C’est peu dire que la Tunisie est affectée par les changements climatiques. Les coupures intermittentes d’eau quasi-quotidiennes se chargent de rappeler aux Tunisiens les dures réalités du réchauffement de la planète et du stress hydrique. A l’échelle mondiale, les émissions de la Tunisie en gaz à effet de serre ne représentent que 0.07%. Mais notre pays est toujours présent dans les négociations sur le climat. C’est qu’il s’agit pour nous d’une question vitale. Et c’est donc dans ce contexte que s’est tenue la COP 28 à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, du 30 novembre au 12 décembre 2023. Avec encore une fois une participation tunisienne. Et pour l’occasion, la Tunisie et sept autres Etats arabes se sont engagés, aux côtés de 117 autres pays, de tripler la capacité de production d’énergies renouvelables pour la porter à 11 000 gigawatts à l’horizon 2030. Côté tunisien, l’annonce n’est guère parée de nouveauté. Déjà signataire de l’Accord de Paris sur le climat en 2015, la Tunisie a « adopté une stratégie de transition énergétique qui prévoit, d’ici 2030, une baisse de la demande d’énergie primaire de l’ordre 30 % et de produire 35 % de l’électricité à partir d’énergies renouvelables », affirme le Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), dans un document présentant un projet développé en collaboration avec le Ministère tunisien de l’Industrie, des Mines et de l’Energie (MIME), l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Energie (ANME) et la Société Tunisienne de l’Electricité et du Gaz (STEG). Objectif affiché : promouvoir l’accélération de la transition énergétique.
Le problème ? « La transition énergétique ne se fait pas de manière équitable entre les pays du Nord et les pays du Sud », déclare à Nawaat Essia Guezzi, chargée du programme Voice for Climate Action (VCA) de l’organisation de coopération internationale Hivos.
« Les sociétés étrangères vont produire de l’énergie renouvelable en accaparant des terres des pays du Sud. Des groupes de pression à l’instar de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire International (FMI) exigent des pays pauvres, comme la Tunisie, d’accélérer les concessions accordées aux projets relatifs aux énergies renouvelables pour permettre aux investisseurs étrangers de s’implanter et d’exporter l’énergie vers leurs pays d’origine », souligne Essia Guezzi.
« Certains projets sont en cours d’exécution à Tataouine, à Chenini (Gabes), à El Metbasta (Kairouan), etc. Des sociétés espagnoles et saoudiennes investissent dans les énergies solaires et éoliennes, et des terres domaniales leurs sont offertes en Tunisie pour mettre en place ces projets », indique Guezzi.
Et de préciser : « Il s’agit d’un mécanisme de compensation carbone. Les pays développés mettent en place des projets environnementaux dans les pays du Sud et les considèrent comme un effort d’atténuation des Gaz à Effet de Serre (GES) ». De manière plus simple, la compensation carbone est le fait d’estimer le taux de CO2 dégagé dans l’atmosphère dans un périmètre déterminé, et de financer un projet environnemental, histoire de contrebalancer la pollution générée.
Quant aux emplois que ces projets sont censés générer, ils seraient largement surestimés. « La main d’œuvre est essentiellement concentrée dans la fabrication des turbines et des panneaux photovoltaïques. Au niveau local, l’installation ne représente que 0,8% du potentiel d’emploi du secteur des énergies renouvelables », note la spécialiste.
La valeur des promesses
Et le cours des événements n’invite pas à l’optimisme. Ainsi, en vertu de l’accord de Paris signé huit ans auparavant, chaque pays était appelé à déterminer ses objectifs de manière à contenir le réchauffement climatique en dessous des 2C°. A cet égard, Guezzi rappelle que ce traité « a prévu la diminution des émissions des GES de 43% à l’horizon 2023, et la limitation du réchauffement climatique. Or les émissions ont grimpé de 0,3% par rapport à la période pré et post Covid-19 ». Et l’experte de conclure : « nous sommes donc bien loin de ces objectifs ».
Question climat, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Tenue l’année dernière à Charm El Cheikh en Egypte, les négociations autour de la Cop27 avaient abouti à la création d’un fonds pour financer les pertes et préjudices engendrés par le réchauffement climatique, subis par les pays vulnérables. Or depuis, aucune somme n’y a été versée malgré les promesses de dons qui avaient à l’époque été formulées. « Le fonds sera chapeauté par la Banque Mondiale. Au début de cette Cop, il a été convenu d’y injecter 430 Million de Dollars, dont 100 Million provenant des Emirats. Mais c’est toujours insuffisant », explique Essia Guezzi.
Mais contrairement aux éditions précédentes, la COP28 a fait mine de pointer du doigt le vrai coupable du dérèglement climatique, à savoir les énergies fossiles. Il s’agit en l’occurrence du trio gaz, pétrole et charbon, hautement polluants. Selon le programme des Nations unies pour l’environnement, 85% des émissions polluantes mondiales sont générées par ces gaz. En 2021, la Chine a dégagé 9,5 gigatonnes de CO2, suivie par les Etats- Unis avec des émissions estimées à 5,5 gigatonnes.
La première semaine de la Cop28 a abouti à un premier draft, qui devrait servir de base de négociations pour la rédaction des recommandations finales. Il découle de ce draft deux positions distinctes: une sortie progressive des énergies fossiles, ou une réduction progressive des émissions. Les grandes puissances ne sont pas favorables à une sortie des énergies fossiles, mais paraissent enclines à atténuer les émissions, via les technologies de captation et de stockage du dioxyde de carbone CO2. Et le président de la Cop28 lui-même, Sultan Al Jaber, envoyé spécial des Émirats arabes unis pour le changement climatique et ministre de l’industrie et des technologies avancées, a manifesté ses réserves quant à la sortie progressive des énergies fossiles.
Et pour cause. Une enquête diffusée par la chaîne britannique BBC quelques jours à peine avant la conférence sur le climat, révèle que Sultan al-Jaber, par ailleurs PDG de la compagnie pétrolière d’Abou Dhabi (Adnoc), s’est servi de son statut de président de la COP28 pour conclure des marchés dans le secteur des énergies fossiles. En somme, difficile de voir dans les conclusions des Conférences annuelles successives sur le climat autre chose que des promesses éoliennes. Autant dire du vent.
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