« Buzz l’Eclair », (Lightyear), un film d’animation américain sorti en 2022, a été banni dans quatorze pays d’Asie et du Moyen Orient, dont la Malaisie, l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Le motif de l’interdiction ? Une brève scène de baiser entre deux personnages féminins. Le gouvernorat de Tunis a arrêté la projection du film dans les salles l’Agora, Zéphyr, le Palace et le Colisée, et a interdit sa diffusion dans toutes les salles relevant de sa compétence. Les gouverneurs de Ben Arous, Ariana et Sousse ont suivi. Les salles Pathé situées dans ces trois gouvernorats ont été contraintes à retirer le film de leur programmation. Raison invoquée ? Le ministère des Affaires culturelles n’a pas accordé au film un visa d’exploitation au distributeur, la société Ciné 7ème art. Injoignable, son représentant Lassaad Goubantini semble réticent à présenter sa version des faits. Contacté par Nawaat, Mohamed Frini, cofondateur et directeur de Hakka Distribution, un des principaux distributeurs de films en Tunisie, nous confie : «les films sont diffusés sans visa d’exploitation. Cette procédure n’est plus respectée et appliquée par le ministère de la Culture depuis des mois».
Le prétexte du « visa d’exploitation »
Le gouverneur de Tunis, Kamel Feki a déclaré à Diwan FM :
Tous les films devraient obtenir une autorisation préalable, délivrée par le ministère des Affaires culturelles, pour pouvoir diffuser. La société de distribution concernée (Ciné 7ème Art, ndlr) n’a pas demandé cette autorisation, d’où l’arrêt de diffusion.
En reconnaissant que la procédure relève des prérogatives du ministère des Affaires culturelles, le gouverneur contredit le communiqué du ministère référant à une loi attribuant cette compétence à un autre département.
D’après le communiqué du gouvernorat de Tunis publié le 22 juin, le film « Buzz l’Eclair » a été interdit vu qu’il n’a pas obtenu un visa, conformément à l’Article 5 du Code de l’industrie cinématographique de 1960, qui dispose que : « La représentation des films cinématographiques, en Tunisie,est subordonnée à l’obtention d’un visa, délivré par le Secrétaire d’Etat à l’Information, après avis de la Commission de contrôle […] ».
Or le Secrétariat d’Etat à l’Information n’existe plus depuis des décennies. Créé sous le règne de Bourguiba, ce département relevait du ministère de l’Intérieur et avait un rôle répressif, comme le contexte de sa création et son rattachement peuvent laisser comprendre.
Cette loi n’est pas appropriée car elle ouvre la voie à la censure. Le ministère a donc procédé autrement, à travers le dépôt d’une demande d’obtention de visa d’exploitation, qui serait examinée plus tard par la commission de contrôle des films cinématographiques. Il vrai que le visa d’exploitation est un mécanisme établi depuis des années, et qu’il est le meilleur compromis qu’on ait pu trouver. Mais étant donné que la ministre actuelle a limogé le directeur du cinéma, et que le chef de cabinet a été remplacé plusieurs fois, les procédures ont été entravées et les films sont donc sortis en salles sans visas d’exploitation.
explique Mohamed Frini de Hakka Distribution.
De son côté, Hager Chebbi, directrice de l’Agora, a indiqué à Nawaat que la police a fait une descente dans son espace culturel, le 22 juin, entre 16h et 17h.
La projectionniste a été emmenée au poste de police pour signer un engagement écrit en vue d’arrêter la diffusion. Je ne comprends pas pourquoi les autorités s’en prennent à la projectionniste au lieu de s’adresser aux vrais responsables. Pourquoi cette décision a été décrétée, alors que le même film vient d’être diffusé en avant- première dans d’autres salles de cinéma ?
S’indigne-t-elle.
Dans ses déclarations à Diwan Fm, le gouverneur Kamel Fekih a évoqué un courrier reçu par son cabinet notifiant que le film « Buzz L’Eclair » n’a pas obtenu de visa d’exploitation, sans préciser son auteur. Des sources proches de l’affaire ont attribué ce courrier au ministère des Affaires culturelles. Sollicité par Nawaat, ce dernier n’a pas donné suite à nos requêtes.
Démarche arbitraire du ministère
D’après les témoignages recueillis, l’autorité régionale (gouvernorats et délagations) n’est jamais intervenue pour arrêter la diffusion de films. « Les membres du gouvernement actuel sont sur des sièges éjectables. Ils ne savent pas comment gérer les situations. La ministre actuelle s’est compromise et ne connait pas bien le secteur », a martelé Frini. S’agirait-il donc d’une prise de position contre l’homosexualité sous prétexte d’atteinte aux bonnes mœurs ? « Le film Portait de la jeune fille en feu, qui contient des scènes assez osées entre deux personnages féminins a obtenu un visa d’exploitation et il a été diffusé. Quant à l’interdiction du film de Disney, elle reflète le climat de méfiance entre la distribution et l’administration », a relevé le responsable de Hakka Distribution.
Quant à l’interdiction, il ne s’agit pas vraiment d’une première, même si les motifs avancés peuvent diverger.
En 2017, le film Wonder Woman, dont l’actrice principale est israélienne a été banni en Tunisie sur décision judiciaire, suite à une plainte déposée par le parti Mouvement Al-Chaab,
rappelle Mohamed Frini.
Nous avons essayé de contacter le ministère des Affaires culturelles. En vain. Pour l’instant, le ministère de tutelle préfère garder le silence. Et ça en dit long sur sa responsabilité.
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