Bonjour,
Bien réalisé – et à condition de sortir de s’en tenir purement aux faits et non à leur exégèse – le fact checking se révèle précieux quel que soit le lieu, le contexte et le régime politique. Au-delà de démentir ou d’alimenter des polémiques (la logique froide du “vrai” ou “faux”), celui-ci permet très souvent d’obtenir des éléments de contextualisation (historiques, sociologiques ou encore économiques). Dit autrement : le travail du fact-checkeur ne se limite pas à démentir ou confirmer une information, comme le ferait un détecteur de mensonges ou un commissaire de police. Souvent, son travail consiste à rappeler, resituer et parfois révéler les circonstances qui ont permis la circulation d’une information (ce processus s’impose à lui), et ce quelle que soit sa teneur. C’est d’autant plus vrai en période électorale, où des politiques et des journalistes tordent, sciemment ou pas (il y a des erreurs de bonne foi, le monde n’est pas si sombre) des chiffres ou des faits à leur avantage. Où les réseaux sociaux peuvent constituer le départ d’une rumeur plus ou moins avérée, avec ce qu’elle peut contenir d’approximations, en terme, par exemple – et basiquement – de temporalité (la date d’une info est primordiale) ou de traduction (quand celle-ci provient d’un pays étranger).
La Tunisie pré-révolution : un pays où l’information était l’une des obsessions du régime de Zine El Abidine Ben Ali, autocrate déchu. Le journaliste local était alors soumis au devoir tacite de soumission, en l’occurrence évoquer et retranscrire les versions officielles, sans possibilité d’y apporter une contradiction ou de prendre la distance nécessaire – sous peine de dégager plus ou moins violemment. Pire encore : l’investigation journalistique était une discipline clandestine, les services de sécurité réprimant le moindre soupçon de dissidence. Le journaliste étranger, lui, était grassement récompensé s’il contribuait au lissage intégral de l’image du pays, vendue par les tauliers de l’époque comme une vallée paisible, voire une salle d’attente du paradis.
De fait, un fact-checkeur, s’il pouvait voyager dans le temps, aurait eu du boulot à en devenir insomniaque. Parmi les exemples les plus marquants, le soulèvement de Redeyef en 2008, dans le bassin minier de Gafsa, lorsqu’une partie de la population avait manifesté contre les procédés d’attribution basés sur le clientélisme et le copinage. Là où les autorités s’étaient attelés à faire passer cela pour un petit rassemblement de gens chafouins (d’où la rareté des sources datées de cette époque en dépit des deux morts et des blessés), l’histoire y décèle a posteriori les prémices de la révolution de janvier 2011 – entre autres, la fin de la peur absolue de la répression policière, les forces de l’ordre ayant été mises en grande difficulté.
La Tunisie post-révolution : un nombre incalculable de canaux d’information disponibles, qui vont des médias en ligne à Facebook et qui parfois, disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus. Qui racontent, de façon plus ou moins journalistique, un contexte socio-économique complexe, le tout dans un climat politique flou. Quid des alliances entre partis ? Quid des budgets et de la dette ? Quid des trombines issues de l’ancien régime et de leur retour aux affaires ?
En substance : le Tunisien lambda, en l’espace de sept ans, est passé d’un environnement totalement figé (où les indics du régime scrutaient le moindre mot déviant sur une terrasse de café) à une explosion de la parole à tous les niveaux (le départ de Ben Ali est le début d’une psychanalyse collective). Ce qui ramène, à l’échelle d’une démocratie en cours de consolidation, à la dimension la plus pragmatique et pédagogique du fact-checking : remettre des chiffres et des faits vérifiés au coeur des sujets pointus et parfois tabous (immigration clandestine, terrorisme, corruption, toxicomanie), là où des politiques et des journalistes (dont certains doivent aussi digérer la transition entre le monde fermé d’antan et l’époque actuelle) abusent des concepts, souvent vagues et imprécis au possible.
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