Bruxelles, Paris, 24 juin 2013 – A la veille de la rencontre de Catherine Ashton, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et de Jose Manuel Barroso, Président de la Commission européenne avec Ali Laarayedh, Chef du gouvernement tunisien, la FIDH et le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme s’inquiètent de la persistance voire de la recrudescence de violations des droits et des libertés. Les organisations appellent les plus hauts représentants de la Commission européenne et le chef du gouvernement tunisien à mettre la question des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en Tunisie au cœur de leurs échanges.

Engagée depuis plus de deux ans dans un processus de transition politique, la Tunisie fait face à de nombreux défis. Les travaux de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) autour de la rédaction de ce qui sera la nouvelle constitution tunisienne connaissent un retard considérable. Les débats au sein de l’ANC ont donné naissance à un projet de constitution dont le contenu, même si certaines améliorations notables ont été constatées, demeure en deçà des attentes en matière de respect des standards internationaux des droits de l’Homme. Cela est particulièrement le cas pour ce qui relève de l’égalité entre les hommes et les femmes, les libertés d’expression, d’information et d’opinion et de l’indépendance de la justice.

Les organisations tunisiennes de défense des droits de l’Homme aux côtés de nombreuses autres organisations de la société civile poursuivent sans relâche leur mobilisation et interpellation des membres de l’ANC afin de les encourager à amender le projet de texte constitutionnel pour qu’une fois adoptée, la Constitution tunisienne soit garante du respect et de la protection des droits humains dans leur universalité et indivisibilité.

Garantir les libertés d’expression et d’opinion est d’autant plus essentiel que depuis le début de la transition politique en Tunisie et de façon croissante ces dernières semaines, ces libertés ont été à de nombreuses reprises mises à mal. Des peines de prison ferme, parfois de plusieurs années ont ainsi été prononcées pour sanctionner l’exercice de ces libertés. Le caractère disproportionné de ces peines voire dans de nombreux cas, le principe même de la condamnation ont été dénoncés par les organisations de défense des droits de l’Homme. La condamnation du rappeur Weld El 15 à deux ans de prison ferme pour une chanson considérée comme insultant la police (décision qui sera examinée en appel le 25 juin 2013), la condamnation de trois militantes du mouvement Femen à 4 mois de prison pour “atteinte à la pudeur, aux bonnes mœurs et à l’ordre public”, tout comme celle prononcée par le tribunal de Mahdia en mars 2012 à 7 ans et demi d’emprisonnement pour “atteinte à la morale, diffamation et trouble à l’ordre public” à l’encontre de deux jeunes qui avaient publié des écrits et des dessins jugés blasphématoires ne sont que les illustrations les plus symboliques.

Indépendant, le pouvoir judiciaire a la responsabilité d’administrer la justice conformément aux engagements pris par l’Etat tunisien au niveau international et dès lors d’appliquer les dispositions des instruments internationaux de protection des droits de l’Homme. Une justice indépendante est un pilier essentiel d’un Etat démocratique. Les menaces dont a été l’objet à diverses reprises des représentants du pouvoir judiciaire dont la présidente de l’Association des magistrats tunisiens (AMT), Kelthoum Kennou menacée de mort dans une lettre anonyme lui intimant « d’arrêter de promouvoir l’indépendance de la justice » suscitent de vives inquiétudes. Outre des mesures de protection des magistrats comme cela a pu être le cas pour la juge Kennou, il est attendu des autorités tunisiennes de s’inscrire sans plus de délais, dans un processus de réforme du pouvoir judiciaire qui passe notamment et de façon urgente par la mise en place d’une instance indépendante de régulation du pouvoir judiciaire pour remplacer le Conseil supérieur de la magistrature.

Les menaces et actes de violence y compris à l’encontre d’acteurs de la société civile et de militants politiques se sont multipliés au cours des derniers mois. L’assassinat du leader politique Chokri Belaïd a servi de déclencheur pour une mobilisation forte et coordonnée réunissant plus de deux cents organisations de la société civile et des dizaines de partis politiques pour appeler à mettre fin à cette violence. Diligenter des enquêtes indépendantes et impartiales afin que toute la lumière soit faite sur les actes de violence perpétrés et pour que les responsables aient à rendre compte devant la justice constitue aujourd’hui une étape fondamentale pour mettre fin à cette situation qui menace le processus de transition en Tunisie et entrave la jouissance de la liberté d’association et du droit au rassemblement pacifique.

Enfin, la promotion de l’égalité, la garantie et le respect des droits des femmes doit, plus que jamais, être au cœur des priorités des autorités gouvernementales tunisiennes. En avril 2013, l’Association tunisienne des femmes démocrates dressait en effet un constat préoccupant de la situation des droits des femmes en Tunisie. « Contre toute attente, le contexte actuel, au lieu de favoriser la liberté de chaque individu – hommes et femmes – et au lieu de permettre le vivre ensemble a reconduit et répandu, dans toutes leurs formes, les violences à l’égard des femmes : politique, culturelle, religieuse, sociale et économique ».

Face à ces défis majeurs, la FIDH et le REMDH appellent à ce que ces questions centrales soient abordées avec le chef du gouvernement tunisien. Elles demandent également à Monsieur Barroso et Madame Ashton d’encourager les autorités tunisiennes à prendre, sans plus de délais, les mesures qui s’imposent pour mettre fin à ces dysfonctionnements et de remettre la Tunisie sur la voie de l’instauration d’un système démocratique pleinement respectueux des droits humains.

http://www.fidh.org/ashton-et-barroso-doivent-placer-les-droits-de-l-homme-au-coeur-de-leur-13544