Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

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Proudhoniens et communistes sont également ridicules dans leurs diatribes réciproques et ils ne comprennent pas l’utilité immense de la diversité dans les doctrines. Chaque école, chaque nuance a sa mission à remplir, sa partie à jouer dans le grand drame révolutionnaire, et si cette multiplicité des systèmes vous semblait funeste, vous méconnaîtriez la plus irrécusable des vérités : La lumière ne jaillit que de la discussion. Auguste Blanqui

Quelles belles paroles à méditer en ces temps où le débat stratégique semble complètement absent et ce en plein chamboulement révolutionnaire.

La réaction se frotte les mains et se rassure en décrétant ici la condamnation à mort par fournée des principaux dirigeants frères musulmans dont un président, le premier à avoir été élu démocratiquement, même si c’est de manière minoritaire, quoi qu’en disent les cassandres « démocrates » ou de « gauche ».

Ici, c’est la sainte alliance des roitelets de monarchies vermoulues qui se lancent dans une guerre et c’est une première dans notre histoire contemporaine pour venir à bout d’une sédition que d’aucuns n’entrevoient que comme l’éternelle opposition « religieuse » entre « chiites » et « sunnites » oubliant le soubassement social, économique et politique de tels affrontements.

Notre presque nonagénaire de président, lui aussi élu de manière minoritaire, s’époumone, mal, dans la langue de Shakespeare pour réclamer à Obama son aide pour venir à bout de la situation inextricable de nos voisins libyens.

Ici encore ce sont des intellectuels universitaires français qui continuent à vouloir jouer les maîtres d’écoles en faisant « dialoguer » une « gauche » (laquelle ? Qui la définie ?) avec des fréristes musulmans que l’on continu à désigner par l’impropre dénomination : « islam politique » alors que l’islam, tout entier, est, dès l’origine, une doctrine politique avant d’être une philosophie religieuse quoi qu’en pensent les intégristes et leurs contradicteurs « laïques » et « modernistes ».

C’est Claude Lévi-Strauss qui a perçu avec beaucoup de finesse cette réalité quand il affirme qu’« il y treize siècles, l’Islam a formulé une théorie de la solidarité de toutes les formes de vie humaine : technique, économique, sociale, spirituelle, que l’Occident ne devait retrouver que tout récemment, avec certains aspects de la pensée marxiste et la naissance de l’ethnologie moderne. » (C. Levi-Strauss, Race et histoire)

Un pas en avant !

L’édition qui a connu un léger frémissement après le 14 janvier 2011 a vu paraître des livres, le plus souvent écrit dans la précipitation, et très souvent à compte d’auteurs, par ceux-là mêmes qui n’ont pas bougé le petit doigt la veille ou l’avant veille.

Cette littérature aussi vite oubliée qu’aussi vite écrite ne pouvait remplacer une mûre réflexion sur la nature de la séquence révolutionnaire, de son potentiel et de ses faiblesses. La digestion réclame du temps !

Dans cette série d’articles, nous tenterons modestement à apporter notre pierre à l’édifice d’une discussion qui fasse jaillir « la lumière » dont parle Blanqui.

Comment construire ou reconstruire.

Comme aimait le répéter le philosophe Gilles Deleuze on commence ou recommence toujours par le milieu. Point de table rase du passé. Ce dernier nous mord la nuque.

La charpente d’un texte d’orientation politique doit disposer de bonnes assises, afin de proposer les grandes lignes d’une véritable refondation.

Un texte d’orientation, c’est comme la construction d’un édifice.

Il faut un plan masse sur ce que nous voulons édifier comme projet de construction. Et nous construisons toujours en s’inspirant du temps long des savoirs faire. On ne part pas d’une page blanche.

Il faut avoir au préalable les énoncés concernant les caractéristiques du terrain sur lequel nous allons élevé l’édifice.

La connaissance du terrain est essentielle afin de calibrer la profondeur et l’épaisseur des fondations.

Vient ensuite le choix des matériaux de construction afin que notre construction dure le plus longtemps possible.

Quel édifice voulions nous construire aujourd’hui en cette quatrième année de révolution ? Pourquoi ?

Et pour quel objectif ?

Une petite précision avant de continuer plus en avant.

Beaucoup de militantes et militants refusent d’utiliser le terme « REVOLUTION », lui préférant le terme « INTIFADA » pour caractériser la séquence d’agitations sociales et politiques que traverse la région arabo-africaine et dont le territoire tunisien n’est qu’un petit maillon.

Cela pourrait paraître couper les cheveux en quatre, mais les définitions ont des conséquences au plan stratégique et tactique.

L’expérience tunisienne

Etudions l’exemple tunisien qui fut l’étincelle qui mis le feu à la crise révolutionnaire que connait l’ensemble arabo-africain.

Si c’est à une INTIFADA que nous avons affaire, depuis l’hiver 2010/2011 et dont les racines remontent, au moins, à cet autre hiver 2008 ; alors c’est un processus permanent d’INTIFADA qui dure depuis six bonnes années, avec dans l’intervalle la chute du général dictateur, en ce 14 janvier 2011 ; une période de quasi « double pouvoir » qui dure le temps de KASBAH 1 et KASBAH 2; c’est-à-dire à peu prés deux mois; la formation du Front du 14 janvier en février 2011; la réelle possibilité d’un mot d’ordre de prise du pouvoir par le Front du 14 janvier appuyé sur la puissante centrale syndicale UGTT, la mobilisation de la jeunesse révolutionnaire et l’ensemble des couches populaires impliquées dans le grand chambardement révolutionnaire.

La fenêtre de tir qui a duré deux long mois s’est refermée par un quasi accord autour de la personnalité de Béji Caïd Essebsi d’un large spectre politique préférant concourir à la course à l’échalote électorale (l’Assemblée Constituante) que mettre tout son poids dans le renversement du pouvoir benaliste dont on n’avait tranché que la tête, les racines étant demeurées intactes.

Bien sûr le choix de BCE trouvera un appui incontestable des différentes puissances impérialistes et régionales ayant quelques intérêts à défendre tant sur le plan économique : France, Italie, Espagne, Allemagne, que géo-politique : La monarchie marocaine, l’Etat militaire et rentier algérien, Etats rentiers du Golfe, et leur parrain à tous : les États-Unis.

Dans différents textes, celles et ceux qui refusent d’utiliser le terme « Révolution » sont d’ailleurs obligés de parler d’un « processus révolutionnaire » contré par la sainte alliance d’une « contre-révolution » formée par le parti des revanchards « laïcs » et « théologiens » et aidé en cela par la trahison de ceux qui ont eu la prétention de « défendre les principaux mots d’ordre » de ce même processus révolutionnaire.

Révolution/Contre-révolution !

Et là nous tombant tous d’accord sur la dialectique « Révolution/Contre-Révolution » qui est le propre non seulement de ce qui se passe dans le petit Etat tunisien mais plus généralement à l’échelle de ce qui forme l’ « Inter-Nation Arabo-Africaine ».

Parce que le processus révolutionnaire n’a pas touché que l’Etat tunisien. Le grand chambardement révolutionnaire a contaminé l’ensemble de l’inter-nation arabo-africaine parce que nous étions à la veille d’une longue période de flux et de reflux révolutionnaire d’une des régions du monde qui a vu sa marche vers l’unité contrariée par les différentes forces coloniales impérialistes durant plus d’un siècle.

Le cadre stratégique où se déploie notre révolution démocratique, nationale et sociale, ce sont les deux versants de cet ensemble national que l’on connaît comme « Maghreb/Machrek » et que nous nommons « Inter-Nation Arabo-Africaine ».

« Inter-nation » parce que que nous ne sommes plus du tout dans l’ère des constructions nationales « démocratiques bourgeoises » à l’époque du troisième âge du capitalisme ou du « capitalisme sénile » pour reprendre une formule de Samir Amin.

L’ensemble national arabo-africain qui reste à construire et qui ne repose sur aucune fondation historique, ne peut exister qu’en rupture radicale avec le système capitaliste néo-colonial et la prédation impérialiste qui ont été en grande partie le terreau de son existence.

C’est parce que nous avons été embarqué, malgré nous, dans le processus à l’oeuvre à l’échelle mondiale de généralisation de rapports de production capitalistes, démarré à l’échelle européenne et imposé, à nous autres, sous la forme coloniale, que nous étions arrivés à maturité pour, sur la base de la destruction des anciens rapports sociaux pré-capitalistes, nous projeter dans une résistance au colonialisme. Ce fut la tentative de desserrer l’étau de l’exploitation capitaliste, dans un contexte mondial marqué par la coexistence « pacifique » entre le nouvel impérialisme triomphant étasunien et l’ordre imposé par la dictature de la contre-révolution bureaucratique régnant dans le monde dit « socialiste ».

C’est la raison qui fait que cet ensemble n’a de viabilité que dans son rattachement à une dynamique internationaliste de lutte à l’échelle planétaire contre le capitalisme mortifère et sa mondialisation financière assassine. « Prenez la crise financière. Si on se limite à celle-ci, on ne trouvera que des causes purement financières, comme la dérégulation des marchés. En outre, les banques et institutions financières semblent être les bénéficiaires majeurs de cette expansion de capital, ce qui rend plus facile de les pointer comme uniques responsables. Mais il faut rappeler que ce ne sont pas seulement les géants financiers, mais aussi les multinationales en général qui ont bénéficié de l’expansion des marchés monétaires. 40 % de leurs profits proviennent de leurs opérations financières ». Et Samir Amin précise que « Le volume des transactions sur ces marchés est de plus de 2 500 000 milliards de dollars, alors que le PIB mondial est de 70 000 milliards de dollars. »1 D’où la nécessité de nous fondre dans la lutte pour une fédération unitaire africaine anti-capitaliste et la fédération unitaire asiatique anti-capitaliste et jetant les bases d’une mise en commun socialiste et écologique à l’échelle de ces deux grands ensembles humains que sont l’Afrique et l’Asie. Les Etats chinois, russe, indien et ceux de l’est-asiatique ont constitué avec le « Groupe de Shanghaï » un outil étatique pour « se déconnecter de l’économie mondiale dominée par les monopoles occidentaux. Par exemple, rien n’y est payé en dollars ou en euros. L’Amérique du Sud peut aussi se « découpler » du capitalisme des monopoles. Ils ont des possibilités techniques et les ressources naturelles pour faire du commerce Sud-Sud » insiste Samir Amin.

L’Inter-nation arabo africaine est le trait d’union de ces deux ensembles qui sont condamnés à s’unir pour lutter efficacement contre l’emprise des anciennes et nouvelles puissances coloniales Euro-américaine.

Note

1. « Le capitalisme entre dans sa phase sénile », Samir Amin.