Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

« Je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre! (…) Enfin, je demanderai pardon pour m’être nourri de mensonge. Et allons. Mais pas une main amie! Et où puiser le secours? » Ainsi se termine Une saison en enfer de Rimbaud.

La saison en enfer du peuple tunisien a duré plus de vingt ans. Et maintenant il faut se relever sans pouvoir compter sur une aide extérieure et sans précédent historique. Nous vivons une situation radicalement inédite et extraordinaire – au sens plein du terme. Au sein de la communauté tunisienne qui vit en France, et chez des manifestants tunisiens, certains font de la Révolution française une grille de lecture pour la Révolution tunisienne – l’Histoire nous dira si nous pouvons mettre la majuscule pour qualifier notre Révolution. La chute de Ben Ali serait ainsi la prise de la Bastille?

Cette référence peut avoir un impact symbolique réel. Néanmoins, l’Histoire ne saurait nous donner des leçons intangibles pour l’avenir, le sans-culotte n’est pas le révolté de Sidi Bouzid ou le «  cyber-activiste », et J. P. Marat n’est pas M. Bouazizi, notre symbole qui mériterait sa place dans le panthéon des grands hommes de Tunisie.
S’il fallait trouver un précédent à notre Révolution il serait possible d’évoquer le combat pour l’indépendance tunisienne. Mais cette lutte fut incarnée par H. Bourguiba alors que ce soulèvement de décembre-janvier 2010-2011 n’est pas encadré par un parti politique ou un leader charismatique capable de comprendre les aspirations du peuple et de les exprimer.

Ne reposant sur aucune organisation politique de taille, si ce n’est dans un certain sens le syndicat UGTT, aucun socle idéologique précis – cette Révolution n’est pas marxiste ou islamiste, nous ne faisons ni une lutte de classe ni le djihad – et aucun précédent historique clair nous sommes dans la nécessité d’inventer. Inventer une organisation politique nouvelle, démocratique, dans un pays qui ne l’a jamais véritablement connu, par l’élaboration d’une nouvelle constitution ou la modification en profondeur de celle que nous connaissons. Et pourquoi ne pas inventer autre chose qu’une démocratie occidentale, qui n’est pas une fin en soi? Inventer un espace public garantissant la liberté d’expression, de communication et d’association. Inventer une relation particulière et originale entre la religion, la société et la politique. Inventer une organisation socio-économique plus égalitaire.

L’enjeu est bien de construire une nouvelle Tunisie. Nous y arriverons, je le souhaite de tout mon cœur, mais cela prendra du temps. Un jour, peut-être, les historiens analyseront la réussite de l’entreprise révolutionnaire du peuple tunisien qui pourra constituer un exemple pour d’autres peuples.

Jeune professeur, j’ai passé une partie de ma vie à étudier l’Histoire. Désormais le temps s’accélère, les événements se précipitent, il s’agit de faire l’Histoire, de poursuivre notre Révolution et d’engager, avec résolution et sérénité, la construction d’une nouvelle Tunisie. Notre responsabilité est énorme, les peuples du monde arabe sont là pour nous le dire avec force : « Dégage Moubarak, la Tunisie est la solution » disent nos frères égyptiens dans les rues du Caire ou d’Alexandrie.

Lorsqu’un jour le peuple veut vivre,
Force est pour le destin de répondre,
Force est pour les ténèbres de se dissiper,
Force est pour les chaînes de se briser
“.
Abou el Kacem Chebbi

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