Nourredine Bhiri à la place de Ben Ali

Le ministère de la justice a remis en fonction d’anciennes figures du régime dictatorial en tant que membres du Conseil Supérieur des Magistrats (CSM), entre autres, Mahmoud Ajroud, le juge qui, en 2008 a supervisé des procès iniques dans le bassin minier (Gafsa). Plus encore, le ministre de la justice Nourredine Bhiri (Ennahdha) s’est mis à la place de l’ex Président déchu Zine El Abidine Ben Ali à la tête de ce même CSM.

Indignés, les membres de l’Association Tunisienne des Magistrats (AMT), qui ont lutté contre la dictature de Ben Ali, ont considéré cette action préparée par le ministère de la justice avec la complicité du syndicat des magistrats, comme une catastrophe pour l’indépendance du pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif. Car, les honorer avec de tels postes est équivalent à une récompense pour leurs services rendus au régime répressif. Selon le juge Ahmed Rahmouni, Président honorifique de l’AMT

Il est inconcevable de remettre en fonction l’institution corrompue du CSM qui a été dissoute dans la logique même de la Révolution. C’est évidemment une catastrophe. En plus, après avoir nommé et révoqué des juges, maintenant on les soudoie en augmentant leurs salaires pour mieux les subordonner au ministère de la justice !

Le démarrage de ce qu’on appelle “Le mouvement des magistrats” a été entamé en catimini après une réunion qui a eu lieu le 8 septembre et qui n’a été annoncé publiquement que le 13 septembre. L’AMT et l’Observatoire National de l’Indépendance de la Magistrature (ONIM) ont déclaré que les juges indépendants ont été tout simplement écartés. Mme Raoudha Karafi rappelle lors d’une interview qu’on a faite avec elle que

L’assainissement de l’institution judiciaire doit émaner d’une instance élue, dans le cadre de la transparence, sans la main mise du pouvoir exécutif-ministère de la justice- qui ne cesse de décider d’une manière unilatérale du sort des juges. En outre, pour “nettoyer” la magistrature, il faut d’abord écarter les anciennes figures connues par leur corruption et surtout d’avoir été l’outil de répression et de transgression des droits de l’Homme lors des procès avant le 14 janvier 2011 et ce pendant des décennies. Ce qui arrive pour le moment démontre le contraire puisque les anciens sont remis en fonction.

En effet, le CSM, qui a été gelé suite à la Révolution du 14 janvier, a été réactivé par le ministère de la Justice en permettant à ses anciens membres, élus dans des circonstances douteuses sous l’ancien ministère du tristement célèbre Bachir Tekari, d’être les décideurs des juges indépendants.

Selon la juge Kalthoum Kennou,

Ce mouvement des magistrats n’est pas différents de ceux qui existaient avant la chute de Ben Ali. Bien au contraire, avant, il y avait certains protocoles qui étaient respectés, ce qui n’est plus le cas maintenant. Je considère ce Conseil Supérieur des Magistrats comme un cadavre qui a été déterré pour chercher une quelconque légitimité. En plus, les juges de l’Association ont été dispersés pour mieux atteindre notre organisation.

La légitimité de ce CSM ainsi que sa réactivation sont donc contestées par l’AMT mais pas par le syndicat qui a été crée au mois d’avril 2011 par l’un des putschistes de 2005… Par ailleurs, un fait significatif au sujet de sa présidence est à relever. Car, selon la loi n° 67-29 du 14 juillet 1967, relative à l’organisation judiciaire, au conseil supérieur de la magistrature et au statut de la magistrature, la présidence du CSM revient au Président de la République. Cependant, avec la nouvelle loi de l’organisation des pouvoirs, elle serait au chef du gouvernement. Ce qui signifie qu’en théorie, Nourredine Bhiri ne serait que le vice-Président du Conseil. Comment sortir de cet imbroglio avec d’anciennes lois qui mettent le pouvoir judiciaire à la solde du pouvoir exécutif avec la bénédiction du Chef du gouvernement ?

Mettant, sans scrupule, la main sur le pouvoir judiciaire, le ministre de la justice a condamné toute réforme possible dans cette période transitoire en compromettant, institutionnellement, l’indépendance de la justice. Walid Zarrouk, secrétaire général du syndicat de base des agents des prisons et de la rééducation de Tunis a publié un communiqué où il déclare

Après un hommage rendu aux âmes des martyrs perdus, alors que ceux qui ont causé sa perte sont promus de la part du ministre de la réalisation des objectifs de la Révolution, j’annonce à l’opinion publique que je perds tout espoir en une réforme d’une institution qui combat l’impunité par le ministre de la justice actuel. Car celui qui n’a pas la chose ne peut la donner.

Certes, ces derniers jours, les médias se sont focalisé sur l’attaque contre l’ambassade américaine de Tunis par des islamistes et des casseurs. L’événement est évidemment de taille. Dans cet état de chaos, ni la police ni l’armée ni la garde nationale-dont les locaux se trouvaient à deux pas de l’ambassade-, n’ont pu défendre l’établissement. Cependant, cette crise sécuritaire, très mal gérée par les responsables du ministère de l’intérieur et de l’armée- bien qu’on soit sous Etat d’urgence- n’est pas moins importante que celle dont laquelle la justice se trouve plongée à cause du ministère de la justice.

Selon Jamel Ajroud, maître assistant à la faculté de droit de Sfax

L’indépendance de la justice est une question éminemment juridico-politique. Elle permet de mesurer la place du droit et de la justice dans la société et reflète en même temps le degré de démocratisation du système politique et le niveau atteint dans la construction de l’État de droit. Si elle est perdue, tout est perdu : le droit, les libertés, la sécurité, la démocratie et de façon générale l’Etat de droit.

Il est vrai que les signes et actions du gouvernement Jebali, notamment dans le domaine de la justice nous éloigne du projet espéré après le 14 Janvier d’un Etat de Droit. Après avoir bloqué le projet de l’instance de l’ordre judiciaire en refusant son indépendance, les députés d’Ennahdha ont ouvert la voie au ministre Bhiri pour nommer, révoquer et procéder à la promotion des juges. Cette crise est d’autant plus significative vue la faiblesse d’un contre pouvoir encore inefficace face aux vrais enjeux de la Révolution. Au cours de cette semaine, une conférence de presse sera organisée par l’Association Tunisienne des Magistrats qui continue à résister. Comment les juges feront-ils face à ce coup dur contre l’indépendance de la justice ? Telle est la question.

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