Remarques méthodologiques
Les données objet de cette analyse ont été téléchargées du site de l’Institut National de la Statistique (INS), concernent les résultats du dernier recensement de la population et qui remonte à 2014. Le raisonnement est basé sur des pourcentages que nous avons calculés à partir des données de base concernant tant les milieux urbains (communaux) ou ruraux. Les calculs ont concerné les ménages, comme indiqué dans les données source. Ils ont été faits tant pour les gouvernorats que les délégations ou les régions géographiques (exemple Nord-Est). Nous n’aurons à utiliser cette catégorie que si elle ressort de l’analyse des données. Notons que la notion de communal utilisée par l’INS concerne les ménages vivant dans un espace municipal. Dans ce cadre, certaines délégations ne comprennent pas de ménages communaux, simplement parce qu’elles ne contiennent pas de municipalités, alors que d’autres ne comprennent pas de ménages ruraux, car toute la population est considérée comme communale même si elle n’est pas agglomérée.
Pour l’ensemble des ménages, ruraux ou communaux, nous avons adopté les sommes que nous avons calculé nous-même, et non les tableaux fournis par l’INS, car que nous avons constaté que nos valeurs sont parfois différentes de celles de l’INS. Les données concernent le nombre de ménages disposant de l’eau de robinet, les sources d’approvisionnement en eau, les sources non contrôlées, bref toutes les données disponibles sur le site et relatives à l’approvisionnement en eau potable.
L’objectif de cette analyse étant de rechercher les disparités spatiales entre les différents gouvernorats et leurs positions géographiques, ainsi que de pointer –encore- les écarts entre les milieux rural et urbain en Tunisie. Ceci afin de comprendre à travers l’approvisionnement en eau potable (un droit constitutionnel en Tunisie) les raisons probables des différences constatées. Les données disponibles ne concernent que le dernier recensement. Il ne nous est donc pas possible de dresser une comparaison entre deux périodes de temps différentes. Un autre fait est à pointer, à savoir que ces données sont limitées aux délégations et gouvernorats. Les détails concernant les secteurs ne sont pas disponibles, pourtant elles auraient aidé à expliquer certains faits et aller dans les détails de l’analyse.
Zones rurales et urbaines
Les délégations entièrement rurales sont au nombre de 18. Ces délégations sont réparties entre dix gouvernorats, distribués tant au nord qu’au sud du pays. Le tableau 1 présente ces délégations. Les gouvernorats de Bizerte, Kasserine et Gafsa comprennent chacun trois délégations rurales, alors que le reste des délégations appartient chacune à un gouvernorat différent.
Gouvernorat | Délégation |
---|---|
Zaghouan | Saouaf |
Bizerte | Djoumine, Ghezala, Utique |
Béja | Tibar |
Sfax | El Amra |
Kasserine | Kasserine Sud, Hassi Ferid, El Ayoun |
Sidi Bouzid | Souk Jedid |
Gabès | Menzel El Habib |
Medenine | Sidi Makhloulf |
Tataouine | Smâr |
Gafsa | Gafsa Nord, Sidi Aïch, Belkhir |
Tozeur | Hazoua |
Kébili | Faouar |
A l’opposé, 66 délégations sont considérées comme entièrement urbaines. Il se dégage que deux gouvernorats sont entièrement urbanisés (Tunis, 21 délégations et Monastir, 13 délégations), le reste des délégations (n = 32) appartiennent à 13 gouvernorats (tableau 2). Il est intéressant de noter que dix gouvernorats ne comprennent aucune délégation entièrement urbanisée.
Gouvernorat | Délégation |
---|---|
Ariana | Ariana Ville, Soukra, Cité Ettadhamen |
Ben Arous | Ben Arous, La Nouvelle Medina, El Mourouj, Hammam Lif, Hammam Chôtt, Bou Mhel El Bassatine, Ezzahra, Radès, Megrine |
Manouba | Mannouba |
Nabeul | Takelsa |
Bizerte | Zarzouna |
Le Kef | Djerissa |
Sousse | Sousse Medina, Sousse Riadh, Sousse Jawhara, Sousse Sidi Abdelhamid, Hammam Sousse, Zaouia-Ksiba-Thrayet |
Sfax | Sfax Ville, Sfax Ouest, Kerkenah |
Kasserine | Ezzouhour |
Gabes | Gabes Medina, Ghanouch |
Medenine | Djerba Houmet Souk, Djerba Midoun, Djerba Ajim |
Tataouine | Dhehiba |
La figure 1 montre les pourcentages des ménages en milieu communal. Il en ressort que huit gouvernorats présentent des taux inférieurs à 50%, et que le Centre-Ouest est la région la moins urbanisée en Tunisie (taux variant de 28,68 à 45,66%). Le gouvernorat de Sidi Bou Zid est celui où le taux de ruralité est le plus élevé. Ces chiffres auront une incidence sur ceux qui seront présentés plus tard.
L’accès à l’eau
La figure 2 montre le pourcentage des ménages vivant en milieu urbain et disposant de l’eau de robinet, donc ayant accès à l’eau directement chez eux.
Il ressort de ces données que dix gouvernorats présentent des pourcentages supérieurs à 70%, et que les deux gouvernorats entièrement urbanisés ont des taux de raccordement les plus élevés (99,9 et 99,7%, respectivement pour Tunis et Monastir). En revanche, huit gouvernorats présentent des taux de raccordement inférieurs à 50%, les taux les plus faibles sont enregistrés à Sidi Bouzid et Jendouba, avec respectivement 27,3 et 31,2%. Il ressort aussi que sur les huit gouvernorats, trois se trouvent au Nord-Ouest (en dehors du Kef) et trois autres sont au Centre-Ouest (Kairouan, Kasserine et Sidi Bouzid).
Il existe une forte corrélation entre les pourcentages d’accès à l’eau en milieu urbain et le taux des ménages vivant dans un tel milieu (figure 3). L’accès aux services de l’eau est déterminé par le statut du ménage, ce qui est fort évident, en raison du fait que les populations sont agglomérées.
En milieu rural, en revanche (figure 4), le pourcentage des ménages disposant de l’eau de robinet varie de 37,9 (Kasserine) à 98,4% (Kébili). A remarquer que sept gouvernorats présentent des taux de raccordement en milieu rural supérieurs à 90%. Il s’agit des gouvernorats de Ben Arous, Ariana, Manouba, Sousse, Mahdia, Nabeul, Tozeur et Kébili.
Par rapport aux régions, le Centre-Est est la région la mieux lotie en Tunisie, avec un taux de raccordement en milieu rural de 85,8% et que la région où ce taux est le plus faible est le Centre-Ouest (44,2%). Le sud du pays, malgré son étendue, présente des taux de raccordement supérieurs à 80%. Ceci pourrait être lié au fait que dans ces gouvernorats, l’habitat isolé est rare, et que nos concitoyens ont tendance à vivre dans des agglomérations, ce qui facilite le travail de l’administration.
La figure 5 représente les taux de ruralité et de raccordement à l’eau de robinet en milieu rural selon les gouvernorats. Il en ressort que : Il en ressort que :
- Plus faible est le taux de taux de ruralité, plus grande est la probabilité de raccordement à l’eau de robinet en milieu rural ;
- Le gouvernorat du Kef présente un taux faible de raccordement à l’eau de robinet en milieu rural en raison peut-être de la nature des terrains où se trouvent des communautés rurales (relief accidenté). Ceci pourrait également être valable pour les régions présentant une configuration de terrain pareille (Gafsa, Siliana, Jendouba, Kasserine, Béja) ;
- Le facteur relief (ou aussi étendue) à lui seul ne peut pas expliquer la situation dans d’autres gouvernorats (Kairouan, Sidi Bouzid…).
Ces moyennes cachent des disparités au sein des gouvernorats. En effet, certaines délégations (six) présentent des taux de raccordement à l’eau potable supérieurs à 99%. C’est le cas de Metlaoui, Tozeur, Hazoua, Souk El Ahed, Douz Nord et Bou Merdès. Les écarts entre les taux minima et maxima de raccordement à l’eau potable en milieu rural sont enregistrés dans les gouvernorats de l’Ariana, Ben Arous et Kébili (moins de 6%). Les gouvernorats où ces écarts sont les plus importants sont ceux de Tozeur, Le Kef et Kasserine (supérieurs à 70%). Ces chiffes soulignent non seulement les écarts entre les gouvernorats, mais au sein de ces derniers. Autrement, les efforts pour rendre disponible l’eau chez les ménages ne sont pas les mêmes entre les régions, mais aussi au sein de certaines parmi elles. Nous ne pouvons pas présenter d’explication logique à ces faits sans connaissance de la réalité de terrain dans les différentes régions.
Le croisement de ces données avec celles publiées dans le dernier rapport de la SONEDE (Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux) indique qu’en milieu rural, cette société dessert 2734 localités rurales, soit 51,3% des ménages. Le rapport n’indique pas les localités desservies pour les discriminer de celles pour qui l’eau est fournie par les Groupements de Développement Agricoles (GDA). Les chiffres présentés par la SONEDE (tableau page 234 du rapport susmentionné) relatifs aux taux de branchement tant en milieu urbain que rural (pour l’année 2014) ne concordent pas avec ceux de l’INS.
Le reste des données disponibles au site de l’INS ne sont pas exploitables. Par exemple, les « Autre source privée ou publique », « Source non contrôlée », en raison du manque de détails concernant ces sources (puits, source, citerne…). En revanche, un point mérite d’être détaillé, à savoir celui relatif aux données concernant les ménages localisés à plus d’un kilomètre de la plus proche source d’eau liée à la SONEDE ou au Génie Rural. Pour l’ensemble de la Tunisie, 61 249 ménages se situent à plus d’un kilomètre d’une source d’eau, dont 95% vivent en milieu rural. Il est intéressant de noter qu’un peu plus de 3.000 ménages se trouvent en milieu urbain. Ce dernier chiffre est difficilement interprétable, vu qu’en principe, et pour ceux vivant dans de tels milieux, il est facile de disposer de l’eau chez soi, à moins de déceler des complications d’un autre ordre. En milieu urbain, c’est le Centre-Est qui comprend le plus de ménages où la source d’eau est à plus d’un kilomètre, alors qu’en milieu rural, c’est le Nord-Ouest qui vient en tête, suivi par le Centre-Ouest. Ceci est évidemment relatif à la structure de l’habitat (isolé), mais probablement à d’autres facteurs que les chiffres ne peuvent pas exprimer. En milieu urbain, c’est Sfax qui vient en tête, avec 1193 ménages situés à plus d’un kilomètre d’une source d’eau, suivi par le gouvernorat de Médenine (445 ménages), alors qu’en milieu rural, les deux derniers gouvernorats sont Sidi Bouzid et Jendouba, avec respectivement 8975 et 10612 ménages. Ils sont suivis par le gouvernorat de Sfax (6289 ménages). Les délégations les plus affectées par ce phénomène sont celles de Fernana et Bir Ali Ben Kelifa (respectivement 3237et 3202 ménages). A moindre échelle, viennent les délégations de Sidi Bouzid Est, Ghardimaou et Regueb, avec respectivement 2226, 2153 et 2137 ménages. Cette distribution est hétérogène.
Conclusion
De ce qui précède, il ressort que des disparités en matière d’accès à l’eau sont évidentes en Tunisie. Elles sont plus accentuées en milieu rural qu’en milieu urbain, ce qui est évident pour la simple raison, c’est qu’il est facile de fournir l’eau à des agglomérations de forte densité qu’à des habitants dispersés ou à des regroupements de faible densité et/ou d’accès difficile. Les données disponibles ne permettent pas de faire une analyse sur les raisons des disparités observées ou de certains faits, tels que la distance à plus d’un kilomètre d’un point d’eau dans certains milieux urbains (Sfax par exemple). L’absence de données concernant les secteurs ne permet pas de situer les difficultés liées à l’approvisionnement en eau potable de certaines régions.
Il reste que même si l’eau est disponible, les difficultés que connaissent les GDA en milieu rural rendent la ressource inaccessible pour des périodes plus ou moins longues dans certaines localités.
S’il semble évident que le système en place ne résout pas beaucoup de problèmes liés à l’accès à l’eau en Tunisie, il n’y a pour le moment pas de solutions spécifiques pour les localités connaissant ces difficultés. Nombreux points demeurent cependant complètement ignorées, à savoir la qualité de l’eau potable desservie tant en milieu urbain qu’en milieu rural et sa conformité avec les normes en vigueur, et le rapport de la SONEDE passe sous silence ce point, comme si le souci de la société étant de répondre aux besoins en eau de la population sans tenir compte de la qualité de l’eau desservie.
L’analyse des données de l’INS a permis de voir autrement la situation de l’approvisionnement en eau potable en Tunisie, et certaines régions n’ayant jamais été citées comme présentant de problème d’approvisionnement apparaissent (cas de Sfax ou de certaines délégations du Nord-Ouest de la Tunisie, même non présentées en détail dans le présent papier).
Pointer les problèmes, c’est surtout pour les cerner, même si les explications qu’on pourrait présenter ne sont pas évidentes. Le secteur de l’eau demeure du domaine public, et il est naturel que d’autres acteurs que l’administration s’y intéressent, en vue de focaliser sur les problèmes et de tenter de présenter des pistes de solution possibles.
Very informative! Thank you!