A l’annonce de ma décision de participer à « la caravane du retour » que l’ami Noureddine Khatrouchi avait appelé à organiser dès le mois de juillet et en avait trop hâtivement fixé la date avec le début du SMSI à Tunis, des amis m’ont écrit pour me souhaiter un bon retour et me donner leurs numéros de téléphone, en cas de besoin. D’autres, avec lesquels j’ai des engagements pour le mois de novembre m’ont contacté pour convenir d’autres rendez-vous. Et je pense qu’il doit y avoir beaucoup d’autres qui se demandent, en toute bonne foi, pourquoi je ne suis pas déjà à Tunis, conformément à mon engagement, sans compter tous les ectoplasmes qui pérorent sur le manquement à la parole donnée, prêchant à qui veut les entendre qu’il ne s’agissait, dans toute cette affaire, que de surenchère !

Ces derniers ne sont pourtant pas des émigrés ou des exilés, mais des réfugiés politiques avec un statut administratif particulier qui les place dans une situation de rupture avec leur pays d’origine et tous devraient savoir, moyennant un minimum d’honnêteté, que les chemins du retour sont longs et tortueux. Ils devraient donc savoir qu’il ne suffit pas à un réfugié de décider de rentrer au pays pour pouvoir le faire car il peut se passer des mois, voire plus, pour qu’une telle décision puisse se concrétiser et cela seulement…dans le cas où les autorités Tunisiennes consentiraient à fournir un passeport au candidat au retour !

Un cadre européen, un employé ou même un Rmiste peut décider, en fin de semaine et à la dernière minute, de passer un weekend à Hammamet ou à Djerba. Il prend son sac, son passeport, une simple carte d’identité ou même son permis de conduire- certains prétendent qu’il peut le faire avec juste la carte orange- achète un billet « Last minute » à 50 euros tout compris et arrive deux heures après à destination. Il n’a pas besoin de demander un visa d’entrée en Tunisie, paradis aux portes largement ouvertes aux touristes, mais qui deviennent tout simplement blindées et infranchissables à ses propres citoyens.

Cela mérite d’être expliqué bien que je l’aie déjà fait une première fois le 14 octobre 2004 en réponse à une question de elkhadra.

Emigrés, exilés et réfugiés :

Les tunisiens à l’étranger appartiennent à trois catégories :

  • La première catégorie est constituée d’émigrés, résidant légalement ou clandestinement dans des pays étrangers et disposant de leurs papiers tunisiens. Un grand nombre d’entre eux a acquis, avec le temps, la nationalité du pays d’accueil et leurs enfants, nés dans le pays d’immigration en sont devenus tout simplement ses citoyens. Ceux-là peuvent à tout moment rentrer en Tunisie même avec leurs papiers non tunisiens au cas ils n’auraient pas de papiers tunisiens.
  • La deuxième catégorie, très peu nombreuse, est constituée d’exilés politiques qui n’ont pas eu besoin de demander l’asile dans un quelconque pays pour y séjourner régulièrement. Dans les années 50 et 60, par exemple, les exilés étaient Youssefistes, Nasséristes et Baathistes. Ils avaient choisi de s’installer dans des pays arabes et avaient conservé pour la plupart leurs papiers tunisiens. Ceux d’entre eux qui n’avaient pu renouveler leur passeport tunisien avaient obtenu le passeport du pays d’accueil pour leurs voyages, sans avoir à demander la nationalité du pays. Ils n’avaient pas besoin de statut de réfugié dans ces pays qui ne le reconnaissaient d’ailleurs que très rarement. Ces exilés avaient pris le chemin du retour quand ils ont réussi à régler leurs problèmes avec les autorités de leur pays, d’autres ont fini leur vie dans ces pays d’accueil.
    Dans les années 70 et 80 les opposants contraints à l’exil appartenaient à des mouvements marxistes. C’étaient pour la plupart des étudiants ou anciens étudiants en France ou dans d’autres rares pays européens et ils avaient choisi le plus normalement du monde de s’installer en France. Ils n’avaient pas besoin de demander le statut de réfugié politique parce que les conditions de séjour dans ce pays étaient très faciles. Nombre d’entre eux avaient obtenu par la suite la nationalité française et sont devenus les citoyens des deux rives.

    Plus récemment encore, certains d’entre eux, porteurs de la seule nationalité tunisienne, ont repris le chemin de l’exil et ont séjourné régulièrement dans ce pays sans avoir à demander l’asile Ils ont renouvelé régulièrement leurs passeports et le jour où ils ont décidé de renter au pays, avec ou sans filet de sauvetage, ils ont pu le faire aisément. Certains anciens responsables politiques sous Bourguiba s’étaient trouvés jusqu’à tout récemment, dans cette situation : exilés mais pas réfugiés !

  • La troisième catégorie, née essentiellement de la répression des années 90, est faite de réfugiés politiques, c’est-à-dire de gens qui ont rompu avec les autorités de leur pays et qui se sont mis sous la protection du pays d’asile (conformément à la convention du 28 juillet 1951 des Nations Unies). C’est le pays d’asile qui leur fournit les fiches d’état civil, à eux et à leurs enfants, la carte de résidence et le titre de voyage. Il leur est interdit d’avoir le moindre contact avec les autorités de leur pays à moins de renoncer à leur statut. Le titre de voyage du réfugié, par exemple, n’est pas le passeport Français ou Hollandais d’un tunisien qui a la double nationalité et qui lui permet d’aller en Tunisie quand il veut, mais un document valable pour tous les pays sauf la Tunisie.

Que doit faire un réfugié politique tunisien pour pouvoir rentrer dans son pays ?

De nombreux réfugiés du mouvement Nahdha, (l’écrasante majorité des réfugiés des 15 dernières années), ont pu rentrer au pays ces dernières années à travers la solution individuelle de leurs problèmes avec les autorités de leur pays, via les services du ministère de l’intérieur dans les consulats tunisiens à l’étranger. C’est ainsi qu’ils ont pu obtenir des passeports et rentrer en Tunisie. Certains avaient obtenu auparavant la nationalité du pays d’accueil (la consultation régulière du Journal officiel français, par exemple, est à cet égard très instructive) et ont renoncé à un statut de réfugié devenu caduc. A ma connaissance aucun d’entre eux n’est retourné au pays pour s’y installer définitivement et encore moins pour continuer son combat politique.

Le projet de la « caravane du retour », initié par Noureddine Khatrouchi et auquel j’ai adhéré sans réserve, n’est pas un pèlerinage ou un voyage de vacances. Mais quelque soit sa nature, il faut, pour le concrétiser, que les réfugiés qui veulent s’y engager, renoncent au préalable à leur statut et entreprennent les démarches nécessaires auprès des consulats tunisiens pour obtenir une carte d’identité et un passeport. Il semble qu’il n’y a pas de problème pour la carte d’identité, mais pour le passeport c’est autre chose. Mais pour se faire confectionner une carte d’identité, il faut disposer d’un extrait d’acte de naissance délivré par la mairie de la ville de naissance en Tunisie.

Personnellement, je suis encore à. ce stade Pour éviter à mes proches des ennuis inutiles, j’ai demandé à un avocat de me faire sortir un extrait de naissance et j’attends toujours.

D’autre part, j’avais décidé depuis le 28 mai 2002, date à laquelle avait expiré mon titre de voyage de réfugié de ne pas le renouveler. Je voulais en finir avec un statut qui me pèse beaucoup et que je n’ai sollicité, contraint et forcé, qu’à la suite de l’évasion de ma famille en octobre 1992.

Projetant d’accomplir cette année le pèlerinage à la Mecque et doutant fort que le consulat de Tunisie accepte de me délivrer un passeport à cet effet, j’ai demandé, le 7 juillet 2005, le renouvellement de mon titre de voyage, ce qui vient d’être fait en date du 28 octobre. Ma femme et mon fils avaient obtenu les leurs au bout de 17 jours !!!

Ces quelques remarques enfin concernant le projet de la caravane du retour et la manière dont il a été présenté :

  • Noureddine Khatrouchi aurait dû prévenir dès le début, de la complexité de la situation administrative et surtout du fait que l’octroi de passeports à des gens engagés dans une action politique ne peut se faire que par une décision du pouvoir politique.
  • Je ne suis pas étonné du peu de réactions de la plupart des personnes citées dans son appel et dont certaines avaient protesté d’avoir été oubliées dans la première mouture Au bout de 15 ou 20 ans d’exil, les réfugiés constituent une humanité à part. Et je ne serais pas surpris que le jour où la dictature tombe, peu d’entre eux se décideront à rentrer au pays et à s’y installer. En 1983, après l’élection de Raoul Alfonsin à la présidence de la République et le retour de la démocratie en Argentine, le Quai d’Orsay avait affrété un avion pour le retour des exilés argentins chez eux. Roland Dumas s’y est retrouvé pratiquement seul avec les hôtesses de l’air !
  • Le silence des organisations tunisiennes de la société civile et politique qui ont pour la plupart inscrit le retour des exilés en bonne place dans la liste de leurs revendications, est encore moins étonnant. Elles ont l’habitude, comme leurs consoeurs européennes, de s’agiter pour des victimes résignées et voilà qu’elles se retrouvent avec des acteurs qui se prennent en charge et proposent une perspective politique à leur action.

Un grand merci à tous ceux et celles, nombreux, qui ont manifesté leur soutien à cette initiative.

Le projet de « la caravane du retour » est lancé. Tous ceux qui y ont adhéré et qui viendront à le faire dans les prochains mois, savent à quoi ils se sont engagés et en feront j’en suis sûr, leur raison d’être pour…cette année 2005- 2006 qui marque le cinquantième anniversaire de la Tunisie.

Ahmed Manaï