« Travail, liberté et dignité nationale ! » Les voix des femmes retentissent, pour la première fois, dans l’avenue principale de la ville de Meknassi. Samedi 21 janvier 2017, des dizaines de femmes ont défilé contre la répression policière et pour revendiquer des emplois dans leur région. Depuis le début du mois, la ville, sous embargo des forces sécuritaires, enchaîne les rassemblements, les grèves et les manifestations. Mais cette fois, ce sont les femmes qui ont pris la parole.
Onze heures du matin, le centre-ville de Meknassi se féminise d’un coup. Aida Lahouel, membre du bureau régional de l’Union des diplômés chômeurs et une des animatrices du sit-in Harimna [Nous avons vieilli], donne ses directives pour harmoniser la marche : « Les banderoles devant, nos aînées ont la priorité … Suivez celle qui a le mégaphone et ne pressez pas le pas. Il faut que tout le monde nous voit ! » Contentes et fières, les femmes prennent la rue, conscientes de l’importance du moment. Pour une fois, elles sont sur le devant de la scène.
Parmi ces femmes, beaucoup font partie des trois sit-ins qui se poursuivent depuis une année à Meknassi. Le premier est celui des chômeurs qui compte 17 femmes sur 63 sit-inneurs. Le deuxième est celui des ouvriers des travaux publics qui réunit près de 500 sit-inneurs dont 320 femmes. Le troisième est celui des 100 candidats qui ont réussi le concours de la mine de phosphate dont deux femmes. Certaines sont venues pour faire entendre leur voix. « Les habitants de Meknassi sont tous concernés. Cette ville a longtemps souffert de la marginalisation et de la répression du pouvoir. Les femmes comme les hommes en ont assez de la négligence de l’État ! Nous exigeons des solutions concrètes ! » clame Rabâa Guesmi, 22 ans, étudiante en animation culturelle à Bir El Bey.
Aida Lahouel, 35 ans, diplômée de lettres françaises, au chômage depuis 10 ans, a lancé l’appel pour la marche des femmes il y a seulement deux jours. « Je ne pensais pas que ça allait avoir autant de succès » confie-t-elle enthousiaste. Pour elle, la mentalité patriarcale est en train de changer. Le mouvement social ne pourra pas réussir sans la participation des femmes. « Ce n’était pas possible de manifester avec les hommes, il y a quelques années. Mais en février 2016, 17 femmes au chômage se sont imposées au sit-in et elles ont commencé à participer aux assemblées générales et aux réunions. Elles ont même initié des manifestations et des rassemblements » se souvient Aida. « Nous avons encore du pain sur la planche. Même les militants les plus progressistes contestent le leadership féminin. Et la majorité des familles n’acceptent pas de laisser leurs filles participer à une activité mixte ou occuper la rue. Le problème est que de nombreuses femmes s’inclinent devant les exigences masculines » regrette-t-elle.
Des injustices qui ne disent pas leur nom
Depuis le 13 janvier, la répression policière s’abat sur les habitants de Meknassi. « La nuit tombée, la police fait des descentes dans les quartiers. Ils jettent les bombes lacrymogènes dans les maisons, nous insultent et provoquent les jeunes. Ils ont arrêté plusieurs jeunes et les ont torturés avant de les relâcher sous la pression ! » raconte Rebeh, 45 ans, veuve et mère de deux enfants. Ouvrière des chantiers publics, elle est en sit-in depuis une année pour son droit à la sécurité sociale et à la titularisation. « Partenaires dans la souffrance, nous faisons aussi partie de la résistance ! » assure Rebeh, brandissant une banderole réclamant les droits des ouvriers des chantiers.
Selon Aida, cette marche est une victoire contre les injustices qui ne disent pas leur nom.
Les femmes sont plus exposées à la marginalisation et à la pauvreté que les hommes. Les femmes sont encore moins payées que les hommes dans les champs agricoles ou d’autres domaines. Les filles n’ont pas le droit de décider de leur sort et si elles élèvent la voix, elles se font traiter de tous les noms. Pourtant, nous faisons face au même ennemi. Le 10 janvier, quand la police a attaqué notre rassemblement au gouvernorat, j’ai été tabassée, tout comme les hommes.Aida Lahouel
Au 13ème jour de la désobéissance civile, les jeunes de Meknassi avaient investi pacifiquement le gouvernorat de Sidi Bouzid, qui s’obstine à les ignorer. Des policiers ont fracturé le bras gauche de Abdelhalim Hamdi, porte-parole des sit-ins.
Devant les regards gênés des hommes attablés aux cafés, les femmes en marche les interpellent « Citoyen victime ! Viens participer au combat ! ». Au niveau du siège du bureau local de l’UGTT, des syndicalistes et des sit-inneurs rencontrent la marche des femmes. Le député Zouhair Maghzaoui (Mouvement du peuple) en visite à Meknassi puis Abdelhalim Hamdi prennent la parole. « Le chemin est encore long ! Mais nous gagnerons ! » murmure Aida avant de reprendre son mégaphone et de continuer de marcher.
iThere are no comments
Add yours