Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Le nouveau clip de l’artiste et chanteuse Asma Ben Othmane Yamma lasmar Douni  qui a fait le buzz sera notre support pour développer nos réflexions. Nous voulons nous interroger sur la façon dont la société tunisienne comprend la question du racisme anti-noir. La manière dont plusieurs catégories socioprofessionnelles réagissent, à savoir les médias, les artistes ou même des associations, les approches adoptées, les outils utilisés pour faire face à ce flux de racisme, nous mettent, du point de vue moral face à notre conscience et notre responsabilité intellectuelle. Une analyse d’une telle dynamique/condition est plus que nécessaire.

Un producteur tunisien voulait, apparemment manifester son intérêt pour la question du racisme anti-noir et participer, en conséquence, dans la dynamique de la lutte contre ce phénomène pervers dans notre pays.

L’idée de ce clip était alors la reprise d’une chanson traditionnelle chantée il y a presque 26 ans par le grand artiste noir Slah Mosbah dans la fameuse œuvre Nouba  de Fadhel Jaziri. Le refrain de la chanson dit “yamma Lasmar Douni makom tgoulou ‘alach lasmar douni, mahbes gronfel fi jenan erroumi”  : [Pourquoi dites-vous que le brun n’est pas bien ou n’est pas beau  alors qu’il est comme des œillets dans le grand jardin d’un européen].

Indépendamment  de la beauté que peut avoir un pot de fleurs particulièrement les œillets Qronfel  cette image, évoque un objet de décoration dans un jardin d’un colon européen Erroumi, et suggère l’inactivité, l’absence de dynamisme et le paternalisme…On s’occupe de pot de fleurs pour qu’il soit propre et beau. En contrepartie ce pot d’œillets nous donne sa bonne odeur et ses couleurs vives, voire de la vie. C’est la même chose quand on compare la femme à une fleur que l’homme doit arroser afin que sa beauté demeure. La question ici est une question de dépendance. La vie de ces fleurs s’arrête quand le maître arrête l’irrigation ou l’arrosage.  Vous comprenez que l’image ici est une image de fétichisation et de dépendance jusqu’à la moelle. Ces chansons traditionnelles, ont finalement réussi à faire de nous de bons adeptes des métaphores sublimés d’une situation inhumaine. Une telle banalisation est passée  inaperçue et plutôt que de faire sa propre lecture, on s’est réjoui de l’adoption d’une lecture commune.

La visibilité des noirs non assumée par les concepteurs du clip

En dehors  de la musique et de la chorégraphie qui peuvent plaire à un large public, fan de Mezoued[1]  et de danse tunisienne, nous avons remarqué que le casting a donné lieu à une petite anthologie de couleurs différentes allant des figurants les plus clairs aux plus foncés de peau.  Indépendamment de la chanteuse actrice principale du clip, les concepteurs ont, bien évidemment, donné la parole en premier lieu à la société majoritaire dite « blanche » qui se pose en première ligne pour défendre les noirs tout en faisant des reproches à ceux qui disent que le noir « n’est pas bien »  Lasmar Douni. Puis il y a les noirs : c’est à peine si nous les voyons. Nous ne pouvons même pas examiner leurs traits de visages, contrairement aux autres qui prennent plus d’espace et plus de temps devant la caméra pour exprimer leur aspiration à une société diverse et multicolore.

La caméra de ce clip n’a rien fait d’exceptionnel. C’est une caméra à l’image de celles qui n’ont jamais assumé l’image des noirs. D’ailleurs, il faut revoir le clip plusieurs fois pour détecter la présence de tous les noirs qui y ont participé. La présence de ces noirs dans le clip représente à peine 15% du temps si ce n’est moins. sachant que le clip, si nous avons bien compris, veut mettre en valeur cette diversité et bien évidement une égalité entre tous, le résultat est plutôt : «  Egaux mais pas trop ».

La folklorisation de la cause

Nous aurions pu être neutres et considérer qu’il s’agit d’une reprise d’une ancienne chanson tunisienne, qu’on l’aime ou pas. Même si sa mise en scène et ses paroles  n’expriment pas la diversité et ne dénoncent pas les discriminations et le racisme. Il est quand même appelé Tounes Alwen [ la Tunisie est polychrome ]. Ici en tant qu’auditeurs concernés par la question de la diversité, nous sommes en droit d’interroger une telle approche qui accentue, à notre sens, la stigmatisation des noirs.

Loin de faire preuve de victimisation, comme beaucoup peuvent l’affirmer, un état des lieux s’impose. Nul n’est censé ignorer, le racisme pervers contre les noirs en Tunisie et la non visibilité, la marginalisation et la stigmatisation de cette population dans ce pays.

Après toute une série de revendications, d’articles publiés et d’études faites sur la nature de cette cause, certaines personnes qui déclarent avoir l’intention de travailler sur ce thème, y compris les artistes du clip, ne veulent pas s’informer ou ne veulent pas comprendre le fond. La conséquence est donc, encore une fois, la légitimation, la banalisation de ce racisme ; on reste toujours dans le folklore et la superficialité : on danse, on chante et la vie est belle. On occulte ainsi les causes réelles et les propos inaudibles de cette réalité. Ce travail artistique tel qu’il est conçu n’a pas déconstruit les préjugés et les raisons qui maintiennent la continuité du racisme.

Curieusement, la sortie de ce clip, coïncidait avec le festival de la “joie africaine”, chapeauté  par le ministère, de la Culture, qui a eu lieu dans le sud de la Tunisie. Il n’y a eu aucun intérêt particulier manifesté par les Tunisiens et surtout les « facebookiens » qui eux-mêmes ont raillé la chanson. Ce festival ne reflète pas l’image d’un pays dont l’appartenance à l’Afrique pose problème, ainsi que son racisme.

Jeter la responsabilité totale sur les réalisateurs de ce clip serait un tort. La participation de quelques personnalités noires, connues dans le monde de l’art pour leur engagement dans la lutte contre le racisme, nécessite face à la banalisation et la superficialité, une révision urgente des objectifs et des outils de la lutte contre le racisme.

*Maha Abdelhamid
Doctorante en Géographie Sociale
Université Paris 10 Nanterre-La Défense

[1] Musique populaire Tunisienne.