Le Forum Social Mondial 2015 a ouvert ses portes, pour la deuxième fois consécutive, en Tunisie. Depuis 2001, cet espace ouvert se propose comme une alternative au Forum Économique Mondial à Davos et affiche sa tendance altermondialiste de lutte contre le capitalisme et le néolibéralisme. Comme chaque session, plusieurs participants et visiteurs défilent et débattent leurs idées et expériences pour faire entendre leur voix et apprendre à mieux s’auto-gérer.
Cette année, les critiques du forum ne se font pas modérées. Les participants déçus sont visiblement beaucoup plus nombreux que lors de l’édition précédente. L’intention d’expérimenter d’autres formes d’organisation n’est, peut-être, pas partagée par tout le monde, y compris le comité international d’organisation. En effet, le FSM s’engage, théoriquement, à faciliter l’au-gestion des rencontres entre mouvements, idées et expériences de toutes les idéologies progressistes. Cependant, certains voient qu’il s’est hiérarchisé, au fil du temps, à travers ses organisateurs et qu’une réflexion collective et sérieuse sur sa postérité est plus que nécessaire.
Houssein Abdel Rahim, écrivain et militant politique égyptien, a suivi les premiers pas qui ont mené à la création du FSM.
Tout a commencé dans les assises des mouvements sociaux à Bruxelles. À l’époque, il y avait une crise syndicale. Christophe Aguiton a donc commencé à connecter les gens entre eux et à organiser des rencontres entre militants. L’année d’après, le parti communiste au Brésil a assisté à la fête internationale du Manifeste Communiste et a demandé l’appui des gauchistes européens lors des prochaines élections au Brésil. C’est ainsi que des associations ont décidé d’aller à Porto-Alegre pour créer le forum. Le Parti Communiste Brésilien (UPT) a gagné les élections et s’est préoccupé du pouvoir, mais le FSM a continué à exister. Tout ça pour dire que rien ne change aussi facilement que nous pouvons l’imaginer. Le FSM a souffert de la récupération politique depuis sa création, raconte Houssein
Houssein Abdel Rahima ajoute que le forum a réussi, malgré tout, à changer la forme de la gauche traditionnelle mais pas le fond. « Ce carnaval militant n’est pas, réellement, participatif et démocratique comme il le prétend. En vérité, il reprend le schéma pyramidale. Les grandes décisions sont monopolisées par minorité gouvernante à l’image du système capitaliste », explique le militant gauchiste.
Participant seulement deux fois au FSM, Khaled Ferjani, artiste et metteur en scène, a observé une sorte de dépression générale au forum :
La déception et la dépression des Tunisiens et des Arabes cette année est vraiment très présente. Si l’année dernière, les assemblées et les workshop étaient remplis de Tunisiens qui voulaient changer le pays, cette année ils se sont renfermés et limités aux festivités du forum. Partout, tu les vois danser, chanter ou en train de remplir l’espace de son-stéréo à haute saturation. Ils sont moins attirés par les débats politiques. Je pense que c’est une réaction directe à la situation politique présente en Tunisie.
Esquivant ces nombreux procès politique à Sidi Bouzid, Safouen Bouaziz profite du forum pour voir ses amis et faire des nouvelles rencontres. Après avoir raté la session précédente pour des raisons sécuritaires, Safouen découvre le FSM et témoigne :
J’avais une idée totalement différente du forum. Je pensais qu’il s’agissait d’un événement plus radical et plus contestataire. En réalité, il y a plus de réformistes que de révolutionnaires. L’ambiance festive et presque commerciale fait de l’ombre à l’esprit de contestation et de rage que nous devons avoir face à la crise mondiale actuelle.
Dans cette même vision, Dragan Nicevic, un opposant gauchiste de la Slovénie, explique que « l’objectif commun du Forum n’est plus de changer le système mondial et lutter contre le capitalisme mais seulement de dénoncer les dangers du néolibéralisme qui enfonce le monde dans un crescendo chaotique. Je pense que ce n’est pas lié à un contexte tunisien mais plutôt mondial où les mouvements contestataires progressistes sont en train de vivre un déclin vertigineux à l’exception de quelques expériences comme celles de la Grèce ».
Le FSM a drainé, cette année, moins de visiteurs et participants que celle précédente. Un constat qui peut trouver une explication dans le mauvais temps qui a accompagné le forum ou encore le fait qu’il est resté dans le même pays.
Je pense que nombreux participants ne sont pas revenus parce qu’ils ont l’impression qu’on n’est pas en train d’avancer réellement vers une vision commune et un projet solide. Même si le FSM s’interdit la délibération de quelconque mesure ou résultat, certains ont besoin de concrétiser un projet altermondialiste commun. L’absence d’un résultat concret dans la lutte anti-néolibérale crée une réelle frustration et déclenche de multiple critiques et réticences. Je suis déçu de voir le forum se transformer en une sorte de foire où les gens viennent pour exposer leur travail, rester dans leur cercle d’intérêt et de connaissance et partir sans le moindre changement, explique Samuel legros, militant belge.
Jeudi après midi, des dizaines de volontaires ont manifesté dans le Forum pour attirer l’attention sur les conditions de travail difficiles.
Parce qu’il pleut tous les soir, nous n’avons pas où passer la nuit à l’abri de l’eau qui remplit toutes les tentes. Nous n’avons pas le droit au dîner (un seul sandwich est servi au milieu de la journée). Et ceux qui rentrent chez eux le soir, doivent se débrouiller seuls …, conteste un des volontaires.
Étant composé d’une majorité d’étudiants ou de diplômés chômeurs, le corps des volontaires a besoin du soutien de l’organisation du forum, comme c’était le cas depuis sa création. « Pourtant, nous savons que l’organisation reçoit une somme hallucinante de financement …», ajoute une autre volontaire à mi-voix.
Même si les critiques sont nombreuses, le forum garde un charme particulier aux yeux de ses habitués. « Si l’auto-critique est toujours tolérée dans le forum, tous les changements restent possibles et réalisables. Converger les différents points de vue est la mission de tout le monde et pas seulement de l’organisation », conclut Carminda, membre de la délégation canadienne candidate à l’organisation du FSM en 2016.
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