Tout récemment, une affiche de l’initiative citoyenne “Je nettoie ma rue et je la maintiens propre” a suscité la polémique sur facebook. Des internautes, et pas que des femmes, ont trouvé que la représentation d’une soubrette sexy flanquée d’un balai était résolument sexiste et inappropriée!

Bricolée par des bénévoles soucieuses de mobiliser des bras, cette affiche était censée servir la bonne cause, celle d’un environnement propre, en l’occurrence, car pour « changer les mentalités », il fallait commencer par « changer les mœurs » dit le slogan du groupe ! D’ailleurs, la ménagère sexy a tout de suite eu le succès escompté. « Si c’est ton uniforme officiel, je viens dans ta rue, dès que j’ai fini de nettoyer la mienne », a plaisanté un facebookeur sur le mur d’une bénévole. « On voit bien qu’il s’agit de changer les mentalités ! », a commenté une internaute. Une autre a ironisé : « hrayir tounes ye3mlou fi citoyenneté ». Comprenez : « les femmes libres de Tunisie pratiquent la citoyenneté » ; et d’ajouter : « imaginez les filles si au lieu de cette image, il y a une femme voilée qui fait la même chose, « hrayer tounes » auraient allumé une guerre ! ».

Le sourire de Mona Lisa

Comment ne pas penser au film « Le sourire de Mona Lisa » où Julia Roberts joue le rôle d’une professeure d’histoire de l’art, anti-conventionnelle, dans une prestigieuse université de filles de riches. Confrontée à la résistance de l’administration et des étudiantes, dans cette Amérique machiste des années 50, l’enseignante donne un cours sur les affiches publicitaires en démystifiant les stéréotypes qu’elles véhiculent sur la bonne ménagère et la parfaite épouse. Si les choses ont changé depuis, la tradition visuelle machiste, elle, demeure. Filon des publicistes, des communicateurs et des militants de tout bord, ces modèles se collectionnent, telles les « Pin ups » d’Al Brulé, dessinées pour des firmes comme Coca-Cola. On n’allait tout de même pas sacrifier l’art occidental sur l’autel du patriarcat !

homme je nettoie ma rue

Mais malgré sa connotation vintage et l’attitude décomplexée de ses conceptrices, le motif de la ménagère blanche sexy nettoyant les rues d’une Tunisie sale et meurtrie ne passait pas. Finalement, l’affiche incriminée a été abandonnée. L’affiche déclinée au masculin également. Celle-ci reprenait une photographie de l’artiste américain Benjamen Chinn où un ouvrier en costume dépareillé, cigarette à la bouche, balaye la chaussée dans une rue de Paris. Une légende suggérait « de se mettre sur son 31 pour nettoyer les rues ».

Quand on sait que cette action citoyenne prévoit une sensibilisation des régions les plus reculées, au moment où des marches pour l’emploi et la dignité sont réprimées, on se demande si les organisateurs sont conscients que cette image provocante occulte les fractures réelles basées sur la catégorisation* sociale et économique des groupes et des individus. Car au-delà du sexisme, partie émergée de l’idéologie dominante, il y a des femmes qui sont prises entre les feux croisés de la stigmatisation, de la pauvreté et de la violence masculine alimentée par la violence institutionnelle et médiatique.

L’homme qui veut réparer sa femme !

Et comme par hasard, le jour même où l’affiche de la soubrette était publiée, le teaser de l’émission de téléréalité « Andi ma nkollek », présentée par Alaa Chebbi sur Al Hiwar Ettounsi, était diffusée, confirmant que la ligne de fracture était profonde. Un jeune homme y confiait à “Si Alaa” : « J’ai essayé en vain de réparer ma femme … de corriger sa manière de marcher et de s’habiller… car elle ne sait même pas marcher… elle sent le pétrole et l’oignon, ses cheveux sont ébouriffées… et quand je rentre à la maison, elle reste allongée et m’ignore comme si j’étais une ombre, comme si ma stature ne lui plaisait pas… elle ne sait pas charmer comme le font les filles… ses talons sont fissurés on dirait les pieds d’un ouvrier de chantier… elle est tout le temps collée à son téléphone pour naviguer sur facebook … » !

Il faut dire que ce n’est pas la première fois que cette émission dérape. Sur la page facebook de la chaîne, la vidéo a suscité plus de mille commentaires, souvent violents, dénonçant les propos de ce « salaud qui n’est pas un homme ». Un internaute a proposé à l’animateur de « gifler cet énergumène au nom des hommes tunisiens pour l’humiliation qu’il a infligé à son épouse ». Un autre a jugé qu’« il peut avoir raison sur le fait que la femme ne doit pas négliger sa féminité, cependant ce mec s’avère égoïste et narcissique, car il humilie sa femme en public malgré son dévouement et ses concessions ». Une internaute en colère lance : « Pauvre mec ! ».

Que fait la Haica?

Sur Facebook, un groupe fermé de discussion de femmes engagées pour les droits féminins a également réagi à cette « stigmatisation sexiste et discriminatoire », proposant de faire signer une pétition collective avec les associations féministes et de l’adresser aux médias et à la HAICA pour contester le manque de suivi de ce sujet. On rappellera que dans le cahier des charges du régulateur, fixant les conditions d’octroi d’une licence de création et d’exploitation d’une chaine de télévision privée, l’article 14 engage le titulaire à « la protection des droits de la femme et l’abolition des stéréotypes entachant son image dans les médias ». Les dérives déontologiques ont valu, à plusieurs reprises, à l’émission « Andi ma nkollek » des sanctions conséquentes (amendes et suspensions), souvent pour « atteinte à la dignité humaine et à la vie privée », mais jamais, à notre connaissance pour « violence sexiste ».

En mars 2015, l’association tunisienne des femmes démocrates a publié un guide où elle rappelle que :

L’impact des stéréotypes sexistes relayés par les médias peut avoir un effet désastreux sur l’opinion publique, en particulier les jeunes générations. Les stéréotypes perpétuent une représentation réductrice, figée et caricaturale d’un sexisme banalisé se manifestant par des pratiques discriminatoires qui contribuent à normaliser et surtout légitimer cette violence dans la société.

Note

* Nous empruntons ce mot à Angela Davis qui dans son livre « Femme, race et classe » ressort les contradictions du féminisme blanc au regard des luttes d’émancipations et de libération du peuple noir.