Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
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Photo: Wassim Grimen

Trois ans après la révolution tunisienne, le bilan en matière culturelle est, de l’avis général, mitigé. La réflexion, la création et la production intellectuelle sont dérisoires, le niveau de l’enseignement baisse lamentablement d’année en année, l’innovation artistique est presque inexistante (sauf quelques exceptions) et la masse ne cesse de ronronner et de larguer avec un zèle inouï toute sorte de débilités.

De nombreux observateurs s’accordent pour constater que même la période la plus sombre de l’histoire du pays n’a pas été aussi stérile que la période actuelle en matière de création et de production culturelle. En effet, la réalité parle d’elle-même : une profonde crise idéologique et culturelle secoue, de nos jours, l’ensemble de la société tunisienne, y compris au niveau des structures de l’État, et en particulier chez la jeunesse qui manifeste, depuis ces deux dernières années, sa lassitude et son refus de continuer à subir un processus d’exclusion et de marginalisation.

Une telle situation est aussi vécue douloureusement par de nombreux intellectuels et de plus en plus par les masses populaires, bien qu’à ce niveau-là, elle soit encore ressentie de manière confuse. Néanmoins, une certaines prise de conscience est d’ores et déjà à l’épreuve des faits.

Par exemple, la déconfiture du système éducatif tunisien préoccupe de plus en plus de parents dont les enfants sont, à chaque fin d’année, jetés par milliers dans les rues. À cet égard, la « révolution du rap » est très révélatrice, car les slogans scandés par les rappeurs, en dénonçant la pseudo-démocratisation et les inégalités sociales, montrent que l’élément culturel tend à devenir une revendication majeure.

Les masses populaires saisissent de plus en plus l’importance de cette question, à savoir qu’aucun projet de société et de civilisation n’est viable sans bases culturelles populaires. En effet, un système véritablement démocratique doit être fondé sur le respect de la différence, de l’opposition, voire de « l’autre », ce qui est un préalable à toute idée de développement culturel et démocratique dans la société tunisienne postrévolutionnaire. Or, force est de constater que l’atmosphère politico-idéologique tunisienne n’est pas conçue dans le sens de la réalisation de cet objectif, car il s’avère être enraciné dans le quotidien sans une perspective socio-culturelle claire.

Cet appareil idéologique a pour but inavoué de bloquer l’éclosion des capacités intellectuelles libres des générations montantes et d’empêcher l’apparition de nouvelles composantes sociales instruites, conscientes et donc combatives. La perspective d’une émergence massive d’une jeunesse cultivée et libérée, désireuse d’aller à la rencontre des masses, d’assumer sa révolution, son histoire et sa culture, hante beaucoup de politiciens, qui sont décidés à barrer la route à l’avènement d’une telle dynamique.

Ainsi, les seules réponses apportées à la jeunesse tunisienne sont la « trique », le sophisme politique et l’anachronisme délibéré.

Trois ans après la révolution, ces pratiques anciennes se ressuscitent et tendent à s’ériger en une théorie politique dans la Tunisie postrévolutionnaire ! Il suffit de voir le niveau politique, intellectuel et culturel de nombreux politiciens et responsables qui parlent du haut de leur piédestal pour se rendre compte qu’à travers le ronronnement des argumentations dépassées se cache l’incapacité à expliquer et encore plus à justifier leurs propres pratiques et décisions politiques, tant elles relèvent de l’incohérence et de l’illogisme.

Ainsi, les seules réponses apportées à la jeunesse tunisienne sont la « trique », le sophisme politique et l’anachronisme délibéré. C’est pourquoi on peut dire que la politique de monopolisation culturelle ne vise à rien d’autre qu’à enfermer les consciences libres dans un carcan bureaucratique et néo-totalitaire. La dissymétrie dans le travail politico-culturel tunisien engendre la médiocrité, qui veut aboutir à un encadrement incompétent et soumis des compétences pour abolir tout esprit critique. Ainsi, certains des facteurs qui ont assuré la « spécificité tunisienne » commencent à perdre inexorablement leur efficacité.

Maintenant, le capital-crédibilité hérité des premiers moments de la révolution est savamment détourné au profit de la nouvelle caste politique, qui réagit sans prendre en considération les sacrifices de la jeunesse tunisienne. La confiscation du combat commun par quelques-uns commence à être une réalité qui perturbe la nouvelle génération. Incontestablement, il y a crise culturelle profonde en Tunisie postrévolutionnaire, mais les possibilités d’un renouveau existent.

Il importe aujourd’hui de faire en sorte que ces embryons de vie démocratique fassent tâche d’huile et s’étendent sur la culture, la politique en tant qu’un fait pratique et sur l’économie. Cela implique que toutes les familles politiques et idéologiques s’efforcent de se réapproprier le quotidien et de faire reculer l’arbitraire. Cela implique surtout que le monde intellectuel tunisien assume ses responsabilités historiques et brise la chape de silence, d’unanimisme et de conformisme. Dans ce contexte, l’intellectuel doit penser comme un porteur d’idées et comme un promoteur d’un débat libre et pluraliste, et non comme un fonctionnaire de la pensée.