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Sonia Chamkhi, un nom récurent dans le monde du cinéma. On pouvait s’attendre à un film digne de votre parcours, mais je suis ressortie de la salle de cinéma sans qu’aucune scène de votre film Aziz Rouhou (Narcisse) ne soit restée gravée dans ma tête. 90 minutes effacées.

C’est vrai que le sujet traité est d’une actualité brûlante en Tunisie, mais dans ce film on est face à un vrai travestissement de la cause, voire une déviation très dangereuse : si on comprend bien, Mahdi, le protagoniste, est donc devenu homosexuel suite à un viol subi vers l’âge de 13 ans. De deux choses l’une : ou bien la réalisatrice a envoyé délibérément un message, ou bien elle est inconsciente de la portée de ce message. Le résultat est le même : bonjour le cliché !

Mettons les points sur les i, Madame Chamkhi : on ne devient homo ni par accident, ni suite à un viol, ni par obligation, ce n’est pas non plus une maladie dont on essaye de guérir, comme votre film tente de le démontrer. C’est une orientation, un choix conscient et réfléchi, d’être “différent” et d’appartenir à un groupe, peut-être minoritaire mais pas insignifiant. Ce que vous avez présenté est une sous-estimation aberrante de l’intelligence des spectateurs, et surtout, humiliant pour les homosexuels.

D’abord, Mahdi, le protagoniste : un personnage très mal ficelé. Un coup il est artiste engagé, révolutionnaire, un autre il est chanteur de cabaret. On ne comprend pas l’utilité de ce va-et-vient.

Il décide finalement de se marier pour se conformer à la société et mettre fin à sa déviance, alors que dans une autre scène, au milieu du film, il est le sujet d’un débat très agressif durant le dîner en famille. Il n’a alors pas peur d’affronter son frère intégriste, lui jetant en pleine face son homosexualité, qu’il a assumé très tôt. La petite spectatrice se pose donc la question suivante : si Mahdi a été capable d’assumer son homosexualité et mettre sa famille devant l’état de fait à cet âge très compliqué et fragile, pourquoi donc décide-t-il subitement  de “se guérir” de son homosexualité, alors qu’il a réussi sa carrière, devenu indépendant et débarrassé de tous les obstacles du passé? En tout cas, la soussignée ne voit pas de raison concrète à ce revirement brusque et très faiblement argumenté dans le film.

Ghanem Zrelli aurait pu mieux se mettre dans la peau du personnage. Plusieurs détails n’ont pas été bien goupillés, comme ses postures et ses intonations. Un exemple parmi d’autres : dans la scène où il joue du luth, il savait que la caméra zoomait sur ses mains, mais ses doigts n’ont même pas touché les cordes.

Hind, sa soeur, est campée par l’actrice Aïcha Ben Ahmed, protagoniste d’une pièce de théâtre qui retrace sa vie et celle de sa famille. C’est une femme écrasée par le bulldozer de l’ego de son mari Taoufik, interprété par Jamel Medani, metteur en scène de la pièce en question. Son personnage aurait pu être mieux joué si seulement l’actrice avait mis plus de vérité dans sa performance. Aussi compliqué que celui de Mahdi, le personnage de Hind aurait pu faire exploser plus de pulsions, mais il n’a pas pu sortir de la cage d’un scénario mal fichu, dont on garde l’impression qu’il a d’abord été conçu pour une série télé. Passons sur le code vestimentaire de la dame, dont la même petite spectatrice se demande comment elle fait pour s’habiller si chic, pour faire le plein de sa voiture et fumer des Slim, alors que le couple n’a presque pas de revenus, est endetté et incapable de payer son loyer.

Les mêmes erreurs se retrouvent dans le code vestimentaire de Fatma Ben Saïdane, qui est d’ailleurs la seule avec Jamel Madani (le mari) à dégager du feeling dans son rôle : elle accompagne Hind dans sa visite chez l’ex-femme de son mari à Mahdia pour la convaincre de retirer la plainte pour non-paiement de pension alimentaire qui a conduit celui-ci en prison. Fatma joue le rôle de la femme de ménage du théâtre où Hind prépare sa pièce ; en chemin, elle a mis un chemisier blanc tout droit sorti d’une boutique où aucune femme de ménage n’a jamais mis les pieds, sauf pour le ménage.

Sur le chemin du retour, Hind décide de rendre visite à sa mère atteinte d’une maladie mentale et qui arrive à peine à reconnaitre sa fille. Ici on a du mal a comprendre pourquoi la mère a fini ainsi. Dans une dispute avec son mari à propos du contenu de la pièce de théâtre qui reprend son vécu tragique, Hind insistait :

Ma mère est devenue folle à cause de la fugue de Mahdi et non pas à cause des mauvais traitements de mon père.

Or, juste avant la fameuse scène du viol suggéré de Mahdi, la maman avait laissé ses enfants seuls à la maison avec leur père et ses amis bourrés. Alors qu’elle s’apprêtait à sortir,  Hind la suppliait de rester, mais elle dansait et se comportait d’une manière semblant indiquer qu’elle n’avait déjà plus sa tête. Bref, un scénario incohérent.

Un autre phénomène récurrent dans les films tunisiens : le bourrage thématique.

Narcisse voulait traiter à la fois de l’homosexualité, de la détresse conjugale, du divorce, de la violence et de la folie conjugale, de l’intégrisme religieux, de l’amour passionnel, de l’émancipation de la femme, de l’amour et de la crise du théâtre. C’est vrai que tout ça pourrait faire un beau tableau, mais vous ne pensez pas que c’est un peu trop pour un seul film ? Surtout avec un tel scénario ?

Dans la scène finale du film, Hind joue sa performance théâtrale : on se serait attendu à une tirade plus forte, plus profonde et plus pertinente, malheureusement, encore une fois le texte n’était à la hauteur.

Conclusion : au lieu de subventionner à coups de millions les producteurs “amis”, selon des critères qui restent un mystère, le ministère de la Culture ferait mieux de financer la formation d’auteurs de scénarios, de décorateurs et de costumiers capables de réaliser des œuvres crédibles, nous proposant des alternatives aux sempiternels feuilletons marsaouis.