A Tunis comme ailleurs, il faut en finir avec les démocraties frelatées

Il existe aujourd’hui de par le monde de vraies dictatures, de vraies démocraties, et en Afrique, dans les républiques d’Asie centrale et dans le monde arabe, des démocraties frelatées. Hommage du vice à la vertu puisque reconnaissant implicitement la supériorité de la démocratie et essayant d’en utiliser les rouages, elles n’en demeurent pas moins des dictatures déguisées en démocraties comme le loup de la fable en paisible grand-mère.

De toutes ces démocraties frelatées, la Tunisie est certainement la plus sophistiquée. Le régime se targue, tout en torturant tous azimuts depuis vingt ans, d’avoir signé toutes les conventions internationales sur les droits de l’homme. Il réprime avec une violence méthodique toutes les libertés individuelles et publiques, mais n’en organise pas moins régulièrement des parodies d’élections avec des faux partis d’opposition créés de toutes pièces.

Le dimanche 25 octobre, il a commis un énième simulacre d’élections présidentielle et législatives dont la mission est de jeter comme d’habitude un voile de légalité démocratique sur des nominations décidées d’avance : celle du dictateur comme président à perpétuité et celles de “représentants du peuple” minutieusement choisis pour leur docilité dans le giron du parti du pouvoir et de ses satellites. Les plus habiles faussaires ne peuvent abuser indéfiniment leur monde. Aujourd’hui le roi est nu et le régime tunisien apparaît sous son vrai jour, à savoir une dictature policière à forte connotation mafieuse.

Que cette élection soit une insulte à l’intelligence et à la dignité des Tunisiens, que les opposants hurlent à la farce électorale, peu importe au dictateur. Seul le résultat compte, et il est en sa faveur. Toutes les stratégies mises en place par l’opposition démocratique ont échoué. La participation, pour le principe, et la protestation symbolique, prônée par certains politiciens, font le jeu du pouvoir et n’apportent à ses partisans qu’un peu de publicité personnelle le temps d’une bulle médiatique.

Le boycottage passif

La dictature sait choisir ses “opposants” et laisser les autres s’égosiller en vaines et futiles complaintes de la victime. L’appel au boycottage s’avère tout aussi inefficace. De façon spontanée, la population déserte massivement les urnes, mais prend garde à ne pas descendre dans la rue, sachant qu’elle n’a aucune chance devant les hordes policières prêtes à tirer dans le tas.

Or, du moment que le boycottage est passif, le pouvoir n’en a cure puisqu’il peut gonfler tout autant le taux de participation que le score du président chronique. Dès lors, la question est : que faire pour empêcher des faussaires patentés de commettre un forfait au vu et au su de tous, à commencer par les grands pays démocratiques ?

Il y a, certes, la nécessité de la mobilisation interne et le passage de la résistance civile passive à une résistance pacifique mais active. Elle relèvera toujours de la responsabilité des Tunisiens et d’eux seuls. La liberté, cela se mérite. Reste la part qui leur échappe, à savoir la dimension internationale. Aujourd’hui, toutes les dictatures arabes, et la tunisienne en particulier, sont des protectorats occidentaux de facto.

Quel ironique paradoxe de voir les vertueuses démocraties occidentales soutenir nos dictateurs, le mot d’ordre semblant être : si notre liberté est au prix de “leur” servitude, ainsi soit-il.

Nos dictateurs arabes ont acheté l’appui de l’Occident démocratique en se faisant les dociles supplétifs du contrôle du danger islamiste et de l’émigration clandestine, sans oublier les gros marchés et les petites corruptions. Pour nous, démocrates tunisiens et arabes, les choses sont claires. Nos dictateurs ont les Etats pour alliés, nous avons les sociétés civiles à nos côtés.

Que peuvent-elles et que doivent-elles faire pour nous aider à acquérir notre seconde indépendance et une vraie stabilité dans la région ? Elles doivent poser un certain nombre de questions et exiger de leurs dirigeants des réponses claires. Comment peut-on être pour la démocratie chez soi et pour la dictature chez les voisins de palier ? Les dictateurs corrompus et honnis par leurs peuples sont-ils les pompiers ou les pyromanes des incendies allumés sur la rive sud ?

A long terme, qu’est-ce qui est plus rentable pour l’Occident : avoir en face des régimes démocratiques, même avec une composante islamiste, ou des oligarchies militaires et policières corrompues et violentes en guerre civile déclarée ou larvée avec leurs peuples ? Mais surtout, une vraie démocratie peut-elle porter à bout de bras une démocratie frelatée ? Mandela disait qu’un homme ou un peuple n’est jamais aussi libre que quand il se bat pour la liberté d’un autre homme ou d’un autre peuple. A méditer par tous les démocrates à géométrie variable.

Moncef Marzouki

LeMonde.fr