Nous sommes le 7 octobre. Dans les ruelles étroites de la médina de Tunis, les passants discutent des derniers événements en Palestine. Nous arrivons devant Dribet Dar Hussein, impatients de découvrir la dernière œuvre de Tania El Khoury : “The search for Power” programmée dans le cadre de Dream City. En attendant, on capture des bribes de discussions des spectateurs autour de l’actualité. Cette toile de fond vivante préparait le terrain pour une expérience artistique profonde et engagée.
On demande à l’assistante de l’artiste : “À quoi doit-on s’attendre ?” Lessivée et confiante, elle nous répond : “C’est indescriptible, c’est à vivre”. S’ensuit l’ouverture de la porte de Dar Hussein. Une femme derrière un bureau répète la même phrase sur un ton autoritaire : “Avancez, écrivez votre nom sur ce papier, mettez vos affaires dans les casiers juste derrière vous.” La trentaine de spectateurs s’exécute. Le son du cachet “The Search for Power”, s’abattant sur des reçus, sur lesquels nous avons inscrit nos noms, résonne dans la driba.
Nous nous mettons en file indienne et traversons un espace plongé dans l’obscurité. La lumière d’une torche éclaire des câbles électriques accrochés au plafond. Ils sont de toutes les couleurs, et créent une architecture chaotique. Nous observons ce monstre tentaculaire au-dessus de nos têtes, évoquant instantanément Mona Hatoum, l’artiste palestinienne qui a aussi travaillé sur les fils électriques, mais au sol. Nous pénétrons dans le troisième espace.
Derrière la panne électrique
Une table de banquet nous attend, ornée de bougies scintillantes, de rameaux d’oliviers, de fruits appétissants, et de verres et carafes étincelants. Tania El Khoury et Ziad Abu Rish, sont sur leur 31. Ils nous accueillent et nous demandent de prendre place. Nous nous installons. Une boîte d’archive trône à la place de l’assiette. C’est un dîner qui promet!
Le couple s’est promis de retracer coûte que coûte l’histoire de l’électricité au Liban, lors d’un dîner identique à celui-ci. Ce jour-là, alors qu’ils fêtaient l’anniversaire de leur mariage avec des amis, il y a eu une coupure d’électricité. Un souvenir gâché, comme tant d’autres, à cause d’une panne de courant.
Belgique, France, Washington. L’histoire de l’électricité du Liban est disséminée aux quatre coins du monde. Un pays du sud, dépouillé de ses archives, et bien que nous le sachions, le voir à travers leurs parcours est toujours aussi révoltant. Tout en nous contant l’histoire majeure et en nous expliquant les documents que nous parcourons, nous comprenons que le “Power” fait surtout référence au pouvoir politique, colonial, et occidental.
Tania El Khoury fait une fois de plus preuve d’une minutie extrême dans son travail, avec cette installation/performance à l’atmosphère captivante. De la première à la dernière minute, on peut observer une cohérence dans les choix de couleurs, de matériaux, de jeu, de texte et de sons. Nous avons l’impression d’assister à un moment privilégié avec le couple. Il s’agit de l’histoire de l’électricité au Liban, mais aussi de leur histoire d’amour. Quand l’art épouse la recherche, au sens propre comme au figuré, cela donne naissance à une œuvre frappante d’intelligence et d’émotion.
Tania El Khoury finit par évoquer la notion de vengeance, de rétribution pour tous ces moments gâchés par les coupures d’électricité. Mais ce n’est pas tout. Soudain, les lumières s’éteignent, et il ne reste que les bougies. Le couple commence à danser sur une version remixée de Björk mêlée à de la Debka. Et bien qu’ils nous invitent à les rejoindre, on hésite, car ils semblent presque irréels.
On sort de ‘The Search for Power’ avec l’envie de créer de l’art à deux. L’amour à deux. La révolution à deux.
iThere are no comments
Add yours