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Le phénomène de l’occupation illégale de l’espace public ne cesse de gagner en ampleur en Tunisie. Les trottoirs, terrains publics et chaussées sont envahies par le biais de divers techniques : étalages anarchiques, barrières, bacs à fleurs, grosses pierres, présentoirs de nourriture, kiosques bâtis ou temporaires, meubles des cafés et restaurants, poubelles, stations de bus, etc.

Atteinte à la qualité de vie et dégâts économiques certains

Chaque lecteur pourra enrichir la liste d’éléments venant de son expérience personnelle. Le piéton ou automobiliste s’estimera en tous cas heureux de ne pas subir un dégât matériel et/ou humain à cause de ces dégradations. La caricature de WillisFromTunis illustre assez bien la situation.

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La vie trépidante d’un piéton tunisien, @willisfromtunis.

Ce phénomène est devenu si présent, qu’un grand nombre de personnes ne n’y fait même plus attention. Le simple fait d’en parler comme un problème pourrait sembler étrange selon l’audience. Le hic, c’est que beaucoup de ceux qui sont sensés contrôler et faire régner l’ordre dans l’intérêt de la majorité font partie ou font semblant de faire partie de ce grand nombre. Ceci engendre une atteinte certaine à la qualité de vie avec l’entrave aux transports, l’accumulation des ordures, la dégradation de l’infrastructure, etc.

Un tel phénomène devait depuis longtemps interpeller des actions bien étudiées pour y remédier tellement il entraine avec lui des atteintes à la qualité de vie et à négliger le principe d’égalité dans l’exercice des activités économiques. Ce qui est exposé dans ce qui suit n’est qu’une simple piste de réflexion. Mais un débat d’idées impliquant toutes les parties prenantes pourrait faire éclore des solutions concrètes face à ce banditisme banalisé.

Des causes variées et complexes

En essayant de comprendre les causes du problème, on remarquera plusieurs volets qui s’enchevêtrent. Le premier volet est d’ordre socioculturel. Beaucoup de tunisiens tendent à accepter le fait de « se débrouiller » en faisant fi des règles et de la loi. Un tel avis peut aussi bien émaner des exploitants et bénéficiaires que des autres citoyens ou consommateurs. Certains avanceraient, parfois à raison, les conditions économiques difficiles qui poussent les gens à user de tout moyen disponible pour augmenter leurs revenus. D’autres y voient simplement un service disponible et moins cher pour le client potentiel. Aussi, beaucoup, selon leur raisonnement, estiment qu’il y a d’autres priorités d’actions avant de s’attaquer aux classes les plus démunies et ses tentatives de survivre. Mais ce dernier argument dénie le fait que l’atteinte à l’espace public constitue maintes fois une voie d’enrichissement et non de vie décente avec l’agrandissement de l’espace exploité. De plus, cette situation informelle n’est pas viable à long terme et constitue un manque de stabilité pour les travailleurs qui se trouvent toujours à inventer des astuces dans un univers de concurrence non structurée animé par la débrouille et, hélas, la corruption. On en vient à confondre compréhension et compassion avec laxisme et corruption et combattre les dysfonctionnements par d’autres nous fait rentrer dans un cercle vicieux.

Une administration laxiste et des politiciens qui préfèrent regarder ailleurs

Un deuxième volet, très important, est lié à la performance de l’administration. Notre administration ne cesse malheureusement pas de démontrer son impuissance, son incompétence et, malheureusement et très souvent, sa connivence. Il ne s’agit pas de la rendre comme seul responsable du phénomène puisque exploitants, politiciens et citoyens sont impliqués ou de ne pas rendre justice aux fonctionnaires honnêtes envahis par le fléau, mais l’inaction et la lourdeur administratives contribuent activement à l’aggravation du phénomène. Les méthodes de travail d’un certain âge, le sentiment d’impunité et l’absence de comptes à rendre font en sorte que les actions en faveur des citoyens se fassent de plus en plus rares. De plus, il serait judicieux que l’État fasse tout pour prévenir les dépassements ou agisse le plus tôt possible. Hors on remarque bien que les semblants d’actions de correction, quand elles existent, n’ont lieu qu’après des mois, voire des années, aggravant les coûts et effets socio-économiques. Tout le tissu économique se trouve bouleversé par ceci et la vision à long terme pour l’investisseur devient absente. On ne peut plus planifier un projet, avec les coûts, la main d’œuvre nécessaire ou la concurrence présente, tellement les règles sont floues.

Il est essentiel qu’un volontarisme commun de l’ensemble de la classe politique aille dans le sens de reconnaitre que cet état d’anarchie constitue une entrave à un développement économique à long terme et que des initiatives audacieuses et fermes soient engagées. Les principaux partis politiques n’ont pas voulu aborder ceci de manière frontale lors des dernières élections dans un but de recherche populiste des voix. On remarque aussi que les élections municipales, principal levier de la politique de proximité, ne constituent plus réellement une priorité sur l’agenda politique.

Nécessité d’envisager l’exploitation de l’espace public autrement

Cette situation épineuse devrait être combattue en instaurant et appliquant des règles claires et simples que tous les concernés seront tenus de respecter :

  • Engagement de réflexions et planification à long terme sur la manière de gérer et d’exploiter l’espace public en y incluant les composantes économiques, culturelles et environnementales.
  • Application d’horaires d’exploitation à tous les acteurs ce qui amènerait à plus de visibilité aux consommateurs et aux organismes de contrôle tout en améliorant la transparence dans la concurrence et le respect des droits des travailleurs.
  • L’instauration de l’exploitation dynamique des surfaces exploitables selon l’activité et les horaires. Par exemple, les restaurants ne peuvent sortir les tabes que durant des horaires précis.
  • L’encouragement des places de marché publiques à horaires et journées fixés. Les rues piétonnes pourraient être un moyen d’encourager ceci, avec le marché le matin et les cafés le soir. Ceci bien sûr sans anarchie et avec des permis octroyés de manière transparente. Les marchands ambulants y trouveront un espace viable d’activité. Les clients verront l’offre disponible augmenter tout en respectant l’investissement des commerçants établis. Ces derniers seraient d’ailleurs avantagés quand ils se trouvent à coté de ces marchés et auraient plus de clients.
  • L’octroi de statut clair aux commerçants ambulants ce qui les responsabiliserait et les ferait rentrer dans l’activité formelle. Ce type d’activité devrait gagner en valeur et estime au lieu d’être stigmatisé en permanence en négligeant ses causes réelles.
  • Appliquer la loi de manière ferme et transparente sur les contrevenants. Les responsables laxistes au sein de l’administration devraient faire face à leurs responsabilités.
  • Responsabiliser les administrations et améliorer leur communication avec les citoyens en rendant publiques leurs actions et inactions et en établissant des voies de signalement simplifiées pour les citoyens.

Les ressources nécessaires à l’application de tout plan d’actions se trouveraient dans son application même. Les principes élémentaires de veille aux biens publics et de la transparence permettraient sans doute d’améliorer les revenus en provenance des réels bénéficiaires et non du citoyen lambda. Encourager des règles économiques claires et applicables à tous permettrait d’améliorer d’autres aspects concernant la qualité de vie du citoyen.