Pour qui vit, travaille ou voyage souvent dans des pays comme l’Egypte ou la Tunisie, c’est toujours étonnant de s’apercevoir de l’énorme écart existant entre la réalité vécue et la représentation de la réalité de ces pays dans les médias occidentaux, et cela indépendamment de leurs différentes orientations politiques.
L’écart entre la réalité et sa représentation est, certes, quelque chose d’incontestable. En représentant, on sélectionne, on choisit, on isole des faits ou des événements qui dans les plies de la vie sont toujours entrelacés à d’autres, sont mélangés dans une complexité qu’aucune représentation, aucun récit, ne pourra jamais reproduire dans son intégralité.
Même dans le cas d’un pays en guerre, il est évident, que pour ceux qui y vivent, la vie n’est pas faite uniquement de guerre et de douleur: un sourire continuera à s’esquisser sur les lèvres de certains d’entre eux, des amants continueront à s’embrasser, des enfants continueront à jouer.
Il serait évidemment absurde de reprocher à une personne qui rapporte les événements de ce pays d’être infidèle à la réalité pour avoir omis de raconter les sourires, les baisés des amants, les jeux des enfants.
Il est toutefois possible, et même nécessaire, de distinguer entre bonne et mauvaise information, entre représentation fidèle ou fausse de la réalité. Le lexique nous offre une vaste gamme de termes qui permettent d’exprimer ces distinctions.
Outre la falsification pure et simple des faits, il existent d’autres modalités pour produire des visions déformées du réel: la manipulation des informations, l’usage intentionnel de clichées, la démagogie. Ainsi, par exemple, si dans un pays un affrontement violent, mais isolé, entre forces politiques opposées provoque la mort de quelques personnes, il serait faux de décrire la situation du pays en termes de guerre civile. De manière analogue, même si banale, si le clichée “spaghetti, mafia” était utilisé comme critère pour décrire la nature de tous les italiens il serait légitime de juger cette description comme superficielle et malhonnête.
L’exemple est surement trivial et pourtant c’est justement avec de banales clichées de ce genre que pendant des décennies, en raison des intérêts manipulateurs de certains et la paresse intellectuelle d’autres, s’est nourri l’imaginaire occidental sur le monde arabe. Après le 14 janvier 2011, date de la chute du régime de Ben Ali, il semblait que le mur fait de stéréotypes, de démagogie et de superficielles habitudes mentales s’était dissout en faisant apparaitre une réalité qu’il avait toujours cachée.
Il suffit de revenir aux titres des journaux ou aux infos télévisées du 15 janvier 2011 et de les confronter à ceux des jours ou des mois précédents pour se rendre compte de comment, d’un jour à l’autre, tout ce qui était vrai est soudainement apparu faux. Cette fêlure, ouverte au lendemain de la révolution tunisienne, a eu toutefois une existence brève et deux ans après le 14 janvier 2011 le mur s’est à nouveau refermé sur les mêmes clichées et la même démagogie.
C’est ainsi un peu partout, mais le panorama de la situation italienne est encore plus sombre que celui d’autres pays à l’instar de la France où, pour différents raisons, existe une information plus variée et moins rabattue sur les stéréotypes. L’aplatissement de l’imaginaire collectif sur des clichées préfabriqués est tellement généralisé en Italie qu’il est presque amusant d’observer des Italiens qui en arrivant en Tunisie s’étonnent de voir un pays où prévaut la variété des contextes et des situations plutôt que le scénario imaginé représentant un pays investi par les salafistes et les femmes en niqab.
Si observer la surprise de ceux qui constatent l’écart entre la réalité et leur représentation peut susciter une certaine hilarité, admettre que des organes d’information de gauche contribuent aussi à engendrer ce genre d’imaginaire, produit par contre une profonde amertume. Je me réfère, en particulier, à certains articles parus sur les pages d’Il Manifesto et signés par des noms assez connus : Giuliana Sgrena et Annamaria Rivera.
Dans le premier cas, il s’agit d’un article publié le 30 décembre et au titre éloquent : « Islamistes déchainés sur l’identité religieuse. Nouvelles lois et menaces de violence et de viol». En transformant des cas isolés en faits emblématiques, Giuliana Sgrena reproduit de vieux stéréotypes, banalise et simplifie une réalité beaucoup plus complexe et stratifiée.
Dans l’article, la situation égyptienne et la situation tunisienne sont présentées comme identiques et, bien évidemment, leur assimilation repose uniquement sur la matrice islamique de leurs gouvernements respectifs. Mais ni l’histoire ni le contexte politique des deux pays ne permettent une telle équivalence, à moins de vouloir répéter une vision « nocturne » du monde arabo-musulman où justement tous les chats sont gris. Des faits singuliers, indéniablement graves, sont présentés comme s’ils constituaient la règle.
Sgrena cite ainsi le cas de la jeune manifestante de la place Tahrir trainée avec violence par des policiers qui lui découvrent le corps jusqu’au soutien-gorge. Et que dire de l’information – dont seul Sgrena connait la source – selon laquelle les Frères Musulmans seraient « les garants du soutien économique aux mutilations génitales des femmes ». Selon Sgrena, que la violence et les abus des polices égyptienne et tunisienne est la règle serait confirmé par un autre fait qui a eu lieu cette fois dans un quartier résidentiel de la banlieue de Tunis où une jeune femme surprise en voiture avec son compagnon a été violée par trois policiers.
Sur ce même cas s’attarde aussi Annamaria Rivera, dans un article apparu sur Il Manfesto du 15 janvier et titré « Tunisie, amer anniversaire ». Ce fait, qui remonte à septembre dernier, a eu d’autant plus d’écho que les policiers accusés de viol avaient dénoncé la fille pour actes obscènes en lieu public. Le procès qui a suivi s’est conclu par l’acquittement de la jeune femme et la condamnation définitive des policiers.
Ce que Sgrena et Rivera omettent de raconter est l’indignation générale et l’imposante mobilisation de la société tunisienne en faveur de la fille. Plus que les appels internationaux, qu’évoque Annamaria Rivera, ce sont les milliers et milliers de citoyens réunis devant le tribunal qui ont déterminé le verdict du procès. Une réaction et une capacité de mobilisation qui méritent d’être soulignées et qui seraient souhaitables aussi dans des pays non musulmans comme les nôtres, où des cas de violence et d’abus sur les femmes se produisent par dizaines, souvent dans l’indifférence générale.
Pour confirmer sa thèse, Rivera cite une autre information qui a été diffusée sur les pages de Facebook mais qui s’est révélée par la suite entièrement inventée, en l’occurrence l’arrestation et la condamnation à deux mois de prison de deux jeunes gens pour s’être embrassés dans la rue. Dans ce cas, le tort n’est pas seulement de diffuser des fausses informations, mais aussi de les raporter à moitié. Avant de savoir qu’il s’agissait d’intox, des centaines de personnes se sont en effet donnés rendez-vous sur une place centrale de Tunis pour un baisé public, et cela sans qu’il ait la moindre répression policière.
En parlant uniquement de la Tunisie, Rivera insiste justement sur les difficultés de la situation économique, sur l’augmentation du chômage et du coût de la vie en raison de l’augmentation du taux d’inflation. Tout cela est vrai, mais représenter l’anniversaire de la révolution comme des « funérailles » est une déformation ; de même qu’affirmer que « la conquête du bla-bla », c’est-à-dire du « plaisir de converser librement, de pouvoir tout dire sans la peur d’être épiés » – citation que Rivera reprend du journal en ligne Nawaat – serait une chose minime n’est rien d’autre que du snobisme intellectuel.
A ce propos, un autre journal en ligne , Mag14, qui, comme Nawaat, et beaucoup d’autres, a été crée après le 14 janvier 2011 par des jeunes blogueurs et journalistes, mérite d’être cité : « Deux ans après la fuite du dictateur, la société civile tunisienne est en ébullition. La vie associative est florissante. Les intellectuels publient à tour de bras tribunes, textes au vitriol, analyses, créant une dynamique que la Tunisie n’a peut-être même pas connu à l’aube de l’Indépendance. Autant d’hirondelles annonciatrices du véritable Printemps encore à venir, mais dont les premières fleurs éclosent déjà dans la discrétion, et le brouhaha de la confusion. Et rien que pour cela, Vive la Révolution. »
Pour éviter d’éventuels équivoques, disons qu’il ne s’agit aucunement de plaider la cause du gouvernement des Frères Musulmans en Egypte ou celui de Nahda en Tunisie, tous deux alignés sur les classiques recettes néolibérales et qui ont montré leur incapacité à faire face aux graves injustices et disparités sociales qui ont été à l’origine des révoltes. Mais la critique de ces gouvernements, juste et nécessaire, ne peut pas se résoudre dans le dualisme laïcs-religieux ni dans l’idée que de la vague révolutionnaire, commencée le 14 janvier 2011, il ne resterait plus rien et qu’elle n’aurait conduit qu’à un simple changement de pouvoir.
Du 26 au 30 mars prochain se tiendra à Tunis le 12ème Forum Social Mondial et Annamaria Rivera conclut son article en souhaitant que l’occasion ne soit pas uniquement une opportunité exploitée par le gouvernement tunisien pour renforcer sa légitimité aux yeux de l’opinion public. Pour que cela ne se produise pas, il est d’abord nécessaire que tous ceux qui se consacrent, par métier ou par passion, à l’information le fassent avec rigueur et sans reproduire les vieux clichés qui ont fait tant de dégâts dans le passé.
Traduction de l’article en Italien “Rivoluzioni arabe e cliché” écrit par:
Mario Sei, Santiago Alba Rico, Sondes Bou Said, Patrizia Mancini, Hamadi Zribi
Résonance
«En se résignant, le malheureux consomme son malheur », a dit Honoré de Balzac, jadis, au dix-neuvième siècle et s’était concrètement un principe.
Mais le 14 janvier 2011 a bouleversé le principe de sorte qu’il devienne « en se soulevant le malheureux consomme son malheur »
De mêmele 14 janvier faisait couler beaucoup d’encre ; des livres, des articles, des poèmes et de multiples écrits à-propos du même sujet. Les médias aussi ont pris part de ça, des infos à l’instant, des plateaux qui se transforment en un champ de bataille dans lequel seulement le sang s’est absenté et n’a pas coulé. Des spécialistes presque dans tous les domaines politiques, sociales, économiques, … ont été invités dans le seul but de parler du 14 janvier. Cette date a vraiment marqué l’histoire mais on dit toujours derrièretoute révolution grandiose il ya un peuple espérant la dignité et la liberté. Deux beaux concepts qui restent insensés et incompréhensibles si on les transforme pas en une réalité concrète, ils ne doivent pas rester comme le clou de Djouha, foncé dans le mur et à ne pas toucher. Toutefois, notre révolution qui s’est soulevée afin de réaliser la dignité et la liberté mais de qui exactement, si ce n’est que des partis politiques quijaillissent brusquement, et des personnages élus par des élections dites claires et sans trucage et le peuples, où se place-t-il dans la révolution ? A-t-il assouvit ses besoins fondamentaux ?
C’est le peuple qui a fait sa révolution et c’est à lui seul de récolter ses bénéfices, à vrai dire en se révoltant le peuple a revendiqué la dignité et la liberté, cependant, dans le sens de n’avoir une dignité sans avoir du travail, sans faire un développement équitable parmi les régions et la liberté dans le sens où le peuple peut s’exprimer sans le contrarier, le menacer et le forcer par des armes importés ; comme les événements de Siliana, sans le priver d’eau potable et d’électricité pendant deux mois comme ce fut le cas dans beaucoup de régions du sud tunisien.
En fait, c’est une réalité agaçante d’un peuple qui s’est révolté pour braver la dictature et améliorerses propres conditions de vie. Mais, contrairement à ses ambitions et après avoir offrir la dignité et la liberté à des ingrats qui n’ontqu’un seul but : le pouvoir et ses indemnités. La vie du peuple s’estbousculée vers l’arrière : le chômage, la bassesse du pouvoir d’achat, l’élévation des prix de produits alimentaires. Ce sont des preuves concrètes.
On a dit un jour que la Tunisie ne laisse aucun de ses enfants dormir sans avoir plaindre son ventre, maintenant on dit que les enfants de la Tunisievont subir non seulement la famine mais aussi la peste, si ces conditions défavorables continueront de subsister. Dans ce cas tant-pis pour la liberté et la dignité face un peuple jusqu’à maintenantopprimé de cette façon effrayante et tant-pis pour un soulèvement après lequel le malheureux consomme encore son malheur…
@ Rivoluzioni arabe e cliche. écrit par: Mario Sei, Santiago Alba Rico, Sondes Bou Said, Patrizia Mancini, Hamadi Zribi
Cet article bien écrit d’ailleurs traite un sujet grave sous un angle bienveillant et par conséquent non objectif car il minimise la dure réalité quotidienne de la Tunisie d’aujourd’hui. Si on suit le raisonnement de ses auteurs on pourrait alors sans vergogne écrire la même chose sur l’Afghanistan où la Syrie puisqu’il y a aussi à l’heure actuelle des gens qui se marient ou qui s’embrassent à Kaboul et à Alep. Tout le monde ne meurt pas sous les bombardements. Au Cambodge aussi, au temps des Khmers rouges il y avait des mariages et des gens heureux pendant que des millions de gens souffraient le martyrs.
Ne nous voilons pas la face la Tunisie descend chaque jour davantage dans le gouffre et nous ne devons pas attendre comme au Cambodge car il sera trop tard pour agir. Il faut donc dénoncer ce qui ne va pas et la moindre atteinte à la liberté et aux droits de l’homme doit être condamnée, relayée et combattu. C’est le rôle justement des médias honnêtes de faire ce travail SANS parler des mariages qui ont lieu en même temps. Quand il y a un meurtre et un mariage qui se déroulent dans le même quartier c’est le meurtre qu’on doit rapportée car l’autre événement peut endormir la vigilance face au premier. Hélas certains ne se rendent pas compte il devraient relire l’histoire de la grenouille. En voici le lien. : http://www.youtube.com/watch?v=nI6amIyTVi4.
Bj, je suis l’auteur de l’article et je me permet d’abord de corriger une mauvaise interprétation de certaines propos. Il ne s’agit pas justement de critiquer un journaliste qui en informant sur un pays en guerre ne parle pas des mariages ou des jeux des enfants. Mais il faut, avant tout, éviter de reporter des fausses informations (c’est le cas pour les jeunes arrêtés pour le baisé) et de reproduire, en Europe, des clichées simplistes sur le monde arabo-musulman.
Bonjour,
Merci à Mario Sei, Santiago Alba Rico, Sondes Bou Said, Patrizia Mancini, Hamadi Zribi et aux traducteurs pour ce texte nécessaire et utile pour contrer les clichés et les déconstruire. Il est urgent que les Tunisiens, historiens, sociologues, linguistes, philosophes, journalistes… , au-delà du manichéisme ambiant et castrateur qui les caractérise actuellement, s’y mettent aussi pour bien situer leur “révolution” et contribuer ainsi à bâtir une théorie critique de cette dernière. Certains le font déjà à merveille, dont Nawaat, mais aussi l’excellent http://www.mag14.com/, tous deux bien cités dans cet article
@sei mario
Merci pour la précision. J’ai compris votre argumentaire qui est compréhensif. Il y a en Europe effectivement « des clichés simplistes » sur le monde arabo-musulman. Vous faites bien de le souligner e je vous suis reconnaissant pour cela. Mais il nous faut bien admettre que la violence est trop flagrante dans cette région pour être négligée. Chaque peuple a le droit de vivre comme il veut, de choisir les dirigeants qu’il veut et de pratiquer la religion qu’il veut. Cependant le monde est devenu un grand village désormais et personne n’a le droit de laisser une minorité religieuse imposer sa conception de la vie à une majorité paisible et pacifique. Le parti dominant en Tunisie a déjà changé le paysage sociologique du brave peuple tunisien et se targue dans les sphères diplomatiques que tout va bien en Tunisie. Il fait toutes les manœuvres possibles et imaginables dans l’assemblée constituante pour retarder la rédaction de la nouvelle constitution et les élections en profitant du temps gagné pour étendre son hégémonie via ses comités de la protection de la révolution qui sèment la terreur partout en Tunisie. Alors oui on est content quand des médias étrangers, à l’abri de leur vengeance, dénoncent leurs méfaits. Oui les démocrates tunisiens ont besoin de cette attention, de cette lueur d’espoir dont nous avons besoin, nous qui sommes dans un tunnel dont personne ne connaît l’issue. Oui nous avons besoin de votre aide dans ces moments difficiles de notre histoire. Ne restez pas indifférents à ce qui se passe chez nous. Ne cherchez pas à rester neutre entre les bourreaux et leurs victimes, entre les forts et les faibles. Entre les naufragés et ceux qui les nt jeté par dessus bord. Je vous remercie monsieur Mario de m’avoir lu jusqu’à la fin.
Tout d’abord, je voudrais remercier tous les auteurs pour cet article.
Notre Tunisie est chère à nos cœurs et nous ne voudrons pas la voir souffrir ni des agissements des extrémistes ni des clichés malhonnêtes (ou pas) des occidentaux et je cite à titre d’exemple le dernier “Envoyée Spécial” de la chaine française “France 2” qui a réuni tous les clichés possibles et imaginables dans un seul reportage.
Tout ça est inadmissible de la part d’une chaine qui se dit libre et honnête, mais reste compréhensible vu que le but final est de faire de l’audience et dire que tout va bien et que la vie est belle n’est pas lucratif.
Je ne cherche pas à cacher la vérité, il faut bien avouer qu’il se passe des événements graves en Tunisie qui doivent être dénoncés.
Le problème chez nous c’est qu’on a pas la notion de gris c’est soit blanc soit noir :
– Pour les pro-gouvernement tout est bien la vie est belle et le reste ce ne sont que des incidents isolés
– Pour les anti-gouvernement tout est mal et le moindre petit problème devint une catastrophe
Tous ces clichés n’ont pas été créés du néon nous avons contribué à leur développement avec :
– Nos réactions exagérées face aux incidents qui se produisent
– Notre vision fataliste de la vie
– Notre esprit critique et sens de l’analyse limités
– Notre mauvaise compréhension de notre propre religion
– Notre esprit renfermé sur des idées arrêtés
C’est tout ce que les média utilisent pour faire passer leurs messages
– L’histoire du couple n’aurait jamais fait toute cette polémique si avant de partager l’intox sur les réseaux sociaux les internautes se sont pris la peine juste 5 min pour vérifier son exactitude
– Les salafistes ne seraient jamais détestés dans le monde entier si certain d’entre eux se sont pris la peine de bien comprendre la religion musulmane avant de se lancer dans des actes extrémistes
– D’autres histoires n’auraient pas fait autant polémique inutile si les réactions des gens n’étaient pas fortement exagérées
La révolution avant tout est une révolution d’esprit.
“En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes”
Il n’y a pas de révolution sans remous, sans inattendus, sans tout ce qui se passe chez nous, en Tunisie et dans le Monde arabe en général.
Je ne comprends pas que l’on veuille s’interdire mutuellement d’émettre son opinion quand enfin on peut, dans un premier temps, tous crier, éjecter en dehors de soi tout le refoulé de cinq décennies, refoulé qui contient aussi ceux de nos parents qui ont vu le passage du colonialisme français à cette indépendance qui leur fut rapidement confisquée par le meilleur des alliés de cette même France.
La révolution ne concerne pas seulement ceux qui sont nés sous l’époque Ben Ali ou sous l’époque de Bourguiba. Elle concerne aussi les plus anciens qui ont autant à extraire qu’ils ont du refouler. Et ce refoulement concerne aussi bien ceux qui sont restés dans leur pays que ceux qui l’ont quitté.
Quand tous nous nous exprimons enfin, il est normal qu’il s’installe une cohue, que les rancoeurs s’entrechoquent. Mais il ne faut pas oublier, pour ceux qui vivent en Tunisie, tout ce que nous voyons en Europe (et je ne parle pas de ce que l’on peut lire dans les journaux) et qui est une véritable pathologie historique inscrite dans les plus profond de l’esprit chrétien d’occident. C’est abrupt. C’est brutal.
Cela l’est d’autant plus que cette France qui est si prompte à défendre sa langue et son histoire et son patrimoine, vient encourager ses anciennes colonies à effacer leurs langues devant la sienne (ce ministère de la francophonie n’est que l’avatar du ministère des colonies), et la Tunisie est victime de cette politique depuis les années 1985-86. Elle enccourage la lecture de l’histoire de ces pays depuis un point de vue toujours tendancieux. Et j’en passe.
Ce qui irrite les européens et je limite mon propos aux français d’entre eux puisque je vis (je préfère dire je séjourne) ici depuis quelques décennie, c’est que notre révolution a jailli de là et là où ils ne s’y attendaient pas. C’est le peuple qui a fracassé le décor, non les intellectuels, non les artistes, non les hommes de théâtre. Ces gens là se sont vautré dans une insupportable vulgarité durant les décennies Ben Ali au point que, allumer la télévision en Tunisie dans l’espoir d’une soirée théatrâle par exemple, me devenait insupportable. Non ce ne sont pas les copins intellectuels et artistes comme aiment à les avoir intellectuels et artistes français qui ont retourné le pays. C’est bien ce peuple, arabophone, au visage sombre, sans coquetterie, sans singerie occidentaliste qui a joué le véritable rôle intellectuel de ce pays.
Et c’est là que le b^t blesse : la France a, durant 50 ans, soigneusement désarabisé et désislamisé la Tunisie. Attention quand je dis cela je veux dire précisément qu’elle a voulu gommé en nous toute la richesse du savoir et du savoir-vivre qui était le n^tre depuis des siècles. la Tunisie a toujours été juive et musulmane. Et c’est curieux que c’est au moment du “protectorat” que la langue française est venue séparer Juifs et Musulmans (l’Ecole universelle israélite francophone a réussi à convaincre beaucoup de Tnieins juifs qu’ils étaient juifs et uniquement juifs et qu’à ce titre leur terre historique n’était pas la Tunisie mais Israël – et ils sont partis, via reims, dans les années 60).
Nos intellectuels, nos artistes, sont devenus de ternes portes-paroles de cet esprit francophone, un peu comme l’ont été ceux des pays d’Afrique subsaharienne. Mais ces singeries gomment le sens de l’amour-propre et de la dignité.
Qu’ont-ils donc fait ? Et je pense ici à un certain Benbrik venu gesticuler, crier, à la télé, sur les ondes de la radio, un torrent de propos à tel point egocentrique qu’aucun média ne l’a regardé ou montré avec respect : tous l’ont tourné en ridicule; parce que justement il se donnait en ridicule. Ici il n’a ocnvaincu aucun français et encore moins Tunisiens ou arabes. Bref.
Mais ces pauvres bougres aux visages basanés, au regards austères, arabophones et fiers de leur tunisianité même s’ils ont baissé la tête comme nous tous, durant des décennies, ce sont eux qui ont déclanché la débâcle.
A la suite de quoi, que disent les Tunisiens surtout francophones ? Qu’ils veulent vivre dans la dignité. Mais que veut dire dignité ? La dignité ce n’est pas de recueillir des médailles d’organisations allemandes ou françaises. cela ne veut pas dire pavaner sur les plateaux télés européens en quête d’héroïsme.
La dignité c’est justement ce que l’on nous empêché de vivre depuis 1956 et que j’ai découvert en France, par exemple, qu’elle constituait la moelle épinière de la France :
1) le respct de sa langue et le souci quotidien que l’on y metà la maintenir toujours au plus haut (thème majeur dans les mouvements indépendentistes tunisiens tous noyés dans l’oubli par Bourguiba, qui de plus a accepté de soumettre la Tunisie à la politique de francophonisation de Mitterand – lequel Mitterand souvenez-vous a été l’instigateur de la torture en Algérie alors qu’il était 1er minsitre)
2) le souci de son patrimoine naturel et architectural (qui ont été folklorisés pour les yeux de millions de touristes disons-le incultes)
3) le souci de maintenir un aujourd’hui fondé sur le respect de soi et des autres dans ses manières, son urbanité (c.a.d. comment l’on parle entre nous, comment l’on se meut dans la rue, comment l’on se tient à table entre amis – ce qui a connu une dégradation indescriptible pour ceux qui ont connu ces belles manières et ce beau parler des années 50-60)
4) et ainsi le souci de poser aujourd’hui les bases d’un demain de la même texture : beauté, élégance des propos et du geste, culture, ouverture aux cultures du monde sans singeries sans mesquineries sans auto-flagellation.
La dignité cela veut dire aussi ne pas autoriser que certains européens entrent chez nous en se contentant de présenter leur carte d’identité française aux douaniers tunisiens, alors même que leur pays exige tant de documents pour que votre frère aille passer ne serait-ce qu’une semaine en France (pas pour H&M ou Zara, mais le Louvre, les châteaux de la Loire, la Comédie française,…).
Ne pas les laisser toujours et encore venir essuyer leurs pieds sur nous quand ceux d’entre eux qui vivent en Tunisie depuis des années, parfois toute leur vie, continue sans vergogne à s’adresser à nous en français comme si leur langue envers et contre tous devait être adoptée par nous.
La dignité que réclament aujourd’hui les Tunisiens en est à l’étape que se forme réellement et s’achève la décolonisation de notre pays par la France. Pour moi cela représente un dû envers mes parents qui ont “goûté” aux saveurs du “protectorat” français et qui ont pris les armes pour libérer notre pays. Mais cela leur a été confisuqé, ridiculisé, folklorisé par un certain Bourguiba.
Que les jeunes l’entendent. Ils ne sont pas Tunisiens sans cette histoire récente et sans ce qui la précède. Nous écrivons aujourd’hui, même depuis l’étranger, même dans la langue du colonisateur, une étape de notre histoire et il ne faut pas nous laisser influencer par aucun des avis qu’un non arabe peut émettre au sujet de la Tunisie ou d’aucun autre pays arabe.
Si nous les écoutons nous les aiderons dans la réalisation de leurs funestes accords Sykes-Picot.
Azza
Je relis Hazem et trouve qu’il met le doigt sur la plaie bourguibienne.
Cette désarabisation, cette désislamisation qui a été opérée en Tunsiie sous Bourguiba, puis entretenue par sons suivant, c’est justement cela qui a généré l’inculture des Tunisiens.
Ce vide a crée une telle quête d’arabité et d’islamité que les gens sont allés puiser tout et n’importe quoi pourvu qu’on leur dise “ça c’est l’islam”.
Et je vois cela tous les jours parmi les jeunes des banlieus de Paris. Tous cherchent à se construire une identité confisqué (ici par l’exil de leurs parents et l’intransigence française dans son déni de la langue arabe, devenue langue rare sous Mitterrand dans les années au cours desquelles ils oumettait 4 pays arabes à sa politique de francophonisation, et de l’islam, pourchassé de parrtout – exemple personne ne parle des boucheries casher mais tout le monde dénonce l’existence des boucheries halal – ).
En face, il y a les évangelisateurs par le vide. Je m’explique : ce sont des gens qui se disent musulmans et possesseur du savoir “islamique” (beaucoup d’entre eux dans ces mêmes banlieues sont de souche française je tiens à ce que vous le sachiez, et nous savons très bien qu’il s’agit de faux convertis lancés dans les banlieues pour pourrir davantage cette jeunesse) et qui jouent à l’imam.
Résultat vous avez des jeunes qui se déguisent qui adoptent une gestuelle et des rites qui nous choquent nous musulmans venue d’un pays musulman et éduqués en tant que musulmans (exemple j’en ai vu un qui en pleine bousculade de la gare du nord s’est agenuoillé à même le sol, très sale, et nous a mimé une prière les yeux révulsés vers le ciel, les lèvres marmonnant je ne sais quel verset – en connaissait-il ?, sans aucune ablution préalable).
A part ces singeries, aucun ne se comporte comme un musulman doit se comporter en société, avec les siens, et avec sa propre personne. Aucun.
Ce vide l’enseignement prôné par Bourguiba a réussi à le créer en Tunisie. Et quelle matière est venue le combler ce vide doublé d’une grande détresse ? Une certaine forme d’héroïsme. L’héroïsme des Talibans. Mais sait-on que les Talibans sont un pur produit des USA qui les ont formés et armés afin qu’il ejectent hors d’Afghanistan l’URSS ?
Moi qui ai assisté à l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique, j’ai vu ce poison venir “nourrir” le désaroi, le vide déjà crée dans l’esprit des jeunes musulmans.
Pourquoi mon père qui sort d’une famille très pauvre du Djérid, mais cultivée, et qui avait profité d’études gratuites au sein d’AlSadiqia, pourquoi s’est-il comporté, y compris dans son combat contre le “protectorat” français, toujours en musulman fier de son islamité et de son arabité ? Et pourquoi était-il ahuri d’assister à la montée de ces “integrismes islamiques” ? Parce que justement il y voyait tout ce qui était etranger à notre religion et à nos multiples et anciennes cultures arabes ?
Et pourquoi les jeunes sont-ils happés par elle ?
Hazem a parfaitement raison de désigner le gommage de notre culture par des Bourguiba et consorts, comme étant à l’origine de ces groupuscules qui font tout mais surtout rien pour notre indépendance et notre renaissance,
Je vous souhaite une bonne soirée Hazem et les autres,
Azza
Pardon pour les très nombreuses fautes de frappe
Vu que jusqu’à ce moment Nawaat n’a voulu pas publier ma réponse à « Révolutions arabes et clichés », en me niant le droit de rectification, je vous la propose en forme de commentaire. Annamaria Rivera, activiste et anthropologue (Université de Bari, Italie)
“Braiment d’âne n’arrive pas au ciel”* ou : une polémique minable et oiseuse sur la transition tunisienne”
Annamaria Rivera – NenaNews, 22 janvier 2013
Original : http://nena-news.globalist.it/Detail_News_Display?ID=48459&typeb=0&22-01-2013–Tunisia-risposta-alle-accuse-di-falsita
Je pense que la polémique est le sel du débat culturel et politique. Mais je doute de l’utilité d’une querelle oiseuse, non documentée et ignorant délibérément la biographie intellectuelle et politique de celui ou celle que l’on critique. C’est le cas de la lettre “Révolutions arabes et clichés”, signée par Mario Sei, Santiago Alba Rico, Sondes Bou Said, Patrizia Mancini et Hamadi Zribi, publiée sur Nena News et Nawaat. Une lettre paradoxale dès son titre, qui contient un typique cliché : la qualification d'”arabe” pour désigner les révolutions ou insurrections dans les pays à majorité arabophone. Pour ne pas parler des bavures, entre autres lexicales, contenues dans le texte. Un exemple : “la matrice islamique des deux gouvernements” [égyptien et tunisien]. Peut-être les auteurs voulaient-ils dire : “sur la présence influente d’un parti islamiste dans les deux gouvernements” ? Vraiment paradoxal pour une lettre dont le préambule est une petite leçon prétentieuse sur réalité et représentations, clichés et stéréotypes.
Les auteurs auraient peut-être mieux fait de s’exercer à la lecture, à la compréhension et à l’analyse textuelle avant de prendre à coups de cornes les textes en question : deux articles, respectivement de Giuliana Sgrena et de moi, tous deux publiés par il manifesto, le premier le 30 décembre et l’autre le 15 janvier derniers. Le fait de les avoir amalgamés est déjà en soi bizarre et incorrect. De fait, quiconque ne tend pas à la “paresse intellectuelle” évoqué par les cinq sait bien que Giuliana et moi avons des orientations divergentes, également respectables, sur certains thèmes, à commencer par la querelle déjà ancienne autour de la loi française “contre le voile”, moi étant sur des positions nettement anti-interdiction (du voile).
L’accusation de verser complaisamment dans le “dualisme laïcs-religieux” ne peut que paraître ridicule aux yeux de quiconque connaît mon engagement, non seulement contre la loi prohibitionniste française mais plus généralement contre l’arabophobie, l’islamophobie et le laïcisme à sens unique. Mes ouvrages, qu’au moins Patrizia Mancini aurait du lire, peuvent témoigner de mon engagement – qui m’a valu des attaques et des “avertissements” assez lourds. Pour en citer quelques-uns : L’inquietudine dell’islam, avec M. Arkoun, J. Cesari, A. Jabbar, M. Kilani, F. Khosrokavar (Dedalo 2002); La guerra dei simboli (Dedalo 2005); Les dérives de l’universalisme. Ethnocentrisme et islamophobie en France et en Italie (La Découverte 2010).
Mais pour éviter des gaffes, il aurait suffi que “la” Mancini (pour recourir au vocabulaire de PV policier de nos cinq auteurs) suggère à ses quatre co-auteurs de lire mes nombreux articles sur la révolution tunisienne. Elle les connait bien, puisqu’elle m’a demandé récemment l’autorisation de les publier sur un blog en construction. Elle sait aussi très bien que je fréquente la Tunisie depuis trente ans, et pas en touriste mais comme chercheuse et militante. Et pourtant, on trouve en filigrane de cette lettre le préjugé selon lequel deux femmes ne puissent écrire que “par métier” ou “pour le plaisir” (c’est ce que les 5 écrivent), et pas par un engagement généreux et rigoureux dans le champ social, politique et aussi scientifique.
Mais revenons à l’un des deux textes visés par leur critique, l’article que j’ai signé dans il manifesto et republié sur ce blog.
Il est assez singulier que les cinq survolent l’information que je donne en introduction et qu’ils ignoraient probablement, bien que vivant en Tunisie : l’énième suicide par le feu d’un jeune chômeur de Mnihla, un des lieux d’où est partie l’insurrection populaire. Ils ne sont pas frappés par le fait que la révolution n’ait pas mis fin à la série d’autoimmolations avant et après celle de Bouazizi. Que cela soit un symptôme de la gravité du malaise social qui règne dans la Tunisie de la transition, cela ne leur pose pas problème (à ce propos, qu’ils combattent donc la “paresse intellectuelle” et lisent Il fuoco della rivolta. Torce umane dal Maghreb all’Europa, Dedalo 2012, qui est aussi une analyse de la révolution tunisienne).
En plus, les cinq me reprochent d’avoir présenté le second anniversaire de la révolution “comme un enterrement”. Rien de plus faux : on ne trouve pas le mot “enterrement” dans mon article. On peut y lire en revanche : “Certains sont même allés jusqu’à écrire que le deuxième anniversaire de la révolution du 14 Janvier était un jour de deuil”. Je me référais, en m’en distanciant, à un article de Nizar Bahloul, “14 Janvier, un jour de deuil…ou presque”, publié le 13 janvier sur http://www.businessnews.com.tn. De fait, mon évaluation de l’état actuel de la transition est bien résumée par le titre donné à l’article par MicroMega: “ il n’y a pas grand-chose à célébrer”. Ceux qui en revanche utilisent la métaphore de l’enterrement sont des citoyens tunisiens tout sauf passifs et résignés : le 14 janvier dernier, le Comité des diplômés chômeurs de Menzel Bouzaïane, un des lieux d’où est partie l’insurrection, a commémoré l’anniversaire par des funérailles symboliques de la “révolution défunte ”: on peut lire l’information, en texte et photos, sur de nombreux sites et blogs tunisiens.
Quant au “snobisme intellectuel” que ‘m’attribuent les cinq, je me demande s’ils croient que c’est par snobisme que j’ai failli perdre la vie le 9 avril 2012 lorsque, participant à la manifestation pour l’anniversaire du massacre de 1938, j’ai été atteinte par une grenade de gaz asphyxiant lancée par la police (épaulée par des miliciens armés de bâtons). J’écrivais dans mon article : “S’il est indéniable que la révolution a libéré la parole publique et a brisé la chape de peur, il est tout aussi clair que la liberté d’expression est loin d’être garantie”. Cette affirmation est étayée par la myriade de cas récents d’atteintes à la liberté d’expression et de procès pour délits d’opinion, que les journalistes tunisiens, les diverses composantes de la société civile dénoncent sans relâche, tout comme le font des organisations de défense des droits humains comme Amnesty International. Tous malades de snobisme intellectuel ?
Continuons : les cinq me reprochent d’avoir omis le fait que ce soit “la réaction de la société civile tunisienne qui a déterminé l’issue du procès”, dans l’affaire de la jeune femme violée par trois policiers et inculpée pour actes obscènes. Ici aussi il leur aurait été utile de se livrer à un exercice préliminaire de lecture et de compréhension de texte. En fait j’ai écrit que le tribunal a émis cette sentence, poussé “par l’indignation” et “par les appels internationaux”. Seule une lecture malveillante peut amener à prétendre que je ne me référais pas à l’indignation suscitée en Tunisie.
Autre chose : avec l’élégante légèreté qui les caractérise, les cinq m’accusent de “diffuser des fausses informations” et de “rapporter des demi-informations “. Ils font allusion à la rumeur dont je m’étais faite l’écho, qui circulait en Tunisie, sur deux jeunes gens condamnés pour s’être embrassés dans la rue. L’information avait à ce point été prise au sérieux que, selon les 5 auteurs “des centaines de personnes se sont retrouvées sur une place du centre de Tunis pour un baiser collectif” (en réalité, les personnes qui ont organisé ce flash mob m’ont informée qu’elles étaient en tout neuf, six femmes et trois hommes). Mais pourquoi donc est-ce que moi, qui avant tout ne réside pas en Tunisie, j’aurais du décréter cette info fausse, avant même qu’elle ait été démentie ? Et puis, démentie par qui ? Peut-être par une dépêche du ministère de l’Intérieur ? On sait qu’en Tunisie, les rumeurs se diffusent rapidement, souvent suivies de démentis officiels, qui sont à leur tour démentis. Le fait est que le quotidien en ligne Tunisie Numérique a confirmé l’information au moins jusqu’au 16 janvier, dans un long dossier intitulé “Chronique d’un baiser interdit, volé et réprimé”.
Enfin : il est dommage que les cinq censeurs ne s’arrêtent pas aux thèmes évoqués par mon article qu’il aurait été plus intéressant de discuter : mais ils n’étaient pas utilisables pour s’exercer à la chasse aux sorcières. Je ne veux pas seulement parler du phénomène des suicides publics par le feu, symptôme de malaise, de désespoir social et d’abandon de régions et de zones urbaines entières, mais aussi du rôle joué dans les événements récents par l’UGTT, la principale centrale syndicale. L’annulation de l’appel à la grève générale nationale de la part des sommets syndicaux, suivie de la signature solennelle, juste le 14 janvier, du “Pacte social” entre le gouvernement, l’UGTT et l’UTICA (l’organisation patronale), n’est-elle pas, peut-être, la répétition d’un schéma typique de l’ancien régime ? C’est ce que soutient une autre centrale syndicale, la CGTT, qui rappelle que le couple parti-syndicat uniques était un des piliers du régime despotique (voir : “La CGTT exprime sa consternation face au Pacte Social”, publié le 12 janvier par http://www.tuniscope.com et par d’autres sites).
Cependant, même dans les phases où l’UGTT était intégrée dans le processus de normalisation disciplinaire, elle a toujours eu une base indocile et assez difficile à contrôler. Cela est plus vrai que jamais aujourd’hui : dans la “Tunisie profonde” comme dans les quartiers urbains déshérités des révoltes, aussi violentes, éclatent tous les jours et/ou ont lieu des grèves générales, les unes et les autres systématiquement réprimées avec violence par les forces de l’ordre. Quel effet peut avoir sur une bonne issue de la transition le fait que ces luttes ne trouvent pas des formes d’unification et de représentation nationale ? Comme l’a écrit, entre autres, Nicolas Beau, co-auteur des célèbres Notre ami Ben Ali et La régente de Carthage (La Découverte 1999 et 2009), aujourd’hui les élites politiques et intellectuelles de la Tunisie légale ont complètement oublié le pays réel. Et c’est moi que nos cinq censeurs ont le culot d’accuser de snobisme ?
*Proverbe italien (et corse) dont l’équivalent français est : “La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe”[NdT]
[…] dont nous avons publié la traduction française sur notre site le 18 janvier 2012. “Révolutions arabes et clichées” a été rédigé en réaction à un autre article de Annamaria Rivera intitulé […]
[…] que nous, signataires de cet article, prétendions, faire, avec notre précédent article n’était, bien évidemment pas, de froisser quiconque ni de lancer une polémique ad hominen […]