La deuxième édition du Djerba Arab Film Festival (DAFF) s’est tenue du 18 au 24 juin, sous la direction d’Abla Lassoued. Elle a été l’invitée de plusieurs plateaux tv tunisiens pour en faire la promotion. Un nombre impressionnant de sites web égyptiens ont publié les mêmes communiqués sur le festival. Il n’y a pourtant ni site web, ni programme, ni catalogue. Du moins, rien de tout ça n’a été rendu public. On devra se contenter d’une page Facebook, affichant le même groupe d’une vingtaine d’invités sur des photos et vidéos. Si l’actrice égyptienne Ilham Chahine et la comédienne tunisienne Mouna Noureddine apparaisent sous toutes les coutures, les rangs de chaises vides laissent entrevoir une réalité bien moins rutilante.
Fake it until you make it
Abla Lassoued est pilote de rallye. Elle a entre-autres participé au Paris-Dakar en 2004 et 2005, obtenant respectivement la 42ème et la 47ème place. Ces participations ont constitué son véritable atout pour son chapitre égyptien. Elle s’est présentée comme « championne de rallye » et a enrichi son CV avec de nombreux autres titres: professeure de droit international à la Sorbonne et à l’université égyptienne de Sohag, directrice de plusieurs festivals de cinéma, directrice d’une chaîne de télévision et diplômée en musicologie. Rien que ça !
Forte de son étincelante biographie, elle est invitée à de nombreuses émissions tv en Égypte, un pays pour lequel elle voue une admiration indéfectible. Sur la chaîne «Al Masria», elle va jusqu’à déclarer apprécier l’humour du président Al-Sissi. Et le régime égyptien le lui rend bien. Lassoued a été récompensée, entre autres, par le ministère de la Jeunesse et des Sports égyptien. Ses apparitions médiatiques en Égypte sont nombreuses et témoignent du réseau qu’entretient cette Tunisienne souhaitant s’intégrer dans l’industrie culturelle.
Recherche faite, elle n’apparaît nulle part sur la liste des enseignants chercheurs de la Sorbonne. L’université de Sohag nie toute collaboration avec elle. Abla Lassoued n’a fait que participer à un workshop ouvert au public organisé par l’université. La chaîne tv “El Ekhbaria Ettounsiya” n’a existé que sous forme d’une page Facebook.
En 2020, Abla Lassoued a organisé les journées du drame du Caire à l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris avec pour tête d’affiche… Ilham Chahine. Selon la presse spécialisée égyptienne, l’événement ne faisait pas partie de la programmation de l’IMA. Abla Lassoued a tout simplement loué la salle et ces « journées du drame du Caire » n’ont duré que 30 minutes, toujours d’après la même source.
Elle récidive avec ce festival en 2021. Lassoued louera pour l’occasion la maison de l’opéra au Caire, ce qui lui vaudra un article cinglant du critique égyptien Mustapha Kilani. Il l’accuse d’avoir instrumentalisé le ministère de la Culture égyptien et d’être une imposture de la scène culturelle égyptienne. Et il n’est pas le seul !
Dans ses nombreuses apparitions dans les chaînes tv égyptiennes pro-régime, Abla Lassoued aligne les tirades dopées d’espoir, de bonne volonté, et d’imagerie romantique. Le tout étant saupoudré de quelques noms d’actrices égyptiennes pour donner de la crédibilité à ses propos. L’ambassadeur de Tunisie en Egypte, Mohamed Ben Youssef, y succombera. Et c’est en 2022 que l’argent public tunisien entre en jeu.
Médias et institutions publiques dupés
La première édition du DAFF est une édition fantôme. Aucun programme n’a d’ailleurs été publié. Les seules traces qui en restent sont les photos du tapis rouge sur la page Facebook. On y voit ainsi les logos du ministère des Affaires culturelles, du Le Centre National du Cinéma et de l’Image (CNCI) et de l’Office du tourisme. Aucune trace de ce festival sur les pages et sites web de ces derniers qui se sont retirés de la deuxième édition. Seule la compagnie aérienne nationale, Tunisair, toujours exemplaire, s’affichera comme unique sponsor. Aucun journaliste tunisien n’y était présent, selon Shems Fm. D’ailleurs, nos recherches d’un article de couverture dans la presse nationale ont été vaines.
Le rapport narratif et financier de 2022 du ministère des Affaires culturelles n’a pas encore été publié. Mais il y a là de quoi se poser des questions. Si le DAFF a eu une subvention en 2022, il a dû présenter un dossier. Celui-ci était-il en règle ? Ou ont-ils juste été séduit par le récit de la championne de Rally ?
Quasiment tous les médias les plus importants (Mosaïque, Attessia, Diwan fm, IFM), des chaînes tv et de radios ont invité Abla Lassoued pour promouvoir le festival. Les interviews bateau se sont enchaînées. Armée d’Ilham Chahine, et répétant des slogans sur Djerba et sur les 100 ans du cinéma tunisien, Abla Lassoued a dégainé sa tirade habituelle dans les médias étatiques et privés. Aucune question sur la première édition, sur la non-présentation d’un programme en bonne et due forme, sur ce qui est écrit sur elle en Egypte, sur les financements.
Au final, le DAFF n’a pas attiré de public. Les professionnels du cinéma non plus. Même les institutions publiques ont retiré leur appui. Assez d’indicateurs sur le fait que la pilote de Rallye fait fausse route. Et ce ne sont pas les raccourcis égyptiens qui lui éviteront de perdre le nord.
Drôle de pays où des “festivals” fantômes se multiplient notamment de cinéma. J’aurais aimé que Nawaat donne la parole à l’intéressée en personne pour connaître sa version. Sinon faut corriger “rapport moral” et non pas narratif