Nous avions osé espérer, au cours des quatre dernières années, que de nombreuses pratiques honnies, mais bien ancrées, il est vrai, allaient disparaître du paysage. Pourquoi ? Simplement parce que les grands bouleversements que connait le pays incitent à le faire. Le discours des différents acteurs sociaux ou politiques va dans ce sens et personne n’ose, publiquement, défendre les abus d’un autre temps. Pourtant, rien ne change.
Les pratiques en question se rapportent au clientélisme et à la corruption qui minent le corps social. Plusieurs indicateurs le prouvent, et notre bilan dans ce domaine est largement négatif. D’aucuns s’interrogent sur les raisons de cet échec, alors que les réponses sont presque évidentes. En effet, les cercles de prise de décision, aux niveaux local, régional et national, ne se sont pas enrôlés dans le changement. Après les dernières élections, nous avons assisté à un retour en puissance de nombreuses figures ignobles de l’ancien système, qui ne cessent de nous marteler que la situation du pays était meilleure sous le règne de ZABA, occultant les abus de pouvoir et le musellement des libertés, ces mêmes libertés dont ils réclament, aujourd’hui, l’abrogation parce qu’elles ont permis l’émergence d’acteurs, autrefois exclus.
Il est vrai que le Tunisien moyen manque de discernement pour situer les forces en place, entre celles qui veulent faire évoluer la société et celles qui usent d’un discours libérateur tout en perpétuant le statu quo.
Il est vrai aussi que les partis politiques qui ont tenu les rênes, après 2011, ont accaparé le pouvoir afin d’en user et abuser, faisant fi de l’impasse dans laquelle ne cesse de s’enfoncer le pays. Les demi-mots et le silence accusateur des médias et des intellectuels n’ont fait qu’exprimer notre impuissance face à des phénomènes et des situations dont il est difficile d’envisager l’atténuation à moyen et à long termes !
Oubliées les longues discussions sur la transparence, la bonne gouvernance et le besoin de faire appel à des compétences pour amorcer un début de sortie de crise. Alors que le désespoir des jeunes vient gonfler celui de larges pans de notre société qui aspiraient à des jours meilleurs…
Tout était contre nous : les interminables échanges, largement médiatisés, entre différents types d’acteurs, n’aboutissant souvent à rien, des formations politiques fragiles, qui n’arrivent pas à se situer dans le paysage pour tenter d’apporter des éléments de réponses aux problèmes ; mais aussi et surtout l’absence de recherche sérieuse de solutions. L’action du gouvernement n’a donné aucun signe d’apaisement, suscitant plus d’inquiétudes que des promesses. L’intrusion du terrorisme dans notre vie a compliqué la donne, et tout le monde s’entend pour lui accorder la priorité, même si l’action gouvernementale peine à prévenir contre ce fléau.
Entre-temps, nous découvrons, souvent avec stupeur, que la lutte contre le terrorisme passe, pour de nombreux acteurs, par la réduction des espaces de liberté et le non-respect des droits humains fondamentaux. Nous assistons, démunis, à la libération de personnes jugées dangereuses, alors que des jeunes sont poursuivis en justice pour des faits beaucoup moins graves, comme la consommation de cannabis. Les contrebandiers et les corrompus de tous bords ne sont pas inquiétés, car il semble que les mesures prises en matière de lutte contre le terrorisme ne les concernent tout simplement pas.
Les réformes annoncées peinent à avancer, et chacun ajoute de l’eau à son moulin concernant les secteurs fragilisés depuis des décennies, notamment ceux de l’éducation et de l’enseignement supérieur. Si celui de l’éducation est en meilleure posture, le second est passé aux oubliettes, et on ne doit pas espérer voir une amorce de réforme avant des années voire des décennies ! Pourquoi pas, puisque nous commençons à devenir un modèle en matière de laisser-aller ! Au diable le pays et ses jeunes qui espèrent voir leurs chances s’améliorer en matière de performance et d’un meilleur accès à des emplois qualifiants.
Pourquoi rien ne progresse alors ? Une partie de la réponse vient du fait qu’aucune réelle volonté politique n’existe pour faire avancer les choses et remettre en question des modes de fonctionnement institutionnels qui garantissent les intérêts de ceux qui sont dans les postes de prise de décision. Autrement, les secteurs non réformables sont dirigés par des personnes qui sont elles-mêmes à l’origine des maux qu’on veut combattre. Le clientélisme en vigueur maintient des réseaux relationnels opposés à toute tentative de changement. Le législateur est, quant à lui, préoccupé par d’autres priorités, à l’antipode, malheureusement, de ceux de la société. Les textes de lois, que nous avons vu défiler à l’assemblée, ont en commun de maintenir la société sous la coupe de l’exécutif, contournant, ainsi, les acquis garantis par la Constitution de 2014.
Sans aller plus loin, il semble de plus en plus évident que rien ne sera tenté pour libérer la société de l’emprise d’un appareil qui reprend du poil de la bête pour l’assujettir. Les jeunes qui sont les principaux perdants se doivent d’agir pour infléchir le cours des choses, sinon, il nous reste à attendre que la scène soit dégagée de tous ceux qui l’accaparent actuellement, parce que, seule la mort semble capable de les en déloger !
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