“La Tunisie n’est pas un endroit approprié pour organiser un sommet mondial des Nations Unies”

Le groupe d’observation de la Tunisie (TMG) vient de mettre en ligne son deuxième rapport sur la Tunisie suite à la dernière mission d’enquête en Tunisie menée par des experts en liberté d’expression. Lesdits experts mettent en question la crédibilité d’un sommet mondial des Nations Unies sur la société de l’information en Tunisie, qui n’est pas, selon eux, ” un endroit approprié » pour l’organisation d’un tel sommet.

Le rapport s’intitule :” Liberté d’expression en Tunisie : le siège s’intensifie “. Il est une mise à jour du premier rapport du TMG publié en février 2005 : “ Tunisie : liberté d’expression assiégée “. Nous publions ci-dessous deux extraits intéressants du rapport : L’introduction et La Conclusion.

Pour lire la totalité du rapport veuillez le télécharger ICI

L’Introduction

Ce rapport est le deuxième rapport du groupe d’observation de la Tunisie (TMG). Il fait suite à une série de missions d’enquête en Tunisie par les membres du groupe dans les mois précédant le Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI). La première mission, comptant 6 membres du TMG, a eu lieu du 14 au 19 janvier 2005 et a conduit au premier rapport du TMG intitulé : “Tunisie : liberté d’expression assiégée1”. Ce premier rapport a été rendu public en février 2005. Il présentait nos conclusions initiales et formulait une série de recommandations au gouvernement tunisien.

La deuxième mission a conduit 4 membres du TMG en Tunisie du 5 au 8 mai 2005 à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse. Elle visait entre autres à lancer en Tunisie la version arabe du premier rapport du TMG.

La troisième mission, regroupant 9 membres du TMG, a eu lieu en Tunisie du 6 au 11 septembre 2005. Elle a permis d’aboutir à une première mise à jour des conditions de liberté d’expression en Tunisie et de nos recommandations au gouvernement tunisien, mise à jour que nous rendons public, par le présent rapport, à deux mois du SMSI qui aura lieu à Tunis du 16 au 18 novembre 2005.

Au cours de ces trois missions, le TMG a été en mesure de rencontrer plus de 250 personnes et plus de 50 organisations et institutions, y compris des membres du gouvernement et de l’opposition, des officiels, des organisations soutenues par le gouvernement, des organisations issues de la société civile, des défenseurs des droits de l’Homme, des journalistes, des éditeurs, des bibliothécaires, des radiodiffuseurs privés et bien d’autres encore. Lors de chacune de nos 3 missions, nous avons été en mesure de rencontrer des représentants du gouvernement tunisien. Nous nous félicitons de l’ouverture de ce dialogue qui nous a permis d’engager un échange de vues à la fois ouvert et franc.

Lors de notre dernière visite, nous avons rencontré le Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, le Ministre des Technologies de la Communication et le Directeur de l’Agence Tunisienne de Communication Extérieure (ATCE). Dans notre rapport, nous reconnaissons que, dans une certaine mesure, des améliorations ont eu lieu ou ont été promises, notamment en ce qui concerne de futures concessions radio et télé privées, la promesse d’abolir le dépôt légal pour les périodiques et les conditions de détention (bien que de sérieuses inquiétudes
demeurent de mise concernant tous ces sujets).

Cependant, depuis janvier 2005, nous avons malheureusement constaté une grave détérioration des conditions dans lesquelles s’exerce la liberté d’expression en Tunisie, particulièrement en ce qui concerne les organisations indépendantes2, le harcèlement des journalistes et des dissidents, l’indépendance de la justice et avec l’emprisonnement de l’avocat des droits de l’Homme Mohamed Abbou qui est en prison pour avoir émis son opinion dans des articles publiés sur Internet. Au total, ces changements nous conduisent à conclure que le gouvernement tunisien cherche à réprimer plus avant la dissidence à la veille du SMSI.

Dans ces conditions, à deux mois du SMSI qui se tiendra à Tunis les 16, 17 et 18 novembre 2005, la Tunisie n’est pas un endroit approprié pour organiser un sommet mondial des Nations Unies.

Nous demandons donc au gouvernement tunisien de prendre très au sérieux les recommandations formulées dans le présent rapport et de montrer immédiatement une véritable intention de mettre un terme aux pratiques que nous avons identifiées et qui violent les lois et les normes internationales en matière de droits de l’Homme que la Tunisie a ratifiées.

Par ailleurs, nous appelons la communauté internationale à prendre ses responsabilités pour que la Tunisie respecte ses engagements internationaux, à insister sur un véritable engagement de la Tunisie à changer dans la pratique et à s’assurer que les voix indépendantes en Tunisie soient traitées avec le respect et la tolérance propres à une démocratie et non pas dans le cadre d’abus caractéristiques d’un Etat policier.

La Conclusion

Alors que le SMSI approche à grands pas, les attaques sur les libertés d’expression et d’association en Tunisie se sont faites toujours plus nombreuses depuis janvier 2005.

Le cercle des personnes visées par de telles attaques s’est par ailleurs élargi. Il ne s’agit plus seulement du groupe habituel de défenseurs des droits de l’Homme intransigeants que les autorités tunisiennes s’efforcent de faire taire par tous les moyens, notamment la prison, la harcèlement policier ou la confiscation des passeports.

Les journalistes, les magistrats, les universitaires et bien d’autres encore ont clairement fait savoir qu’eux aussi voulaient exercer leur droit à la liberté d’expression, alors que le pays se prépare à accueillir la deuxième phase du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI) à Tunis du 16 au 18 novembre 2005.

Nombreux étaient ceux qui pensaient que le SMSI constituerait une bonne occasion pour le gouvernement tunisien, pour qu’il commence à améliorer son bilan dans le domaine des droits de l’Homme, pour qu’il lâche enfin prise sur les medias, l’édition et sur l’Internet.

Malgré un nombre restreint de pas dans la bonne direction, le Groupe d’observation de la Tunisie (TMG) a conclu, au terme de sa troisième mission en Tunisie du 6 au 11 septembre 2005 qu’il sera très difficile d’aboutir à une véritable amélioration de la situation de la liberté d’expression en Tunisie sans une justice véritablement indépendante, sans un vrai Etat de droit, sans liberté d’assemblée et d’association et sans médias indépendants en mesure de pousser les autorités à rendre compte.

Les Tunisiens de divers bords politiques que le TMG a rencontré affirment tous qu’ils méritent de vivre en démocratie et que la communauté internationale se doit de promouvoir l’Etat de droit et la liberté d’expression en Tunisie. D’après eux, il est même du devoir des pays démocratiques de prendre position et d’insister pour que le privilège d’accueillir un sommet mondial des Nations Unies ait comme corollaire nécessaire un véritable engagement du pays hôte à respecter les droits de l’Homme tels que définis et agréés internationalement par tous, y compris la Tunisie.

Source : “Liberté d’expression en Tunisie : le siège s’intensifie” IFEX-TMG | 26 septembre 2005