Il est évident de constater que la question du climat et des dérèglements climatiques en cours ne mobilisent que peu de gens en Tunisie. Sommes-nous en train de rater encore une cause pour laquelle le reste du monde se mobilise tant ?
L’évidence des changements climatiques
Il y a lieu de présenter ce qui est désormais considéré comme évidence des changements climatiques que connaît notre planète, du moins à l’échelle de la Tunisie.
Globalement, l’accroissement de la concentration des gaz à effet de serre, particulièrement le CO2, ou dioxyde de carbone, est considéré comme l’origine de l’augmentation de la température à la surface de la terre. Les conséquences les plus connues de ce réchauffement sont la fonte des calottes glaciaires polaires et l’élévation du niveau de la mer qui affecte particulièrement les îles basses.
En Afrique du Nord, les changements climatiques se manifestent essentiellement par des périodes de sécheresses prolongées (comme celles que nous vivons actuellement), ainsi que par l’accroissement de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, inondations…). D’autres « preuves » moins évidentes, mais plus difficiles à démontrer (en l’absence de travaux sur la question) concernent l’extension vers le Nord des espèces habitant les milieux sahariens ou aussi l’avancement de la période de nidification des oiseaux. Des informations concernant ces deux phénomènes sont connues ailleurs qu’en Afrique du Nord, mais particulièrement pour la Tunisie, l’absence de données précises sur la répartition géographique des espèces ne nous permet pas de certifier avec précision l’évolution de leur dynamique spatiale. Seulement que quelques évidences permettent de certifier l’existence de tels phénomènes.
Concernant la couverture végétale naturelle, il est évident que son extension se rétrécit avec le temps, essentiellement sous l’effet de la pression humaine (défrichements, destruction des milieux et changement de leur vocation, surtout pour la culture…). La conjonction des facteurs humains et naturels ne permet pas de déterminer avec précision la part de responsabilité de l’un ou de l’autre. Ce qui est certain aussi, c’est que la typologie des steppes (végétation caractéristique des milieux arides) et leur extension a nettement changé au cours des dernières cinquante années. Certaines steppes ont complètement disparu (celles à jujubier), les autres sont tellement dégradées au point qu’elles sont devenues très différentes de leurs descriptions originelles… On voit cependant certains phénomènes exceptionnels, telle que la floraison inhabituelle de certaines espèces de plantes à des périodes de l’année au cours desquelles elles ne sont pas supposées fleurir. Ceci serait lié à un accroissement de la photopériode qui induit la floraison en dehors de sa période habituelle.
Il va de soi que l’Afrique du Nord ne contribue que de manière négligeable au réchauffement climatique global, mais étant l’une des régions les plus durement affectées par ce phénomène, elle doit néanmoins contribuer à atténuer ses émissions. Sur le plan social, ce sont essentiellement les pauvres qui seront affectés, alors qu’ils sont de loin les moins responsables des émissions des gaz à effet de serre. Parmi les pistes de solutions préconisées depuis des décennies en matière de lutte contre le réchauffement est le développement des transports en commun et le recours aux énergies propres. Or, les modèles de développement adoptés par des différents Etats en place vont à l’encontre des solutions recommandées. En effet, voir dans le réchauffement climatique une occasion pour accéder à des fonds pouvant contribuer à son atténuation est une fausse solution, car les politiques adoptées ne feront que creuser les inégalités et approfondir la crise climatique à l’échelle de la région.
Les positions de la société civile au niveau international qui s’expriment lors des COP (Conférences des Parties) ont évolué au fil des années et ont abouti à l’élaboration de certaines alternatives centrées autour de la justice climatique, qui accuse les pays du Nord et des multinationales actives dans le secteur des hydrocarbures et de l’énergie d’être à l’origine du réchauffement climatique. Ils ont une dette écologique envers les pays en développement et se doivent de les réparer. Au rythme actuel de consommation des hydrocarbures fossiles, la moyenne d’augmentation de la température dépasserait les 2°C au cours de ce siècle. Or une telle hausse serait la cause de grands cataclysmes que l’humanité ne pourrait supporter (migrations climatiques, conflits armés…).
La société civile tunisienne est pour le moins absente des grands mouvements internationaux pour le climat et n’est pas encore parvenue à intégrer les axes de lutte contre les changements climatiques dans ses agendas. Cette situation est essentiellement liée au fait que ceux qui ont accompagné les COP n’ont jamais essayé de diffuser l’information et de contribuer un tant soit peu à l’élaboration de solutions même à petite échelle concernant les différents aspects du climat (agriculture, énergie, eau…). Il n’est jamais tard pour qu’un mouvement national ou régional émerge afin de reprendre possession de nos problèmes et d’élaborer des alternatives tant à l’échelon national que régional (Maghreb).
Par rapport à la Tunisie, certains choix devraient contribuer à atténuer la facture énergétique et réduire nos émissions des gaz à effet de serre. Parmi ces orientations, il y a lieu de développer le recours à l’énergie solaire comme source d’énergie propre et non émettrice de gaz à effet de serre, adopter une politique de l’eau qui serait de nature à assurer notre souveraineté alimentaire, lutter contre les différentes formes de pollution, développer le transport public… Or, l’on voit que nous sommes loin d’initier ces politiques à l’instar de certains pays (Maroc par exemple, même si le modèle est critiquable).
Les pistes qu’on nous propose constituent, comme souligné plus haut, des fausses solutions (recours aux hydrocarbures non conventionnels, maintien des mêmes politiques énergétiques ou en matière de gestion de l’eau, recours aux biocarburants ou aux biotechnologies dont on n’a pas encore vu la couleur…). Le fait de continuer à adopter le même modèle de développement qui a généré tous les problèmes que nous vivons ne peut continuer qu’à sévir. Car il aura certainement des répercussions pires que celles que nous avons connu jusqu’à ce jour.
Il y a lieu de rappeler le fait que les solutions proposées et adoptées par la Tunisie ont été élaborées par des bailleurs de fonds internationaux qui nous préconisent les mêmes recettes qui ne cessent de nous enfoncer… L’occasion se présente pour nous dans la préparation de la COP 22 qui aura lieu en 2016 au Maroc. C’est le moment où jamais pour que la société civile maghrébine se coalise afin de présenter des solutions possibles pour nos sociétés dans la perspective d’un développement durable et juste. Il est largement temps.
Et qu’en est-il du littoral des îles notamment, Kerkennah et Jerba ?
Bravo pour cet article intéressent. Je pense que c’est l’occasion d’ouvrir un débat large sur la question. Derrières les changements climatiques accélérés (le climat a toujours changé mais à des rythmes beaucoup moins rapide que ce qu’on observe actuellement), il y a des modèles économiques et des modèles de développement dominants : 1) agriculture productiviste et intensive qui épuise les ressources naturelles, pollue l’environnement et détruit la biodiversité. 2) Une industrie polluante qui aggrave le gaspillage et la détérioration des ressources dont l’eau et les matières premières; Une course folle derrière la croissance économique au détriment de la “croissance” sociale 3) le consumérisme général effréné et maladif au-delà des besoins réels… On pourra envisager toutes les solutions techniques pour se protéger provisoirement contre les effets des changements climatiques. mais tant que le modèle économique n’est pas remis en cause, l’accélération du phénomène ne fera que s’aggraver et nous rapprocher de plus en plus rapidement vers une catastrophe générale… Et les plus pauvres seront les premiers à en payer le prix.