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Le 08 / 01 / 2015 – A la veille du quatrième anniversaire de la révolution, où en sont les droits de l’homme en Tunisie ? L’ACAT et l’ONG tunisienne Freedom Without Borders publient un rapport qui montre notamment que l’impunité des forces de police est la cause principale de la persistance du phénomène tortionnaire dans le pays.

Au lendemain des élections et à la veille du quatrième anniversaire de la révolution, où en sont les droits de l’homme en Tunisie, et tout particulièrement la lutte contre la torture ? L’ACAT et l’ONG tunisienne Freedom Without Borders (FWB) publient un rapport intitulé « Tunisie : Justice, année zéro »  [1] qui montre notamment que l’impunité des forces de police est la cause principale de la persistance du phénomène tortionnaire dans le pays.

Plusieurs centaines de Tunisiens ont été torturés depuis 2011. Avec la reprise des arrestations dans le cadre de la lutte antiterroriste début 2012, les allégations de torture des détenus arrêtés dans ce cadre se sont même multipliées. Mais, comme sous le régime précédent, la torture ne se cantonne pas à la lutte antiterroriste. Dans le cadre de la répression de manifestations, après une altercation avec des policiers ou en prison après une dispute avec un gardien, des Tunisiens sont régulièrement victimes de torture.

Selon Hafedh Ghadoun, président de Freedom Without Borders, « Si on peut saluer le fait que les dernières élections se sont déroulées librement, il faut veiller à ce que cela ne devienne pas un leurre. La persistance de l’impunité est une trahison de la révolution et sans justice, la démocratie tunisienne restera une coquille vide ».

Parmi les principales causes du phénomène tortionnaire en Tunisie figurent l’habitude des agents de police de recourir à la force pour obtenir des aveux ainsi que l’impunité des tortionnaires. Sur les centaines de plaintes déposées ces dernières années par des victimes torturées avant ou après la révolution, aucune n’a donné lieu à une sanction satisfaisante. Certaines plaintes déposées ne sont même pas enregistrées. Les enquêtes diligentées ne le sont que tardivement et se résument souvent à quelques investigations avant d’être abandonnées de facto.

La police et la garde nationale tunisiennes ont une lourde part de responsabilité dans les entraves à la lutte contre l’impunité. Dans plusieurs cas de tortures documentés par l’ACAT et FWB, les policiers mis en cause ont refusé de se rendre aux convocations des juges [2]. Plusieurs victimes font par ailleurs l’objet de harcèlements policiers.

Aucun juge ni médecin n’a été poursuivi

La justice tunisienne participe elle aussi à l’impunité dont jouissent les tortionnaires [3]. Les rares procès qui sont arrivés à leur terme n’ont donné lieu qu’à des peines légères par rapport à la gravité des crimes. Cela est dû au fait que les juges retiennent dans la majorité des cas la qualification de délit de violences plutôt que celle de crime de torture.

« La justice tunisienne n’a prononcé qu’une condamnation pour torture assortie d’une peine très légère de deux ans de prison avec sursis. » selon Hélène Legeay, responsable Maghreb et Moyen-Orient à l’ACAT. « A ce jour, aucun juge ni médecin n’a à été poursuivi alors qu’ils ont été nombreux à aider les tortionnaires à camoufler leurs crimes. »

L’ACAT et FWB adressent 30 recommandations aux autorités tunisiennes. Parmi ces mesures figurent notamment la création d’une police judiciaire spécialisée dans les crimes de torture et la poursuite judiciaire des magistrats et des médecins qui se sont rendus complices de torture en omettant de constater des sévices.

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Contacts presse :

Notes aux rédactions :

[1] Le rapport « Tunisie : justice, année zéro » est disponible à l’adresse : https://www.acatfrance.fr/public/rapport_tunisie_justice_annee_zero_acat.pdf  
Il s’agit du troisième rapport que l’ACAT consacre à la torture en Tunisie depuis la révolution de 2011.

[2] Mehrezia Ben Saad a été abattue à son domicile, la nuit du 30 décembre 2013, au cours d’une descente d’agents de la brigade antiterroriste de la garde nationale de Laaouina venus arrêter son mari. Une enquête a été ouverte pour élucider les circonstances de la mort de sa femme, tuée par l’une des balles tirées par les agents. Le juge d’instruction chargé d’enquêter sur le meurtre a demandé l’identité des agents ayant participé à l’opération, ainsi que le rôle de chacun et leurs armes. L’inspection générale a répondu que l’article 48 de la loi antiterroriste de 2003 l’empêchait de donner l’identité des policiers, posant ainsi un obstacle insurmontable à la poursuite de l’enquête et assurant une parfaite impunité aux auteurs du meurtre.

[3] Ameur Belaazi, en détention provisoire depuis le 7 septembre 2013 dans une affaire de terrorisme, a été sorti de prison le 13 septembre suivant par la brigade antiterroriste de Laaouina pour être interrogé en tant que témoin dans une autre affaire. Il raconte avoir été torturé pendant trois jours. Le substitut du procureur en charge des dossiers de torture à l’époque n’a ordonné d’expertise médicale que le 11 décembre 2013. Non seulement cette expertise a été demandée bien trop tard, mais en plus, elle n’a jamais été effectuée, Ameur Belaazi ayant été à plusieurs reprises changé de prison, vraisemblablement pour faire obstacle au bon déroulement de l’enquête.