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Depuis hier, mercredi 5 octobre, les sit-ineurs de Menzel Bouzaiene bloquent la route GP 14, celle que les camions de phosphate empruntent pour aller de Gafsa à Sfax. Ils contestent l’arrestation de leurs représentants qui se sont déplacés à Tunis pour assister à une réunion avec le ministre du Transport. Selon Adel Nassri, porte-parole du sit-in des chômeurs, la réunion prévue hier avec le ministre a été annulée sous prétexte que l’intermédiaire syndical (UGTT de Gafsa) était absent. Le blocage des négociations ne concerne pas seulement le sit-in de Menzel Bouzaiene mais quasiment tous les mouvements sociaux et les sit-in qui se poursuivent partout dans le pays depuis janvier 2016.

Criminalisation des mouvements sociaux

Lundi 3 octobre, des représentants de mouvements sociaux ont publié un communiqué en réponse aux récentes attaques orchestrées par le gouvernement, le Mufti de la République et les médias dominants. Intitulé « Non à la criminalisation, à l’interdiction au nom de la religion et à la stigmatisation ! Venez au dialogue ! » Le communiqué, signé par 17 représentants de sit-in, dénonce les dernières convocations judiciaires et arrestations de militants, qui visent à réprimer la mobilisation pour le développement régional.

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Le 26 septembre, Abdellah Latifi, membre du bureau régional de l’Union des diplômés chômeurs à Kasserine et porte-parole du sit-in de la délégation de Majel Bel Abbes des chômeurs, a reçu une notification pour une condamnation à 8 mois de prison pour une « entrave à la liberté » datant d’avril 2014. D’aucuns expliquent ce retard de deux ans et demi par le fait que Latifi a participé à la mobilisation de janvier 2016. Le 27 septembre, à Sidi Bouzid, 10 sit-ineurs de Menzel Bouzaiene et de Meknassi ont reçu des convocations de la part de la police judiciaire. Lundi 3 octobre, les trois sit-ineurs de Kasserine, Foued Sahli, Moonem Torchi et Mohamed Ali Allagui, ont été convoqués par le procureur de la République. Selon le communiqué publié lundi dernier, plusieurs autres militants sont harcelés par la police et le pouvoir judiciaire comme le sit-in de Gafsa, le mouvement des professeurs qui ont réussi le CAPES sans pour autant être recrutés, le groupe de 52 anciens militants politiques discriminés [ المفروزون أمنيا ] et les jeunes sit-ineurs de Kerkennah.

« On a vieilli » à Meknassi : chantage et pressions sur les sit-ineurs

Depuis le 3 février, 36 diplômés chômeurs de Meknassi observent un sit-in au local de la délégation. Durant les six premiers mois, les sit-ineurs ont enchaîné les manifestations et les rassemblements devant le gouvernorat de Sidi Bouzid, le bureau local du ministère des Affaires sociales et celui de l’Emploi sans réponse de la part des autorités. Le 31 juillet, le gouverneur de Sidi Bouzid a promis aux sit-ineurs d’entamer un recrutement rapide. Mais, au bout de quelques semaines, il s’est rétracté. En signe de protestation, les jeunes de Meknassi ont lancé l’action Écrasez-nous pour passer ! [إدهسونا لتمروا] du 29 au 31 août. Ils se sont allongés sur la route GP14 pour bloquer les camions de phosphate venant de Gafsa.

Abdelhalim Hamdi, 42 ans, diplômé en histoire, chômeur depuis 16 ans et porte-parole du sit-in, affirme que contrairement à ce qu’ont décrit les médias dominants, Écrasez-nous pour passer ! était l’une des actions les plus pacifistes et symboliques menées par les jeunes de Meknassi. « Nous avons voulu que nos actions soient pacifistes à l’image de la lutte de Gandhi. Nous n’avons pas coupé la route. Nous n’avons agressé personne. Nous étions prêts à être écrasés par les camions. Au départ, la police voulait nous réprimer mais, petit à petit, ils nous ont lâchés. Je pense qu’ils ont compris la profondeur de notre déception » décrit Abdelhalim.

Le 2 septembre, les sit-ineurs ont été reçus par le ministre des Affaires sociales, le ministre de l’Emploi et le ministre de la Fonction publique et la gouvernance. « La réunion a duré plus de trois heures, durant lesquelles nous avons étudié les possibilités de recrutement des sit-inneurs. Les ministres nous ont promis une deuxième réunion le 30 septembre. Et nous avons arrête toute action contestataire, tout en maintenant le sit-in » poursuit Abdelhalim.

Le 27 septembre, cinq sit-ineurs ont reçu une invitation de la part de la police judiciaire. Le 29 septembre, les sit-ineurs ont été informés du report de la réunion à travers l’UGTT. « Au lieu de tenir à ses promesses, le pouvoir essaie inlassablement de nous intimider. Un jour avant d’aller au tribunal, soit le 28 septembre, on nous fait savoir qu’une intervention en notre faveur est possible pour arrêter les poursuites judiciaires. Le message est clair : Point de négociation. Ou bien vous arrêtez de revendiquer vos droits, ou bien on vous met en prison » s’indigne Abdelhalim. Le 30 septembre, les chômeurs se sont rassemblés devant le gouvernorat de Sidi Bouzid pour manifester leur colère contre « la volonté claire de l’État de criminaliser les revendications de la révolution et d’intimider les jeunes chômeurs des régions ». Cette fois, ils considèrent que la confiance est rompue et décident de ne pas accorder une deuxième chance au pouvoir. Ils augmentent donc le seuil de leurs revendications et demandent un dédommagement moral et matériel pour toutes les années de chômages et de discrimination qu’ils ont subies.

15 ans de chômage et plus : « Nous avons assez patienté ! À vous le tour ! »

La moyenne d’âge des sit-ineurs de Meknassi est de 35 ans et la moyenne d’années de chômage est de 15 ans. La majorité des chômeurs sont des diplômés de spécialités peu valorisées sur le marché de l’emploi. « Ici, les jeunes étudient à l’université dans le seul but de devenir fonctionnaires ou professeurs. Ce sont les deux seules possibilités car il n’y a ni agriculture, ni tourisme, ni usines qui embauchent dans notre région. Depuis le début des années 2000, le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter, sans parler de la corruption dans les concours nationaux et le favoritisme dans l’administration. Au sit-in, la majorité des jeunes ont dépassé les 15 ans de chômage. Pourtant, ils passent chaque année les différents concours de la fonction publique » explique Abdelhalim Hamdi.

Le 19 décembre 2011, Abdelhalim Hamdi et d’autres diplômés de Sidi Bouzid ont boycotté le concours de CAPES pour contester la mort de Mohamed Bouazizi et la répression qui s’était abattue sur la région. En 2014, le quadragénaire a participé à un programme de soutien aux initiatives privées. Il a réussi la formation et attend désormais que son projet soit étudié pour obtenir un crédit. « Si Youssef Chahed affirme qu’il faut se lever pour la Tunisie, je lui rappelle que nous sommes les seuls à avoir donné à ce pays. Il est temps que d’autres prennent la relève. Nous n’avons plus la patience ni l’âge pour attendre encore plus », prévient Abdelhalim.