Remarques méthodologiques
Nous adoptons dans ce texte la définition basique de l’analphabétisme comme étant l’incapacité d’une personne à lire et à écrire. Nous n’analyserons pas les données relatives à la maîtrise des langues dans le document de l’INS, pour la raison la plus simple, c’est qu’il n’existe pas de moyen pour vérifier la « maîtrise d’une langue », et ces données semblent avoir été recueillies sur la base de la déclaration des personnes enquêtées sans la moindre possibilité de les corroborer ou les réfuter.
Données globales
Selon ce rapport, le taux d’analphabétisme est de 19,3 % pour l’ensemble de la Tunisie. Il n’a cessé de diminuer au fil du temps depuis 1956 (figure 1)[1], ce qui souligne les efforts consentis pour réduire ce taux. Deux constantes demeurent : les analphabètes sont plus nombreux parmi les femmes que les hommes et les ruraux que les citadins.
On est donc mal parti dans la vie lorsqu’on est né fille en milieu rural. Actuellement (2014), le taux d’analphabétisme des femmes en milieu rural est deux fois et demi supérieur en milieu rural qu’en milieu urbain (17,9 vs 41,7 %). Ces proportions sont plus élevées chez les hommes (près de trois fois ; 23,1 vs 8 %). Globalement, le taux d’analphabétisme des femmes est pratiquement le double de celui des hommes (25,6 vs 12,8 %).
Par rapport aux classes d’âge, il apparaît clairement que le taux d’analphabétisme augmente en fonction de l’âge de la population et qu’il est toujours supérieur chez les femmes pour chaque classe d’âge (figure 2). Il n’en demeure pas moins que chez ceux de moins de 20 ans, le taux d’analphabétisme varie de 1,6 à 3,4 % de la population.
Par rapport au milieu de vie, la figure 3 montre que les analphabètes sont bien plus nombreux en milieu rural qu’en milieu urbain. Les différences sont très prononcées chez les personnes âgées de plus de 45 ans.
Le taux d’analphabétisme présente des disparités spatiales (figure 4). En effet, les gouvernorats du centre-ouest et du nord-ouest sont les plus fragilisés par l’analphabétisme ; le record étant détenu par le gouvernorat de Kairouan (35 %). Les gouvernorats de Bizerte, Mahdia et Zaghouan se situent en dehors de leurs régions respectives, avec des taux allant de 20,5 à 26,9 %.
La scolarisation des enfants
Les chiffres indiquent que 96% des enfants en âge d’être à l’école (6-14 ans) sont scolarisés. Ce chiffre cache des disparités spatiales, car le pourcentage d’enfants non-scolrisés varie entre 1,7% (Ariana) et 14,1% (Kasserine). En plus de cette dernière région, deux autres présentent plus de 10 % d’enfants non scolarisés ; il s’agit de Kairouan et Sidi Bouzid, avec des taux de 11,8 et 12,1%, respectivement. Ces chiffres à eux seuls n’expliquent pas les taux d’analphabétisme élevés enregistrés dans le pays. Autrement, ce ne sont pas les enfants en bas âge non scolarisés qui contribuent aux taux d’analphabétisme élevés enregistrés dans certaines régions.
Sans entrer dans les détails, les différences entre les taux d’analphabétisme entre les milieux rural et urbain sont très prononcées dans les gouvernorats de Jendouba et Kairouan (en dehors de Tunis et Monastir, considérés comme totalement urbanisés). Les deux régions (Jendouba et Kairouan) sont caractérisées par le fait que leurs populations vivent surtout en milieu rural, avec des proportions respectives de 69,36 et 64,69 %[1]. Il faut remarquer ici que les taux d’analphabétisme les plus élevés en milieu rural sont enregistrés dans les gouvernorats de Kasserine et de Kairouan, avec respectivement 40,3 et 43,6 % de la population rurale. Il est donc clair que le milieu rural est désavantagé en terme d’accès à l’éducation par rapport au milieu urbain. Ce fait est corroboré par les données relatives au taux d’analphabétisme parmi les plus jeunes (de 10 à 19 ans). Ces taux sont effectivement les plus élevés en Tunisie rurale dans les deux gouvernorats du centre-ouest en plus de celui de Jendouba, comparativement au reste du pays.
Nous essaierons de regarder de plus près les chiffres relatifs au gouvernorat de Kairouan, pour tenter de déceler des disparités relatives au taux d’analphabétisme. De prime abord, remarquons que les taux d’analphabétisme (pour ceux ayant plus de 10 ans) dans cette région sont plus élevés que la moyenne nationale, aussi bien en milieu urbain (19,62 vs 13 %) qu’en milieu rural (43,56 vs 32,59 %). Ces chiffres sont difficilement explicables, du moins pour le milieu urbain, sinon comment expliquer cette différence ?
A regarder les chiffres de près, on constate effectivement des disparités entre les délégations (11 en 2014) du gouvernorat. En milieu urbain, on constate d’abord que les taux d’analphabétisme pour ceux ayant plus de 10 ans sont les plus élevés pour dans la délégation d’El Ala (19,64 %) et Oueslatia (36,96 %), respectivement pour les hommes et les femmes. A l’opposé, ces chiffres sont les plus bas dans les délégations de Cherarda (7,54 %) et Kairouan Sud (22,66 %), respectivement pour les hommes et les femmes. Ces données sont difficiles à interpréter, à moins que ces taux concernent essentiellement des personnes plus âgées qui n’avaient pas facilement accès à l’école lorsqu’elles étaient jeunes. Ceci dit, ces chiffres sont supérieurs aux moyennes nationales en ce qui concerne le sexe féminin. Il y a donc encore du chemin à parcourir pour assurer une égalité de chances entre les deux sexes dans la région.
Pour ce qui est du milieu rural, dans le gouvernorat, la délégation de Cherarda présente les taux d’analphabétisme les plus faibles du gouvernorat, quoique supérieurs à la moyenne nationale pour ceux âgés de plus de dix ans (26,28 et 46,62 %, respectivement pour les hommes et les femmes). Ces taux sont les plus élevés dans la délégation de Bouhajla, avec 39,43 et 58,71 %, respectivement pour les sexes masculin et féminin. Il reste à remarquer que plus d’une femme sur deux (54 %) d’âge supérieur à dix ans est analphabète, ce qui est énorme (contre près de 42 % pour l’ensemble de la Tunisie).
En conclusion, nous pouvons avancer qu’actuellement en Tunisie, se trouve une fracture (qui s’ajoute à d’autres, ou génère d’autres fractures) se trouve entre les milieux urbain et rural en matière d’alphabétisation ou d’accès à l’école, la base de tout accès à une citoyenneté accomplie. Si la région de Kairouan enregistre les taux d’analphabétisme les plus élevés dans le pays, ce taux présente également une disparité spatiale (ajoutée à celle relative au sexe à la défaveur des filles). Dans la région, il est intéressant de souligner le fait que la délégation de Cherarda est la moins défavorable à l’accès à l’alphabétisation des filles. Cette information, toute relative, devrait attirer l’attention de ceux qui s’intéressent à la question du genre dans la région. Les chiffres analysés dans le présent papier sont intéressants à plus d’un titre. L’accès à l’école demeure encore et toujours une priorité pour la Tunisie rurale. Il est largement temps pour qu’on s’y penche de près, loin de tout discours démagogue ou généraliste.
[1] Bulletin INS, n°4, mars 2017
[2] INS, 2014. Kairouan à travers le Recensement Général de la Population et de l’Habitat 2014, 128 p.
INS, 2014. Jendouba à travers le Recensement Général de la Population et de l’Habitat 2014, 128 p.
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