Il est des exercices on ne peut plus précieux pour la garantie de la pérennité d’une action et la dynamique d’évolution d’un projet.
L’auto-critique en est la forme la plus noble, car émanant des porteurs même du fardeau que constituent aussi bien l’action que le projet. Ce menu nécessite, cependant, une bonne dose d’honnêteté intellectuelle marinée à de l’audace, le tout, remué avec de la rigueur, par un chef, un vrai, dont la lucidité est irréprochable.

A défaut de voir les intéressés s’atteler à ce chantier, il incombe au journaliste de briser le silence et d’assurer cette tâche, en donnant le la, dans un travail de longue haleine, à l’édifice de nouvelles thèses, à la prospection de nouvelles voies. A faire le bilan du passé, pour mieux comprendre le présent et pouvoir, ainsi, conce-voir mieux et en plus clair l’avenir. Sans ambages ni fioritures.

Là, aussi, une recette s’impose, avec pour ingrédients sine qua non, indépendance et intransigeance.

Cependant, le décor doit être propice à une telle entreprise. Ce qui n’est pas évident sous nos cieux, l’intolérance qui caractérise notre société faisant défaut.

Certes, le régime tunisien n’a jamais toléré la moindre différence avec ses politiques et a toujours conservé une terrible indifférence vis-à-vis des voix pacifiques, pacifistes ou pacifiées, prônant de nouvelles approches. De nouvelles options.

Au premier veto, à la première contestation, le journaliste fera l’objet de réactions extrêmement hostiles. Au meilleur des cas, on lui fera des avances, pour mettre un terme à ses “velléités”.

Mais, il n’en est pas moins vrai que la même indifférence et la même hositilité prévalent également au sein de l’opposition, qui donne parfois l’impression d’être claquemurée voire ghettoisée.

A la question de savoir s’il est permis de critiquer l’opposition, même par ceux qui sont critiques, par défaut, du pouvoir, les réponses sont à portée de main et de vue.

Il y a quelques mois, le journaliste, Tawfik Ayachi, publie un texte dans lequel il critique ouvertement la porte-parole du Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT), Sihem Ben Sedrine, suite à la lettre ouverte qu’elle a adressée au chef de l’Etat, l’appelant à quitter le pouvoir. M. Ayachi reprochait à Mme Ben Sedrine d’avoir fait appel, dans sa lettre, à l’appareil militaire pour intervenir dans et pour la transition. Le texte de M. Ayachi a été re-pris par le journal libanais Al Mustakbal (propriété du Premier ministre libanais Saad Hariri et proche du gouvernement tunisien), avec quelques “modifications”, au gré des détracteurs de Mme Ben Sedrine à Tunis. Et, les réactions, trés virulentes, essaimeront de tous bords. M. Ayachi est soudainement accusé d’avoir “retourné sa veste” et “rallié le camp pro-gouvernmental”. Ceux qui l’ont lapidé ont omis, cependant, ou avaient, tout simplement, la mémoire trop courte : M. Ayachi, aussi jeune soit-il, a été parmi les rares plumes qui s’étaient élevées contre le putsch du 4 mai 2009, au sein du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT), et a fini par payer très cher son engagement pour l’indépendance du métier de journaliste.

Il a fallu que le jeune journaliste d’Attariq Al Jadid (organe du Mouvement Etajdid), toujours égal à lui-même, fasse des “actes de bonne volonté” pour que se taisent ceux qui croient n’avoir jamais pêché.

Ceci n’est qu’une affaire parmi d’autres. Car, la chronique de la presse tunisienne peut nous édifier un peu plus sur cet état des lieux chaotique, d’autant plus que les arguments sont prêts pour décrédibiliser tout journaliste qui oserait critiquer un opposant ou évoquer les dérives d’un parti du camp du refus. Il y a surtout cet argument-alibi de “déontologie”. Les opposants et autres militants des droits de l’homme, nous dit-on, font l’objet de harcèlement et de campagnes de diffamation dans la presse locale. Il faut, voudrait nous en convaincre certains, les épargner et observer un devoir de réserve. Pendant ce temps, “silence, on gaffe” !

Il y a aussi cette accusation de “retournement de veste” qui tourne généralement autour de la même rumeur qui dit que tel journaliste, “autrefois respecté”, a rencontré telle personnalité proche du régime qui lui a fait des avances.

Pourtant, il y a des choses qui sautent tellement aux yeux que les journalistes indépendants n’ont pas besoin de passer par ce circuit pour en parler. A-t-on besoin de “retourner sa veste” pour dire, par exemple, que nos partis, aussi radicaux soient-ils, s’apparentent plus à des forums qu’à des compositions politiques ? N’est-il pas déjà en leur honneur de survivre à ce statut quelque part diminutif, des suites de la marge de manoeuvre dont ils disposent ?

A-t-on vraiment besoin de “changer de camp”, aussi, pour parler des querelles, parfois violentes, au sein du mouvement Ennahdha (islamiste, interdit), et dont la manifestation la plus frappante est le vrai-faux débat sur la question du retour des exilés ? Faut-il passer, également, par Jean Jaurès (siège de l’ATCE) pour dire que le Congrès Pour la République (non reconnu) n’arrive pas à rassembler une centaine de sympathisants, ne serait-ce que parmi nos étudiants en France ?

Cet état des lieux nous mène droit vers un constat on ne peut plus important pour pouvoir voir mieux notre scène politique. En effet, ce dont le régime souffre hante également les sièges de nos partis et autres ONG. Pour ceux qui sont nés comme moi, au début des années 1980, rien n’a changé au niveau du leadership, tant au pouvoir qu’à la tête des partis politiques.

Ironiquement, il est clair que pouvoir et opposition(s) ne peuvent concevoir le métier de journaliste en dehors de leurs intérêts et de leur obsession de “cuissage” politico-politicien. Un employé à leur service. Et gare à la première critique !

Et, alors, au régime et à l’opposition, disons-le leur clairement : nul n’est au-dessus de nos plumes. On vous voudra du bien tant et si bien vous nous en voulez. Et, à vos actes !

En attendant, force est de dire qu’être journaliste indépendant en Tunisie relève aujourd’hui du péril, de l’auto-destruction, du suicide. Une vraie mort socio-professionnelle. Mais, l’enjeu vaut le coup de poursuivre son bonhomme de chemin … contre vents et marrées.

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