Au diribitorium, je vis, je vote… je vivote

Ouf ! J’ai eu peur, vous savez ! Depuis la dernière fois (il y a deux ans), je n’ai cessé de me faire un sang d’encre. Ce n’était vraisemblablement pas une si bonne idée de vous dire le fond (enfin, un peu de ce qui flotte entre deux eaux) de ma pensée.

Au diribitorium, je vis, je vote… je vivote

Ouf ! J’ai eu peur, vous savez ! Depuis la dernière fois (il y a deux ans), je n’ai cessé de me faire un sang d’encre. Ce n’était vraisemblablement pas une si bonne idée de vous dire le fond (enfin, un peu de ce qui flotte entre deux eaux) de ma pensée. Heureusement que personne n’a eu l’idée de chercher parmi les fonctionnaires qui ont une femme enseignante, des crédits pour une voiture populaire et un ordinateur et des voisins médecin et homme d’affaire ! Encore que, avec un peu d’effort, j’aurais pu être démasqué. Mais peut-être que je l’ai été et que je ne dois le fait d’être encore en liberté qu’à la magnanimité de notre héros national artisan du changement ?

Je suis un honnête citoyen, très patriote. J’aime mon pays et je ne supporte pas qu’on dise quoi que ce soit de mal sur lui, quel que soit cet ‘on’. Et comme tout bon citoyen qui se respecte, je m’acquitte de mes devoirs civiques sans qu’on me le demande. Mais bien que je n’aie rien à me reprocher (sauf de vous avoir adressé la parole, euh ! des octets ?) j’étais, comme je vous le disais, jusqu’à il y a deux semaines dans tous mes états : je n’arrivais plus à dormir, j’étais tourmenté, inquiet, mais j’ai atteint le summum de l’angoisse quand j’ai découvert qu’à part moi, tous mes voisins, tous les membres de ma famille, tous mes collègues avaient reçu leurs cartes d’électeurs ! Je ne vous décris pas mon désarroi. Mon nom était pourtant présent dans les listes exposées à la municipalité ! Sans carte, je ne pourrai pas m’acquitter de mon devoir sacré ! Je ne pourrai pas voter ! Que s’était-il passé ? Etait-ce parce que je n’avais donné qu’un dinar à ma fille pour le 26-26 ? Ou bien parce que je n’avais pas participé aux festivités du 25 juillet dernier au siège du Parti ? Pourtant, j’étais cloué au lit par un méchant pityriasis versicolor (c’est un nom savant que je me rappelle avoir lu et qui fait sérieux, je ne sais pas ce que ça veut dire mais ils ont marché ; en fait, j’étais à la plage mais motus, hein ! A moins que quelqu’un ait cafté !) Ou bien était-ce parce qu’‘ils’savaient que je surfais parfois sur des sites pas très orthodoxes ? Merde ! Pourtant j’avais arrêté de le faire depuis un an ou plus, dès que j’ai su que c’était interdit et que mon neveu utilisait des moyens détournés pour y accéder !

اa n’aurait pas été si grave si on m’avait oublié des listes mais le problème est que j’y étais en bonne position : aucune chance de passer inaperçu ! Le jour du vote, il n’y aura que le vide en regard de mon nom, un rectangle blanc qui contrastera (et quel contraste !) avec les autres cases noircies et tamponnées ! Et je serai quoi, alors ? Un boycotteur ! Moi, un boycotteur !? C’était le conseil de discipline, à coup sûr, la porte, très vraisemblablement ! Ma femme serait mutée au plus profond de la Tunisie profonde, je serai accusé de dissidence et peut-être même de haute trahison, puisque j’ai ma carte de membre RCD ! La peste soit de cette opposition de merde ! Mais de quoi se mêlent-ils ? C’est quoi cet appel au boycott qui me mettait dans de beaux draps ? Vous voyez un peu dans quel pétrin ils ont mis leurs concitoyens ? Sans cet appel, j’aurais pu me débiner et arguer de n’importe quelle excuse : un ami aurait voté pour moi et on en serait resté là. Mais là, avec cette histoire de boycott, c’est une toute autre histoire ! Non, ça ne pouvait se faire, ça ne devait se faire !

Je suis resté deux jours prostré, cloîtré à la maison et j’ai décidé avec ce qui me restait comme volonté de consulter mon toubib de voisin qui m’a prescrit un arrêt de travail de quinze jours pour ce qu’il a appelé “syndrome dépressif majeur préélectoral” et m’a promis de voir ce qu’il en était avec le ‘omda’ qui était un parent. Le soir même, la bonne nouvelle est tombée : ma carte avait simplement été donnée par erreur à un homonyme qui ne s’était même pas étonné d’en avoir reçu deux ! Je ne vous dis pas ma joie et mon soulagement ! Je respirais, enfin !

J’ai profité de mon arrêt maladie pour flâner dans les rues de la ville. Je voulais voir à quoi ressemblaient ces rigolos qui se présentaient aux élections contre notre président. Il fallait visiter plusieurs pancartes électorales pour parvenir à avoir une idée sur les figures des candidats aux législatives : en effet, nombreuses étaient les affiches opposantes déchirées ; des actes répréhensibles, certes, faits par des vandales qui n’avaient aucun sens artistique : ça faisait fausse note avec l’harmonie du rouge avec le bleu, le chocolat, le saumon et le jaune. A ce propos, je me suis toujours demandé pourquoi le RCD (zut ! j’oublie toujours que j’en fais partie avec ma carte ; je devrais dire ‘notre parti’), historiquement symbolisé par la couleur rouge en a adopté une deuxième, le mauve. Pourtant, je me souviens vaguement qu’aux législatives de 1989 cette dernière couleur était la bannière des islamistes. Oups ! J’ai dit le mot tabou ! Re-merde ! Je corrige : le mauve était donc la couleur des … islamoïdes (comme androïde, humanoïde, paranoïde…) C’est fou, ça, chaque fois que j’entends la chanson :“ ليه يا بنفسج بتبهج ” je me remémore les gigantesques meetings électoraux des islamoïdes (il est beau, hein, mon néologisme ?) Non, je n’y assistais pas : il y avait tellement de monde que la moitié des gens restaient dehors mais on entendait leurs haut-parleurs diffuser cette chanson. J’avais bien aimé alors la réplique d’un ministre candidat RCD ; il disait, en guise de contre-attaque au programme des islamoïdes (décidément, je l’aime bien, ce mot) : “n’oubliez pas la chanson de Ali Erriahi, Dieu ait son âme, et qui dit : زهر البنفسج بكّاني ” argument que j’avais trouvé personnellement massue ! Mais bon, les goûts et les couleurs…

C’est ainsi que j’ai été ce matin dès la première heure au bureau de vote, une salle de l’école du quartier. Les regards souriants des membres du bureau que je connaissais presque tous m’ont accueillis ; ils m’auraient bien proposé un café n’était-ce le mois du jeûne. Il y avait parmi eux un inconnu : c’était un observateur, m’ont-ils expliqué. Je leur ai présenté ma carte et, fièrement, devant tout le monde, je n’ai pris avec les enveloppes que la couleur du président et celle de son parti (merde ! encore une bavure ! je veux dire notre parti) Je n’ai pas compris l’insistance du chef du bureau qui insistait pour que je me serve de toutes les piles présentées mais je ne voulais pas que l’ombre d’un doute sur mon allégeance à mon président et mon parti (je ne me suis pas trompé, là !) puisse planer.

Avec toute assurance, je me suis dirigé vers l’isoloir où j’ai mis les couleurs dans leurs enveloppes respectives. En sortant, je ne me sentais plus très bien ; d’une main qui commençait à trembler, j’ai rapidement glissé mes bulletins dans les urnes respectives. Je me sentais soudain mal à l’aise : je ne voulais qu’une chose : partir, le plus rapidement possible. Ce que j’ai fait, à peine ma carte tamponnée récupérée. J’avais envie de me vomir. Je n’ai même pas attendu ma femme qui était venue voter avec moi. Je suis rentré chez moi et j’ai pleuré.

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