Institut National du Patrimoine (INP). De plus, la société n’a pas fourni l’étude d’impact du projet RFR sur le Bardo, ce qui défigurera la spécificité patrimoniale et historique de la ville, toujours selon le même communiqué du conseil municipal du Bardo.

Un nouveau « mur de Berlin »?

« Le projet RFR tel que conçu est une forme de colonisation. Les habitants du Bardo ne sont pas des souris de laboratoire », martèle Zine El Abidine Ennaifer, président de la commission de la circulation au conseil municipal du Bardo sur les ondes de la Radio Nationale. Selon lui, le projet divisera le Bardo en deux et aura un impact économique considérable. « On aura un dortoir à gauche et une zone commerciale vive à droite si on applique le modèle actuel du RFR. Ça ressemblera au mur de Berlin. Le découpage d’une ville est toujours une politique défaillante. Un projet national devrait servir la nation et le citoyen », commente le conseiller municipal, élu de Tahya Tounes. Il considère d’ailleurs le Bardo comme « un concentré de souveraineté » de la même importance que Carthage (présidence de la République) et la Kasbah (présidence du gouvernement). Ennaifer estime aussi que le projet RFR réduira la superficie du parlement et entravera la circulation à ce niveau. « Le projet tel que proposé est très coûteux. Il fallait penser à un train souterrain au lieu d’implanter deux grands murs en béton devant le parlement et un escalateur inaccessible et dommageable. De plus, le projet n’a pas obtenu l’accord de la commune. Nous avons demandé à la société concernée de nous fournir l’étude d’impact de ce projet sur l’environnement, la sécurité, la circulation et la société », ajoute Ennaifer.

Certains habitants du Bardo soutiennent la décision de leur commune et refusent le modèle du RFR, dont Yousra Zeddini, qui confie à Nawaat qu’elle est contre la mise en place du  projet RFR et qu’elle n’a pas cessé d’appeler à repenser le projet. « J’ai toujours revendiqué la suspension des travaux du RFR aux réunions du conseil municipal. Je soutiens absolument la décision du conseil municipal, car il ne refuse pas catégoriquement le projet, mais revendique la mise en place d’un train souterrain pour ne pas diviser bardo en pôle nord et pôle sud. De plus, entamer les travaux avant l’obtention de l’accord de la municipalité représente un dépassement flagrant au pouvoir local et aux principes de la décentralisation », dénonce-t-elle.

Le tunnel, l’impasse…

Contacté par Nawaat, Lotfi Chouba, PDG de la société RFR, précise que le projet intégral a commencé en 2010. Mais depuis la révolution, il y a eu des difficultés au niveau de l’expropriation des terrains, ce qui a entravé la poursuite des travaux. De plus, six sociétés de travaux ont pris en charge l’exécution des différentes tranches du projet, après la faillite de la première société italienne qui a entamé les travaux. « En 2014, nous avons conclu un marché avec l’entreprise Technis qui a fait faillite quelques mois plus tard. Nous avons lancé par la suite un nouvel appel d’offres, ce qui nous a valu presque 2 ans d’attente. Nous avons revendiqué par contre des indemnités de retard, mais les procédures sont très longues en Tunisie », explique Lotfi Chouba, PDG de la société RFR.

Il revient par ailleurs sur les travaux de la « ligne D » du RFR, reliant Manouba au Bardo. « Selon notre planning, on prévoit la finalisation des travaux du tronçon Bardo-Manouba d’ici fin 2021. L’étude d’impact du projet a été ajustée selon les recommandations des deux conseils municipaux du Bardo », précise le PDG. « Nous avons confié la 2ème tranche du projet à la Société de Routes et de Bâtiments « Soroubat » après la faillite de l’entreprise « Technis ». Il est vrai qu’on travaille en collaboration avec 6 entreprises, mais chacune s’intéresse à une partie du projet : la signalisation, les câbles, les équipements, les sources d’énergie, la soudure… Ce sont les maillons de la chaîne RFR. En cas du moindre dysfonctionnement, tout le projet s’arrête », développe Chouba. En réponse aux revendications des habitants du Bardo par rapport à la mise en place de rails souterrains, le PDG de la société RFR réagit : « On a déjà un tunnel traversé par le métro. Techniquement, il est impossible d’en implanter un deuxième », tranche-t-il. « On pourra cependant étaler un chemin de fer, un mur pour la sécurité des passagers, deux escalateurs inférieur et supérieur et deux escaliers à 52 marches chacun ».

Malgré le désaccord, un round de négociations a été lancé suite à la création d’une commission technique composée de conseillers de la commune du Bardo, d’une part, et de techniciens et experts de la société RFR d’autre part en vue de sortir de l’impasse et d’aboutir à une solution consensuelle facilitant le transport et préservant la spécificité géographique et symbolique de la ville du Bardo.