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“La liberté est un exercice quotidien.”

Au lendemain de l’attentat terroriste du mont Chaambi, les déclarations du gouvernement et de la présidence se sont enchaînées dans les médias. Chacun faisant son bilan de la situation sécuritaire en évoquant, au passage, les raisons de l’échec sur le champ de bataille contre les terroristes. C’est dans ce cadre, que Lotfi Ben Jeddou, ministre de l’Intérieur, a demandé, encore une fois, une trêve sociale.

Ainsi, le ministre expliquait-il que les forces de la garde nationale sont épuisées par les grèves et sit-in incessants.

Nous travaillons 24h sur 24, depuis 5 mois, 9000 sit-in nous ont épuisés, a déclaré le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou.

Il a donc proposé une pause de quelques mois pour laisser les forces de l’ordre se concentrer sur le combat contre le terrorisme.

Ce n’est pas la première fois qu’en situation de crise, le gouvernement s’en prend aux revendications sociales, sous prétexte de crise économique. Mehdi Jomâa l’a, d’ailleurs, dit, au lendemain de sa nomination, devant l’Assemblée Nationale Constituante, en expliquant que « face aux enjeux et défis auxquels l’économie nationale est confrontée, notre pays a, aujourd’hui, besoin d’accalmie sociale ». Soutenu dans cette démarche par Moncef Marzouki, président provisoire de la République, le chef du gouvernement a été plus ferme dans la répression des mouvements sociaux que ses prédécesseurs.

L’Union Générale des Travailleurs Tunisiens a, de son côté, rappelé, il y a quelques mois, qu’une trêve sociale n’est pas possible sans dialogue ni bilan. Houcine Abassi, Secrétaire général de l’UGTT a évoqué les milliers de travailleurs qui perçoivent des salaires dérisoires et les dizaines d’entreprises économiques qui ont été fermées à cause de la détérioration du pouvoir d’achat du Tunisien. Les smigeurs peuvent-ils, dans ces moments de crise, faire plus de concessions et de sacrifices ? Une question, que le pouvoir refuse visiblement de se poser.

En effet, les procès contre syndicalistes et jeunes révolutionnaires se poursuivent, ainsi que les agressions policières acharnées sur des manifestants et grévistes pacifistes. Alors que ce verrouillage sécuritaire sur les mouvements sociaux, qualifié par Ben Jeddou de « travail de 24h sur 24 », ne donne pas ses fruits, aucun responsable d’État ne prend la peine d’expliquer ce lien mystérieux entre l’échec sécuritaire et les revendications sociales.

L’urgence de traiter la problématique du terrorisme en Tunisie est, aujourd’hui, une arme de détournement ultime face aux autres urgences et priorités. La brutalité de la police avec les citoyens, même en dehors des mouvements sociaux, revient à la charge, en profitant de l’élan solidaire et glorificateur des forces de l’ordre et de l’armée qui « s’exposent aux dangers du terrorisme ». La semaine dernière encore, deux évènements sont passés inaperçus, et pourtant ils révèlent le fourvoiement du gouvernementale dans son exigence sécuritaire de trêve sociale.

Le premier événement concerne un jeune, Hamed Abdelaoui, vendeur ambulant de melon à Msaken qui s’est immolé, jeudi 17 juillet, par le feu devant la municipalité de Sousse. Le jeune qui a décédé peu après le drame a été victime de violences extrêmes (dos cassé prouvé par l’autopsie), de chantage et d’humiliation publiques par la police. Durant des heures, des agents de police ont pris le temps nécessaire pour humilier le jeune Hamed et l’inciter à s’immoler comme l’a fait Mohamed Bouazizi.

Ils l’ont mis au défi en lui disant, si tu es un homme, fais comme Bouazizi et montre nous ton courage, témoigne son frère Mohamed Hédi Abdelaoui.

Avant d’ajouter : « Ils sont en train de créer des bombes à retardement. Les jeunes qui vivent ce genre d’humiliation extrême risquent à tout moment de virer vers le terrorisme et la violence. Les dernières mesures du gouvernement pour lutter contre le terrorisme sont à côté de la plaque. Il faut tout d’abord former la police et l’obliger à respecter le citoyen et les droits de l’homme.»

Comme le premier martyr de la révolution, Hamed Abdelaoui, décédé à l’âge de 22 ans, n’avait pas un kalachnikov dans les mains et ne vendait pas de bombes à ses clients. Et pourtant, la police ne l’a pas épargné jusqu’à la dernière minute de sa vie. Cette maltraitance généralisée par la police reprend l’argument fort de lutte contre le terrorisme d’une manière aléatoire et absurde.

Le deuxième cas est celui de Amjed Al Charif, vendeur dans un kiosque, tabassé sauvagement, le dimanche 20 juillet, par plusieurs policiers, dans un poste de police à Sidi Bou Said, à cause d’un dinar light qu’un des policiers prétend ne pas avoir reçu sur son téléphone. Le jeune homme, cassé psychologiquement et physiquement, suite aux agressions, a même signé un pv qu’il n’a pas lu.

Je ne réalise toujours pas ce qui m’est arrivé. Je n’ai rien fait et pourtant on m’a traité comme un chien. Moi, je pense que le vrai terrorisme est de laisser les corrompus de la police au dessus de la loi. L’État policier de Ben Ali ne peut pas régler les choses. Si nous ne réagissons pas vite pour arrêter les dépassements et crimes de la police, l’extrémisme religieux va encore gagner du terrain. Amjed Charif, vendeur dans un kiosque

La série de ces cas est interminable. Les témoignages sur les réseaux sociaux et dans la rue sur la brutalité gratuite qui frôle la criminalité de la police sont de plus en plus nombreux. Au même moment, que Ben Jeddou qualifie de « travail » la violence policière dirigée contre les jeunes des quartiers populaires et les mouvements sociaux, alors qu’aucune démarche de réforme n’est mise en place pour plus d’efficacité sécuritaire.

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Ayoub Amara, gréviste de la faim

Beaucoup n’ont d’issue à leur situation économique chaotique que la revendication et le militantisme. Comme le dit bien Ayoub Amara, un gréviste de la faim,

Face à un pouvoir qui ne cède que sous la pression, nous n’avons d’autres choix que la lutte.
Ayoub Amara, gréviste de la faim

Rappelons que cette grève de la faim est observée, depuis 37 jours, pour revendiquer le droit au travail par l’intégration des protestataires dans la fonction publique , en vertu de la loi n° 2012-4 du 22 juin 2012 relative à la justice transitionnelle

Les jeunes militants gauchistes Ayoub Amara et Walid Azzouzi, ainsi que leurs quatre camarades en grève, se sont accrochés à l’espoir de voir aboutir leur combat. Jusqu’à vendredi dernier, tout était réglé, surtout après la visite du Chargé de communication du premier ministre, Moufdi Mseddi, qui a promis aux grévistes de commencer à concrétiser les demandes, ce lundi 21 juillet. La promesse non tenue du gouvernement fut un coup dur pour les grévistes à bout de force et souffrant de plusieurs complications de santé.

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Les ouvrières de Latelec-Fouchana en grève de la faim

Face au mutisme du pouvoir à l’égard des revendications sociales, la règle de toute action est devenue militantisme et confrontation. C’est parfaitement vrai pour des ouvrières de Latelec qui ont réussi, après trois ans de combat, à imposer au capital français de réintégrer sept ouvrières à l’usine et à obtenir une indemnisation décente pour les deux déléguées syndicales Sonia Jebeli et Monia Dridi. Cette victoire n’aurait pas été possible, si Sonia et ses camarades n’ont pas observé une grève de la faim qui a duré un mois et qui a risqué de coûter la vie de Sonia. Ce bras de fer entre les syndicalistes de base, l’UGTT et la direction française de l’usine aurait pu finir avec une énième injustice et des familles encore plus appauvries, si les ouvrières s’étaient résigné à la trêve sociale demandée par le gouvernement provisoire.

La criminalisation des mouvements sociaux passe aujourd’hui par le nouvel argument de lutte contre le terrorisme. Au lieu de faire la part des choses et d’ouvrir les portes du dialogue et d’écouter les plus démunies, susceptibles de tomber dans le piège de l’extrémisme, le gouvernement actuel ferme les yeux sur ses engagements sociaux et économiques et préfère la répression. Et pourtant, l’histoire des sociétés nous apprend que la répression n’a sauvé aucun pays des dangers du terrorisme. Au contraire, les dictatures ont, toujours, alimenté la violence et le terrorisme et l’ont même instrumentalisé pour garder leur mainmise sur les peuples. Dans cette phase transitoire très critique, nous risquons de tout perdre d’un coup, si nous cédons aux solutions policières arbitraires, sans les remettre en question.