C’est ce qui ressort d’un recensement effectué par l’organisation Al Bawsala. « Lorsque la campagne électorale a démarré, le principe de travail à plein temps imposé aux présidents des conseils n’avait pas été encore adopté. On croyait que cette disposition ne s’appliquera que dans les grandes communes, et non pas les petites municipalités ou celles nouvellement créées », rappelle Zouhair Meddeb, maire démissionnaire de la commune de Maamoura relevant du gouvernorat de Nabeul et élu de la liste indépendante Toumouh el Maamoura.
Les présidents des conseils des collectivités locales exercent leurs fonctions à plein temps,
Article 6 du Code des Collectivités Locales (CCL)
Les candidatures avant la loi cadre !
La même position a été exprimée par Khadhra Chouiki, élue d’Ennahdha et ancienne maire de Boughrara, Médenine. Elle croyait aussi que ce principe ne concerne pas les petites communes. « Nous avons présenté nos candidatures à la tête des listes électorales avant l’adoption du principe du travail à plein temps. Ce principe ne convient pas aux listes qui ont désigné des cadres à leur tête. Mais Nidaa Tounes s’est obstiné à l’inscrire dans la loi », martèle la maire démissionnaire.
La campagne électorale municipale a démarré le 14 avril 2018. Bien avant l’adoption du CCL au parlement, voté en plénière le 26 avril. Cette loi détermine le cadre légal du fonctionnement des municipalités, leurs prérogatives et les compétences des conseils élus. Les candidats en lice pour les élections municipales ne savaient pas à quel cadre légal se conformer : le CCL ou l’ancienne loi de 1975 portant promulgation de la loi organique des communes, ce qui a compliqué davantage la situation. En revenant sur le processus d’élaboration de cette loi, il s’avère que l’article qui porte sur l’exercice des fonctions à la tête du conseil municipal à plein temps était un des points les plus conflictuels.
Contraintes financières
« Deux heures de travail par jour sont largement suffisantes pour une petite municipalité. De plus, travailler à plein temps a un coût considérable pour la finance locale, et je connais bien les ressources de notre commune », relève Zouhair Meddeb. D’autre part, les indemnités attribuées aux présidents des conseils municipaux en vertu du décret gouvernemental dépendent de certains nombres de critères, dont le nombre d’habitants, le budget de la commune et la superficie de la circonscription. « A la tête de la mairie, je touche 1400 dinars, alors que mon salaire net en tant que directeur général dépasse cette somme de 500 dinars, sans compter les avantages en nature et les autres primes », commente Meddeb.
Pour sa part, la maire de Boughrara n’a pas caché ses réserves quant à la prime prévue par le décret gouvernemental. « Pour une médecin, ce n’est pas facile de travailler à plein temps à la tête d’une commune. En plus, les privilèges accordés aux présidents des conseils municipaux sont très luxueux : voiture, essence, logement, etc. Ces dépenses peuvent être investies dans la promotion de l’emploi dans la région », explique Khadhra Chouikhi. Zouhair Meddeb trouve également que les avantages mis à la disposition des maires sont supérieurs à leurs besoins réels. « Travailler à plein temps avec tant de privilèges à la tête d’une petite commune est en porte-à-faux avec le principe de bonne gouvernance que tout le monde revendique », souligne Meddeb. Et il poursuit : « Après la retraite, je voudrais avoir une indemnité respectable. La prime du maire ne me sera pas suffisante ».
Hedi Chaïr, élu d’Ennahdha et maire démissionnaire de la commune de Mareth relevant du gouvernorat Gabes, est pharmacien depuis 37 ans. Il n’a pas pu alterner entre son activité professionnelle et sa fonction de président du conseil municipal. « On peut présider le conseil pour quelques heures et exercer sa profession en parallèle. J’ai ma clientèle qui me fait confiance en tant que pharmacien et je ne peux pas assumer deux grandes responsabilités à la fois. J’ai donc démissionné du conseil municipal », nous confie-t-il.
Entêtement de Nida, volte-face d’Ennahdha
Contactée par Nawaat, Basma Jebali, ancienne députée d’Ennahdha, rapporteuse de la commission parlementaire chargée de l’examen du CCL et actuelle secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires locales, revient sur le contexte politique ayant conduit à cette disposition : « Le premier draft du CCL déposé par le gouvernement n’a pas prévu le principe de travail à plein temps pour les présidents des conseils municipaux. C’est une manœuvre politique de la part de certains partis pour garder les têtes de listes et tenir leurs promesses électorales ». « La disposition du travail à plein temps à la tête des conseils municipaux a été adoptée à la dernière minute pour des raisons politiques et a exclu les compétences qui ont démissionné de la présidence des conseils locaux », explique Jebali.
Selon l’ancienne rapporteuse de la commission parlementaire, travailler à plein temps à la tête d’un conseil municipal n’implique pas forcément plus d’efficacité. « La mission d’un maire n’est pas de pointer à l’arrivée et au départ. Un maire n’est pas un fonctionnaire public. Il est avant tout un modérateur », souligne Jebali. Cependant, l’article 6 du CCL dispose que « l’exercice à plein temps désigne le non-cumul entre la présidence des conseils des collectivités locales et l’exercice de toute autre fonction ou profession ».
Examiné en commission, cet article a été l’un des plus conflictuels. « Tous les blocs parlementaires ont été pour le principe de travail à plein temps à la tête des conseils municipaux car ils ont désigné sur leurs listes des chômeurs et des personnes qui n’ont aucune expérience professionnelle, et qui veulent profiter de l’indemnité prévue par la loi. Ennahdha a été le seul bloc qui s’est opposé à cette condition, non seulement parce qu’il a choisi des compétences et des cadres en tant que têtes de listes, mais aussi parce que le travail municipal doit être une activité bénévole, notamment pour les petites communes », poursuit Basma Jebali. Toutefois, l’adoption de cet article en plénière n’a pas été aussi conflictuelle qu’elle l’était en commission. Il est passé avec 116 voix, dont 50 du bloc Ennahdha, le plus résistant à cette disposition en commission.
Par ailleurs, l’ancienne rapporteuse affirme que certains candidats ont recouru auprès du Tribunal administratif pour arrêter l’exécution de la condition de travailler à plein temps, car cette disposition a été approuvée après avoir déposé leurs candidatures.
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