Ministère des finances de la République tunisienne

Dans l’article intitulé « La dette extérieure : un frein au développement de la Tunisie », je me suis attaché à présenter la dette extérieure de la Tunisie de manière alternative en démontrant que l’évolution de cette dette est exponentielle, que la moyenne des intérêts était de l’ordre de 60 % et que le fait d’exprimer la dette en pourcentage du PIB était ni rigoureuse, ni objective.

Dans ce nouvel article je souhaite poursuivre le raisonnement en confrontant la dette aux revenus de l’état tunisien. En effet, il est raisonnable d’analyser la dette en fonction des capacités de l’état à la rembourser, c’est-à-dire en fonction de ses revenus. L’objectif est donc d’étudier les revenus de l’état tunisien, leur évolution, leur décomposition et enfin d’analyser la dette en pourcentage de ses revenus.

Toutes les sources de ce document proviennent intégralement de la base de données de la Banque Mondiale.

I – Evolution des revenus de l’état tunisien

Selon les définitions fournies par la Banque Mondiale et donc le FMI, les revenus de l’état sont de deux types.

Premièrement il s’agit des revenus qui correspondent aux recettes de trésorerie provenant des taxes, cotisations sociales, et d’autres recettes telles que des amendes, des frais, le loyer et le revenu provenant de biens ou de vente.

Deuxièmement, les subventions et autres revenus comprennent les subventions provenant d’autres gouvernements étrangers, organisations internationales, et d’autres entités publiques, les intérêts, les dividendes, etc… Autrement dit, ce que le FMI et la Banque Mondiale considèrent être des subventions, je les qualifie de dette, sans autre détour car des dons il y en a quasiment pas et des remises de dette il n’y en pas eu. On doit y ajouter les ressources de l’état autres que les recettes fiscales et celles du patrimoine national.

Figure 1: Montants (en milliards de TND) des revenus de l’état tunisien

Dans la figure 1, On peut observer que les revenus de l’état tunisien sont en constante augmentation pour atteindre, en 2009, un montant total de 18 782 700 000 TND ; Soit une augmentation de 456,42% depuis 1990. Il est à noter que cette augmentation de revenus est essentiellement due à l’augmentation des recettes fiscales et de manière plus minoritaire à l’augmentation de la dette publique.

Afin de mieux cerner l’évolution des revenus de l’état tunisien, il est nécessaire de les décomposer, par catégorie de recettes pour comprendre qui finance, en réalité, la nation.

II – Décomposition des revenus de l’état tunisien et impact des plans d’ajustement structurel imposés par le FMI et de l’accord de libre-échange avec l’UE

Figure 2: Evolution des recettes qui composent les revenus de l'état tunisien.

Dans la figure 2, Les « subventions » et autres recettes figurent en rouge et évoluent à la baisse en termes de pourcentage de revenus de l’état. Il faut préciser, que s’ils sont ici en baisse, en réalité, en termes de montants, ils sont malgré tout en augmentation. Pour plus d’information à ce sujet je vous renvoie à l’article « La dette extérieure : un frein au développement de la Tunisie ».

Les autres catégories de la figure 2, décomposent les recettes fiscales de l’état tunisien. Ainsi on peut observer que les taxes sur les exportations (bleu) sont quasiment nulles. De plus, les impôts sur le commerce extérieur (violet) sont en net diminution : ils ont été divisés par près de 4. Il est essentiel de comprendre que ces droits de douanes concernent exclusivement les taxes sur les importations. Les données avant 1990 n’étant pas disponibles, il faut savoir que les taxes sur les exportations ont quasiment disparu suite aux plans d’ajustement du FMI à la fin des années 80. Il en est de même pour les taxes sur les importations qui, suite à ces plans, sont passés de 36 à 27% rien qu’en 1988. La poursuite de cette politique d’ouverture s’est ainsi poursuivie les décennies suivantes.

Nous observons de même une rupture en 1996, qui correspond à la mise en place de l’Accord de Libre-échange avec l’Union Européenne, dont nous avons montré l’asymétrie des échanges avec la Tunisie, qui a instauré une exonération des droits de douane entre les deux entités (voir sur le site de la douane tunisienne) et qui explique donc la fonte des recettes issues du commerce international.

A l’inverse des réductions des droits de douanes sur les importations, on constate que les recettes fiscales provenant des impôts sur la consommation, des impôts sur le revenu, les bénéfices et les gains en capital ainsi que des contributions sociales ont globalement été multipliés par deux. Ceci est aussi dû aux injonctions du FMI qui pour rappel, lors de sa récente visite en 2010 au titre de l’article IV concernant la Tunisie, exigeait :

« 22. Le régime fiscal pourrait être rendu plus favorable aux entreprises.

Des comparaisons avec les autres économies émergentes indiquent que la pression fiscale sur les entreprises est relativement élevée en Tunisie et qu’il serait également possible d’accroître le rendement des taxes sur la consommation. C’est pourquoi, une réduction de l’impôt sur les bénéfices des entreprises, compensée par un relèvement du taux normal de la TVA ainsi qu’un élargissement de son assiette moyennant l’élimination de certaines exonérations, serait susceptibles de stimuler la croissance. Les services du FMI sont satisfaits du fait que les autorités prévoient de poursuivre la réforme des droits de douane pour les rapprocher des normes internationales, en réduisant davantage les niveaux et le nombre de taux. »

Ce même FMI, que certains medias tunisiens tentent de protéger par des stratégies de manipulation des masses comme nous avons analysé dans l’article : « Stratégie de l’épouvantail. Application au FMI en Tunisie ». Malheureusement, les montants des recettes fiscales ne sont pas disponibles dans la base de données de la banque mondiale pour évaluer ce que rapportent exactement les taxes à l’état. Cependant on peut conclure que les droits de douanes ont été diminués et sont compensés par une augmentation de l’imposition au détriment de la population.

III – Comparaison de l’évolution des recettes de l’état tunisien et du stock de la dette extérieure.

Figure 3: Evolution comparée des recettes de l'état et du stock de la dette extérieure

Sur la figure 3 figure en rouge le stock de la dette extérieure et en bleu les recettes totales de l’état. En vert figure dans la continuité des revenus de l’état une estimation constante des recettes de l’état pour les années 2010 et 2011 afin de compléter la carence de la base de données de la Banque Mondiale.

La figure 3 illustre d’une part que le stock de la dette extérieure de la Tunisie est en augmentation et particulièrement entre 2009 et 2011 où elle a augmenté de près de 15%. D’autre part, même si les revenus de l’état ont également augmenté, ceux-ci figurent toujours en dessous du stock de la dette extérieure. Autrement dit, l’état tunisien n’est pas solvable et n’est donc pas en mesure de rembourser ses emprunts à l’étranger.

Dans ces circonstances, exprimer la dette extérieure en pourcentage du PIB telle qu’elle est communément présentée, relève de la manipulation. En effet, le ratio dette/PIB oscille entre 40% et 50% du PIB. Aussi bien le gouverneur de la BCT, Mustapha Kamel Nabli (MKN), que les atugéens nous racontent que la dette extérieure de la Tunisie est soutenable car elle se situe en dessous de 60%, limite qu’ils prennent pour référence pour définir la soutenabilité de la dette selon les critères de Maastricht de l’union européenne. MKN et les atugéens semblent ne pas comprendre que la Tunisie n’est pas l’Europe, que les deux économies ne sont pas comparables et que la dette extérieure tunisienne n’est pas une dette souveraine car elle n’est pas libellée en monnaie locale mais en devise (USD, Euro et YEN essentiellement). Afin de se procurer de la devise, pour honorer sa dette et ses intérêts, la Tunisie s’approvisionne sur les marchés financiers internationaux (MFI), c’est-à-dire sur le marché de la dette.

Ainsi, le ratio dette/PIB n’a aucun sens pour la Tunisie. Ce ratio ne présente pas la solvabilité du pays, sauf à dire qu’il faut vendre entre 40% et 50% du pays à des étrangers pour être en mesure de régler la dette et surtout l’accumulation de ses intérêts.

Afin de mesurer la soutenabilité de la dette extérieure par rapport à l’économie tunisienne, il est indispensable de la mesurer, non pas en fonction du PIB, mais en fonction des revenus de l’état tunisien.

IV – Soutenabilité de la dette extérieure de la Tunisie.

Il existe plusieurs méthodes pour évaluer la soutenabilité du stock de la dette extérieure de la Tunisie. Le premier qui sera présenté sera le ratio de la dette extérieure de la Tunisie en fonction des revenus de l’état. Le second sera ratio de la dette extérieure de la Tunisie en fonction des revenus des exportations qui fournissent à la Tunisie de la devise étrangère. Enfin le troisième sera ratio de la dette extérieure de la Tunisie en fonction des réserves de devises et d’or de la nation.

1. Ratio de la dette extérieure de la Tunisie en fonction des revenus de l’état

Figure 4: ratio dette/revenus

Le calcul du ratio de la dette extérieure de la Tunisie en fonction des revenus de l’état (figure 4) démontre que la dette tunisienne est insoutenable pour l’économie du pays. En effet, le stock de la dette évolue autour de 150% des recettes de l’état, ce qui veut dire, qu’a l’heure actuelle, la Tunisie est un pays en faillite et qui n’est absolument pas capable de rembourser quoi que ce soit. La stratégie de de MKN consiste à gagner du temps. Il engage la Tunisie dans un surendettement pour payer les anciennes dettes avec les flux monétaires des nouvelles dettes contractées. Cette stratégie n’est pas un modèle de développement mais une fuite en avant qui conduit le pays droit dans un mur, au détriment des investissements et de la population tunisienne qui se trouve de jour en jour confrontée à un mur de dette qu’elle n’a pas souhaité et qu’elle ne pourra de toute façon pas rembourser.

2. Ratio de la dette extérieure de la Tunisie en fonction des revenus des exportations

Figure 5: Stock de la dette extérieure exprimée en pourcentage des revenus des exportations

Les exportations sont la seule source nette de devise de la Tunisie. Exprimer le stock de la dette en fonction des revenus des exportations permet de visualiser la soutenabilité de la dette en fonction de la source de devise. Là encore le ratio est éloquent. La dette extérieure de la Tunisie est insoutenable. En 2010, il aurait fallu sacrifier la totalité des revenus des exportations pour rembourser la dette extérieure, ce qui est impossible à faire en une année car le pays est malgré tout dépendant, à l’heure actuelle d’un certain nombre d’importations. Cependant, il peut être envisagé de se débarrasser progressivement de la dette extérieure grâce aux revenus des exportations selon un plan qui inclurait la réduction rapide des nouveaux contrats d’endettement, la limitation des importations au strict nécessaire et en allouant une part des revenus des exportations aux paiements de la dette extérieure qui ne serait pas odieuse. Dans tous les cas de figure, ce plan doit être associé à l’audit des finances, de la Banque Centrale, et de la dette extérieure ainsi qu’à l’annulation de la dette odieuse et illégitime qui appartient à Ben Ali et ses complices.

Figure 6: Stock de la dette extérieure exprimée en pourcentage des réserves totales de devises et d'Or

Enfin, le seul est unique et réel moyen d’évaluer la soutenabilité de la dette extérieure et de l’exprimer en fonction des réserves total en devises et en Or de la Tunisie. La figure 6 démontre que la dette extérieure de la Tunisie n’a jamais été soutenable et que pour l’année 2010 elle est deux fois plus élevée que les réserves financière réelles du pays. Il est essentiel pour la Tunisie de se sortir du piège infernale de la dette qui la saigne et qui représente une perpétuelle menace sur sa souveraineté financière et son indépendance politique et économique.

V – Député(e)s de l’assemblée nationale constituante, c’est à vous de jouer !

Le RAID-ATTAC-CADTM, le Comité de réflexion sur l’économie Tunisienne (CRET), Collectif “Auditons les Créances Européennes envers la Tunisie” (ACET), et d’autres militants ont soutenu et revendiqué, à juste titre, un moratoire sur la dette tunisienne et les finances de l’état. A l’heure actuelle MKN refuse catégoriquement de procéder aux audits (voir notre article : « EXCLUSIF : Le vrai visage de Mustapha Kamel Nabli alias MKN » et contrairement à ce qu’il prétend il s’oppose à toute transparence du bilan de la banque centrale de la Tunisie (BCT)). Outre cette opposition, il a même revendiqué l’indépendance de la BCT, pour se libérer de toute obligation ou justification devant le peuple tunisien via un gouvernement légitimement élu, ce qui est une attitude clairement contre révolutionnaire. (Voir l’enquête : « la révolution économique mise en danger par nabli à la BCT »)

Avant les élections du 23 octobre, les partis tunisiens étaient clairement favorables à un audit de la dette publique tunisienne et aujourd’hui des forces vives du pays réclament la transparence dans la gestion de l’Etat comme la campagne #7ell qui exige une politique d’ « open government ». Suite aux élections, les partis qui s’étaient engagés à mettre en place un audit de la dette n’ont toujours pas tenu leur promesse. Il est encore temps (voir la vidéo des promesses des partis).

La dette tunisienne contractée sous Ben Ali est un fardeau pour les tunisiens et un frein au développement du pays. Le moratoire sur la dette est un devoir envers les générations de tunisiennes et tunisiens du présent et du futur. La dette odieuse de Ben Ali doit être annulée en vertu de la jurisprudence internationale, car cette dette à desservi le peuple, plus grave encore elle a financé la répression et l’obscurantisme d’une dictature (voir l’affaire Amesys sur le matériel de surveillance français venu à Ben Ali).

Mesdames, Messieurs les député(e)s de l’ANC, vous êtes aujourd’hui les représentants du peuple souverain tunisien qui s’est révolté pour mettre fin à cette dictature policière, financière et économique. Vous avez le devoir d’informer le peuple tunisien sur la totalité de ces questions en procédant à un audit profond des finances de l’état et de la dette publique qui ont servi à un dictateur pour s’enrichir et réprimer la population, et maintenu le pays dans un asservissement total. Nous ne vous jugerons que sur vos actes.