Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Les foyers des incendies sont nombreux, distants les uns des autres et affectent plusieurs zones. Le nombre de foyers se trouvant sur un même versant de montagne sont eux aussi distants les uns des autres, ce qui suppose que les feux ne sont pas spontanés. Certains ont accusé les usagers de la route d’être à l’origine de certains feux, mais nous avons constaté que les feux se trouvent loin des axes routiers fréquentés et parfois loin de toute route ou piste. Les rares feux situés en bord de route présentent une très faible étendue.

Trois foyers distants, forêt de Sidi M’Hammed, 03 août 2017

La plupart des feux sont à une certaine altitude et loin de toute habitation humaine, ce qui suppose simplement que ceux qui les ont provoqués connaissent bien le territoire où ils ont occasionné des incendies. Nous ignorons les raisons qui ont entraîné la destruction de certaines habitations (Hammam Bourguiba), pour la simple raison que nous n’avons pas pu les visiter. La progression des feux pourrait affecter certaines agglomérations si le phénomène continue à sévir. L’intensité des feux s’est exacerbée à cause de la sécheresse et du vent, ce qui a facilité leur propagation. Certains feux semblent avoir repris après avoir été éteints, notamment lorsque le vent a changé de direction.

Etendue d’un des feux observés le 3 août 2017 à Aïn Draham

La configuration du terrain et l’emplacement de nombreux foyers sur des versants pentus rendent trop difficile l’accès de la protection civile par voie terrestre pour pouvoir les éteindre. Plusieurs feux sont situés loin des voies d’accès ou des pistes, souvent mal ou non entretenues. L’absence de moyens aériens pour les éteindre leur a donné le temps de s’étendre et de ravager des étendues plus ou moins importantes. En effet, plusieurs feux auraient pu facilement être maîtrisés s’il y avait eu des interventions par voie aérienne. La proximité des points d’eau (barrages notamment) permettrait des rondes courtes et aurait facilité leur extinction.

Si nous avons évoqué plus haut les conditions climatiques dans la propagation des feux, la nature du couvert végétal joue elle aussi un rôle capital dans leur progression. En effet, les forêts de pins brûlent vite et ne résistent pas au feu, ce qui n’est pas le cas de celles des chênes. Nombreuses parcelles ont été plantées par des pins (pin maritime et pin pignon). Il est temps de revoir les activités de reboisement de la région par des pins qui n’offrent pas les mêmes avantages que celles des chênes et exacerbent l’intensité du feu lorsqu’il se déclenche.

Versant de montagne calciné. Remarquer la différence entre les espaces entièrement détruits couverts de pin et le reste, couvert de chêne liège. Ain Draham, 03 août 2017

Ce qui est inédit dans ces incendies, c’est le nombre important de foyers simultanés et leur inaccessibilité, rendant les interventions par voie terrestre difficiles et parfois quasi impossibles, d’où l’étendue des dégâts constatés dans certains secteurs. Les sites sont éloignés les uns des autres, mais la coïncidence des feux a poussé nombreux commentateurs à penser qu’ils ne sont pas liés au hasard et qu’ils seraient probablement orchestrés par les mêmes acteurs. Ces « interprétations » manquent cependant de preuves tangibles permettant de les étayer. Seules les investigations des services spécialisés permettront de déterminer la nature des acteurs derrière l’origine des feux et leur extension.

Aspect d’un terrain incendié montrant l’impossibilité d’accès au foyer par voie terrestre. Wejh Essoug, Tabarka, 04 août 2017

Disons enfin que les moyens de lutte engagés par les différents intervenants (protection civile et services forestiers) ne sont pas proportionnels aux défis que ces derniers avaient à relever. Ils ont parfois assisté à l’extension des feux sans qu’ils ne puissent intervenir. La décision de protéger les agglomérations a été sage, d’où le peu de dégâts constatés dans les installations humaines.

Au début des années 2000, un grand feu a ravagé les forêts de pin maritime, sur la frontière tuniso-algérienne du côté de Tabarka. A l’époque, une victime a été enregistrée et les feux ont détruit de grandes étendues forestières. A l’issue d’un tel évènement, nous avons cru que les services concernés tireraient les conclusions nécessaires pour pouvoir lutter efficacement contre les feux des forêts. Les derniers évènements ont démenti nos prévisions.

Nous sommes étonnés qu’un document publié en 2014 par la Direction Générale des Forêts1 ne renferme pas de chapitre lié à la lutte contre les incendies ! Les axes proposés ne considèrent pas que la population forestière, principale usagère de cet espace, comme acteur principal de gestion des forêts. Aucun rôle de la société civile n’est envisagé, et on continue à considérer que l’espace naturel est le domaine réservé de l’administration. Ce genre de document aurait pu passer inaperçu, mais dans le contexte actuel, on ne peut que déplorer l’aveuglement de nos « stratèges » qui n’ont pas considéré les risques liés aux changements climatiques ou aux incidences des feux des forêts sur le maintien et le fonctionnement des écosystèmes forestiers. Un autre acteur a brillé par son absence dans la gestion de la crise : le ministère de l’Environnement, lui aussi concerné par la préservation de notre patrimoine vivant.

Pour résumer, disons que le patrimoine détruit par les feux est une perte non seulement pour la Tunisie, mais également pour l’ensemble de l’espace méditerranéen dans lequel nous vivons. Le fait que des feux se sont également produits dans d’autres pays (Portugal, Espagne, Italie, France, Algérie) ne nous exempt pas de nos responsabilités pour préserver notre patrimoine. Il serait sage voire nécessaire pour que la Tunisie dispose d’au moins un bombardier d’eau pour lutter efficacement contre les feux des forêts. Le patrimoine vivant est un bien commun que nous nous devons de préserver pour les générations futures. Il n’est la propriété de personne, et il est largement temps de revoir des choix dont les faits ont démontré leur inefficacité ou leur caractère caduc.

Note

  1. Stratégie nationale de développement et de gestion durable des forets et des parcours, 2015-2024, note de synthèse, avril 2014, 27 p.