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Le Mali offre une preuve toute récente sur la nécessité urgente pour la communauté internationale de réaliser que le monde a changé et que l’on ne peut plus gérer ses réalités de la même façon qu’avant et en tout cas ni longtemps ni durablement.

Le monde a changé, pas la politique !

Aujourd’hui, la France déclare se porter au secours du pays au nom de la longue histoire commune ayant lié les deux pays par le passé; or, elle doit aller jusqu’au bout de sa logique en osant imaginer une histoire commune future avec ce pays, libérée des limites des catégories actuelles régissant les rapports internationaux.

L’intervention militaire est peut-être nécessaire, mais elle ne remplace pas l’aide financière massive indispensable pour la reconstruction du pays. Et l’accompagnement financier ne suffira pas à changer la donne au pays s’il ne s’articule pas sur des options stratégiques rompant radicalement avec le passé, notamment dans la politique migratoire.

Voici en effet un pays qui a pu être, un moment, considéré comme en voie de développement démocratique et qui plonge en pleine anarchie. Comment expliquer cela sinon qu’un système démocratique ne se construit pas en autarcie, dans un cadre de fermeture des frontières, sinon il s’asphyxie fatalement?

L’exemple malien est éloquent à ce titre, la preuve y étant apportée qu’une démocratie ne saurait naître ex nihilo et que sa réussite est consubstantielle à la liberté de circulation et à l’effacement de la dette. Qu’on en juge!

La démocratie ne réussit pas à huis clos :

Ex-colonie française aux velléités d’indépendance, le Mali a cherché à se démocratiser depuis 1991 en mettant fin au système du parti unique, en organisant des élections libres et en encourageant la société civile.

Toutefois, tout cela s’est fait dans un cadre fermé, comme dans une réserve, les frontières restant fermées devant les jeunes Maliens et le soutien financier demeurant limité, conditionné par une politique économique libérale qui ne pouvait que démanteler le système social étatique.

Aussi, bien qu’en voie de démocratisation et ayant le plus besoin de soutien, le Mali fut contraint à se désendetter et pour ce faire il se désengagea des grands secteurs nationaux gourmands en finances, dont ceux particulièrement sensibles, aux conséquences sociales énormes, comme l’école, la santé et le développement.

Parallèlement, le système antique des rapports internationaux a abouti fatalement à l’apparition de nouveaux prédateurs, une bourgeoisie affairiste, soucieuse de ses intérêts propres et absolument désintéressée des réalités populaires dont elle était totalement coupée.

Même la société civile qui commençait à naître est restée embryonnaire et artificielle, ne tenant que grâce au soutien à bout de bras par les ONG étrangères, ce qui altérait sa crédibilité auprès du peuple.

Un souci national anachronique :

En effet, du fait de la coupure de la société malienne du monde, le sentiment national est resté fort, mais toujours crispé et cristallisé autour d’une conception antédiluvienne, puisque l’État — dont c’est le rôle le plus éminent au Tiers-Monde — n’a pas su ni pu développer l’idée républicaine.

Or, il n’est nullement possible de fonder et renforcer une idée républicaine sans liberté de circulation; car c’est de l’extérieur que le sentiment national authentique, équilibré et ouvert, se constitue et se développe; alors que s’il naît à l’intérieur du pays, dans un cadre fermé, il se pare des pires travers du nationalisme et est plus volontariste dans une xénophobie que la fermeture des frontières ne peut qu’entretenir.

Il est sûr que si les Maliens avaient pu circuler librement entre leur pays et l’ancienne métropole moyennant un visa biométrique de circulation, par exemple, ils auraient été plus actifs dans le développement de la société civile, qui aurait été alors plus active, nettement plus militante et aurait rempli son rôle éminent en démocratie, la consolidant et en revitalisant l’esprit.

C’est tout le contraire qui eut lieu, la société civile ayant failli à remplir son rôle et à inventer une autre façon de penser et de voir la vie, laissant le terrain libre à l’idéologie nationaliste où la pensée religieuse extrémiste s’est empressée de s’engouffrer et d’imposer ses vues d’un autre temps.

L’islamisme comme religion de la colère :

D’aucuns qui n’ont que la vue courte et les arrière-pensées antireligieuses arrêtées prétendent, bien évidemment, que c’est à la faveur de la démocratisation du pays que les courants religieux ont prospéré au Mali et en ont profité pour gangrener la société et les mentalités.

Or, ils sont loin d’être objectifs et oublient que le phénomène islamiste n’est pas nouveau dans le pays, que le terreau était déjà favorable et que la dérive islamiste aurait bien fini par avoir lieu même à défaut de système démocratique.

Certes, les courants religieux ont su, comme tout mouvement de pensée en démocratie, s’organiser et occuper l’espace public. Toutefois, ils ne l’ont fait qu’en l’absence de société civile dynamique, d’échange libre entre l’intérieur et l’extérieur du pays et surtout de la libre circulation des jeunes qui les aurait prémunis contre tout lavage de cerveau.

Aussi ont-ils pu paraître comme la seule arme pour les Maliens de contrer ce qu’ils pouvaient, à bon droit, percevoir comme une arrogance occidentale leur refusant le premier droit de l’Homme qui est la libre circulation. De fait, l’islam, ici comme ailleurs, n’a été que l’idéologie porteuse de la colère des plus démunis.

Ce n’est donc pas parce qu’on a vu apparaître au Mali des personnalités religieuses douées d’un charisme indéniable ou du fait de la multiplication des mosquées, que l’extrémisme religieux a prospéré au pays.

Plus exactement, cela s’est fait pour cause de société fermée où l’on étouffait, où la fermeture des frontières réduisait le débat politique à se vider de tout sens véritable, se faisant à huis clos.

Et ce qui corsait l’ensemble, c’était la politique libérale du régime, pressé par ses créanciers et croulant sous le service de la dette, qui aggravait ainsi la misère de la majorité du peuple.

Tout cela ne pouvait manquer de faire de la jeunesse des munitions dans les mains des extrémistes, levant au nom de l’islam l’étendard de la révolte pour, à la fois, laver l’affront à la dignité bafouée et répondre à la quête de justice et d’un minimum vital garanti.

L’islam malien est protéiforme :

Il serait, par ailleurs, injuste et erroné de mettre tous les religieux maliens dans le même sac et les charger de tous les maux. Il faut aussi savoir que la société malienne ne trouvait son équilibre que grâce à l’intervention des œuvres pieuses, et de la sphère religieuse plus généralement, pour contrebalancer l’élite gouvernante se comportant comme de purs profiteurs dans un État littéralement prédateur avec le soutien et/ou la complicité des financiers internationaux.

D’ailleurs, traditionnellement, l’islam malien est plutôt modéré, puisqu’il est majoritairement malékite. De plus, cet islam jouait un rôle éminent dans une société majoritairement analphabète, surtout depuis l’entrée du pays en démocratie, ce qui a abouti à une sorte de tête-à-tête entre l’État et la religion. Or, c’est l’État qui accumulait les richesses et exploitait le pays et la religion qui redistribuait et soulageait les misères.

Toutefois, si des débats de société ont bien eu lieu sous la houlette des religieux sur des questions sensibles, ils n’ont pu sortir des sentiers battus hors tout dogmatisme. Et cela n’est pas pour étonner, car nécessitant un système véritable de liberté. Or, il était bel et bien absent avec le manque de l’ouverture nécessaire sur l’autre et sur les cultures différentes.

Par ailleurs, il est significatif de noter que si le Mali est officiellement régi par la loi islamique, celle-ci ne s’y est jamais appliquée dans toute sa rigueur, ayant été adaptée au pays. Ainsi, on ne flagelle pas ni ne coupe la main au voleur au Mali. On y a même réussi à introduire une réforme du code de la famille s’orientant dans le sens de l’égalité nécessaire entre les sexes.

Et si cette réforme n’a pas su s’imposer, ce fut moins pour des raisons fondamentalement religieuses que du fait qu’elle apparaissait à la majorité comme une création étrangère, imposée par les bailleurs de fonds du Mali, et donc heurtant le sens intime de la dignité des Maliens. Le sûr est que pareille réforme aurait eu plus de chances de réussir si elle s’était fait dans un véritable climat démocratique, ouvert au monde et respectueux de la psychologie humaine, qui est surtout faite de la nécessité irrépressible de bouger et de circuler librement.

L’islam salafi est étrange et étranger :

S’agissant de l’islam radical au Mali, il faut noter qu’il est étranger au pays. En effet, cet islam vicié est venu d’Arabie régie par le Wahabisme, et il a réussi à prendre pied au pays quelques années avant l’indépendance intervenue en 1960. Et là encore, ce fut à la faveur de considérations de politique internationale, puisque cela eut lieu à l’occasion de la lutte pour l’indépendance du pays.

On oublie trop facilement, en effet, que l’islam n’est pas qu’une religion et qu’il est aussi un code de vie politique; aussi, il n’est nullement surprenant de le retrouver derrière toute cause de libération, qu’elle soit celle d’un État ou d’un être humain.

L’islam est aussi, aujourd’hui, une libération de l’homme des catégories de pensée archaïque et de la fausse grille de lecture du Coran que représente le wahabisme, islam inauthentique qui est une branche salafie, de ce salafisme des mensonges, ainsi que je le qualifie, car il ne fait que du tort à l’islam véritable.

Outre les rapports internationaux injustes, il nous faut relever aussi que l’essor au Mali du salafisme wahabite a été le fait du régime politique qui n’a fait, comme dans tous les pays musulmans et arabes, qu’instrumenter la religion à ses fins triviales. Ainsi a-t-on vu le régime issu de l’indépendance jouer la carte de la laïcité à outrance et persécuter ce salafisme avant que la dictature instaurée en 1968 ne fasse le contraire, ayant bénéficié du soutien de ce mouvement religieux.

Et même avec le lancement du processus démocratique, on n’a pas rompu avec cette mauvaise habitude en encourageant le courant malékite au détriment de tout autre rite ou tendance. Certes, on a fait le choix du courant le plus modéré, mais le mal était fait, car le ver était déjà dans le fruit.

De la sorte, aujourd’hui, bien qu’étrange et étranger, le salafisme fait partie intrinsèque du paysage politique malien bien qu’il ne soit implanté au pays qu’au sud, à Bamako, et au nord, à Gao. Malgré cela, il contrôle la vie religieuse malienne depuis le coup d’État de 2012.

Une théologie islamique de la libération :

Notons ici un fait à ne pas négliger, confirmant tout ce qui précède, à savoir que les rebelles islamistes du nord du pays ont eu un écho certain auprès de la population eu égard à leur prétention à réformer l’État et à le refonder.

Peu importe pour la masse que cela se soit présenté sous la norme religieuse islamique, car le besoin de la réforme était tellement grand qu’il permettait tout, la norme religieuse étant un moindre mal par rapport à la prédation de l’État véreux.

Ainsi, qu’il se soit agi de la politique d’un État injuste et dictatorial ou des abus et des exactions des rebelles du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad), les armées islamistes au nord ont été bien saluées par les populations qui souffraient.

Car la population aspirait à des sauveurs, nonobstant leur couleur religieuse, venant leur apporter un minimum de justice, de droit et d’ordre, quitte à devoir se plier à quelques prescriptions religieuses ou de morale de pure forme.

Cela nous ramène à la case de départ et pointe de nouveau que le problème du glissement vers l’intégrisme religieux est motivé essentiellement par la dérive antidémocratique de l’État encouragé dans ses turpitudes par un système international injuste.

Terminons en notant qu’après les événements actuels, viendra le temps de la reconstruction du Mali, et cela doit exclure, tout autant un régime théocratique qu’un retour en arrière.

Or, si la première hypothèse n’est logiquement plus de mise, le risque reste cependant gros que l’armée ne profite de sa victoire pour instaurer une nouvelle dictature comme une solution de facilité pour barrer la route à la renaissance de l’islam radical. Et le pire est que la France pourrait privilégier pareille solution aberrante!

Or, ce serait suicidaire, car l’islam radical n’est qu’une lecture biaisée d’un islam comme théologie de la libération. Il suffit juste de le toiletter des scories qui l’ont défiguré en revenant à une lecture authentique du message islamique afin de mettre en exergue ses valeurs universalistes et rationalistes. Et ce sera alors la nouvelle épopée islamique pour un retour à l’islam originel, bel et bien original.

La fin d’un monde n’est qu’une faim d’un autre monde :

Toutefois, cela ne saurait advenir que dans un climat véritablement démocratique dans un univers international ouvert, où les termes de l’échange matériel et surtout humain auront été rééquilibrés afin d’être propices à la naissance d’une élite à la fois sociale et politique éclairée, ouverte tout autant qu’enracinée dans l’authenticité. Et ce sera une nouvelle épopée pour l’humanité.

De plus, relativement au Mali, cela nécessite un effort particulièrement sérieux pour instaurer une décentralisation donnant une large autonomie aux régions. Et ce sera ici la nouvelle épopée du politique par la refondation de sa pratique et la transfiguration de son essence.

Terminons ce rapide topo sur la situation malienne en disant que cet exemple est bien à méditer par nos gouvernants actuels ainsi que par ceux qui aspirent à accéder au pouvoir.

Aujourd’hui, on assiste en Tunisie à la même compétition occulte que celle ayant dévasté le Mali entre deux conceptions extrémistes de l’islam pour s’implanter en une Tunisie qui a son islam propre, ouvert et tolérant.

Aussi, toutes les bonnes volontés doivent-elles tirer la leçon des événements du Mali, cette soi-disant démocratie qui a failli, pour aider à ce que la Tunisie réussisse. Et cela sera, tout à la fois, dans sa démocratie véritable que dans l’instauration d’un islam rationnellement universaliste, respectueux des valeurs humaines et des droits de l’Homme sans aucune restriction culturaliste.

C’est non seulement la responsabilité et l’honneur de nos politiques, mais aussi de leurs partenaires internationaux, européens notamment, proximité géographique oblige outre, dernièrement, l’octroi du prix Nobel.

Car, la fin du monde ancien et obsolète n’est qu’une faim d’un autre monde, nouveau et prometteur. Et ce monde doit être un monde de paix, à commencer par le lac Méditerranée.

Farhat OTHMAN